Il est à la Une de tous les médias, fait naître des théories complotistes, interroge sur ses possibles mutations et son devenir... Microscopique, mille fois plus petit que les bactéries, le SARS-CoV-2 fait cependant parler de lui depuis des mois. Pour mieux l'expliquer, un chercheur s'est glissé dans la peau de ce coronavirus. Dialogue avec cet intrus qui menace notre santé et empiète sur notre liberté au quotidien.
Depuis des mois, on ne parle que de lui... sans jamais cependant entendre son point de vue ! Franck Courchamp, directeur de recherche au CNRS et titulaire de la Chaire Axa sur la biologie des invasions (Université Paris-Saclay), s'est glissé le temps d'une interview imaginaire dans la peau de ce coronavirus SARS-CoV-2 qui affole la planète. Au-delà de l'aspect ludique de cette « rencontre », c'est aussi une façon pour le scientifique de nous faire changer de perspective sur les enjeux de la pandémie et des enseignements qu'il serait heureux d'en tirer.
Je commencerais par dire, modestement, que je suis le King. Le roi. Après tout, corona en latin signifie « couronne », vous le reconnaissez donc vous-même en me donnant ce nom. Je suis un petit bijou de l'évolution, pourtant, je suis resté assez simple. Paradoxalement, cette simplicité est une source d'incompréhension pour vous. Vous avez déjà du mal à vous décider sur un point aussi basique que de savoir si je suis ou non vivant... À votre décharge, vous vous posez la même question pour tous mes autres confrères virus.
Personnellement, cela m'importe peu de savoir où vous me classez. Il est vrai que mon fonctionnement diffère sensiblement de celui des êtres vivants. Vous pouvez voir en moi une sorte de machine biologique microscopique. Mon programme est très simple : survivre et me reproduire pour perdurer d'une génération à l'autre. En cela, j'ai exactement le même objectif que toutes les espèces vivantes.
La différence est sûrement que je n'ai pour cela besoin que du strict minimum : je m'introduis dans les cellules de mon hôte, et j'y emprunte tout ce qu'il faut pour fonctionner. En détournant la machinerie des cellules que j'infecte, je fabrique des copies de moi-même, je me réplique autant que je peux. Mes semblables, des particules virales toutes neuves, sont ensuite relâchées partout autour, et partent à l'assaut d'autres cellules. Nous, les coronavirus, produisons 1.000 virus par cellule infectée, en à peine dix heures !
Et pourtant, je ne suis pas grand. Mon diamètre est de l’ordre de la centaine de nanomètres, soit un dix-millième de millimètre.
Je suis donc mille fois plus petit que les bactéries, elles-mêmes 10 à 100 fois plus petites qu'une cellule humaine. 50.000 milliards de fois plus petit qu'une goutte d'eau. À mon échelle, vos cellules sont bien plus grandes pour moi que ne le sont vos villes pour vous.
C'est une question étrange. Les gens sont mon habitat, mon écosystème, et mes ressources. C'est comme si je vous demandais pourquoi vous vivez dans cette plaine ou sur cette montagne.
Cependant, contrairement à vous, je n'ai pas une vie facile de sédentaire. Je suis un nomade, car mon vaisseau (vous, ou les animaux que j'infecte) n'est pas immortel. Afin de me perpétuer, je dois donc sans cesse passer à un autre hôte avant que le premier ne disparaisse. Il faut reconnaître que parfois, nous y sommes un peu pour quelque chose : certains de nos hôtes ne supportent pas nos proliférations, qui peuvent avoir tendance à abîmer leurs organes. Mais il arrive aussi que nos hôtes soient victimes de la guerre que nous livre leur système immunitaire, qui finit parfois hors de contrôle.
Comment nous infectez-vous ?
En ce qui me concerne, mes moyens sont simples et vous avez déjà percé certains de mes secrets, comme celui qui consiste à voyager dans les gouttelettes de postillons, d'éternuement, et à rester sur les mains ou les objets manipulés par les gens qui ont touché leur salive ou leur morve.
Je peux caser 100 milliards de mes congénères par millilitre dans un crachat et je peux tenir 5 jours sur du plastique ou 7 jours sur un masque chirurgical. Je ne suis pas très sophistiqué, mais efficace. Comme tous les autres virus en fait. L'efficacité, ça nous connaît, nos adaptations n'ont pas de limites.
Prenons, par exemple, la difficulté majeure de la transmission à un autre hôte. Pourquoi croyez-vous que lorsque vous êtes infectés, vous éternuez ? Une fois contaminé, vous voilà transformé en puissant spray capable de nous transporter à plus de 50 km/h dans un nuage de dizaines de milliers de gouttelettes vers nos nouvelles victimes (ou dans vos mains, que vous mettez ensuite un peu partout).
Autre exemple : pas facile de bouger quand on n'a pas de pied. Heureusement, vous avez de la morve, et vous en produisez d'autant plus quand nous vous infectons, nous les virus respiratoires. Pas étonnant : c'est un moyen de transport bien pratique pour nous transmettre plus facilement... Certains autres virus choisissent des fluides différents, liquéfient vos selles et vous donnent la diarrhée. Résultat : une transmission de masse très efficace également... Aucun contact avec personne ? Qu'à cela ne tienne : nous pouvons nous loger dans vos fluides séminaux et nous transmettre lors des rapports sexuels. Vous pouvez vous isoler tant que vous voudrez, en tant qu'espèce, vous êtes bien obligés de passer par la reproduction à un moment ou à un autre...
Quant aux virus qui font changer les comportements pour permettre une transmission plus facile, comme la rage, qui désoriente et rend agressif, prêt à mordre, difficile de lutter contre ça, n'est-ce pas...
Il ne faut pas être si nombriliste. Nous ne vous en voulons pas, nous n'éprouvons aucun sentiment, ni bon ni mauvais, envers vous. Vous êtes juste des vaisseaux de choix.
Car il faut dire qu'en tant qu'hôtes, les humains sont parfaits. Ils nous facilitent les choses à de nombreux points de vue. Déjà, ils vivent souvent dans des lieux très denses, et leur population globale est interconnectée. Ce qui nous donne à nous autres virus presque systématiquement accès à la totalité des hôtes disponible, d'un bout à l'autre de la planète !
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En théorie, en moins d’une semaine, je peux créer des foyers d’infection sur tous les continents
Je l'ai bien démontré ces derniers mois : parti d'une région quelconque de Chine, j'ai très rapidement (et sans petites pattes), réussi à m'inviter sur tous les continents, et jusque dans les coins les plus reculés du globe. Les autres populations animales sont généralement fragmentées, ce qui limite notre potentiel de dispersion et nous cantonne à de petites régions. On y tourne un peu en rond. Mais avec les humains, c'est autre chose ! Plus une mer, plus une montagne ne nous arrête. Nous voyageons d'un hôte à l'autre par bateau, par avion : des perspectives sans frontières, sans limites ! En théorie, en moins d'une semaine, je peux créer des foyers d'infection sur tous les continents.
En outre, vous nous facilitez les choses : les êtres humains maintiennent une grande partie de leur population dans des conditions sanitaires assez déplorables, ce qui facilite grandement notre transmission. Sans parler des comportements de certains de vos dirigeants, qui n'ont soit pas la moralité soit pas l'intelligence d'agir avec responsabilité. Tout cela crée pour nous des opportunités incroyables dans certains coins du monde, où l'épidémie est officiellement minimisée pour ne pas avoir à être contrôlée...
Effectivement, j'étais à l’origine inféodé à d’autres espèces animales. Mais pour toutes les raisons que je viens d'expliquer, nous, les virus qui infectons d’autres animaux que l'être humain, avons de quoi être jaloux de ceux qui ont su s'adapter à un tel hôte ! Toutefois, à force de nous copier et nous recopier au sein des cellules que nous infectons, il se trouve que de temps à autre, une de nos répliques mute, et devient légèrement différente des autres. Et, de temps en temps, un de ces mutants tire le gros lot : sa mutation le rend capable de survivre dans - et de se transmettre via - d'autres animaux que ceux que ses congénères infectent habituellement. Cette nouvelle souche de virus est alors prête à changer d'hôte.
Mais cette situation est très rare. D'autant plus rare qu'il ne s'agit pas seulement d'acquérir la capacité à infecter une nouvelle espèce animale : encore faut-il en être assez proche pour pouvoir l'infecter ! La probabilité que ces événements coïncident est assez infime, mais deux facteurs jouent pour nous.
D'une part, nous sommes très, très nombreux. Vous êtes environ 5.000 espèces de mammifères ? Nous avons environ 320.000 virus différents infectant les mammifères ! Une bien belle panoplie de possibilités, puisque plus il y a de virus, plus il y a de mutations.
D'autre part, vous les humains nous facilitez la chose en multipliant les contacts avec les autres espèces, et donc les chances que l'on a de vous rencontrer, et de passer chez vous. Entre toutes ces incursions brutales que vous effectuez dans les territoires fragilisés d'espèces déjà stressées par la chasse, le manque d'habitat et de ressources, la pollution ou le climat, et toutes les espèces sauvages que vous chassez, encagez, entassez sur vos marchés, mangez plus ou moins bien cuites, à raison de millions de tonnes par an, les opportunités de vous infecter sont de plus en plus fréquentes. C'est ainsi que le VIH, le SRAS, l'Ebola, le Zika ou le MERS sont passés chez vous ces dernières années.
On peut d'ailleurs ajouter que lorsqu'un virus ne tombe pas sur l'humain, mais sur une de ses espèces domestiques, le résultat est assez similaire. Lorsque vous grignotez le territoire des chauves-souris et installez aux pieds de leurs habitats dévastés des élevages intensifs de porcs, vous augmentez les chances qu'un virus de chauve-souris (au hasard, le Nipah) passe au porc lorsque celui-ci entre en contact avec leur salive ou leurs déjections (dans lesquels les virus sont présents). Comme ces porcs vivent en très grande densité et en conditions sanitaires appauvries, les chances de transmissions augmentent et rien ne nous arrête.
Imaginez des hôtes côte à côte, à perte de vue, affaiblis, stressés, vivants dans leurs déjections et parmi les cadavres déjà tombés, pour un virus, c'est buffet à volonté ! C'est ainsi que les copains de la grippe aviaire H5N1 et de la grippe porcine ont pris d'assaut les élevages de volailles et de porcs il y a quelques années. Ces concentrations d'hôtes en mauvaise santé mènent à des concentrations extraordinaires de virus. Cela augmente nos chances de passer ensuite de l'animal domestique à l'humain. Comme le Nipah (qui entraîne de 40 à 75 % de mortalité chez vous), ou le H5N1.
Et comme je l'ai dit plus haut, la difficulté (toute relative maintenant) est d'infecter le premier humain. Après, votre système de mondialisation fait le reste. À croire que vous avez créé tout cela pour la libre circulation des virus ! Donc, merci beaucoup, thank you very much, danke schöne, 衷心感谢, muchas gracias, большое спасибо, etc.
Nous ne vous voulons pas plus de mal qu'un mouton ne voudrait du mal à une touffe d'herbe. Si l'on avait le choix, évidemment on préférerait que nos humains infectés ne meurent jamais et continuent à nous abriter indéfiniment. Ça nous faciliterait grandement la vie, croyez-moi. Mais leur caractère mortel nous pousse parfois à nous répliquer rapidement pour pouvoir infecter un autre humain avant que le premier ne meure. Cette réplication intense crée des symptômes qui leur sont parfois nocifs, voire fatals. Un des problèmes est que si nous restons tranquilles et faisons profil bas, nos faibles effectifs de départ risquent d'être rapidement submergés par vos défenses immunitaires, si nous ne parvenons pas à nous cacher assez bien dans votre corps. Entre survivre sans trop nuire et être éliminé, l'équilibre n'est pas facile à trouver !
Quoi qu'il en soit, nous les virus et les espèces que nous infectons sommes la plupart du temps liés par des centaines de milliers d'années de coévolution, si bien qu'au final nous sommes généralement bien « adaptés » les uns aux autres, avec dans la grande majorité des cas, peu de dégâts d'un côté ou de l'autre.
Surtout, il ne faut pas oublier que nous autres virus jouons un rôle régulateur important sur les populations des autres êtres vivants (des micro-organismes aux plantes en passant par les animaux). Si nous disparaissions tous du jour au lendemain, il est possible que celles-ci finiraient par être en surpopulation, risquant de mourir de faim après avoir tellement augmenté qu'elles en épuiseraient leurs ressources... D'ailleurs, on dit que nous sommes d'une importance majeure pour l'écologie et l’évolution du monde vivant.
Et puis, nombre de virus sont bénéfiques pour vous, par exemple parce qu'ils tuent des bactéries que vous n'appréciez pas non plus vraiment. Certains envisagent même de les utiliser pour suppléer aux antibiotiques ! Par ailleurs, n'oublions pas que les virus peuvent avoir un effet qu'on pourrait qualifier de « neutre ». Chez l'humain, toujours, puisqu'il n'y a que cela qui vous intéresse, on recense environ 5.000 virus différents, mais moins de 3 % d'entre eux provoquent une maladie, autrement dit sont « pathogènes ». Ce n'est finalement pas tant que ça...
Enfin, il y a tous les virus qui s'intéressent tellement peu à vous que vous ne vous y intéressez pas non plus. Présents dans le sol, en suspension dans l'air, flottant dans l'eau, ils infectent les plantes, les insectes ou les étoiles de mer... On trouve par exemple un million de virus en suspension dans un litre d'eau de mer. En fait, il y a tellement de virus en suspension dans les océans que, mis bout à bout et malgré leur taille ridiculement minuscule, la longueur obtenue représenterait une distance dépassant les galaxies voisines de la nôtre.
Encore une fois, les virus sont partout, même si vous ne les voyez pas... Et parfois, ils sont sous vos yeux, et vous ne les reconnaissez pas, comme ces extraordinaires virus géants, plus gros que certaines bactéries, avec qui on les a initialement confondus...
D’ailleurs, d’où venez-vous, vous autres virus ?
J'imagine que vous voulez dire de quand venons-nous ? En fait, nous avons toujours été là. En tout cas depuis que les humains existent, et même bien avant vos premiers ancêtres animaux. Certains disent que nous sommes plus anciens que les bactéries les plus anciennes.
Déjà présents à l'origine du vivant, nous avons joué un rôle essentiel dans l'évolution, notamment en permettant des transferts de gènes non pas d'une génération à l'autre, mais bien entre les espèces. Nous sommes tellement anciens que certains d'entre nous se sont intégrés dans vos génomes ici et là, pour finalement faire partie intégrante de vous.
Au total, pas loin de 10 % de votre génome est de l'ADN de virus assimilé dans vos chromosomes. Et de tous ces nouveaux gènes que nous vous avons offerts, certains sont importants, voire essentiels. Chez les mammifères par exemple, l'embryon n'est accepté par le système immunitaire de la mère malgré son caractère étranger (c'est un hybride entre le père et la mère), que par l'existence du placenta, dont l'origine est due à un virus intégré dans votre génome. Alors, merci qui ?
Quelle espèce mes ancêtres infectaient avant de passer chez vous ? Je ne le sais pas. Mais chauve-souris, pangolin, singe, ou autre, qu'importe ? Que feriez-vous si vous le découvriez ? Vous arrêteriez de braconner et dévorer cette espèce ? Vous l'extermineriez ? Feriez-vous pareil pour toutes les espèces dont vous risqueriez d'attraper les virus ? Impossible évidemment, il s'agirait de pratiquement tous les animaux...
Et pourquoi cherchez-vous des coupables quand ils sont tout désignés ? Les coupables ne sont-ils pas plutôt ceux qui « vont chercher » les virus en perturbant des systèmes virus-animal relativement hermétiques depuis des millions d'années ? Si vous vous faites griffer par un chat que vous embêtez, vous allez éliminer tous les chats ? Ne devriez-vous pas plutôt apprendre à cesser de leur tirer la queue ?
En théorie c'est assez simple. Il suffit de concevoir les épidémies comme des incendies de forêt. L'un et l'autre sont des phénomènes naturels, mais lorsque vous jouez avec les lois de la nature, ils peuvent devenir hors de contrôle.
Les incendies sont, par exemple, favorisés par une accumulation de conditions favorables (comme du bois mort qui s'entasse). Après une flambée rapide, ils disparaissent généralement : soit parce qu'ils arrivent dans des zones où les arbres sont trop éloignés pour que les flammes passent de l'un à l'autre (l'équivalent de votre distanciation sociale), soit parce qu'ils arrivent dans des zones où les espèces d'arbres sont moins inflammables (ils sont immunisés contre le feu).
Dans le cas des épidémies naturelles, la situation est relativement similaire. Elles émergent puis se propagent jusqu'à ce que la contagion soit freinée parce que la plupart des infectés échouent à contaminer d'autres personnes. Cela peut être dû au fait qu'ils n'en rencontrent plus (à cause de la mise en place de mesures de distanciation sociale, de quarantaine...), ou parce que ceux qu'ils rencontrent sont immunisés (immunité acquise lors d'une infection passée, ou grâce à la vaccination). Si le rythme des infections diminue, alors l'épidémie s'atténue, jusqu'à disparaître.
La question importante est donc plutôt de savoir comment ne pas attraper le prochain de vos congénères virus ?
Effectivement, car il ne s'agit pas de savoir « si » un nouveau virus dangereux pour l'être humain émergera à partir d'une autre espèce, mais « quand ».
Serez-vous prêts ? Mieux vaut être capable de répondre rapidement, car les épidémies venant d'animaux sauvages se multiplient depuis quelques années, et vos sociétés ont déjà goûté à mes cousins virus sur plusieurs continents... Nous les virus émergents avons tué des millions des vôtres, frappant parfois vos congénères au hasard, ou nous attaquant à des catégories très ciblées (comme ici les plus vulnérables physiquement). Nous avons mis à mal vos systèmes économiques et politiques, nous vous avons enfermés chez vous, terrorisés, avons fait naître les théories complotistes les plus absurdes... Qu'en avez-vous retenu ?
Je serais bien en peine de vous le dire : moi et ma prolifique descendance nous allons au hasard des infections et des mutations.
Si vous survivez à mon passage dans votre organisme, serez-vous immunisés contre mon retour, une fois guéris ? Je ne sais pas, et ce n'est pas mon problème. Serez-vous capables de me maintenir à distance à coups de masques et de distanciation physique lors de la seconde vague hivernale ? Nous allons le découvrir ensemble.
Une chose est sûre : je ne resterai pas absolument identique d'une année sur l'autre. Rappelez-vous, nous les virus, nous mutons. Et si nous sommes très nombreux - comme, par exemple, quand des millions d'humains sont infectés, ce qui est le cas actuellement - alors ces mutations sont plus nombreuses aussi.
Désormais, quand je vais au supermarché, je me sens comme Rambo en mission
Laurent Sagalovitsch — 20 avril 2020 à 11h58
[BLOG You Will Never Hate Alone] Par les temps qui courent, sortir faire ses courses représente l'un des plus grands défis jamais posé à l'être humain.
Depuis le début du confinement, c'est à moi que revient l'honneur de ravitailler la maison. Je me serais bien défilé, mon sens du sacrifice étant des plus limités, mais devant la menace de me voir confier l'ensemble des tâches ménagères, repassage compris, je n'ai guère eu d'autre choix que d'accepter. À moi les courses, le chariot à roulettes, la liste de commissions –PQ, pâtes, pois chiches.
À moi aussi, le foulard sur la gueule, le bonnet jusqu'aux oreilles, la peur à chaque pas, la méfiance tout le temps quand il m'arrive de croiser sur ma route l'un de ces malotrus qui s'en viennent à ma rencontre d'un pas léger, sans même prendre la peine de dévier d'un centimètre sa trajectoire, ce qui m'oblige à crapahuter de voiture en voiture comme un canard poursuivi par un aigle.
Avant de sortir, il me faut avant tout veiller à ne rien oublier –c'est l'uniforme qui fait le soldat, et non le contraire: bien nettoyer mes mains; bien penser à ne jamais, sous aucun prétexte, en aucune circonstance, les porter à mon visage; bien se moucher afin d'éviter de le faire quand je me retrouverai au cœur des ténèbres; bien ajuster mon masque-foulard-écharpe-bandana-peau de phoque, derrière lequel j'étouffe et que j'enlève aussitôt –je ne suis pas un chien à qui on oblige de porter une muselière; bien embrasser la mezouzah au cas où; bien penser à ne pas toucher la rampe de l'escalier, ni la minuterie, ni la poignée de la porte, ni rien qui ne soit pas essentiel à ma progression en terrain ennemi; enfin bien embrasser ma compagne, qui risque de me retrouver quelques heures plus tard entubé jusqu'au cerveau.
C'est prudemment que je m'aventure hors de l'immeuble. Il est tôt, à peine 8 heures du matin. Les rues sont calmes, le ciel laiteux. Je lance un regard périphérique; aucun connard à l'horizon, je peux y aller. Une dernière prière et me voilà dans les rues de ma ville.
Aux aguets, le regard perçant, le pas vif et rapide, dans la peau d'un résistant qui s'en va délivrer un courrier importantissime à son chef de section, le chariot accroché à mes basques, je vais téméraire et intrépide: rien ne me détourne de mon objectif, à savoir le supermarché du coin de la rue, où m'attend l'une des missions les plus périlleuses de mon existence.
Surtout être efficace. Ne pas se disperser. Ne pas tergiverser. Remplir son chariot au fur et à mesure sans se laisser distraire, ni par les promotions qui me sautent au visage, ni par les toujours possibles ruptures de stock. Rester concentré de bout en bout. Prendre la tangente au premier crétin qui oserait se rapprocher trop près de moi. Bien rester attentif, l'ennemi étant partout. Notamment au rayon légumes secs, où la loi du plus fort règne: je garde un souvenir amer de l'une de mes dernières expéditions, quand au moment même où je m'apprêtais à me saisir de la dernière conserve de haricots blancs –la dernière!–, j'ai été supplanté à l'ultime seconde par une main sortie de nulle part.
Mon chariot se remplit d'une manière mécanique. Je n'ai plus le temps de considérer les étiquettes, le prix, la provenance, le pourcentage de fibres ou la quantité de sucre; je vois, je prends. Net et précis. Je n'ai pas fait mon service militaire pour rien, j'ai l'âme d'un guerrier.
Je connais le chemin par cœur: d'abord les fruits et légumes, ensuite les pâtes, le riz, le boulgour, le quinoa, le couscous, les sauces pour mieux les accompagner; un détour rapide par les produits hygiéniques, PQ et essuie-tout à la douzaine; sur ma droite, les conserves, les sardines, les boîtes de thon, les cœurs d'artichauts; tout au bout de l'allée, les tablettes de chocolat, les gâteaux, la farine; enfin, la dernière ligne droite avec les surgelés, le pain, les produits frais, avant de me présenter aux caisses.
De la précision dans les gestes. Ne pas tergiverser. Ne pas réfléchir. Ne pas s'attarder. La mort est partout présente. Elle peut surgir au détour d'un pot de cornichons qu'on aura pris trop de temps à considérer, s'exposant au risque de croiser un client qui masque baissé, visière relevée, téléphone dans la main, bouche grande ouverte, postillonne quelques paroles à je-ne-sais-qui resté loin de la ligne de démarcation.
Crevure. Mériterait que je le dénonce à la Kommandantur.
Soudain, au moment de payer, quand je sors ma carte de crédit de mon portefeuille, le désir, l'envie, le besoin quasi irrépressible de me gratter le nez, la paroi extérieure, presque à hauteur de la paupière gauche, à la naissance de ma cloison nasale. Ne pas en tenir compte. Faire comme si j'avais rêvé. Austerlitz. Verdun. Omaha Beach! Gloire au soldat inconnu! L'étendard sanglant est levé! La tentation qui devient de plus en plus grande. Le picotement de la peau atrocement excitée. Respirer un grand coup. Fermer les yeux. Visionner le virus, le ventilateur, le cercueil, mon chat orphelin, ma femme remariée, ma belle-mère béate de soulagement.
Triompher de l'envie de se gratouiller le nez, la plus belle victoire de l'être humain par temps de pandémie.
Quand je finis par rentrer à la maison, avant même d'ouvrir la porte, je me déshabille entièrement. C'est totalement nu que je pénètre dans l'appartement, apportant avec moi les fruits de mon labeur: un chariot assez rempli pour tenir quelques jours. César revenant de Gaule n'avait pas plus fière allure. J'ai triomphé. Je suis immortel. C'est avec la conscience du devoir accompli que je peux me laver les mains, avant de filer sous la douche.
Entre ici Jean Moulin...
Un confinement prolongé des personnes âgées après le 11 mai, en Ehpad comme à domicile, ne sera "pas tenable", a estimé vendredi 17 avril le président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), réclamant des adaptations, notamment dans les Ehpad.
"Des gens vont mourir d'autres choses que du coronavirus: du confinement, de l'isolement et de la solitude", a déclaré Pascal Champvert au cours d'une conférence de presse téléphonique.
Dans son allocution lundi, le président de la République a assuré que les personnes "les plus vulnérables", notamment les "personnes âgées", seraient invitées à rester chez elle après le 11 mai, date théorique de sortie du confinement.
S'interrogeant sur "l'âge à partir duquel on est concerné", M. Champvert a regretté une mesure "aux relents âgistes" (discrimination par l'âge) et de nature "à faire peur aux personnes âgées".
Saisi sur l'isolement des résidents d'Ehpad à cause du coronavirus, le Comité d'éthique (CCNE) avait estimé début avril qu'un confinement renforcé des aînés devait être temporaire et leur laisser la possibilité, même limitée, de circuler.
"Il faut que l'État tire les conséquences de l'avis du Comité consultatif national d'éthique", a demandé M. Champvert.
"Le seul moyen de réussir le confinement prolongé dans les Ehpad et de le rendre supportable pour les gens, c'est de l'adapter fortement".
Plusieurs mesures pourraient être appliquées rapidement, selon l'AD-PA: une présence renforcée de psychologues dans les services de soin à domicile et en Ehpad, un retour des bénévoles pour des interventions variées, et le recours aux "balcons, terrasses, parcs et jardins, présents dans la plupart des établissements".
"Il faut que les personnes âgées puissent sortir au moins un peu, comme les Français ont le droit de sortir autour de chez eux au moins une heure", a-t-il plaidé.
En outre, l'ouverture des rencontres avec les familles est "essentielle", a souligné M. Champvert, pour qui les "restrictions de visites n'ont pas lieu d'être, notamment pour les personnes avec des troubles du comportement".
"Il faut que les familles puissent rencontrer les résidents. Bien sûr pas dans leur chambre, dans une pièce à part, sur rendez-vous et avec toutes les mesures de sécurité. Mais les familles doivent rencontrer leurs parents", a-t-il insisté.
Alors que plusieurs villes françaises veulent imposer à leurs habitants de porter un masque lors de leurs sorties pour limiter la propagation de Covid-19, une nouvelle étude vient encore semer le doute sur sa véritable utilité. Des chercheurs sud-coréens ont mené des tests avec différents types de masques (masque en coton et masque chirurgical classique - on ne parle pas ici des masques N95 avec très haut niveau de filtration) et demandé à quatre patients de tousser sans et avec le masque. La charge virale a ensuite été mesurée à l'intérieur et à l'extérieur du masque. Résultat : « Ni les masques chirurgicaux ni les masques en coton ne filtrent efficacement le SRAS-CoV-2 lors de la toux des patients infectés », rapportent les auteurs.
Le problème réside dans la taille des particules capables de transporter le coronavirus SARS-CoV-2. Celles du SARS-CoV de l'épidémie de 2003 ont été estimées entre 0,08 et 0,14 μm. Or, de précédentes études ont montré que les particules de 0,04 à 0,2 µm peuvent pénétrer les masques chirurgicaux. L'expérience ne reflète cependant pas la capacité des masques à limiter la transmission du virus. « Il est possible qu'ils limitent quand même la distance de dissémination des gouttelettes », notent les auteurs. Si les masques ont bien une action antiprojection, ils protègent mal le porteur sain des microparticules aéroportées émises par une personne malade car celles-ci sont trop fines, rappellent d'ailleurs la plupart des infectiologues.
Cette dérogation temporaire permet d'établir l'acte notarié sur support électronique si une ou l'ensemble des parties ne peuvent être représentées.
IMMOBILIER - L’acte de vente d’un logement neuf ou ancien pourra être signé à distance au moyen de la signature électronique recueillie par le notaire sur tout le territoire, en vertu d’une dérogation qui durera jusqu’à un mois après la fin de l’urgence sanitaire, selon un décret paru au Journal officiel.
Ce décret du 3 avril publié samedi au J.O. permet aux notaires d’”établir un acte notarié sur support électronique lorsqu’une ou toutes les parties ou toute autre personne concourant à l’acte ne sont ni présentes ni représentées”.
“Ce décret permet de déroger de façon temporaire à l’exigence de la présence physique chez le notaire pour la réalisation des actes notariés”, précisent dimanche le ministère de la Justice et celui de la Cohésion des territoires dans un communiqué.
Cela concerne “les ventes dans le neuf comme dans l’ancien” et ce “jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire”, indique ainsi le gouvernement.
L’objectif est d’assurer “la continuité de l’activité notariale, notamment les achats immobiliers des Français, tout en sécurisant le caractère authentique des actes dans le respect des consignes sanitaires de distanciation sociale” en vigueur pour maitriser l’épidémie de Covid-19, conclut-il.
La mise en avant systématique de la figure du «soignant-héros», dans l’émission cagnotte de France 2 masque la réalité : le manque de moyens des hôpitaux en grave difficulté.
Nous ne voulons pas de héros !
Tribune. Le 24 mars, France 2 organisait «une grande soirée de solidarité et d’appel aux dons». Le but : rendre hommage aux personnels hospitaliers et encourager chaque Français à verser de l’argent pour «soutenir les hôpitaux et l’ensemble des personnels soignants». Au premier regard, rien de bien polémique. Il s’agissait pourtant d’une cagnotte organisée par la sixième puissance mondiale pour sauver son hôpital.
Toute cette bonne humeur forcée et cet étalage de générosité nous racontaient la fiction d’une France unie, sans conflit ni critique, où personne n’est responsable de rien. Cette émission excluait en effet toute possibilité de relier le drame en cours à des choix de politiques budgétaires et fiscales de ce gouvernement et des précédents. Pas un mot sur les mois de contestation des personnels hospitaliers. Pas un mot sur leur combat pour défendre un hôpital public de qualité garantissant l’égalité d’accès aux soins. Pas un mot sur l’expression de leur souffrance au travail et sur la répression violente de certaines de leurs manifestations.
Des besoins connus depuis des années
Le lendemain de cette émission infantilisante, le Président intervenait à la télévision, laissant enfin espérer des mesures concrètes. Pourtant, dans ce discours à la mise en scène et à la rhétorique martiales, rien d’autre que des propos vagues et abstraits, alors que les besoins sont largement connus, depuis des années. Le Président a préféré défendre une «union nationale» dont il serait le seul dépositaire. Ses mises en garde contre «celles et ceux qui voudraient fracturer le pays» visaient implicitement toutes celles et ceux qui se permettent de critiquer son action ou tout simplement de rappeler les origines politiques de cette crise. Tous ceux-là deviennent des déserteurs, des mutins, les casseurs de l’esprit républicain.
La mise en avant systématique de la figure du «soignant-héros», dans cette émission cagnotte de France 2 comme dans la communication de l’exécutif, participe de cette rhétorique de l’union. Qui aurait envie de critiquer les soignants qui se sacrifient dans les hôpitaux ? Il faut effectivement avoir des qualités hors du commun pour accepter de travailler jour et nuit, au cœur de cette crise, pour des salaires horaires trop faibles, sans toujours toutes les protections indispensables (les masques bien sûr, mais aussi les surblouses, les charlottes, les surchaussures, etc.) La réalité, c’est que les personnels hospitaliers n’ont pas le choix : ils sont obligés de se comporter en héros. Ce rôle leur a été imposé. Pas seulement à cause du Covid-19. Mais aussi parce que ce nouveau virus vient percuter de plein fouet un hôpital en grave difficulté. Le discours de l’héroïsme sert ainsi à masquer le manque de moyens. Voire à le justifier. Si un système collectif résiste grâce aux sacrifices immenses de quelques-uns, à quoi bon l’améliorer ?
Dans ce contexte de crise, les plus jeunes comme les plus âgés, des étudiants aux retraités, sont envoyés «au front» sans armes ni munitions, pour reprendre la métaphore guerrière prisée par l’exécutif. Les personnels hospitaliers s’épuisent, physiquement et moralement, et risquent leur vie pour sauver la nôtre. Déjà plusieurs sont morts ou en réanimation. Nous ne voulons pas de héros qui portent à bout de bras l’hôpital, au prix de ces sacrifices inhumains.
Ne pas lâcher
Ce qui se joue avec la figure du héros apparaît alors plus nettement : même s’il s’agit de nous faire croire qu’il n’est question que d’émotions et de sentiments, on discerne en réalité un projet politique. Car le héros, c’est un demi-dieu, un personnage exceptionnel. Autrement dit, c’est promouvoir la puissance solitaire de l’individu plutôt que la réussite du collectif. Or l’hôpital n’a pas tant besoin de surhommes ou de surfemmes que d’avoir les moyens de fonctionner dignement. Les sacrifices d’aujourd’hui auraient pu être en grande partie évités si les personnels hospitaliers avaient été écoutés et si d’autres choix politiques avaient été faits.
D’autres crises, sociales, économiques, climatiques, succéderont à celle que nous vivons, qui n’est qu’une première alerte, terrible. A chacune d’entre elle, faudra-t-il accepter le chantage à l’union de ceux-là mêmes qui refusent de prendre les mesures qui permettent d’éviter ou au moins d’atténuer les crises et leurs conséquences sociales ? Nous ne pouvons pas à chaque fois congeler la vie politique et démocratique. Malgré la gravité de la situation, malgré le confinement, le débat sur l’avenir de nos services publics, de la santé mais aussi de la recherche, de l’éducation, est essentiel.
L’expression de désaccords n’est pas une sécession morale. C’est maintenant qu’il faut se battre pour le monde que nous voulons, ne pas lâcher, parce que si nous attendons poliment l’autorisation de parler, il sera trop tard. Et le jour d’après sera exactement le même que le jour d’avant.
Signataires : Julien Taieb, médecin à l’hôpital Européen Georges-Pompidou, Sonia Salimon, professeure de lettres, Melissa Hadoux, psychologue clinicienne, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Antoine Hardy, enseignant à SciencesPo, Hugo Huon, infirmier à l’hôpital de Lariboisière, Tamara Ben Ari, chercheuse à l’Inrae, mOlivier Berné, chercheur au CNRS, Christophe Le Tallec, aide-soignant, Baki Youssoufou, chef d’entreprise, Yacine Ait Kaci, président de la Fondation ELYX, Marie-Hélène Metzger, médecin de santé publique, AP-HP, Mélanie Teyssier, cadre de santé, membres du collectif ConfinésMobilisés, qui a lancé le 24 mars la pétition #JeNeSuisPasUnHéros : https://confinesmobilises.wesign.it/fr
Organisation mondiale de la santé a publié sur son site Internet un "guide de production locale des solutions hydroalcooliques". Autrement dit, il s'agit d'une recette pour produire à partir de certains ingrédients des produits aussi efficaces que ceux présents dans le commerce.
La liste des ingrédients de la recette de l'OMS peut paraître complétement inaccessible. Pourtant, vous pouvez vous fournir facilement les composants. L'éthanol 96 % équivaut à de l'alcool pour spiritueux que l'on peut trouver en magasin. Le peroxyde d'hydrogène n'est autre que de l'eau oxygénée, disponible en pharmacie. Le glycérol, ou glycérine, se trouve aussi chez le pharmacien.
Ensuite, la recette est assez simple. Dans un récipient gradué bien propre, mesurez 833 millilitres d'alcool. Mélangez-y 42 millilitres d'eau oxygénée. Ajoutez à cela 15 millilitres de glycérine. Complétez avec de l'eau jusqu'à obtenir un litre de solution. Après avoir mélangé, votre gel hydroalcoolique maison est prêt.