Que fait la police ? Le pouvoir d’influence insoupçonné de la typographie
4 novembre 2021, par Joan Le Goff - The conversation - licence Creative Commons
Dans leur essai Mille plateaux publié en 1980, les philosophes français Gilles Deleuze et Félix Guattari montrent, de façon didactique, comment un langage apparemment creux peut, s’il s’insère dans des agencements complexes où les signes font sens, transformer les êtres.
L’appareillage conceptuel qu’ils élaborent offre ainsi une clé de compréhension de la manière dont la normalisation managériale se diffuse : leurs « mots d’ordre » forment le fil théorique qui permet d’échapper au labyrinthe qu’arpentent quotidiennement consommateurs fidèles et managers disciplinés, dédale hanté d’injonctions contradictoires, de simulacres, d’incitations hors d’atteinte et de discours soumis à un savant cryptage technique.
Sans autre objet qu’eux-mêmes et leur propre performativité, ils constituent l’instrument redoutablement efficace de la managérialisation de la société. L’ordre est contenu dans la règle (la mise en forme), et non dans le discours (l’information).
Les deux philosophes illustrent leur raisonnement avec les communiqués de la police, dont la vraisemblance importe peu et où seul compte ce qui doit être retenu. À ce stade, un autre exemple tout aussi parlant semble pouvoir être mobilisé : la police des communiqués, qui fait l’objet de nos dernières recherches.
La typographie peut être identifiée comme la voix du texte, la manière dont il est entendu quand il est lu. L’histoire de la création, de la diffusion et, le cas échéant, de la disparition des caractères d’imprimerie est une chronique culturelle où se croisent politique, religion, arts et sciences, suicides et rivalités amoureuses.
Les extravagances (parfois meurtrières) des États sont connues : on sait comment l’Allemagne hitlérienne a imposé l’impression des livres et affiches en caractères gothiques, seul lettrage susceptible d’exprimer la pureté de la Nation, à l’inverse des caractères romains « dégénérés » (Mussolini ne partageait pas cet avis), allant jusqu’à arrêter Paul Renner après une conférence où ce typographe fit l’éloge des polices romaines.
En 1941, de façon tout aussi nuancée, le Reich interdira le gothique (qualifié de « judaïque », mais dont on s’est surtout aperçu qu’il était incompréhensible pour les habitants des pays occupés) et imposera l’utilisation de Futura, caractère romain inventé par Paul Renner lui-même en 1927.
En 1969, la plaque commémorative laissée sur la lune par les Américains est gravée en Futura, sans doute jugée plus lisible pour des yeux extraterrestres que Fraktur ou tout autre caractère gothique apprécié des quotidiens sérieux (du New York Times au Monde) et des tatoueurs modernes.
Quel rapport avec la gestion et le monde de l’entreprise ? Les polices de caractères soulèvent des enjeux tout aussi passionnés pour le management contemporain, comme en témoignent de nombreux faits divers : par exemple, le « verdanagate » (pétitions, éditoriaux, polémique, excuses, etc.) que suscita en 2009 le changement par Ikea de sa police traditionnelle (une variante de Futura, utilisée depuis 50 ans) pour adopter Verdana, considérée plus adaptée au web et plus lisible sur petits écrans.
L’année suivante, c’est l’humiliation de l’État français qui dévoile le logo de son agence chargée de la protection des droits sur Internet et, donc, de la lutte contre la fraude (Hadopi), magnifiquement conçu avec la police Bienvenue, dont tout le monde (sauf Hadopi, visiblement…) savait qu’elle a été créée par le typographe Jean-François Porchez par et pour France Télécom, avec un contrat d’exclusivité.
En 2014, une controverse surgit à propos de la consommation d’encre lors d’impressions de documents et des économies que le gouvernement américain pourrait réaliser en utilisant Garamond ; ce sont ensuite des cabinets de conseils qui, pour optimiser le recrutement, proposent de l’analyse psychologique fondée sur la dissection des choix typographiques des curriculum vitæ des candidats.
Tout cela ne concerne que marginalement notre propos, même si la normalisation managériale resurgit toujours : certaines entreprises américaines imposent Verdana (une police « neutre », conçue par Matthew Carter pour Microsoft en 1996) pour éviter qu’un employé tente d’éblouir le patron avec une police atypique.
L’enjeu porte au-delà de ces usages plus ou moins adroits et renvoie directement à ce que permet la règle indépendamment des mots, pour reprendre la logique de Deleuze et Guattari. Une police de caractères dispose d’un pouvoir d’influence sur les comportements individuels qui est absolument indépendant des phrases et messages qu’elle contribue à mettre en forme. Pour le dire autrement, les choix typographiques contiennent la consigne à laquelle le destinataire va obéir.
En 1957, des typographes de la fonderie Haas créent une nouvelle police, Neue Haas Grotesk, qui va permettre d’illustrer ce pouvoir de la mise en forme du lettrage. Sous son nom commercial (Helvetica), elle devient l’une des polices de caractères les plus utilisées au monde, désormais incontournable.
Helvetica a rapidement séduit pour ses qualités objectives – équilibre, clarté, lisibilité, neutralité – qui en ont fait la police privilégiée des entreprises : American Airlines, 3M, Bell, BMW, Jeep, Lufthansa, Kawasaki, Agfa, BASF, Manpower, Caterpillar, Intel, Nestlé, Évian, Tupperware, Saab et de nombreuses autres marques vont habiller leur identité visuelle avec elle. Mais, pour les mêmes raisons, Helvetica est devenue la police des États et des administrations, pullulant sur l’affichage urbain, les formulaires fiscaux, les panneaux d’interdiction, les avertissements de sécurité, la signalétique aéroportuaire, les plans de réseaux de transport, les logos institutionnels. Sa prolifération et son apparente impartialité ont achevé de lui conférer une vertu absolue : l’autorité.
La police utilisée par le ministère de la Culture et les Nations unies, celle qui nous indique les toilettes et les sorties de secours est devenue un symbole de l’efficacité pour administrer les hommes, c’est-à-dire non pas surveiller des identités mais provoquer des conduites. Lorsqu’un message apparaît en Helvetica, le passant sait qu’il doit s’y soumettre ; plus précisément, il le sent, sans même réfléchir, car la voix qui se soucie de sa sécurité (« cédez le passage »), qui lui donne des consignes formelles (« interdit au public ») est une voix qui peut punir si on ne lui obéit pas (amende, emprisonnement ou toute autre sanction).
Cette puissance résulte de la fusion de la légitimité du droit et de l’efficacité managériale. Peu importe alors ce qu’on écrit et même si cela est lu : l’obéissance est acquise.
Pour les entreprises, ce pouvoir de la typographie constitue un atout magistral : le contenu est indifférent, la consigne sera transmise par la police et suivie à la lettre par les employés ou les clients. Diverses expériences menées en marketing ont montré qu’en changeant simplement la police de caractères sur une affiche (sans modifier produit, prix et argumentaire), les consommateurs pouvaient juger ce produit moins cher, plus propre ou plus à la mode. Sur la devanture d’un magasin, le panneau « entrée libre » provoque plus de trafic s’il est rédigé en Helvetica.
La manière dont Helvetica peut faire naître des conduites a été illustrée de façon concrète par un affrontement commercial dans lequel une victoire juridique est demeurée sans effet.
Sous la férule de Steve Jobs, l’apparition des premiers ordinateurs Apple a apporté de multiples changements majeurs pour l’informatique, notamment sur la manière même de concevoir l’interface avec l’utilisateur (les icônes, la souris, etc.). Parmi ces innovations figure le fait que les Macintosh offraient une large palette de choix de polices de caractères (Geneva, New York, Chicago, etc.), ce qui ne s’était encore jamais vu – la typographie passait pour la première fois aux mains de non-initiés.
La sensibilité de Steve Jobs sur cette question est notoire, ainsi que son érudition – il avait ainsi délibérément refusé que la police du système d’exploitation initial soit Helvetica, qui incarnait à ses yeux la guerre du Vietnam (car les entreprises finançant l’effort militaire l’employaient toutes).
Le système d’exploitation d’Apple utilise donc Lucida Grande comme police de base jusqu’à la naissance d’une nouvelle révolution Apple, l’iPhone, pour lequel la police principale a été modifiée, remplacée de façon inattendue par Helvetica. Cette décision a été prise avec l’assentiment de Steve Jobs.
Orange bénéficiera d’un contrat de distribution exclusive, garantissant au distributeur de téléphonie un chiffre d’affaires record. Ses concurrents ont contesté devant la justice l’accord d’exclusivité, avec succès. Pour autant, de façon incompréhensible pour Bouygues et SFR, leurs ventes sont restées très en deçà de celles de leur rival : sur l’écran de leur iPhone, les consommateurs voulaient le logo d’Orange et rien d’autre – ils ne le savaient pas, ne l’exprimaient pas, mais seule cette option leur apportait satisfaction.
Il s’avère que le logo d’Orange est dessiné en Helvetica maigre sur fond noir (comme la police système d’Apple) et qu’il était le seul à ne pas rompre l’esthétique d’un téléphone acheté d’abord et avant tout dans une logique d’ostentation. Helvetica criait à tous « achetez un iPhone chez Orange et nulle part ailleurs ! ». Dont acte, puisqu’en 2010, 60 % des utilisateurs d’iPhone étaient clients d’Orange.
L’ordre vient avant le langage, il est dans la règle de grammaire ; le message vient avant le texte, il est dans le choix de la police de caractères, qui charrie son histoire, son origine, ses usages et tous les messages antérieurs. La règle de grammaire dicte la conduite, la police gouverne le comportement de l’employé, du consommateur, du lecteur. Mais aussi celui de l’électeur : il faudra s’en souvenir dans les mois qui viennent, quand la campagne présidentielle couvrira les murs de nos villes d’affiches aux polices variées.
Lorsque l’on cherche un programme de vidéoconférence, on pense directement au logiciel estonien Skype. Lancé en 2003, Skype est désormais l’outil d’appels audio et vidéo le plus populaire au niveau mondial. Que ce soit avec un ordinateur fixe ou portable, une tablette ou un Smartphone il est possible de contacter de n’importe où un autre utilisateur de Skype. Tout ce dont vous avez besoin pour lancer un appel vidéo est une caméra et un microphone ainsi que le logiciel gratuit Skype avec une bonne connexion Internet.
Cependant il existe désormais plusieurs logiciels gratuits pour la téléphonie IP (téléphonie sur IP, également connu sous le nom de voix sur IP ou « VoIP » (de l’anglais Voice over IP). Comme pour Skype ces programmes peuvent être utilisés pour réaliser une communication avec d’autres utilisateurs via une vidéo transmission. De plus, la majorité des alternatives à Skype sont gratuites et quelques-unes sont sur certains points meilleurs que le leader du marché notamment au sujet des mesures pour la protection des données et de la politique de confidentialité. Quels sont les programmes vraiment utiles et innovants ? Dans cet article nous allons vous présenter une vue d’ensemble des forces et des faiblesses des 14 meilleures alternatives à Skype
Dans "I have a dream", Martin Luther King avait transmis ses convictions chargées de ses émotions. Avec "How dare you?", les larmes et la rage de Greta Thunberg nous bouleversent là où un énième plan désincarné aurait échoué.
Jacky Isabello
Co-Fondateur de l'agence CorioLink, spécialiste de communication politique et auteur, administrateur du Think Tank SYNOPIA
La catilinaire “How dare you?” lancée par la jeune activiste suédoise Greta Thunberg le 23 septembre à l’occasion du “climate action summit” organisé à la demande du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres disposera-t-elle de la même place au Panthéon des grands discours, que la proclamation “I have a dream” du pasteur King en août 1963? Je le pense!
Simon Sinek dans sa théorie des golden circle, explique ce qui fonde les actes mobilisant, les marques engageantes, les paroles transcendantes. La proclamation de Martin Luther King est passée à la postérité, alors qu’il n’était pas le seul noir américain, prêcheur de talent, à s’engager en faveur de la défense des civil rights, parce qu’à la différence d’autres, plus enclin à dresser un catalogue de mesures, M. King fut le premier à instiller dans son adresse, nous dit Sinek, ses convictions intimes, chargées essentiellement de ses émotions. Il a offert à son auditoire la possibilité de réaliser que les rêves de M. King étaient aussi les leurs. S’il recourt au même principe avec un ton certes bien différent, le discours de Greta Thunberg entrera lui aussi dans l’histoire. Un jour, il sera étudié dans les manuels scolaires.
Un discours qui secoue les tripes!
Certes, le ton est moins positif que celui du Docteur King. Il passe par le canal de la colère plutôt que celui de l’espérance. Car M. King aurait été immédiatement embastillé s’il avait osé s’adresser aux puissants de son époque sur le ton employé par la jeune militante suédoise. “How dare you” à l’instar de “I have a dream” transpirent d’une intense émotion. Par sa triste et colérique authenticité Greta fit de son épouvante l’expression de notre désarroi. Et ainsi #JeSuisGreta!
Quel panel d’émotions quand elle lance les larmes aux yeux et les gestes tremblants: “Yet you all come to us young people for hope”. Puis vint la honte: “I shouldn’t be up here. I should be back in school on the other side of the ocean”. Enfin entremêlées émergèrent la peur et la colère: “We are in the beginning of a mass extinction, and all you can talk about is money and fairy tales of eternal economic growth. How dare you?”
Lorsque King mobilise l’espérance de toute une communauté de citoyens dont les droits ont été bafoués des centaines d’années durant, par une Nation que Tocqueville a louée pour son modèle de démocratie, Greta Thunberg reste factuelle dans ses reproches; et en cela elle nous terrorise et nous absorbe. Ses propos terrorisent et absorbent chaque parent; ils terrorisent et absorbent chaque salarié; ils terrorisent et absorbent chaque touriste.
Discours contre action
Historique ce discours car il n’est pas que parole. Il est bâti de mots qui sont des pavés. Quand Brune Poirson affirme sur France inter: “Viens Greta, maintenant on s’assied autour de la table, on se retrousse les manches et on voit comment on fait” elle accuse à tort Melle Thunberg de passivité. Sartre disait “Parler c’est agir”. Il soulignait ainsi le concept un peu abscons de performativité cher à la philosophie. L’arc-boutant de son discours est déjà constitué des troupes de millions de jeunes citoyens militants du monde entier, soucieux de voir les dirigeants s’engager concrètement en direction de la préservation de la planète.
La force des émotions pour combattre l’impossible
Ce que Greta dénonce montre que le modèle de décroissance qu’elle préconise est impossible à bâtir. Et ceci quelle que soit la puissance du dirigeant qui administrerait ce remède à nos sociétés dopées à la dette et contrainte à la croissance économique. C’est en cela que la colère de la jeune Greta Thunberg est salvatrice. Ainsi elle nous adjure de faire. Ses paroles sont des ordres. Malgré son apparence gracile, sa posture est celle d’une cheffe militaire. Pour nous convaincre, car c’est évident que Greta possède quelque chose à nous vendre, elle commande à son auditoire d’éprouver un inextinguible désir de s’engager à assumer une part de la mission. Plus fort encore, elle ordonne aux commandeurs des armées les plus puissantes du monde moderne. Pour captiver, Sinek rappelle que: “Luther King a dit I have a dream et pas I have a plan”. À un énième plan désincarné auquel personne n’accorderait d’attention, seules les larmes et la rage sombre de Greta peuvent bouleverser quelque chose chez chacun d’entre nous. Il existe un “cerveau des émotions” révélé par les travaux de l’anatomiste Franz Josef Gall (1758-1828). Puis les travaux de Paul MacLean ont démontré que le circuit cérébral des émotions peut être indépendant de celui de la cognition. Sinek de résumer cela simplement: “les mots n’ont qu’un faible poids dans l’acte de décision”. Dans le cas de Greta Thunberg, sa posture était offerte aux seuls besoins de la télévision. Ces grands gestes partant de ce petit corps, cette immense colère et ces larmes qui nimbaient des yeux insondables, furent la combinatoire d’une émotion chargée d’une exceptionnelle puissance politique. Sa communication verbale et paraverbale est digne des principes révolutionnaires admis par l’actors studio.
Qu’on aime ou pas, elle est forte cette jeune fille! À la résignation et aux jérémiades d’un vieil écolo ancien animateur de télévision peu enclin à résister à la technostructure d’un ministère qui devait être taillé pour lui, je préfère défendre une espèce de Jeanne d’Arc d’airain, que j’aime penser indestructible. Et qui en quelques discours pousse l’ensemble des chefs d’État à se justifier. En cela elle est déjà plus efficace que quiconque avant elle. Pour toute une jeunesse, je la perçois en héroïne nietzschéenne. Une Uber Fräulein; ses dieux sont morts car elle invente de nouvelles règles. Elle est devenue ce qu’elle était, et enfin son handicap qui ne l’a pas tué l’a rendu oh combien plus forte!!!
*concepts les plus connus de la philosophie de Friedrich Nietzsche
L’une des choses fascinantes avec les réseaux sociaux, c’est la rapidité de diffusion des informations qu’ils autorisent. Une prof agressée par un élève ? En quelques heures, le hashtag #PasdeVague réunit des dizaines de milliers de témoignages de profs. Les réseaux sociaux permettent de toucher un immense public d’une façon quasi immédiate : face à la perquisition de son domicile, Jean-Luc Mélenchon se « branche » sur facebook live, et la nouvelle fait aussitôt le tour du web. Les pouvoirs médiévaux auraient probablement souhaité disposer d’un moyen aussi efficace : on imagine déjà le pape Urbain II tweetant un #Dieuleveut pour appeler à une croisade… Mais, en l’absence de ces réseaux, comment s’y prenait-on au Moyen Âge pour toucher autant de gens d’un coup ?
Pas de comparaison abusive : clairement, si on s’intéresse à la question de la rapidité de la diffusion des informations, il n’y a pas photo, le Moyen Âge est loin derrière. Un cheval ne fait guère qu’une centaine de kilomètres par jour au mieux. Un pigeon voyageur, s’il évite flèche et faucons, en fera dix fois plus. Un homme beaucoup moins. Entre tout ça, les nouvelles cheminent à leur rythme.
Prenons l’exemple de la prise de Jérusalem en 1187 : il s’agit d’une nouvelle cruciale, et pourtant elle met au moins 5 semaines à atteindre Rome, d’où elle est ensuite diffusée dans toute la chrétienté. Ce qui est très lent, on est bien d’accord… mais en même temps assez rapide finalement à une époque où il faut un mois pour faire l’aller-retour entre Paris et Lyon ! (oui oui, vous avez bien lu, un mois. Pensez-y la prochaine fois que vous râlez contre les 10 minutes de retard de la Sncf).
Cela dit, il reste compliqué de diffuser un message rapidement à un grand nombre de personne. Or, pour l’Église, c’est une priorité forte. Du coup celle-ci innove : alors qu’auparavant la prédication avait lieu durant la messe, donc dans une église, devant un nombre forcément limité de personnes, on commence à partir du XIIe siècle à prêcher à l’extérieur, devant toute la foule rassemblée.
Cela suppose des adaptations nombreuses, dont les ordres mendiants deviennent les spécialistes. D’abord, il faut prêcher en langue vulgaire, et pas en latin – même si on a des exemples, plus tardifs, de grands prédicateurs capables de toucher les foules en parlant en latin. Ensuite, il faut perfectionner ses talents oratoires, et notamment insérer des petites histoires dans son sermon : ce sont les exempla, et on aura même des recueils de milliers d’exempla dans lesquels les clercs vont pouvoir venir piocher.
Et puis il faut des innovations techniques. Pour que les gens puissent se rassembler devant l’église, il faut qu’il y ait de la place… et on va donc ouvrir de grandes places urbaines devant les cathédrales. Celles-ci, qui modifient profondément le tissu urbain et la physionomie de la ville, se multiplient au XIIIe siècle. Mais, en l’absence de micro, comment faites-vous pour vous faire entendre d’une foule de milliers de personnes sans hurler à vous casser la voix ? Très simple : vous disposez au milieu de la foule des crieurs qui répètent votre discours au fur et à mesure. Comme des relais radios, ou comme des milliers de tweets relayant un même message pour en assurer la diffusion rapide. Et, évidemment, vous travaillez votre gestuelle, afin de communiquer à la foule des émotions même quand on ne vous entend pas.
Dès cette époque, il existe des professionnels de l’information : marchands, ambassadeurs, espion, etc. Ce sont d’ailleurs les marchands qui sont à l’origine des premiers journaux ! Mais à côté de ces canaux, on est mal renseignés sur les réseaux plus horizontaux qui jouent probablement un rôle-clé : artistes, pèlerins, étudiants, brigands véhiculent nouvelles, informations, rumeurs sur les routes du monde. En quelques mois, une nouvelle peut faire le tour de la chrétienté.
Prenons l’exemple de la prédication de la croisade. D’un côté, on a des canaux officiels : bulles du pape, légats pontificaux, archevêques organisant la prédication ou la levée des fonds, etc. On pourrait comparer ça au journal de 20h, quand le président vient expliquer ses prochaines mesures politiques. Et puis à côté on a une prédication diffuse, en réseau : en 1320, ce seraient ainsi plusieurs prêtres, plus ou moins subversifs, qui lancent sur les routes des milliers de Pastoureaux dans une croisade totalement non-officielle (et d’ailleurs condamnée par l’Église). Ça, ce serait plutôt l’équivalent d’un mouvement comme #metoo, lancé à l’horizontal, sans passer par des canaux de communication classiques. (bon, sauf que #metoo n’a pas invité à brûler des villes et à convertir de force des juifs, mais vous m’avez compris).
Le nombre très élevé de gens qui s’engagent dans cette « croisade des Pastoureaux » souligne que, dès le Moyen Âge, les foules savent s’organiser et se mobiliser autour de grandes causes, sans attendre forcément des incitations venues d’en haut. Ça a été le cas il y a peu avec l’appel pour la « marche pour le climat » du 8 septembre 2018, lancé par un anonyme sur Facebook et qui a rencontré un succès mondial. Et les autorités sont souvent dépassées par le succès de ces mouvements : en 1095, le pape est le premier surpris du nombre de croisés qui partent vers Jérusalem.
Pas besoin donc d’attendre les réseaux sociaux pour voir apparaître des causes « virales », enflammant la société. Les échelles temporelles et géographiques ne sont évidemment pas les mêmes : #metoo fait le tour du monde, de l’Amérique à l’Australie, en quelques jours, alors que l’organisation de la troisième croisade prend… 4 ans. Mais il s’agit là d’une différence de degré : même sans twitter, les sociétés médiévales savaient déjà faire circuler les informations et mobiliser les foules, à une très large échelle.
Orange a planifié l'arrêt du réseau téléphonique commuté, qui est devenu vieillissant et dont les fonctions sont aujourd'hui concurrencées par le réseau IP. Cet arrêt, annoncé en 2016, s'étalera toutefois sur plusieurs années.
Les lignes téléphoniques telles que nous les connaissons sont amenées à connaitre le même destin que la télévision hertzienne : la disparition au profit d’une nouvelle façon de faire transiter les communications. En chef d’orchestre de cette bascule se trouve Orange, qui planifie depuis plusieurs années l’abandon du réseau téléphonique commuté (RTC), afin de passer à l’ère du tout-IP.
Évoquée en 2014 par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), la disparition du RTC a été officialisée début 2016 que l’opérateur historique (ex-France Télécom), dans son principe. À terme, il sera donc impossible d’utiliser un téléphone fixe directement branché à la prise téléphonique : à la place, il faudra systématiquement passer par une box Internet.
Qu’est-ce que le RTC ?
Sigle pour réseau téléphonique commuté, le RTC est le réseau historique d’Orange. Il repose sur des paires de cuivre « dans lequel un poste d’utilisateur final est relié à un central téléphonique par une paire de fils », explique le régulateur des télécoms. Orange a découpé la métropole en 18 zones contenant chacune un commutateur de transit, auquel sont branchés plusieurs commutateurs d’abonnés.
Cette organisation hiérarchique à plusieurs niveaux de commutation visait à « réduire les distances d’acheminement du trafic entre deux points (mais aussi, par ailleurs, pour gérer le nombre important d’utilisateurs) ». Quant à la commutation, elle signifie que la liaison est établie provisoirement quand on appelle son correspondant. Elle s’oppose au principe de la liaison permanente.
Plus concrètement, le RTC apparaît aux yeux de l’abonné par la prise téléphonique murale qui se trouve dans n’importe quel logement. En branchant un téléphone fixe dessus, il est alors possible de passer un coup de fil à un correspondant, à condition d’avoir souscrit un abonnement. Aujourd’hui toutefois, le téléphone fixe est davantage branché à la box d’un opérateur, ce qui fait transiter la voix par Internet.
Schéma de l’Arcep présentant l’architecture RTC d’Orange.
Pourquoi abandonner le RTC ?
Orange justifie sa décision de délaisser le RTC par l’impossibilité — ou plutôt la difficulté croissante — d’entretenir correctement l’infrastructure de ce réseau, qui a vieilli. Les réparations et les interventions deviennent complexes à effectuer, parce que les équipementiers ne produisent plus forcément certaines pièces requises pour le bon fonctionnement des installations.
En outre, il y a une perte de compétence qui s’observe avec le départ à la retraite d’ingénieurs et de techniciens capables d’intervenir pour régler certains problèmes. Certes, Orange pourrait organiser la transmission du savoir-faire, mais cela nécessiterait de puiser dans les nouveaux contingents d’experts en télécoms pour les former à une infrastructure désuète.
C’est en constatant cette réalité que le gendarme des télécoms a déclaré, en septembre 2014, qu’il « ne s’opposera pas, le moment venu, à la volonté d’Orange de rationaliser son réseau téléphonique historique, par exemple en fermant le RTC sur tout ou partie du territoire », à condition qu’il laisse un délai suffisamment long — d’au moins cinq ans — au secteur concerné pour qu’il puisse s’adapter.
Quel calendrier pour la fin du RTC ?
Le pourcentage de lignes qui ne possèdent qu’un abonnement RTC ne cesse de se réduire avec la génération de la communication par IP. « Le nombre d’abonnements à un service téléphonique sur les réseaux fixes baisse depuis le milieu de l’année 2010 », observait l’Arcep début juillet. Dans le cas du RTC, le nombre d’abonnements à la téléphonie traditionnelle s’établit à 9,9 millions, en baisse de 1, 3 million en un an.
Si vous possédez l’une de ces lignes encore en service, sachez toutefois que le réseau ne va pas simplement disparaitre du jour au lendemain. Orange doit laisser au minimum cinq ans de marge entre l’annonce d’une coupure et la coupure effective. De plus, cette coupure est fragmentée en « plaques », c’est-à-dire en groupe de communes. Selon le calendrier actuel d’Orange, les premières déconnexions sont planifiées pour… 2023.
En clair, les personnes potentiellement affectées par cette politique ont plusieurs années devant elles pour trouver une solution alternative. Les nouvelles souscriptions de lignes seront par contre impossibles après quatrième trimestre 2018. Le calendrier prévisionnel publié par la Fédération française des télécoms offre un résumé général du plan de transition vers le réseau IP.
Les modalités de l’arrêt du RTC.
Que faire face à cette transition ?
À partir du 15 novembre 2018, Orange cessera la vente d’abonnements fondés sur le téléphone fixe traditionnel. En cas de déménagement après cette date, la clientèle devra impérativement opter pour une offre incluant ou non un accès à Internet. À partir de 2023, n’importe qui pourra être potentiellement concerné, en fonction des coupures planifiées groupe de communes par groupe de communes.
Le plus simple sera de prendre une box, chez Orange ou auprès d’un fournisseur d’accès à Internet concurrent. Cependant, comme le pointe France Info, il est prévu la mise en vente « d’équipements simplifiés pour les personnes âgées » et aussi, précise Europe 1, d’offres épurées sans Internet et sans télévision. Cet abonnement sera facturé 17,96 euros par mois, au même prix que la formule actuelle.
Quant à la box, elle sera en principe prêtée par l’opérateur ; celle-ci devra être rendue en cas de résiliation du contrat.
Des difficultés à prévoir ?
Le principal problème lié à l’arrêt du RTC concerne les services d’urgence. En effet, beaucoup d’entre eux utilisent encore une ligne RTC qui présente l’avantage de rester opérationnelle même lors d’une coupure de courant. Les lignes de secours des ascenseurs et des alarmes sont les principales concernées et leurs exploitants devront trouver des solutions alternatives d’ici les prochaines années.
Ces difficultés ne sont pas ignorées : la Fédération française des télécoms invite les particuliers ayant des équipements en RTC (fax, alarmes, équipements de télésurveillance, etc.) à se tourner vers leur fournisseur pour déterminer quelle est la solution qui vous sied en réseau IP. Ce conseil est également dispensé aux entreprises et administrations, qui sont invitées à recenser leurs accès RTC.
Les commentaires et les interactions sur les sites d’information sont en voie de disparition. Mauvaise nouvelle pour les médias qui ne font ainsi qu’accentuer leurs difficultés, sur le long terme.
Le mouvement est assez général, en France ou francophonie et dans le monde. De nombreux éditeurs, effrayés par la mauvaise qualité des interactions – grossièretés, insultes, fausses nouvelles… ont décidé depuis environ deux ans, de supprimer les commentaires de leurs sites.
Une fois de plus, l’utopie Internet d’une société revitalisée par la technologie, en prend un coup. Non, il ne suffit pas de donner aux gens le pouvoir de s’exprimer pour créer une démocratie participative.
Tout comme le libre accès aux “autoroutes de l’information” n’a pas contribué à rendre les gens plus curieux, ni plus cultivés, ni plus solidaires, contrairement à ce que nous promettaient les opérateurs téléphoniques des années 1990-2000 (pour mieux nous vendre leurs abonnements).
Les outils sans l’éducation sont inutiles, comme l’a appris Laurent Fabius.. Rappelez-vous de l’échec du plan « informatique pour tous » décidée par le Premier ministre en 1985. Des dizaines de milliers d’ordinateurs sont restés dans leurs cartons ou furent bien mal utilisés, faute d’avoir formé les enseignants à s’en servir.
Aujourd’hui, on retrouve donc de plus en plus un web 1.0, unidirectionnel, largement aux mains des géants d’Internet (Facebook, Google) et des commerçants (Amazon notamment). Ce qui a fait dire le 8 août 2018, à son inventeur, Tim Berners-Lee, qu’il était dévasté par ce qu’était devenu son bébé.