Parfois, il faut bien l'admettre, l'administration française fait sourire la Belgique.
*Francis Van de Woestyne Éditorialiste en chef - Publié le 13-11-2021
Sans vouloir le moins du monde rallumer la guéguerre stérile qui survient chaque fois qu’un match de football oppose les équipes nationales belge et française, qu’il nous soit permis d’épingler un petit problème survenu ces derniers temps en France. Si pareille mésaventure s’était déroulée en nos contrées, nul doute que nous aurions fait les choux gras de nos amis français toujours prompts à épingler les failles de notre démocratie, les hérésies de nos choix politiques, les absurdités de notre système.
Voici.
Avec près de 20 ans de retard sur plusieurs pays européens, dont la Belgique, la France a décidé de remplacer les anciennes cartes d’identité de ses citoyens par un document au format carte bancaire où figurent désormais des données biométriques infalsifiables. La précieuse carte contient évidemment aussi les mentions habituelles, nom, prénom, date de naissance et adresse. Mais des milliers de Françaises et de Français ne peuvent actuellement pas en bénéficier. Ce qui pose des problèmes pour les déménagements, les examens de permis de conduire, etc. Pourquoi ?
Les têtes si peu pensantes qui ont conçu la nouvelle carte ont limité de nombre de caractères des noms de commune à 29. Pourquoi 29 ? Parce que. Parce que c’est la place disponible sur la carte. Sauf que… 78 communes affichent un nombre de lettres supérieur à 30. Peut-être y êtes-vous déjà passés aux hasards de vos pérégrinations dans cette France profonde si belle. C’est, notamment, le cas de Saint-Remy-en-Bouzemont-Saint-Genest-et-Isson (45 lettres), Beaujeu-Saint-Vallier-Pierrejux-et-Quitteur (43), Saint-Martin-de-Bienfaite-la-Cressonnière (41) Montigny-Mornay-Villeneuve-sur-Vingeanne (40) La Vacquerie-et-Saint-Martin-de-Castries (40), Roche-sur-Linotte-et-Sorans-les-Cordiers (40), Escueillens-et-Saint-Just-de-Bélengard (38) Bonneville-et-Saint-Avit-de-Fumadières (38), Saint-Quentin-la-Motte-Croix-au-Bailly (38), Javerlhac-et-la-Chapelle-Saint-Robert (37), Villeneuve-Saint-Vistre-et-Villevotte (37).
Patience, ont assuré les services "compétents", le problème sera réglé à la fin de l’année. Comment ? On ne va pas changer la taille de la carte d’identité mais bien proposer aux communes certaines abréviations : Saint, par exemple, deviendra St ; Croix, Cx, etc. Parenthèse : peut-être faudrait-il suggérer aux autorités françaises de voir comment le Pays de Galles a géré le problème, c’est là que se trouve la commune au nom le plus long du monde (à lire à haute voix, SVP) : Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwlll¬lantysiliogogogoch. Il paraît que les habitants des villages français au nom le plus bref, sont, eux, très satisfaits : ils habitent à "Y", "By", "Eu", "Bu", "Py", et "Oz". Pas de changement en perspective, en revanche, pour les localités que, allez savoir pourquoi, certains prononcent à voix basse : Anus (Yonne), Le Fion (Haute-Savoie), Trécon (Marne), Montcuq (Lot), Sallespisse (Pyrénées-Atlantiques), Arnac-la-Poste (Haute-Vienne), La Trique (Deux-Sèvres), Sainte-Verge (Deux-Sèvres).
Les Français vont donc enfin bénéficier d’une nouvelle carte d’identité moderne, mais cela n’empêchera pas l’état civil français d’avoir toujours un train de retard. La Belgique, en effet, a le projet de la remplacer, dès 2023, par un portefeuille numérique. La carte d’identité et le permis de conduire, entre autres, y seront stockés afin que chaque citoyen puisse s’identifier via son smartphone… Un progrès qui accentuera encore la fracture numérique, mais cela est un autre débat.
Cet épisode illustre le délire administratif dont souffrent certaines administrations françaises. Faut-il rappeler la géniale attestation de sortie, inventée pendant le confinement ? On pourrait aussi ajouter à ces particularités françaises, que nos voisins et amis ont maintenu, avant que l’euro ne vienne les libérer, des prix en anciens et en nouveaux francs, qu’ils ont dû attendre 2020 avant d’organiser le prélèvement à la source de l’impôt, en vigueur chez nous depuis quelque 80 ans et qu’ils utilisent toujours le chèque papier.
Ces petites remarques sur les retards français ne sont rien, bien sûr, au regard de leurs incommensurables atouts, de ce que nous aimons et admirons chez eux, à commencer par la soufflante beauté de certains paysages, la gastronomie, les vins, la culture, le RER, le Louvre, le musée d’Orsay, Le Lubéron, Bordeaux, la Baie de Somme, le Massif des Bauges, les Cévennes, l’île de Ré, de Noirmoutier, et tout ce qui pousse des millions de Belges à se précipiter dans l’Hexagone dès qu’ils ont quelques jours de congé.
Qui bene amat, bene castigat.
La gestion des données (personnelles ou économiques) est une affaire sensible qui ne peut pas être confiée à n'importe qui. C'est en substance le message adressé le 15 septembre dernier aux secrétaires généraux des ministères par le directeur interministériel du numérique (Dinum), Nadi Bou Hanna. En pratique, selon ce document diffusé sur le site Acteurs Publics, cela signifie que l'État a décidé d'interdire à ses administrations (et donc à ses collaborateurs) de recourir à l'offre Office 365, proposée par Microsoft sur ses propres infrastructures cloud (Azure), en remplacement des solutions bureautiques et de messagerie (MS Exchange notamment) déployées sur ses serveurs. En clair, les collaborateurs de l'État pourront encore utiliser la suite Office de Microsoft, mais pas dans sa version cloud, c'est-à-dire hébergée à distance.
Le problème? C'est celui de la protection et de la confidentialité des données et en l'espèce ce qu'autorisent certaines législations étrangères, à commencer par celles des États-Unis. En effet, selon le Cloud Act, les États-Unis s'arrogent le droit de consulter toutes les données stockées en Europe par des entreprises américaines et ce, quel que soit l'endroit où ces données sont hébergées. Une pratique qui vaut tant pour les activités professionnelles que personnelles, publiques que privées. Longtemps apathiques sur ce sujet, les autorités françaises ne l'entendent plus aujourd'hui de cette oreille. En mai 2021, le Gouvernement a présenté sa nouvelle doctrine. Baptisée "Cloud au centre", celle-ci oblige désormais les ministères et les administrations à utiliser uniquement des clouds sécurisés et immunisés contre les réglementations extra-communautaires (hors UE).
L'interdiction édictée par l'État concerne l'offre cloud Microsoft 365 (ex-Office 365). Cependant cette décision souffre quelques exceptions (temporaires) et laisse entrevoir des perspectives de solutions pour les utilisateurs qui ne souhaiteraient vraiment pas se passer de Microsoft 365. Tout d'abord, cette interdiction ne concerne pas les projets de migration qui étaient déjà "très avancés" au 5 juillet 2021 (date de parution de la circulaire n° 6282-SG, texte auquel se réfère la note du 15 septembre). Dans ce cas, une demande de dérogation pourra être adressée au ministre de l'administration concernée. Cependant, cette demande ne pourra porter que sur les "seuls services de messagerie et de drive personnel". Ces fonctions ne sont en effet pas encore intégrées à l'offre interministérielle Snap (le sac à dos numérique de l'agent public). Un environnement de travail numérique construit autour de solutions françaises et open-source, conforme à la doctrine "Cloud au centre", et qui comprend d'ores et déjà des services documentaires, collaboratifs, de messagerie instantanée, d'audioconférence, de visioconférence et de webinaire. Ensuite, pour les utilisateurs "accros" à Microsoft 365, il est recommandé d'attendre le déploiement du cloud issu du consortium Bleu.
S'il est bâti sur les technologies cloud de Microsoft (Azure et Office 365), Bleu est un projet créé, géré et opéré par Orange et Capgemini qui a vocation à être conforme à la doctrine "Cloud au centre" et à obtenir la précieuse certification SecNumCloud. Cette certification dite de "cloud de confiance" est délivrée par l'ANSSI (l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information). Aujourd'hui, seules trois entreprises, (Oodrive, OVHcloud et 3DS Outscale) sont détentrices de ce label. A défaut, les utilisateurs de Microsoft 365, contraints de délaisser leur suite logicielle préférée, pourront (devront) se rabattre sur une solution cloud interne de l'État. Si elles peuvent sembler complexes, ces circonvolutions réglementaires ont le mérite de souligner les enjeux stratégiques, et donc très importants, liés à ce qu'il est convenu d'appeler "la souveraineté numérique".
Cette notion, de plus en plus revendiquée en Europe et en France, désigne l'application des principes de souveraineté au domaine des technologies de l'information et de la communication. Ainsi, dans un contexte similaire à l'interdiction qui vise aujourd'hui Microsoft 365, le Gouvernement a-t-il signifié en novembre 2020 son intention de se désengager du Health Data Hub (un hub de données sensibles que sont les données de santé) hébergé par... Microsoft. Malgré tout, à la lecture de la note diffusée le 15 septembre dernier et centrée sur Microsoft, il est permis de s'étonner de l'absence d'autres services qui, comme Google Workspace, Salesforce, Zoom ou Box, ne brillent pas non plus par leur conformité à la doctrine "Cloud au centre" établie par le Gouvernement français…
Le 15 septembre, Nadi Bou Hanna a envoyé une note aux secrétaires généraux des différents ministères pour rappeler la non-conformité d'Office365.
Ce n'est pas une surprise mais, cette fois, la clarté est totale. Plusieurs fois, Nadi Bou Hanna, directeur interministériel du numérique (directeur de la DINUM), avait expliqué que l'offre Office365 opérée par Microsoft sur son propre cloud Azure ne pouvait pas être déployée dans les administrations d'État. Malgré la circulaire Ayrault sur l'usage du logiciel libre dans les administration, le directeur ne s'était cependant jamais opposé à l'usage de la suite Office en version on premises. Après la publication début juillet de la politique de cloud de l'État, « Cloud au centre », la DINUM revient à la charge. Nadi Bou Hanna a en effet envoyé le 15 septembre 2021 une note de service formelle aux secrétaires généraux des ministères avec copie au secrétariat général du gouvernement, à l'ANSSI et aux différents directeurs du numérique des ministères. Dans celle-ci, il rappelle qu'un déploiement d'Office365 est prohibé dans les administrations.
Certains projets étaient de toute évidence bien lancés. De manière transitoire, la DINUM accepte d'accorder des dérogations pour la messagerie et les services de partage de fichiers mais exclut toute dérogation pour les autres fonctions. Le recours à l'offre utilisant les technologies Office365 mais opérée par le consortium Bleu (Capgemini et Orange) et certifiée SecNumCloud est par contre possible. Mais la DINUM recommande plutôt d'opter pour des solutions alternatives de bureautique collaborative, notamment autour de la plateforme interministérielle SNAP. Enfin, il semble surtout urgent d'attendre une plus grande maturité des offres collaboratives.
Dans les sociétés contemporaines, les organisations publiques font face à des problèmes de plus en plus complexes : vieillissement de la population, réchauffement climatique, crise sanitaire, migration de population, crise financière, économique et sociale, etc.
Ces challenges sociétaux sont qualifiés dans la littérature de « wicked problems ». Ils ont pour caractéristiques principales le fait d’être des problèmes particulièrement complexes, non prédictibles et inextricables. Ils surprennent les managers publics et posent des défis de taille pour leur résolution ; ils semblent souvent incompréhensibles et résistants à toute forme de traitement.
Ainsi les wicked problems requièrent non seulement un processus d’innovation publique, mais plus spécifiquement un changement de modèle vers une innovation publique ouverte, notamment aux citoyens-usagers.
Le modèle de l’innovation ouverte ou « open innovation » repose sur l’idée selon laquelle ni une personne seule ni une organisation ne détiennent forcément les meilleures idées et les meilleures compétences pour identifier et résoudre un problème.
L’innovation est alors vue comme le fruit d’une communauté d’individus et d’organisations dotés d’expertises diverses qui coconstruisent ensemble le socle de connaissances nécessaires pour rendre le problème intelligible produisant ainsi une solution adaptée.
Face à l’impérieuse nécessité d’innover, les managers publics se retrouvent devant un défi encore plus grand, qui échappe à la rationalité bureaucratique : comment faire autrement ?
Si les organisations publiques sont particulièrement efficaces pour standardiser un service public, le déployer à grande échelle, créer des procédures et des routines, il en est autrement face à des activités non routinières et non standardisées telles que les activités d’innovation.
C’est pourquoi le modèle de l’innovation ouverte et de « l’État-plateforme » se diffuse depuis plusieurs années dans les organisations publiques profitant notamment des progrès en matière de technologies numériques.
En effet, l’usage des plates-formes numériques permet aux organisations publiques de se saisir du potentiel de créativité et de collaboration qu’elles offrent en connectant le monde. Le gouvernement 2.0, ou gouvernement « plateforme », émerge depuis quelques années et permet aux acteurs publics de produire un meilleur travail ; les bureaucrates sortent de leurs silos administratifs, et puisent dans les idées et les énergies d’une foule prête à s’engager pour l’intérêt général.
Dès 2014, la France a intégré le Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO) qui a pour ambition d’agir « pour la transparence de l’action publique, pour sa co-construction avec la société civile et pour l’innovation démocratique ».
En 2015, la direction interministérielle du numérique (Dinum) lance la mission « Incubateur de services numériques », portée par le réseau beta.gouv.fr. L’objectif vise à développer des « startups d’État » à travers une nouvelle politique d’innovation qui a pour objectif de créer des produits numériques centrés sur les usagers.
Plus récemment, le département « Etalab » de la Dinum a vu le jour en octobre 2019. Il a pour objectif principal de coordonner « la conception et la mise en œuvre de la stratégie de l’État dans le domaine de la donnée ».
C’est ainsi que Etalab gère la plate-forme data.gouv.fr qui met à disposition de la société civile l’ensemble des informations publiques. Etalab est également au service de l’exploitation de ces données et vise à promouvoir les data sciences et l’intelligence artificielle (programme Lab IA).
Mais de manière plus générale, les missions de beta.gouv d’Etalab visent à être le bras armé du modèle d’open innovation. En effet, Beta.gouv, Etalab et la Dinum ont pour mission de promouvoir « l’innovation, l’expérimentation, les méthodes de travail ouvertes, agiles et itératives, ainsi que les synergies avec la société civile pour décloisonner l’administration et favoriser l’adoption des meilleures pratiques professionnelles dans le domaine du numérique ».
La mise en place d’une démarche d’innovation ouverte implique un changement de modèle profond pour les organisations publiques à plus d’un titre.
D’abord, en ce qui concerne leur fonctionnement et leur structuration, cela suppose un changement significatif de leur architecture. En effet, la stratégie de « plateformisation » de l’État permettrait de repenser la nature de ses missions ainsi que ses règles d’organisation. L’objectif est de faire preuve d’agilité et de dégraisser le processus d’innovation de toute lourdeur administrative.
Par ailleurs, la « plateformisation » vise une plus grande proximité avec l’utilisateur final. L’innovation repose sur l’identification d’un besoin ou d’un problème à résoudre du point de vue de l’usage. La solution est d’abord conçue de manière épurée afin d’élaborer un prototype offrant les fonctionnalités minimums suffisantes qui permet de tester et de valider les hypothèses de départ. Ce fonctionnement aide à réduire l’erreur de manière itérative et à ajuster la solution en continu.
Cette rupture avec l’architecture classique de l’organisation publique est d’ailleurs clairement affichée par l’incubateur Beta.gouv.fr : « Les besoins des usagers avant ceux de l’administration ».
Ainsi, les équipes sont pilotées par la finalité plus que par les moyens. Elles visent l’amélioration continue plus que la conformité à un plan. Nous sommes aux antipodes des méthodes administratives traditionnelles ce qui présuppose selon la recherche une large implication des utilisateurs, « aboutissant à une véritable « coproduction » du service, ainsi qu’un processus d’élaboration « interactive et incrémentale », passant par des phases récurrentes d’expérimentation et d’amélioration ».
La mise en place d’une innovation publique ouverte nécessite également un changement de logiciel de l’esprit, et donc un changement culturel. La posture du manager public s’avère radicalement différente. Face à l’absence de solution préexistante, celui-ci prend une posture d’entrepreneur : il prend des risques, fonctionne par essai-erreur, agit discrètement d’abord, et fait preuve d’un certain courage managérial.
En effet, face à un wicked problem, la réglementation en vigueur et les procédures existantes sont rarement favorables et obligent à surfer sur les zones grises. L’urgence qui est souvent de mise contraint à jouer des règles du jeu avant de pouvoir les modifier.
L’innovation est souvent le fruit de la déviance. Sans pour autant se positionner en criminel d’État, il s’agit de faire preuve de transgression face à une norme ou règle établie. Cela suppose donc un courage managérial pour dépasser la rationalité bureaucratique classique qui impose de suivre et d’appliquer scrupuleusement les règles et procédures établies.
De ce fait, là où la bureaucratie dépersonnalise l’agent dont la fonction est supérieure à sa personnalité, l’innovation publique inverse l’équilibre et place les qualités de l’agent, ses capacités à penser, créer, tester, bref – innover – au-dessus de sa fonction opérationnelle.
Le manager public passe d’une posture parfois jugée comme attentiste à un état de veille permanente, à l’affût d’opportunités qu’il saura saisir et mettre en œuvre.
Par ailleurs, face au modèle de l’innovation publique ouverte et de l’État-plateforme, la posture du citoyen-usager et son rôle sont également profondément transformés. Le citoyen devient un partenaire ; il est invité à prendre une participation active dès la conception des politiques publiques.
Ainsi, la relation aux politiques et les solutions innovantes qui en résultent prennent corps dans l’interaction avec l’usager. Il ne s’agit plus de le conforter dans une posture de consommateur et de client, à l’instar de la figure de l’usager-client, mais de favoriser son empowerment ( pour qu’il devienne usager-entrepreneur du service public.
Plus largement, c’est en collaborant avec l’ensemble des parties prenantes de la conception à l’évaluation des politiques publiques que l’État jouera pleinement son rôle de plate-forme. Cet enjeu est d’autant plus fort qu’il s’agit de relever des défis sans précédent posés par l’accélération des wicked problems contemporains.
Celles qui n'ont pas adopté le nom de leur mari se le voient fréquemment imposé par les impôts, la CAF, la Sécu ou les banques. L'usage continue de prévaloir sur la loi.
Aucune loi n'a jamais contraint les femmes à prendre le nom de leur époux, mais l'administration française fait de la résistance.
En octobre dernier, le gouvernement annonçait mettre fin à une règle jugée «obsolète», qui donnait priorité au nom de l'époux sur l'avis d'imposition –même lorsque l'épouse ne l'avait pas choisi comme nom d'usage.
L'année 2020 sera donc la première à voir (officiellement, puisque certains services le faisaient déjà) les deux noms d'un couple marié figurer sur ces documents.
Or, cette ancienne règle du code général des impôts n'est pas supprimée en vertu de sa nature ouvertement discriminante vis-à-vis des femmes, mais parce qu'elle n'est «plus adaptée à la situation de la loi […] du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe».
En France, aucune loi n'a jamais contraint les femmes à prendre le nom de leur époux. L'usage est seulement coutumier, et personne ne perd son nom en prenant celui de la personne épousée, mais gagne un nom d'usage. Les hommes, eux, ont dû attendre 2011 pour qu'un décret leur permette de «substituer» leur nom à celui de leur épouse (en 2012, après un parcours du combattant, un homme a obtenu gain de cause pour la première fois).
En 2002, Ségolène Royal, alors ministre de la Famille, met fin à la prééminence du nom du mari. La réforme, entrée en vigueur trois ans plus tard, fait remplacer dans la loi le «nom patronymique» par le «nom de famille» et permet enfin aux femmes mariées de donner leur nom à leurs enfants.
En théorie donc, la suprématie «légale» du patronyme masculin n'est plus qu'un mauvais souvenir, mais en pratique? Sans surprise, c'est le patriarcat qui gagne.
Solveig, qui s'est mariée en 2016 en conservant son nom, a fait les frais des pratiques périmées typiques de l'administration française: «À partir du moment où j'ai envoyé le certificat de mariage à la CAF pour mettre à jour mon dossier, ils ont carrément rayé mon nom pour mettre celui de mon mari. Je ne recevais plus de courrier à mon nom, mais au sien. J'avais eu quelqu'un au téléphone qui m'avait répondu: “C'est automatique, c'est comme ça.”»
Trois ans plus tard, c'est la Sécurité sociale qui s'y met: «Je suis dans la salle d'attente de mon médecin traitant, avec qui j'ai pris rendez-vous sur Doctolib, et là, on vient m'appeler, mais par le nom de mon mari.»
Solveig a pourtant pris rendez-vous avec son nom de naissance. «Il s'est avéré qu'en connectant ma carte Vitale, j'étais désormais au nom de mon mari! Il faudrait que je change de carte, mais ça me met tellement en rage de devoir faire ces démarches alors que je n'ai jamais rien demandé… Même si ça faciliterait grandement les choses, puisque nous avons des enfants que nous avons choisi d'appeler avec le nom de leur père.»
Elle ne croit pas si bien dire. Géraldine, qui travaillait à la CPAM en 2016, confirme: «Je pouvais pas donner d'information sur ses enfants à une mère qui ne portait pas le même nom qu'eux, il fallait obligatoirement qu'elle présente le livret de famille.»
Pire: «Je ne compte plus les fois où une femme amenait le RIB d'un compte joint, mais comme le nom de l'homme y figure toujours en premier, on ne pouvait pas accepter le RIB sans attestation sur l'honneur de ce dernier.»
Et les galères continuent même après un divorce: «C'était laborieux, pour les femmes divorcées ayant pris le nom de leur mari, de refaire une carte Vitale à leur nom de naissance, puisqu'elles devaient ramener l'intégralité du jugement du divorce, qui fait je ne sais pas combien de pages. Si elles ne fournissaient qu'une copie simple, elles recevaient une nouvelle carte Vitale… au nom de leur ex.»
Marine a épousé Gwendal en mai 2016 et a préféré conserver son nom de famille. «L'année d'après, nous avons donc déclaré notre mariage aux impôts, raconte Gwendal. Comme ma déclaration était très simple, alors que ma femme doit déclarer du foncier, elle s'est mise en première déclarante et moi en deuxième. Mais ma femme touchant deux fois plus que moi à l'époque, je pense que par sexisme, ils ont considéré que c'était forcément moi le déclarant 1. Donc ils ont interverti les déclarants –mais pas les déclarations, évidemment.»
Une erreur pas tout à fait banale et qui entraîne une réaction en chaîne: «En 2018, ma femme étant enceinte, on s'inscrit à la CAF. On se rend compte qu'elle fait la même inversion, parce qu'elle se base en réalité sur les impôts.»
Et ça se complique: «De plus, finissant ma thèse, on doit déclarer que je suis au chômage. Sauf qu'à cause de l'inversion, la CAF va considérer que je ne touche plus les revenus qui correspondent en réalité à ceux de ma femme. Comme on ne veut pas se faire accuser de fraude, on prévient donc la CAF, qui dit ne pouvoir rien faire.»
C'est donc avec les Finances publiques que Gwendal et Marine ont dû batailler, pendant «pas mal de temps», pour que tout rentre dans l'ordre. Contactée, la DGFIP indique qu'il «suffit de faire la demande auprès de son service de rattachement pour que par exemple les avis/déclarations soient envoyés aux deux noms dans un couple marié ou pacsé» et concède «que sur le traitement global de près de 38 millions de foyers fiscaux, quelques erreurs soient à signaler concernant le traitement de ce type de demandes».
Intéressant de constater que ces erreurs ne fonctionnent que dans un sens, toujours le même
Géraldine, l'ancienne employée de la CPAM, confirme que si la case «nom de jeune fille» continue de figurer sur les formulaires à remplir et les dossiers des bénéficiaires, l'équivalent masculin n'existe tout simplement pas.
Des formulaires obsolètes qui énervent Charlie, mariée en 2019 avec un homme qui a pris son nom: «Régulièrement, on doit inscrire le “nom de jeune fille” de mon mari ou alors on tombe sur des formulaires où on ne peut même pas renseigner son nom de naissance… Donc soit on barre la première mention, soit on rajoute la seconde, mais à chaque fois, on se demande si on va encore devoir faire des démarches supplémentaires pour que les noms ne soient pas inversés, ou que son nom d'usage à lui soit respecté.»
Depuis leur mariage, Charlie et son époux ont dû se montrer pédagogues face à nombre d'employé·es peu habitué·es à ce cas de figure: «Une fois, on nous a inscrit comme un couple d'hommes –en plus j'ai un prénom mixte, donc ça n'aide pas. Et quand on leur fait remarquer l'erreur, la réponse c'est très souvent “on ne savait pas que c'était possible”.»
Exemple chez le notaire, en juillet dernier: «Ils ont cru à une erreur de notre part, donc au lieu de revérifier ou de nous demander, ils ont inversé les noms de famille sur le compromis de vente. Puis ils ont osé nous dire qu'ils ignoraient que c'était légal pour le mari de prendre le nom de famille de son épouse, alors que la loi a bientôt dix ans…»
«Dans notre ancienne banque, quand on a voulu faire le changement de nom d'usage pour mon mari, ils ne connaissaient pas la procédure. Alors que logiquement, ça devrait être la même que celle d'une femme qui prend le nom de son époux…», raconte encore Charlie.
Et en changeant d'établissement, rebelote. «Déjà, à l'inscription, la conseillère ne trouvait pas comment lui mettre mon nom en nom d'usage dans le logiciel. Ensuite, à cause d'un prélèvement refusé à mon mari en raison de son changement de nom, on s'est retrouvés avec mon compte personnel à son nom de naissance, et inversement !»
Après trois tentatives de contact via l'espace client de la Banque populaire restées sans réponse, Charlie finit par obtenir gain de cause. «Il a fallu que des virements sur mon compte personnel soient refusés à cause du RIB qui a été mis au nom de mon mari pour que tout ça soit traité sérieusement. La banque n'a jamais cherché à se justifier ou s'excuser. La seule “raison” qu'on nous a donnée, c'est que “c'est pas courant”.»
Catherine, 76 ans, a commencé sa vie professionnelle en 1960, à la BNCI (ancêtre de la BNP). Mariée à 17 ans, à cette époque, elle n'a pas le droit d'ouvrir un compte en banque ni travailler sans l'autorisation de son mari.
Car si la loi du 18 février 1938 a déjà supprimé l'incapacité juridique de la femme mariée et son devoir d'obéissance inscrits dans le code civil (code Napoléon) depuis 1804, il faut attendre le 13 juillet 1965 pour que la réforme des régimes matrimoniaux consacre l'autonomie financière de ces femmes, qui jusqu'alors ne pouvaient signer un chèque, acheter une maison en leur nom propre ou signer un contrat de travail sans l'accord de leur mari.
Cela fait donc cinquante-cinq ans seulement que toutes les Françaises disposent de leurs propres bien et ne sont plus, dans la loi, traitées en éternelles mineures, passant de l'autorité du père à celle du mari.
En 1992, Catherine perd son époux, dont elle avait pris le nom. «Dans l'agence BNP où nous avions notre compte, une dame charmante lisait les avis de décès et vérifiait dans la clientèle qui était concerné. Je reçus donc, sans avoir rien demandé, un chéquier indiquant “Mme veuve Nomdemonmari”.»
Elle refuse une première fois («hors de question d'avoir perpétuellement cette douleur sous les yeux») mais la banque lui renvoie un second carnet de chèques à «Mme Bernard Nomdumari». «Finalement, après une explication assez vive, j'obtins enfin un chéquier à mon nom!»
Catherine dénonce des «blocages» qu'elle estime dus «à un manque criant de connaissance, soigneusement entretenu par des siècles de patriarcat». Pour les contourner et s'éviter des migraines, certaines femmes omettent donc de mentionner le nom de leur mari lorsqu'elles remplissent des papiers. Une astuce que plusieurs se sont vu souffler par… l'administration elle-même.
Une note du directeur de cabinet de Jean-Marc Ayrault recadre les ministères en matière de sécurité des communications. Les ministres vont-ils lâcher leurs smartphones ?
Signée du directeur de cabinet d'une Premier ministre, une circulaire énumère les bonnes pratiques à mettre en œuvre dans les ministères et l'administration en matière de sécurité informatique et protection des données sensibles.
En filigrane de cette note datée du 19 août et obtenue par L'Express, un véritable rappel à l'ordre qui laisse entendre des cas de piratage : " la survenance ces derniers mois de plusieurs atteintes à la sécurité des systèmes d'information me conduit à rappeler des règles élémentaires. "
cadenaL'affaire du cyberespionnage américain et britannique plus amplement dévoilée par Edward Snowden n'est par ailleurs sans doute pas étrangère à la diffusion de la circulaire. " À l'étranger, il convient d'avoir à l'esprit que les communications téléphoniques ou par voie électronique peuvent être écoutées, surtout dans les organismes internationaux, les aéroports, les hôtels, les restaurants et les cybercafés. "
La circulaire comporte une énumération de règles basiques comme pour le choix d'un mot de passe robuste et à changer tous les six mois, être vigilant avec les emails inhabituels, ne pas connecter une clé USB à l'origine inconnue, ne pas installer d'application sur du matériel professionnel sans l'aval du service informatique...
Pour les informations sensibles de l'administration mais non classifiées, la préférence d'un hébergement sur le territoire national est évoquée ou encore le chiffrement sur des réseaux non sécurisés. Plusieurs points concernent les smartphones.
Toujours pour la diffusion d'informations sensibles (voix ou données), les smartphones du commerce sont à proscrire s'ils ne possèdent pas de dispositif de sécurité agréé par l'ANSSI. Une Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information que l'on sait pour le moins critique sur le BYOD en entreprise qui consiste à utiliser des appareils personnels dans un cadre professionnel.
Et tant qu'à faire, les ministres sont invités à se passer de SMS, smartphone ou mobile pour préférer l'utilisation d'un téléphone fixe lors de leurs communications téléphoniques sensibles.
La transmission d'informations classifiées relève quant à elle d'un autre registre et uniquement autorisée à l'aide d'outils dédiés comme l'intranet sécurisé ISIS et les téléphones sécurisés Teorem.