Depuis juin 2019, le ministère de l'Intérieur et l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) testent une application mobile baptisée Alicem, pour "Authentification en ligne certifiée sur mobile". Le but de ce service, utilisant la reconnaissance faciale, est double : simplifier les démarches administratives en ligne et créer une identité numérique hautement sécurisée. Sa conception a été confiée à Gemalto, une entreprise détenue par le groupe français Thales. Alicem devrait être lancée d'ici à la fin de l'année ou début 2020.
Cliquer sur le titre de ce billet pour lire l'intégralité de l'article sur le site de France Info
L'application fait déjà l'objet de plusieurs critiques, notamment sur le stockage des données personnelles. Mais c'est surtout son système de reconnaissance faciale qui suscite les controverses. La Cnil, le gendarme des données personnelles, s'inquiète qu'aucune alternative à ce processus ne soit proposée aux usagers. L'association La Quadrature du net a, pour sa part, déposé un recours devant le Conseil d'Etat, craignant une "banalisation de cette technologie". L'ANTS réfute toute mise en place d’une "société de surveillance".
Il ne faut pas que ça se fasse à marche forcée au détriment d'une partie de la population qui n'arriverait pas à suivre... C'est ce que dit en substance le rapport que Jacques Toubon a remis au Premier ministre mardi 26 février. Et pour lancer cet avertissement, il se base sur les milliers de requêtes qui remontent jusqu'à lui venant d'administrés qui se plaignent des démarches en ligne.
On sait aussi que c'est un sujet qui revient constamment dans le grand débat. Les "gilets jaunes" réclament le retour des services publics dans les territoires, mais leur crainte c'est que ça se fasse sous forme dématérialisée. La e-administration représente pourtant l'avenir et a beaucoup d'avantages, tout le monde est d'accord là-dessus.
La dématérialisation des démarches administratives permet à l'État de faire des économies. N'est ce pas ce que l'on recherche en ce moment ? Pour les citoyens, c'est un gain de temps (plus besoin de se déplacer ou d'envoyer un courrier). Le formulaire en ligne peut-être pré-rempli à distance par l'administration et en quelques clics, la demande est faite.
Parce qu'il estime que la France n'est pas prête. Pas prête en tout cas pour un basculement complet en 4 ans à peine. On a l'impression aujourd'hui que tout le monde ou presque a accès aux nouvelles technologies et sait s'en servir. Eh bien ce n'est pas vrai !
Prés de 30 % de la population adulte passe encore à côté. C'est pourquoi Jacques Toubon demande au gouvernement d'avancer prudemment pour ne laisser personne en chemin. Il ne faut pas que dématérialisation des services publics accentue la fracture numérique.
Au moins 25 millions de personnes concernées
Ces personnes qui ne sont pas prêtes à passer au tout numérique dans leurs échanges avec l'administration, on peut les diviser en 3. Et on retrouve certaines d'entre elles dans plusieurs catégories. Il y a ceux qui sont fâchés avec l'informatique. Il y a un terme qui a été inventé : on parle maintenant d'illectronisme (c'est la version informatique de illettrisme). Le rapport donne un chiffre : en France, 18 millions de personnes admettent ne pas savoir ou mal savoir se servir d'un ordinateur.
Ensuite, il y a ceux qui n'ont pas les moyens de s'équiper. Un ordinateur, un smartphone, un abonnement internet, éventuellement une imprimante, ce n'est pas à la portée de toutes les bourses : 7 millions de personnes ne sont pas connectés à internet.
Et puis dernière catégorie, ce sont ceux qui voudraient bien mais qui ne peuvent pas : 500.000 français vivent dans des zones blanches, c'est à dire dans des endroits où internet ne passe pas. Et près de 10 millions de personnes habitent des zones grises, des communes où les connections ne sont pas toujours faciles et de bonne qualité.
D'où le message du Défenseur des Droits dans dans son rapport : ne pas confondre vitesse et précipitation, se hâter lentement en veillant à n'oublier personne. Jacques Toubon préconise notamment de toujours conserver un 2e accès à l'administration, en plus d'internet, un guichet, une adresse postale ou un numéro de téléphone vers lesquels les citoyens en délicatesse avec leur ordinateur pourraient se rabattre.
Le Défenseur des droits met en garde contre une dématérialisation à "marche forcée" des services publics et certaines "dérives" dans le passage progressif au tout numérique, qui se traduit "pour beaucoup d'usagers par un véritable recul de l'accès" aux droits.
Car si ce "processus inéluctable et fondamentalement positif" constitue un "progrès", il ne doit "laisser personne de côté", surtout pas les plus vulnérables, personnes âgées et détenus en tête, juge dans son rapport "dématérialisation et inégalités d'accès aux services publics" le Défenseur des droits Jacques Toubon, autorité indépendante notamment chargée de veiller au respect des droits et libertés par l'administration.
Dans ce rapport qui sera présenté jeudi et dont l'AFP s'est procuré copie, il s'appuie sur les milliers de réclamations reçues de la part des usagers pour étayer, de façon très détaillée, les insuffisances parfois "inacceptables" des administrations en ligne et le retard dans la mise en ?uvre du plan gouvernemental qui prévoit le passage de l'intégralité des services publics sur internet à l'horizon 2022.
Cet "objectif ne sera pas atteint si l'ambition (...) se résume à pallier la disparition des services publics sur certains territoires et à privilégier une approche budgétaire", tacle ainsi M. Toubon. A fortiori, souligne le rapport, si la transformation "est mise en place à +marche forcée+, sans tenir compte des difficultés bien réelles d'une partie de la population".
Il évoque par exemple la "fracture numérique" particulièrement évidente dans les 541 communes classées en "zone blanche" et donc dépourvues de toute connexion à internet, ce qui entraîne une "rupture d'égalité" et une "entrave à l'accès aux services publics" dans des zones par ailleurs enclavées.
Le Défenseur des droits prend ainsi l'exemple d'un homme radié de Pôle emploi après deux rendez-vous manqués avec son conseiller. "Or, Monsieur X. réside dans un secteur qualifié de +zone blanche+ et n'a jamais reçu à temps les mails de convocation et les SMS sur son téléphone portable."
De fait, dans un pays où l'on consacre 1H50 par mois aux démarches administratives, comment franchir le cap lorsqu'on n'a pas d'ordinateur (comme 19% des Français) ou d'accès à internet?
Un couple de personnes âgées en Guadeloupe, illustre le rapport, n'a ainsi jamais pu consulter la notification de suspension de son allocation aux adultes handicapés, et les deux seniors de 75 et 86 ans n'ont donc pas pu formuler de recours à temps.
Parfois, les situations sont tout simplement kafkaïennes: comme pour ce demandeur de certificat d'immatriculation qui n'a jamais pu transmettre ses justificatifs car les pièces jointes étaient limitées à un volume d'1 Mo (méga-octet) tandis que ses documents en faisaient 1,2. Ou ce détenu à qui l'on demande une photo d'identité, omettant, peut-être, qu'il n'y a pas de cabine photographique en prison.
Face aux dysfonctionnements décrits sur 71 pages, l'autorité indépendante émet plusieurs recommandations, dont la principale va à l'encontre du principe-même du tout numérique: conserver une alternative, pour qu'aucune démarche administrative ne soit accessible "uniquement par voie dématérialisée".
Le Défenseur des droits réclame aussi une "clause de protection" permettant à l'usager de ne pas être tenu pour "responsable" en cas de problème technique ou encore de repérer les personnes "en difficulté avec le numérique" grâce à des tests lors de la journée défense et citoyenneté.
En particulier, il souligne l'importance de ne pas marginaliser davantage les sans-abris, les handicapés, les étrangers, cette "file invisible" en ligne qui "parvient encore moins qu'auparavant à accéder aux guichets".
Car, résume le rapport, "un service public dématérialisé reste un service public avec tout ce que cela impose de contraintes". File d'attente comprise.