Aujourd’hui, amis des mots, c’est cours de latin ! Mais, vous savez, d’une certaine façon, le latin n’est jamais que du très très très vieux français. Ce qui est rigolo, c’est que le "bon" français est issu d’un "mauvais" latin. Enfin, d’un latin pas très châtié. Celui qu’on appelle le latin "vulgaire".
Entendons-nous bien : à l’origine, vulgaire n’a rien de péjoratif. Il vient du latin vulgus, "la foule". Le sens originel de vulgaire, c’est "populaire", c’est celui que l’on retrouve dans vulgariser, que le Robert définit comme "répandre des connaissances en les mettant à portée du grand public".
Donc, me demanderez-vous, le français n’est pas issu du latin classique ? Eh bien, comment pensez-vous que, en Gaule, le latin ait supplanté le gaulois ? Pas par une invasion de profs de langue. Après la conquête de César, en milieu du Ier siècle avant J.-C., le latin a peu à peu été adopté par les populations locales parce qu’il est devenu la langue des échanges administratifs et commerciaux. On est bien avant l’invention de l’école, du cartable, du livre scolaire et de la méthode Assimil, donc comment apprend-on le latin ? En se frottant aux envahisseurs qui le parlent, qui sont avant tout des légionnaires, des commerçants, bref pas des lettrés.
Donc, nos Gaulois sont confrontés à un latin populaire, une langue parlée, qui n’est pas le latin classique et qui peut en être très différent ! Prenons l’exemple du mot cheval. En latin classique, le "cheval", c’est equus, en latin vulgaire, c’est caballus : rien à voir ! Et c’est caballus qui sera adopté chez nous, donnant caval au Moyen Age puis cheval aujourd’hui. Or, par rapport à equus, caballus était à la fois un terme populaire et péjoratif.
Un "canasson", si vous voulez ! Dans son livre, Etcetera, etcetera, chez First éditions, Julien Soulié donne un autre exemple du même phénomène : celui de la tête. C’est le mot testa qui a donné notre tête, un terme du latin vulgaire qu’on pourrait traduire par "la caboche", "le carafon" ou "la tronche", alors que la tête en latin classique se dit caput (qui, lui, donnera la capitale ou le capitalisme). On peut aussi citer le mot champ, qui vient du latin vulgaire campus, alors que le mot classique était ager.
Il n’y aurait donc aucune trace de latin classique en français ?
Eh si, le français a également emprunté au latin des lettrés romains, mais plus tard. Et d’ailleurs, c’est ce qui explique certaines étrangetés du français actuel.
"À partir du XIVe siècle, quand nos clercs, pétris de culture antique, eurent besoin d’inventer de nouveaux mots, vers qui se retournèrent-ils ? Vers le latin, mais le latin écrit, donc classique », raconte Julien Soulié.
C’est sans doute pourquoi nous ne pratiquons pas le "chevalisme" mais l’équitation, par exemple, les clercs ayant créé ce mot en se basant non sur le latin vulgaire caballus mais sur equus, du latin classique. C’est aussi pourquoi ceux qui font profession de cultiver les champs sont aujourd’hui des agriculteurs, mot bâti sur le latin classique ager, alors que si on avait décidé de construire le nom de leur métier sur le mot champ, on les appellerait peut-être des "champions" !
"Fluctuat nec mergitur"? La Bibliothèque de la Pléiade publie jeudi une "Anthologie bilingue de la poésie latine", alors que peu de lecteurs savent encore lire la langue de Cicéron.
Rares sont les langues ayant eu l'honneur d'entrer dans la collection de prestige des éditions Gallimard: outre l'ancien français, il n'y a eu que l'anglais, l'allemand, l'espagnol, l'italien et le latin, déjà, avec les oeuvres complètes de Virgile en 2015.
Face à quatre langues bien vivantes, la question se pose ex abrupto: ce XXIe siècle fera-t-il du latin une langue vraiment morte, privée ad vitam aeternam de locuteurs?
"Non", répond à l'AFP Philippe Cibois, sociologue, qui suit les tendances de l'enseignement de rosa, rosam, rosae. "En moyenne, toutes classes confondues, 12 ou 13% des élèves font des langues anciennes, surtout du latin maintenant, très peu du grec. C'est un roc solide dans l'enseignement et les 7.000 profs de latin en France sont très actifs pour promouvoir leur matière".
"Je suis certain qu'il y aura beaucoup de lecteurs qui aimeront avoir cette Pléiade dans leur bibliothèque", parie-t-il.
Sans forcément beaucoup lire la page de gauche, en VO: "C'est tout le bénéfice du sous-titrage. On apprécie une langue sans avoir besoin d'être très performant".
Le volume couvre bien sûr la littérature romaine, en commençant par Livius Andronicus (IIIe siècle avant Jésus-Christ), en passant par les classiques Ovide ou Catulle.
Mais aussi le Moyen Âge, où Alain de Lille a pour alias Alanus de Insulis, la période moderne... et contemporaine, avec des vers de Pascal Quignard publiés en 1979, "Inter aerias fagos" ("Parmi les hêtres aériens").
Comme l'écrit dans une note introductive Philippe Heuzé, professeur de littérature latine à Sorbonne Nouvelle, la poésie latine "a la particularité remarquable de courir sur deux mille trois cents ans".
"Des auteurs du XIXe ont une production originale en latin, comme Baudelaire, ou Rimbaud qui avait remporté un premier prix de vers latins. C'est presque militant que de rappeler que des auteurs aussi importants sont des poètes bilingues", relève Pierre-Alain Caltot, maître de conférence en langue et littératures latines de l'Université d'Orléans.
Le poème de Rimbaud s'appelle "Ver erat" ("C'était le printemps", 1868), et semble préfigurer "Le Dormeur du val" (1870). "Iacui uiridanti in fluminis ora": "Je me couchai sur la rive verdoyante d'une rivière".
"J'ai une vraie espérance pour l'avenir de la langue, non dénuée d'inquiétude, mais fondée sur l'idée qu'on ne peut pas se passer de latin, que sans connaissance du latin on ne peut pas comprendre ce que sont par exemple l'épopée, la satire, même l'écriture de l'histoire", dit M. Caltot. "La question se pose toujours de savoir à quoi ça sert, à une époque où tout doit payer immédiatement, et j'allais dire que ça ne sert à rien directement. Sauf à cultiver son jardin".
Mais c'est un combat quotidien, quand il faut convaincre les parents de collégiens d'ajouter une matière optionnelle à des programmes déjà chargés.
Philippe Cibois ferait presque son mea culpa. "J'ai fait du latin de la 6e à la 1re, au lycée classique. Au début ça allait, mais à la fin j'étais noyé: après mes études je me disais que le latin, il fallait supprimer ça, que ça amenait des élèves à l'échec... Et puis, quand ma fille a eu l'âge d'en faire, je me suis dit qu'on ne pouvait pas la priver de cette culture-là". Nolens volens.
Qui a dit que le latin était une langue morte ? Des poissonniers marseillais se sont récemment vu dresser procès-verbal pour n'avoir pas étiqueté leurs denrées en usant des termes scientifiques idoines.
C'est que la réglementation européenne l'exige : « Lorsque toutes les espèces d'un même genre peuvent être désignées sous la même dénomination commerciale, le nom latin de l'espèce doit être indiqué sur l'étiquetage. » On ne vous dit pas la fureur des sanctionnés, lesquels, se sentant monter au nez la moutarde d'Ordralfabétix, se seraient volontiers servis de leurs poissons comme d'autant d'objets contondants, pour peu qu'un malheureux forgeron passât par là ! Les clients confondent déjà rascasse et rouget, éructaient certains, alors s'il faut maintenant appeler le grondin rouge chelidonichthys cuculus...
Il n'est pas impossible, cela dit, que la nouvelle ait plongé dans la béatitude tous ceux qui verraient d'un bon œil que l'on fît preuve du même zèle sur le terrain de la langue. Imaginez un instant que l'on nous oblige, à coups d'amendes, à connaître, pour chaque mot que nous utilisons, le vocable latin dont il dérive ! Voilà qui nous dispenserait à tout le moins de faire de l'adjectif conséquent un synonyme d'important : le repérage du verbe latin sequi (« suivre ») suffirait à valoriser bien plutôt la notion de logique, de cohérence. La somme que l'on (ne) gagne (pas) au loto est moins conséquente que considérable !
De même, le verbe obnubiler (« obscurcir l'esprit ») ressemblerait moins à un... omnibus si l'on savait ce qu'il doit au nubes (« nuage »). Quant à la mappemonde, qui donc oserait encore en faire un globe terrestre en sachant qu'elle descend tout droit du latin médiéval mappa mundi (« carte du monde ») ?
Il se murmure que le président de la République, à qui le maire des lieux, Jean-Claude Gaudin, aurait rapporté l'incident avec la faconde méridionale qu'on lui connaît, s'en serait amusé avant de promettre à son interlocuteur qu'il en faisait son affaire. Reste à savoir si ce fait du prince ne compromettrait pas la cohésion gouvernementale. Il est en effet un ministre de l'Éducation nationale qui, pour avoir appelé de ses vœux la résurrection du latin, se sera réjoui de constater que la langue de Cicéron gardait sa place dans la vie de tous les jours. Pourvu que tout ça ne finisse pas en queue de poisson !
Hommage aux profs que j’ai eus : vieux manuels, vieilles méthodes, bienveillance. Les humanités sont la voie d’accès à notre humanité.
Quand j’étais petit, je voulais être enseignant. Mes instituteurs et mes professeurs me fascinaient par leur science : leur haute stature m’en imposait, à raison. Ils étaient des personnages sacrés, les héritiers, dans un monde en délicatesse avec les religions révélées, des clercs, ou leurs équivalents. Sans le savoir, je réactivais la Trinité des fonctions sociales bien mise en évidence par les historiens et les anthropologues : ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui produisent - les laboratores, les travailleurs-laboureurs, ceux qui produisent la matière indispensable à la subsistance physique en travaillant (laborare) la terre. Mes parents appartenaient à cette troisième catégorie. Dans une société largement déruralisée depuis les années 60, les laboureurs étaient devenus les travailleurs des secteurs secondaire et tertiaire. Les professeurs, eux, ceux des écoles, des collèges et des lycées, étaient les successeurs des oratores, ceux qui prient, ceux dont le métier est d’être en relation avec une transcendance, celle de Dieu jadis, celle de la science aujourd’hui. Je rêvais de les rejoindre, et d’être un clerc - dont j’arbore fièrement la tonsure, la toge et, me dit-on, l’embonpoint…
J’ai eu la chance d’être scolarisé dans des établissements moyens, voire médiocres, inconnus des palmarès, des classements, pas spécialement courtisés par les bourgeoisies en quête de reproduction sociale, voire soigneusement évités d’icelles. Dans ces établissements, des instituteurs et des professeurs à l’ancienne. Vieux manuels, vieilles méthodes, grande bienveillance, et total investissement pour les élèves. En 5e, notre professeure de lettres, Mme Chauvin, nous faisait lire des extraits de Proust et des poèmes courtois. Elle nous faisait aussi explorer des listes de vocabulaire : chaque semaine, vingt ou quarante mots au programme ! Tous au CDI, le Centre de document et d’information, dans le Larousse ou le Robert et en avant la définition, étymologie comprise : pergélisol, analogie, métaphore, rhétorique… Tout y passait. Affreuse réactionnaire ?
Cette enseignante admirable me semblait plutôt très à gauche. Elle nous faisait comprendre, à grands coups d’anecdotes vécues, que la langue était un marqueur social : employez les bons mots, avec la bonne syntaxe, vous serez respectés. Mieux, elle nous montrait que la langue est le lieu du déploiement de la pensée, donc de la liberté. La langue, c’était aussi le théâtre : elle passait ses mercredis après-midi à nous faire jouer, écrire, répéter. Je sais que Mme Balkany a eu la Légion d’honneur, mais j’ignore si Mme Chauvin l’a obtenue. Elle ne l’a sans doute jamais demandée. En 3e, elle remettait ça : à chaques vacances, un Flaubert ou un Zola à lire, et un dossier de vingt pages à rendre. Le travail de la langue s’accompagnait de l’apprentissage de l’histoire de la littérature, et du travail en profondeur des textes. Ah oui, en 3e, on a lu et étudié Phèdre aussi. La découverte de Racine a été un trésor pour la vie. Son travail était appuyé par celui de Mme Bonnin, professeure de latin. Mme Bonnin nous motivait en nous donnant des points supplémentaires pour toute version ou tout exercice de grammaire que nous ferions en plus. Excellente méthode. Je lui dois de parler et d’écrire le français, qui est du latin simplifié, à peu près correctement.
Je suis de ceux qui ont voté François Hollande en 2012, en prenant au sérieux les déclarations du PS : en dix ans d’opposition, ils avaient fait un travail considérable, leur première année au pouvoir était prête jusqu’au décret d’application. La réforme fiscale allait être mise en œuvre, et l’Education nationale, après la dévastation des années Sarkozy, allait être réparée. Sur les deux fronts, le quinquennat passé fut un échec. Je suis de ceux qui ont pleuré de rage en voyant le latin conspué, les classes bilangues entamées, et la réforme des rythmes scolaires mise en œuvre au grand désarroi des collectivités locales. La justice sociale, brandie par la gauche au pouvoir, était bafouée : les grands lycées de centre-ville n’étaient pas fous au point de sacrifier leur latin et leurs langues. Quant aux grands établissements privés, certains font du latin, et de la grammaire dès l’école primaire, et ils ont raison.
Je ne connais pas M. Blanquer. Je n’aime pas ce qu’il dit sur l’autonomie des établissements. Mais je souscris à tout ce qu’il dit sur la langue, le latin (n’oublions pas le grec), les fondamentaux, la lecture. Les humanités sont la voie d’accès à notre humanité, tout simplement. Ma fille aînée est rentrée en maternelle. Je m’incline devant ses professeurs, devant les animateurs de la garderie, devant leur générosité et leur amour pour ces enfants. Ma gratitude à leur égard est infinie. Je suis heureux qu’elle entre dans une école qui l’exercera à la grammaire, aux mathématiques, qui lui permettra d’habiter sa langue en lui faisant faire du latin. Pour que vive la République, vive son école, ses savoirs, ses maîtres et maîtresses.