Des «pirates» envisagent de se présenter aux législatives aux couleurs du parti créé en 2009 en réaction à la loi Hadopi et qui défend la connaissance sur internet et une meilleure transparence.
Il y a adhéré pour se battre contre la loi Hadopi (protégeant les droits à la création sur internet). Il y est resté pour l'esprit d'aventure. Lorsqu'il a rejoint le Parti pirate en 2012, Cédric Levieux, 42 ans, n'avait pas un passé de militant: il se disait «de tendance socialiste», et possédait la ferme conviction que la culture devait être partagée avec le plus grand nombre sur internet. Au fil des années, cet architecte développeur s'est tellement pris au jeu qu'il a même mis au point un outil de vote en ligne utilisé par tous les membres du Parti pirate.
Aujourd'hui, Cédric Levieux envisage de se présenter aux élections législatives de juin 2022 sous la bannière noire et pourpre du Parti pirate. À celles de 2012, seuls vingt-cinq candidats du parti avaient atteint le score de 1%.
Pour autant, pas de quoi décourager les membres de cette organisation aussi atypique qu'ambitieuse, et les faire renoncer à leur pari de «pirater le système».
Le Parti pirate a émergé en 2006 en Suède, comme une initiative citoyenne improvisée, défendant les libertés des internautes face aux lois de copyright. D'abord raillé par les acteurs politiques traditionnels, le parti a vu sa popularité décuplée après le procès contre le site de torrent pirate Bay en 2009, jusqu'à devenir le troisième parti de Suède.
C'est aussi en 2009 que le Parti pirate s'est installé dans l'Hexagone, alors que la loi Hadopi est venue secouer l'arène politique française. Le Parti pirate s'est alors érigé en voix contestataire face à une loi qu'il jugeait liberticide. Le partage de la connaissance sur internet est devenu son cheval de bataille, conjugué avec la volonté d'une meilleure transparence de la vie publique.
Une décennie après des débuts incertains, l'effectif du parti a gonflé. D'une voie enjouée, Florie Marie, sa porte-parole, se félicite: «Nous avons exactement 494 membres à ce jour.» Dans les rangs des adhérents, se côtoient des amateurs d'informatique, des techniciens, des libertaires déterminés ou de simples curieux. S'il n'y a pas de profil type, Florie Marie concède qu'on trouve plutôt des scientifiques, avec une appétence pour les hautes technologies… mais pas seulement. «Beaucoup de ceux qui nous rejoignent aujourd'hui sont davantage intéressés par de nouveaux modes de prise de décision, ils sont dans une démarche d'expérimentation», explique la porte-parole.
Ce mode de décision unique est une des sources de fierté du parti. À tel point qu'il en constitue l'essence idéologique, moteur d'un appel à une démocratie plus souple, plus directe, et une profonde remise en question des fondamentaux de la Ve République.
Par sa structure, on pourrait croire que le Parti pirate imite presque les partis traditionnels. Un conseil de vie interne, un conseil réglementaire et statutaire et un conseil de vie publique sont prévus dans ses statuts. Mais, pour se distinguer d'un jargon politique devenu trop institutionalisé, le Parti pirate adopte son propre champ lexical, empreint de l'esprit de la navigation. Les membres du parti sont appelés «pirates», et sont structurés en «équipages», qui désignent les antennes du parti dans chaque région. Chaque équipage possède son capitaine, qui a un rôle de coordination, mais pas de décision.
Les membres du parti n'ont pas attendu l'irruption du Covid pour adopter le format virtuel des réunions, qui se déroulent sur la plateforme Discord. Chaque membre peut y exprimer ses idées par messages, à travers des canaux thématiques. Discourse et Congressus –l'outil développé par Cédric Levieux et permettant le vote en ligne– sont également au centre du fonctionnement du parti.
Pour être réellement en marge du cadre politique classique, le parti s'est fixé un mot d'ordre: l'horizontalité. Ce dernier fait écho au concept de «démocratie liquide», qui prône un mode de décision collectif. «Cela signifie simplement qu'il n'y a pas un pirate plus fort qu'un autre», résume Vincent Kurta, membre du parti depuis 2019. Les militants le répètent d'ailleurs: ils ne sont pas favorables au culte d'une personnalité, et se rassemblent derrière des idées plutôt que derrière un chef.
«On n'est pas des apparatchiks, nous!», complète Pierre Beyssac. Cet informaticien, la cinquantaine, est devenu pirate en 2019. Après avoir assisté à la naissance d'internet, Pierre Beyssac a vu les États vouloir mettre la main dessus, alors qu'il devait par essence leur échapper. Cette indignation l'a poussé à rejoindre le parti, soulignant qu'aucune autre organisation politique n'aurait été alignée avec ses convictions. Aujourd'hui, son engagement lui prend d'une à sept heures par semaine –un temps qu'il consacre au suivi des actualités numériques et à la participation aux réunions.
Toutefois, cette absence de hiérarchie pose un problème de taille pour les législatives à venir: aucun «candidat-vitrine» n'est suffisamment mis en avant pour porter les idées du parti. Aux élections régionales, par exemple, il n'a pas su trouver suffisamment de candidats pour déposer une liste.
Quelles propositions concrètes peut formuler le Parti pirate à l'approche des élections législatives de 2022? Les débats sur la 5G, la reconnaissance faciale, ou encore la protection des données en ligne avec l'application Stop Covid figurent notamment à son ordre du jour. Le pass sanitaire, lui, pose questions, mais le parti ne s'est pas encore prononcé officiellement.
Le programme s'est aussi élargi pour séduire un auditoire plus important. Sur le terrain de l'écologie, le parti ambitionne d'offrir une approche «plus mesurée, au-delà des symboles». Guidé par la rationalité scientifique, le parti n'hésite pas, par exemple, à défendre l'énergie nucléaire comme levier de décarbonation. Il s'éloigne aussi du «dogmatisme» des autres partis, soulignant par exemple les effets bénéfiques de la 5G. Le revenu universel, la légalisation des drogues constituent d'autres axes de bataille.
Mais pour Francesca Musiani, chercheuse au Centre Internet et Société du CNRS, la meilleure stratégie du Parti pirate serait d'avant tout asseoir une légitimité sur sa thématique de prédilection –le numérique– avant de se consacrer à d'autres sujets. «Il faut faire comprendre qu'aujourd'hui les enjeux de la technologie sont aussi des enjeux économiques et sociétaux. Focaliser l'action sur le numérique pourrait constituer un levier d'influence pour la suite», estime-t-elle.
La devise du parti –«Liberté, démocratie, partage»– est un slogan hybride, à mi-chemin entre les idées de Proudhon, Rousseau et John Stuart Mill, selon Francesca Musiani. Pour autant, définir la ligne du Parti pirate est un exercice laborieux. Lorsqu'on lui demande quelle philosophie politique a influencé son organisation, Florie Marie hésite un instant. «On a notre propre littérature et chacun de nous a ses propres orientations politiques. Finalement, on se retrouve tous sur la prise de décision collégiale et les valeurs humanistes et libertaires», conclut-elle.
«On se retrouve tous sur la prise de décision collégiale et les valeurs humanistes et libertaires.» Marie Florie, porte-parole du Parti pirate
Le Parti pirate serait-il de gauche? Certes, lorsqu'il doit s'allier à d'autres partis, il trouve davantage de points de dialogue avec les écologistes qu'avec la droite. Pourtant, l'étiquette de gauche ne lui serait pas appropriée, «surtout en France, où la gauche n'a généralement pas cette méfiance des institutions étatiques et la consécration des libertés individuelles», complète Francesca Musiani.
Le Parti pirate a réussi à s'imposer jusqu'à l'hémicycle du Parlement européen, ou à la tête de grandes villes, telles que Prague. Mais alors, pourquoi peine-t-il à conquérir les Français? «Les pays scandinaves, et ceux où prospère le Parti pirate, sont des systèmes plus ouverts à la décentralisation et à la gouvernance non étatique. En France, en revanche, on considère que les décisions doivent être prises par les gouvernements, ce qui n'est pas compatible avec l'essence même du Parti pirate», répond Francesca Musiani.
La stratégie du parti pour la suite, Florie Marie la définit comme plus réformiste que révolutionnaire. «L'idée de pirater le système, c'est de l'intégrer et de le changer de l'intérieur vers plus de démocratie directe», explique-t-elle. Autrement dit, une démarche de «contournement», essentielle dans l'esprit pirate.