Quelques centaines de milliers de Français sont dans la rue pour protester contre l’obligation d’un « passe sanitaire ». Il ne s’agit plus simplement d’un mouvement d’humeur mais d’une révolte populaire qui n’est pas sans rappeler le mouvement des Gilets jaunes (2019) et celui des Bonnets rouges (2013).
Pas question ici de prendre position sur l’obligation du passe sanitaire. Nous ne nous demanderons pas s’il s’agit d’une mesure de salut public ou d’une atteinte insupportable à la liberté. Mais nous nous interrogerons sur la notion de liberté et le respect des procédures démocratiques par le gouvernement français...
Dans le droit fil de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, nous tendons à penser que la liberté « consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (Article IV de la Déclaration). Ainsi puis-je revendiquer le droit de ne pas me vacciner, ne pas attacher ma ceinture de sécurité, ne pas inscrire mes enfants à l'école, mais aussi porter un voile (si je suis une femme) ou encore payer une femme pour qu'elle porte un enfant conçu à partir de mes gamètes.
L'application stricte de cette définition conduit à une impasse. Il faut beaucoup de contorsions en effet pour justifier d'un côté le refus de se faire vacciner, d'autre part l'acceptation de la ceinture de sécurité. Si j’accepte l’obligation de porter la ceinture de sécurité en voiture ou encore de me faire vacciner contre la fièvre jaune quand je vais dans certains pays, pourquoi devrais-je contester l’obligation du passe sanitaire dans les magasins et les lieux de spectacle ?
On pourra rétorquer que le vaccin contre la fièvre jaune a été validé par l’expérience, ce qui n’est pas le cas du vaccin contre le covid. C’est affaire de débat et c’est là le nœud de l’affaire. Qui peut juger du bien-fondé d’une contrainte ? Face à un enjeu collectif, chacun est-il habilité à agir selon son opinion personnelle, ce qui revient à supprimer toute contrainte ?
Chaque société, pour conserver sa cohésion, doit imposer des règles de conduite communes, comme par exemple, en France, inscrire ses enfants au cursus scolaire commun, respecter le code de la route, ne pas dissimuler son visage, ne pas faire commerce de ses organes, etc. Toutes ces obligations et bien d’autres, qui limitent de fait la liberté individuelle, sont admises par l’ensemble des citoyens. Pourtant, elles ne coulent pas de source et plusieurs d’entre elles sont ignorées par des pays tout aussi démocratiques que la France.
Les députés de l’Assemblée nationale de 1789 ont eux-mêmes convenu de la nécessité d’imposer des bornes à la liberté individuelle. Ils ont pris soin de souligner que « ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi » (Article IV) en précisant : « La loi est l'expression de la volonté générale » (Article VI). En d’autres termes, la loi doit émaner du Peuple souverain (j'aime bien cette formule qui nous vient de Rousseau). C'est essentiel pour l'acceptabilité de la loi car toute loi contient des obligations susceptibles d'affecter telle ou telle catégorie de citoyens. Une loi qui ne gênerait personne et ne contiendrait que des obligations consensuelles serait inutile.
Si une loi est promulguée sans débat comme il est de règle dans les régimes despotiques, les catégories affectées par cette loi vont tendre à s’y opposer de toutes les façons possibles (révolte ou désobéissance massive) en arguant de son illégitimité. Le gouvernement n’aura d’autre solution que de mettre au pas les récalcitrants par la répression et les tribunaux.
Si par contre une loi est véritablement débattue au Parlement, alors les citoyens auront le loisir de peser les termes de l’enjeu et d’en discuter entre eux s’il en est besoin. Au final, ils seront portés à accepter le vote de leurs députés et il ne sera pas nécessaire de mobiliser policiers et juges pour faire appliquer la loi. C’est tout l’avantage de la démocratie (étymologiquement, le « gouvernement par le peuple ») sur le despotisme (le « pouvoir d’un seul »)... Et c'est d'évidence ce qui a manqué à la loi sur le passe sanitaire, dont le vote, acquis d'avance, n'a pas fait l'objet d'un débat approfondi et contradictoire.
Dès lors que les gouvernants jouent le jeu de la démocratie, dès lors que les citoyens connaissent et comprennent les règles sociales qui s'appliquent à chacun et les limites qui s’appliquent à leurs pulsions et leurs désirs, chacun peut vivre dans la sérénité. L'ennemi de la liberté, ce ne sont pas les limites à cette liberté, sous réserve qu'elles aient fait l’objet d’un vote démocratique, mais c'est l'arbitraire et l'opacité.
Parions que si le gouvernement français avait laissé les parlementaires dé-battre du passe sanitaire sans leur forcer la main, nous n'en serions pas venus à nous battre dans la rue à son propos ! Dès le début de la pandémie, notons-le, il a requis l’état d’urgence. En s'appuyant sur une majorité de députés « godillots », il a pu faire passer des mesures coercitives d’une rare violence (confinement général) et parfois ubuesques (auto-attestations de sortie, limitation à 30 du nombre de fidèles dans les lieux de culte, cathédrale ou chapelle, etc.).
Les manifestations contre l’obligation du passe sanitaire traduisent l’exaspération de citoyens privés d’un débat démocratique et ouvert sur ces questions comme sur bien d'autres. Cette exaspération a des racines profondes. Elle vient en premier lieu de la judiciarisation de la loi, qui a débuté avec l’extension du droit de saisine du Conseil Constitutionnel en 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Depuis lors, les magistrats français et européens, sans autre légitimité que d’avoir été nommés à leur poste par des homologues bienveillants, n’ont de cesse de grignoter des parcelles de pouvoir. Ils en viennent à encadrer la loi sans que les représentants du Peuple souverain aient leur mot à dire.
La classe politique a accepté cette judiciarisation parce qu’elle sert son dessein, qui est de déléguer aux instances européennes les instruments de la souveraineté nationale : monnaie, maîtrise des frontières, droit de la citoyenneté, etc. Chaque fois qu’émerge une tentative de renforcer la souveraineté nationale, autrement dit la maîtrise de leur destin par les citoyens, il se trouve un tribunal (Conseil Constitutionnel, Conseil d’État, Cour de justice européenne) pour y faire obstacle avec les meilleures intentions du monde.
Si les députés s’inclinent si facilement, c’est que depuis l’introduction du quinquennat en 2000 et l’alignement du mandat présidentiel sur la législature, il n’y a plus de débat véritable au Parlement. Les élections législatives suivant de quelques semaines l’élection présidentielle, les électeurs sont naturellement portés à donner une majorité très confortable à l’hôte de l’Élysée, lequel se trouve dès lors assuré pendant cinq ans d’un pouvoir quasi-absolu, plus important que celui dont pouvait jouir Louis XIV !
L’illustration la plus percutante de cette dérive antidémocratique nous a été fournie en 2005 (16 ans déjà !) par le référendum sur le traité constitutionnel européen. Au terme d’une campagne intense et richement argumentée, ce texte a été clairement rejeté par les citoyens et malgré cela imposé par la classe politique, tous bords confondus, sous le nom de traité de Lisbonne.
Sauf sursaut démocratique comme nos cousins britanniques en ont donné l’exemple en restaurant leur souveraineté, il est à craindre que nous nous éloignions de l'idéal démocratique avec un pouvoir qui ne laisse aucune chance au vote populaire chaque fois que celui-ci cherche à exprimer sa différence ou ses inquiétudes, que ce soit sur les institutions européennes, l'écotaxe ou le passe sanitaire.
André Larané
Chances are you have already heard something about who anarchists are and what they are supposed to believe. Chances are almost everything you have heard is nonsense. Many people seem to think that anarchists are proponents of violence, chaos, and destruction, that they are against all forms of order and organization, or that they are crazed nihilists who just want to blow everything up. In reality, nothing could be further from the truth. Anarchists are simply people who believe human beings are capable of behaving in a reasonable fashion without having to be forced to. It is really a very simple notion. But it’s one that the rich and powerful have always found extremely dangerous.
At their very simplest, anarchist beliefs turn on to two elementary assumptions. The first is that human beings are, under ordinary circumstances, about as reasonable and decent as they are allowed to be, and can organize themselves and their communities without needing to be told how. The second is that power corrupts. Most of all, anarchism is just a matter of having the courage to take the simple principles of common decency that we all live by, and to follow them through to their logical conclusions. Odd though this may seem, in most important ways you are probably already an anarchist — you just don’t realize it.
Let’s start by taking a few examples from everyday life.
If there’s a line to get on a crowded bus, do you wait your turn and refrain from elbowing your way past others even in the absence of police?
If you answered “yes”, then you are used to acting like an anarchist! The most basic anarchist principle is self-organization: the assumption that human beings do not need to be threatened with prosecution in order to be able to come to reasonable understandings with each other, or to treat each other with dignity and respect.
Everyone believes they are capable of behaving reasonably themselves. If they think laws and police are necessary, it is only because they don’t believe that other people are. But if you think about it, don’t those people all feel exactly the same way about you? Anarchists argue that almost all the anti-social behavior which makes us think it’s necessary to have armies, police, prisons, and governments to control our lives, is actually caused by the systematic inequalities and injustice those armies, police, prisons and governments make possible. It’s all a vicious circle. If people are used to being treated like their opinions do not matter, they are likely to become angry and cynical, even violent — which of course makes it easy for those in power to say that their opinions do not matter. Once they understand that their opinions really do matter just as much as anyone else’s, they tend to become remarkably understanding. To cut a long story short: anarchists believe that for the most part it is power itself, and the effects of power, that make people stupid and irresponsible.
Are you a member of a club or sports team or any other voluntary organization where decisions are not imposed by one leader but made on the basis of general consent?
If you answered “yes”, then you belong to an organization which works on anarchist principles! Another basic anarchist principle is voluntary association. This is simply a matter of applying democratic principles to ordinary life. The only difference is that anarchists believe it should be possible to have a society in which everything could be organized along these lines, all groups based on the free consent of their members, and therefore, that all top-down, military styles of organization like armies or bureaucracies or large corporations, based on chains of command, would no longer be necessary. Perhaps you don’t believe that would be possible. Perhaps you do. But every time you reach an agreement by consensus, rather than threats, every time you make a voluntary arrangement with another person, come to an understanding, or reach a compromise by taking due consideration of the other person’s particular situation or needs, you are being an anarchist — even if you don’t realize it.
Anarchism is just the way people act when they are free to do as they choose, and when they deal with others who are equally free — and therefore aware of the responsibility to others that entails. This leads to another crucial point: that while people can be reasonable and considerate when they are dealing with equals, human nature is such that they cannot be trusted to do so when given power over others. Give someone such power, they will almost invariably abuse it in some way or another.
Do you believe that most politicians are selfish, egotistical swine who don’t really care about the public interest? Do you think we live in an economic system which is stupid and unfair?
If you answered “yes”, then you subscribe to the anarchist critique of today’s society — at least, in its broadest outlines. Anarchists believe that power corrupts and those who spend their entire lives seeking power are the very last people who should have it. Anarchists believe that our present economic system is more likely to reward people for selfish and unscrupulous behavior than for being decent, caring human beings. Most people feel that way. The only difference is that most people don’t think there’s anything that can be done about it, or anyway — and this is what the faithful servants of the powerful are always most likely to insist — anything that won’t end up making things even worse.
But what if that weren’t true?
And is there really any reason to believe this? When you can actually test them, most of the usual predictions about what would happen without states or capitalism turn out to be entirely untrue. For thousands of years people lived without governments. In many parts of the world people live outside of the control of governments today. They do not all kill each other. Mostly they just get on about their lives the same as anyone else would. Of course, in a complex, urban, technological society all this would be more complicated: but technology can also make all these problems a lot easier to solve. In fact, we have not even begun to think about what our lives could be like if technology were really marshaled to fit human needs. How many hours would we really need to work in order to maintain a functional society — that is, if we got rid of all the useless or destructive occupations like telemarketers, lawyers, prison guards, financial analysts, public relations experts, bureaucrats and politicians, and turn our best scientific minds away from working on space weaponry or stock market systems to mechanizing away dangerous or annoying tasks like coal mining or cleaning the bathroom, and distribute the remaining work among everyone equally? Five hours a day? Four? Three? Two? Nobody knows because no one is even asking this kind of question. Anarchists think these are the very questions we should be asking.
Do you really believe those things you tell your children (or that your parents told you)?
“It doesn’t matter who started it.” “Two wrongs don’t make a right.” “Clean up your own mess.” “Do unto others...” “Don’t be mean to people just because they’re different.” Perhaps we should decide whether we’re lying to our children when we tell them about right and wrong, or whether we’re willing to take our own injunctions seriously. Because if you take these moral principles to their logical conclusions, you arrive at anarchism.
Take the principle that two wrongs don’t make a right. If you really took it seriously, that alone would knock away almost the entire basis for war and the criminal justice system. The same goes for sharing: we’re always telling children that they have to learn to share, to be considerate of each other’s needs, to help each other; then we go off into the real world where we assume that everyone is naturally selfish and competitive. But an anarchist would point out: in fact, what we say to our children is right. Pretty much every great worthwhile achievement in human history, every discovery or accomplishment that’s improved our lives, has been based on cooperation and mutual aid; even now, most of us spend more of our money on our friends and families than on ourselves; while likely as not there will always be competitive people in the world, there’s no reason why society has to be based on encouraging such behavior, let alone making people compete over the basic necessities of life. That only serves the interests of people in power, who want us to live in fear of one another. That’s why anarchists call for a society based not only on free association but mutual aid. The fact is that most children grow up believing in anarchist morality, and then gradually have to realize that the adult world doesn’t really work that way. That’s why so many become rebellious, or alienated, even suicidal as adolescents, and finally, resigned and bitter as adults; their only solace, often, being the ability to raise children of their own and pretend to them that the world is fair. But what if we really could start to build a world which really was at least founded on principles of justice? Wouldn’t that be the greatest gift to one’s children one could possibly give?
Do you believe that human beings are fundamentally corrupt and evil, or that certain sorts of people (women, people of color, ordinary folk who are not rich or highly educated) are inferior specimens, destined to be ruled by their betters?
If you answered “yes”, then, well, it looks like you aren’t an anarchist after all. But if you answered “no”, then chances are you already subscribe to 90% of anarchist principles, and, likely as not, are living your life largely in accord with them. Every time you treat another human with consideration and respect, you are being an anarchist. Every time you work out your differences with others by coming to reasonable compromise, listening to what everyone has to say rather than letting one person decide for everyone else, you are being an anarchist. Every time you have the opportunity to force someone to do something, but decide to appeal to their sense of reason or justice instead, you are being an anarchist. The same goes for every time you share something with a friend, or decide who is going to do the dishes, or do anything at all with an eye to fairness.
Now, you might object that all this is well and good as a way for small groups of people to get on with each other, but managing a city, or a country, is an entirely different matter. And of course there is something to this. Even if you decentralize society and put as much power as possible in the hands of small communities, there will still be plenty of things that need to be coordinated, from running railroads to deciding on directions for medical research. But just because something is complicated does not mean there is no way to do it democratically. It would just be complicated. In fact, anarchists have all sorts of different ideas and visions about how a complex society might manage itself. To explain them though would go far beyond the scope of a little introductory text like this. Suffice it to say, first of all, that a lot of people have spent a lot of time coming up with models for how a really democratic, healthy society might work; but second, and just as importantly, no anarchist claims to have a perfect blueprint. The last thing we want is to impose prefab models on society anyway. The truth is we probably can’t even imagine half the problems that will come up when we try to create a democratic society; still, we’re confident that, human ingenuity being what it is, such problems can always be solved, so long as it is in the spirit of our basic principles — which are, in the final analysis, simply the principles of fundamental human decency.
(Traduction de la conclusion en Français. L'article est en Anglais)
Ne commettez pas l’erreur de penser que vous êtes à l’abri, peut-être parce que vous êtes jeune, homme, blanc, hétérosexuel et en bonne santé. Vous pourriez penser que vos données personnelles ne peuvent que vous procurer de bonnes choses, jamais de mauvaises, si vous avez eu de la chance jusqu’à présent. Mais vous n’êtes peut-être pas en aussi bonne santé que vous le pensez, et vous ne serez pas jeune pour toujours. La démocratie que vous tenez pour acquise pourrait se transformer en un régime autoritaire qui pourrait ne pas favoriser des gens comme vous.
De plus, la protection de la vie privée ne concerne pas que votre propre personne. La vie privée est à la fois personnelle et collective. Lorsque vous exposez votre vie privée, vous nous mettez tous en danger. Le pouvoir de protection de la vie privée est nécessaire à la démocratie – pour que les gens votent selon leurs croyances et sans pression indue, pour que les citoyens protestent anonymement sans crainte de représailles, pour que les individus aient la liberté de s’associer, de dire ce qu’ils pensent, de lire ce qui les intéresse. Si nous voulons vivre en démocratie, il faut que le gros du pouvoir appartienne au peuple. Si la majeure partie du pouvoir revient aux entreprises, nous aurons une ploutocratie. Si la plus grande partie du pouvoir revient à l’État, nous aurons une sorte d’autoritarisme. La démocratie n’est pas une évidence. C’est une chose pour laquelle nous devons nous battre tous les jours. Et si nous cessons de construire les conditions dans lesquelles elle prospère, la démocratie ne sera plus. La vie privée est importante parce qu’elle donne du pouvoir aux gens. Protégez-la.
Aux États-Unis, les quartiers résidentiels les plus aisés ne sont pas toujours les mieux pourvus en caméras de vidéosurveillance publiques. C’est pourtant dans ces quartiers que se développe une nouvelle forme de surveillance, popularisée notamment par le succès de Ring, la sonnette vidéo d’Amazon, explique le journaliste Alfred NG (@alfredwkng) sur Cnet (@cnet).
A l’origine Ring est une startup ukrainienne rachetée en janvier 2018 par Amazon pour un milliard de dollars. Elle fait partie des nombreux investissements que l’entreprise américaine a réalisés pour structurer et diversifier son offre de produits connectés domestiques. Moins connus que l’emblématique assistant vocal Alexa, des dizaines de milliers d’Américains ont pourtant équipé leur porte d’entrée de cette sonnette vidéo qui ne se déclenche pas seulement quand on sonne, mais aussi quand elle détecte un mouvement. La caméra ne surveille pas que ceux qui cherchent à venir chez vous… mais également les mouvements de la rue ou de la cour devant votre domicile. Pour tout bon défenseur de la liberté individuelle, cette épidémie de caméras privatives ne devrait pas prêter à discussion… sauf qu’elles ne sont pas si privatives qu’annoncées et que la somme de ces actes individuels n’est pas sans conséquence sur la société.
D’une manière surprenante, nombre de services de police américains ont largement promu ces nouveaux objets auprès des habitants, en proposant même des réductions voire un équipement gratuit… Cette promotion un peu particulière n’était pas sans contrepartie : la police a promu l’équipement en échange d’un accès aux vidéos enregistrés par les caméras (un accès qui n’est pas automatique, mais qui se fait sur demande de la police). Ring s’est pourtant défendue de promouvoir ces offres. Les clients de Ring ont le contrôle de leurs vidéos, a déclaré récemment l’enseigne. Ils décident seuls de partager ou non leurs enregistrements et s’ils veulent acheter ou pas un service de stockage des enregistrements (à partir de 3$ par mois). Si Ring a offert des appareils à des services de police ou à des associations, Ring ne soutient pas de programmes qui obligent les utilisateurs à partager leurs vidéos avec d’autres, s’est défendue la marque. Mais dans les faits, rapporte Alfred NG, ce n’est pas exactement ce qu’on constate…
Aux États-Unis, plus de 50 services de police locaux se sont associés à Ring pour promouvoir le service, souvent en échange d’un accès aux images dans des zones où la police est souvent dépourvue de moyens de surveillance. Autant de caméras qui permettent à la police de bénéficier de nouvelles sources d’enregistrement vidéo, tout en proposant un service visant à tranquilliser les usagers. Ceux-ci bénéficient également d’une application sociale de partage des vidéos des caméras baptisée Neighbors (Voisins). Cette application (qui aurait déjà plus d’un million d’utilisateurs) permet de partager, regarder et commenter des vidéos et des informations sur la sécurité des quartiers. On y croise bien sûr des vidéos de vols et de crimes, des vidéos de comportements suspects ou délictueux, des vidéos d’incidents urbains…
Pour Mohammad Tajsar avocat de l’American civil liberties union (@aclu), nous avons là « un mariage parfait entre forces de l’ordre, particuliers et grandes entreprises pour créer les conditions d’une société dont peu de gens voudraient faire partie ». Sur Ring, la police a accès à un tableau de bord où elle peut demander des séquences filmées à des moments précis sur requête auprès des utilisateurs ou directement auprès de Ring.
Carte montrant la densité des caméra vidéos Ring à BloomfieldÀ Bloomfield, New Jersey, le quartier est presque entièrement couvert de caméras. En 2017, le responsable de la police de Bloomfield avait tenté de lancer un programme de vidéosurveillance volontaire. À l’époque, 442 lieux équipés de caméras s’étaient inscrits, surtout des entreprises. Aujourd’hui, il estime que le réseau Ring sur Bloomfield représente un accès à plus de 4000 caméras ! Pire, rapporte Cnet : installer un plan de vidéosurveillance en ville est souvent compliqué ! Il faut décider où les implanter, faire voter la proposition au Conseil municipal… pour une technologie où chaque caméra coûte encore très cher et dont le rapport efficacité/coût peut-être très discuté (voir Vidéosurveillance : où avons-nous failli ?). Or, Ring permet à la fois d’économiser l’argent public et surtout de contourner le processus démocratique qui décide de son installation… Le réseau de vidéosurveillance n’a plus besoin d’une décision collective ou publique pour devenir effectif !
À Mountain Brook, Alabama, le responsable de la police explique d’ailleurs qu’il n’a désormais plus besoin d’un réseau de vidéosurveillance public ! À Hammond, Indiana, la ville a subventionné l’achat de caméra avec l’aide de Ring : les 500 caméras sont parties en une semaine ! 600 autres ont été installées grâce à un programme de réduction proposé par la ville. Pour l’avocat de l’ACLU, « le public subventionne les atteintes à la liberté en agissant ainsi ». À Houston, la police a lancé un concours pour gagner des caméras à condition que les lauréats acceptent d’ouvrir un accès à la police lorsqu’elle en ferait la demande… Et dans plusieurs villes, quand 20 personnes s’inscrivent, Ring offre une caméra ! Pour le juriste Eric Piza, la police agit désormais dans l’intérêt d’entreprises commerciales (qui se rémunèrent surtout sur l’abonnement mensuel pour stocker les images). À Bloomfield pourtant, les gens n’ont pas inondé d’images la police. Les demandes de la police restent souvent sans réponses, sauf lorsque les agents se déplacent pour les demander en personne… dans ce cas, il est souvent plus difficile de refuser !
En décembre dernier, Ring a envisagé introduire une technologie de reconnaissance faciale pour ses sonnettes, permettant de reconnaître des personnes suspectes et d’en alerter directement la police. Mais la proposition n’a pas été très bien reçue… Amazon qui développe son propre logiciel de reconnaissance faciale, Rekognition (que l’entreprise vend aux forces de l’ordre) a rencontré également une forte contestation, notamment du fait des erreurs et des biais de genres, de classes et de race de ces outils. Mais malgré les contestations externes comme internes, le récent conseil d’administration d’Amazon a rejeté l’abandon du logiciel. Cela n’empêche pas dès à présent la police, elle, d’utiliser les technologies qu’elle souhaite sur les vidéos récupérées depuis Ring, comme celles lui permettant de lire et reconnaître les plaques minéralogiques des voitures suspectes…
Brian X Chen (@bxchen), responsable de la rubrique Tech Fix pour le New York Times revient sur le développement des réseaux de surveillance de quartiers aux États-Unis, comme Nextdoor, Streety ou Citizen (des réseaux sociaux locaux de surveillance de quartiers), trois des applications parmi les plus téléchargées aux États-Unis. Si ces applications ne reposent pas sur la vidéosurveillance, elles dispensent souvent des alertes préoccupantes dès que quelque chose d’inquiétant se déroule dans le quartier où vous habitez. Le problème, estime le journaliste du New York Times, c’est que ces applications sont particulièrement anxiogènes, alors même que la criminalité n’a cessé de chuter ces dernières années… Comment ne pas succomber à la paranoïa en les utilisant ? Et ce d’autant que Citizen ou Neighbors de Ring notifient par défaut sur leurs applications les incidents signalés dans le quartier sur les 30 derniers jours, comme pour rendre chaque quartier plus criminogène qu’il n’est. Pour s’en prémunir, le journaliste recommande de changer ce paramètre par défaut pour ne faire s’afficher que les incidents du dernier jour. De désactiver les notifications et de ne les utiliser qu’en cas de besoin. Les promoteurs de ces applications soulignent néanmoins que sur Ring comme sur Nextdoor, l’essentiel des signalements ne concerne pas la criminalité ou la sécurité, mais plutôt des animaux perdus ou des rues en travaux…
Pourtant, les solutions proposées par Brian Chen sont peu satisfaisantes : elles remettent toujours la responsabilité sur l’utilisateur final, sans interroger les choix par défauts que proposent ces systèmes. Ces entreprises proposent des outils par nature anxiogènes qui, par leurs choix de conception mêmes, renforcent l’angoisse de ceux qui les utilisent. Sous prétexte de liberté individuelle, ils ont un impact direct sur nos libertés collectives… Le choix des individus s’impose à tous les autres, sans offrir aux autres le moindre recours pour s’y opposer…
Le panopticon sécuritaire d’Amazon annonce déjà ses prochaines extensions. Un brevet, repéré par Quartz, projette de proposer prochainement une surveillance par drone des habitations. Et de nouveaux produits Ring sont annoncés : notamment des caméras embarquées pour les voitures… En janvier 2019, The Intercept avait révélé que des employés de Ring était capables de regarder des images en direct à partir des caméras de leurs clients (une information démentie par l’entreprise, mais maintenue par le journal d’investigation), soi-disant pour permettre aux employés d’aider les algorithmes à mieux catégoriser les objets – et ce alors que Ring assure ne pas utiliser d’outils de reconnaissance d’image…
La mise en réseau de fonctions de surveillance privatives en transforme assurément la nature et la puissance. Les capacités d’affiliation proposées par Amazon à la police ou aux utilisateurs de Ring sont de puissants leviers pour conquérir et élargir le public qui a recours à ces outils, normalisant insidieusement la vidéosurveillance ainsi que la surveillance de voisinage. La promotion et la subvention publique également. Pour le professeur Chris Gilliard (@hypervisible), de telles plateformes sécuritaires favorisent le racisme et l’intolérance, explique-t-il sur Vice. Vice, qui a fait une rapide recension de vidéos postées sur l’application sociale de Ring note qu’une majorité d’entre elles sont clairement racistes alors qu’elles concernent des délits souvent mineurs… beaucoup par exemple se plaignent de livreurs qui ne sont pas suffisamment précautionneux dans leur travail.
Chris Gilliard parle de Digital Redlining pour désigner ces pratiques. Le Redlining fait référence à une pratique discriminatoire consistant pour les banques, les assurances et les services de santé de refuser d’investir dans certains quartiers (bien évidemment les plus pauvres et les plus noirs des États-Unis) délimités d’une ligne rouge par les investisseurs… Si la pratique a été interdite dès la fin des années 60, le numérique lui donne une nouvelle réalité, souligne Gilliard. En 2016, une enquête de Bloomberg avait révélé qu’Amazon avait tendance à refuser l’accès à la livraison dans la journée à la plupart des quartiers de minorités. À Boston, le quartier noir de Roxbury, était le seul où la livraison le jour même n’était pas disponible, alors que tous les quartiers qui entouraient Roxbury, eux, étaient livrés dans la journée ! Pour Gilliard, plus de caméras ne signifient pas plus de sécurité, en tout cas pas pour les communautés les plus marginalisées. Plus de caméras, c’est d’abord moins de sécurité pour ceux qui sont contrôlés par celles-ci. Et le professeur de rappeler qu’il y a une différence très significative entre une alarme qui se déclenche lors d’une intrusion à son domicile et un système qui surveille et enregistre en permanence tous types de signaux dont l’interprétation est libre…
Un récent rapport de l’ACLU qui faisait le point sur le développement de la vidéosurveillance aux États-Unis recommande que les acteurs du secteur de l’analyse vidéo ne puissent être autorisés à déployer des fonctions d’analyse sans approbation législative, sans contrôle extérieur et sans analyse d’impact de leurs effets sur les droits civils notamment. Depuis 2016, l’ACLU a d’ailleurs lancé CCOPS, une initiative de projets de règlements locaux pour permettre aux communautés d’exercer un contrôle sur les méthodes de surveillance de la police et obtenir plus d’information sur les modalités de surveillance utilisées par les forces de police.
Un exemple qui montre bien qu’il n’y a pas que la question de la reconnaissance faciale qui est problématique avec la vidéosurveillance. Le contrôle démocratique du déploiement même du réseau à l’heure de son ubérisation par Ring l’est tout autant !
Hubert Guillaud
L’âge de l’utopie numérique semble être à son crépuscule. Dans la longue nuit qui s’annonce, les activistes de tout bord vont essayer de se saisir du potentiel d’internet pour leur cause. Si la fracture de l’activisme numérique continue de s’élargir, l’aube va nous amener à un âge ou seulement quelques citoyens pourront se faire entendre. Cela n’éteindra pas seulement le rêve que la technologie puisse être une force de progrès, cela éteindra aussi la possibilité d’une société purement démocratique