Après des débats très animés qui ont ravivé le clivage gauche-droite, les sénateurs ont voté ce texte qui permet d’interdire l’utilisation de l’écriture inclusive dans un large panel de documents.
THOMAS SAMSON / AFP
LANGUE - « Idéologie mortifère » ou « chemin vers l’égalité » ? Le Sénat a adopté ce lundi 30 octobre une proposition de loi de la droite visant à « protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive », au jour de l’inauguration par Emmanuel Macron de la Cité internationale de la langue française dans le château restauré de Villers-Cotterêts. Le président a dit craindre de voir la langue française « céder aux airs du temps ».
Après des débats très animés qui ont ravivé le clivage gauche-droite, les sénateurs ont voté à 221 voix contre 82 ce texte qui permet d’interdire l’utilisation de l’écriture inclusive dans un large panel de documents.
Son périmètre est grand : elle prévoit en effet de bannir cette pratique « dans tous les cas où le législateur (et éventuellement le pouvoir réglementaire) exige un document en français », comme les modes d’emploi, les contrats de travail, les règlements intérieurs d’entreprise.
Sont également visés les actes juridiques, qui seraient alors considérés comme irrecevables ou nuls si le texte venait à devenir loi, ce que rien n’assure actuellement car son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale est loin d’être garantie.
Dans l’Aisne, Emmanuel Macron avait donné le ton à la mi-journée, défendant « les fondements » de la langue, « les socles de sa grammaire, la force de sa syntaxe » et invitant à « ne pas céder aux airs du temps ».
« Dans cette langue, le masculin fait le neutre, on n’a pas besoin d’ajouter des points au milieu des mots, ou des tirets, ou des choses pour la rendre lisible », avait ajouté le chef de l’État dans une offensive peu masquée envers le fameux « point médian » - comme dans « sénat.rice.s » -, l’un des pans de l’écriture inclusive.
Le texte de la sénatrice Les Républicains Pascale Gruny s’y attaque frontalement mais il va plus loin : il interdit aussi les « mots grammaticaux » constituant des néologismes tels que « iel », une contraction de « il » et « elle », ou « celleux », contraction de « celles » et « ceux ».
« L’écriture inclusive affaiblit la langue française en la rendant illisible, imprononçable et impossible à enseigner », a attaqué pascale Gruny, son collègue Étienne Blanc dénonçant lui une « idéologie mortifère ».
Les bancs écologiste et socialiste ont répondu par de l’indignation : « La droite sénatoriale nous inflige ses lubies rétrogrades et réactionnaires », s’est offusqué le sénateur socialiste Yan Chantrel. « Vouloir figer la langue française, c’est la faire mourir ».
« Quand on parle de l’écriture inclusive, on parle du chemin vers l’égalité femmes-hommes », a plaidé l’écologiste Mathilde Ollivier.
Ce débat clivant a même dépassé le Palais du Luxembourg. La présidente du Rassemblement national Marine Le Pen a expliqué sur le réseau X (ex-Twitter) vouloir « protéger » la langue française « contre le wokisme dont l’écriture inclusive est une sinistre et grotesque manifestation ». « La langue française est une créolisation réussie » et elle « appartient à ceux qui la parlent ! », lui a rétorqué Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise.
L’écriture « dite inclusive » désigne selon le texte du Sénat « les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine ».
Peu convaincue, la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak a jugé quelques mesures « excessives » sur l’extension aux contrats privés, et estimé que le « rôle » de l’État et du législateur n’était « pas d’être une police de la langue mais de garantir l’égalité devant la langue ».
Tout en prenant soin de s’adresser à « Madame le sénateur Gruny », elle a rendu un « avis de sagesse » sur le texte du Sénat, ni favorable ni défavorable, rappelant que deux circulaires encadrent déjà cette pratique dans les textes publiés au Journal officiel (circulaire d’Édouard Philippe en 2017) et dans l’enseignement (circulaire de Jean-Michel Blanquer en 2021).
Les débats ont révélé plusieurs désaccords. La droite assure par exemple qu’il resterait possible d’utiliser la « double flexion » qui vise à décliner le pendant féminin d’un mot, comme « les sénateurs et les sénatrices » au lieu de « les sénateurs ». Ce que la gauche réfute.
Yann Chantrel a lui estimé que la rédaction actuelle du texte rendrait caduques toutes les pièces d’identité éditées sous l’ancien format, où figure la mention « né(e) le » pour la date de naissance. Ce que la droite a nié. Irréconciliables...
Les nouveaux programmes scolaires, censés entrer en vigueur en 2016, font la part belle à un jargon «pédagogiste» ravivé. Un paradoxe alors qu'ils sont présentés par le Conseil supérieur des programmes comme «plus simples et plus lisibles».
Se déplacer (…) dans un milieu aquatique profond standardisé. (Page 22, cycle 4)
Le «milieu aquatique profond» est tout simplement… une piscine. Ce type de jargon foisonne dans les programmes d'éducation physique et sportive (EPS), une des disciplines scolaires les plus récentes (1981). Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?
«Créer de la vitesse» et «traverser l'eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête». (Page 22, cycle 4)
Toujours en EPS, discipline friande de termes pédants, «créer de la vitesse» signifie «courir», tandis que «traverser l'eau en équilibre horizontal» signifie nager. Et comment appelle-t-on un plongeon?
«Produire des messages à l'oral et à l'écrit» en histoire-géographie. (Page 5 du cycle 4)
Le collégien à la sauce 2016 n'aura plus besoin de rédiger un devoir ou de répondre verbalement à une question de son professeur. Il se contentera de «produire des messages» écrits ou oraux. En «montrant un raisonnementconstruit».Tout de même…
«Aller de soi et de l'ici vers l'autre et l'ailleurs». (Page 17, cycle 4)
La «visée générale» des programmes de «langues étrangères et régionales» est d'«aller de soi et de l'ici vers l'autre et l'ailleurs». Cette visée se veut poétique mais semble un rien prétentieuse. Il est possible que beaucoup se perdent en chemin.
L'éducation aux médias est mise en œuvre, et organisée de façon spiralaire. (Page 53, cycle 4)
Selon Sylvie Queval, philosophe de l'éducation, la notion de pédagogie «spiralaire», inventée en 1960, a «vite rencontré un large écho chez les pédagogues, qui trouvent dans la métaphore de la spirale une façon juste d'exprimer qu'apprendre est un processus continu qui suppose une reprise constante de ce qui est déjà acquis». À en perdre l'équilibre.
Naguère, on travaillait « sur place » ou « à distance ». Le confinement aura vulgarisé ce qui relevait jusque-là du jargon des entreprises : travailler « en présentiel » ou « en distanciel ». Tellement plus chic !
Force est d'ailleurs d'avouer que la terminaison en question (-tiel dans la grande majorité des cas, -ciel pour un petit nombre de mots du lexique traditionnel) est devenue la coqueluche de l'usager, notamment depuis l'afflux massif sur le marché des logiciels, progiciels, ludiciels, didacticiels et autres ciels qui vous parlent d'un paradis 2.0 que les plus de soixante-cinq ans peuvent difficilement connaître.
Il s'en faut du reste que le monde des entreprises soit le seul touché (pardon : « impacté » !). Notre Éducation nationale, championne toutes catégories de la novlangue, a très tôt usé et abusé du référentiel pédagogique, à la mamelle duquel ses ouailles étaient fermement appelées à téter. Un cran au-dessus dans le ronflant, il faudrait aussi évoquer, dans le domaine particulièrement exposé de l'explication littéraire, les délices générées par le schéma actantiel (actanciel pour Robert), là où, assez bêtement, on se bornait jadis à étudier les rapports qu'entretenaient les personnages dans le récit. Tout cela, parfois, avec la bienveillante complicité des élèves eux-mêmes, lesquels, le premier moment de surprise passé, n'aiment rien tant, le jour de l'oral, qu'égrener oxymorons, focalisations internes et situations d'énonciation du plus bel effet.
Et que dire, quand la rime serait moins riche, du visuel, qui, dans le petit monde de l'imprimerie, du journalisme et de la communication (ça fait du monde quand même !) a renvoyé photo, illustration et autres platitudes à leurs chères études ? Au point que s'en est emparé le milieu de la police, à en croire du moins les innombrables séries télévisées qui sont censées le mettre en scène : combien de fois n'avons-nous pas entendu un inspecteur en planque confier à son talkie-walkie qu'il avait le suspect... en visuel ? Bref, qu'il l'apercevait.
Pas sûr que la langue sorte grandie de toutes ces trouvailles qui, à l'évidence, visent plus à impressionner qu'à renseigner. Mais si elles peuvent contribuer à aiguiser les dents des jeunes loups des écoles de commerce, dopés aux accents martiaux des Lacs du Connemara, pourquoi pas, après tout ?
Légende du... visuel :
Le travail en distanciel aurait fait la preuve de son efficacité. Même si certains confinés ont eu du mal à tenir... la distance !