**En voyage, notre appareil photo et notre smartphone restent toujours à portée de main pour une photo.
Par Morgane Guillou
PHOTO - L’appareil photo et le smartphone font partie de notre quotidien lorsque nous voyageons. Nous sommes tellement habitués à prendre ces excursions en photo que nous avons l’impression de les gâcher si elles ne sont pas photographiées, comme l’explique notre vidéo en tête d’article.
Mais pourquoi y tient-on à ce point? La photographie vise en premier lieu à immortaliser un moment, servant ainsi de seconde mémoire. En voyage, elle rend compte du caractère esthétique et étonnant des lieux qu’on visite.
Comme l’a observé le sociologue britannique John Urry dans “The Tourist Gaze”, tel que rapporté par Wired, on utilise aussi les photos pour créer “nos propres images” des lieux visités afin d’en prouver notre passage.
L’idée de faire de beaux clichés s’est ainsi inscrite dans les objectifs du tourisme. Certains entrepreneurs y ont vu l’occasion de créer des applications dédiées à la photographie, comme “Depalo” qui dévoile les endroits les plus “Instagramables” aux États-Unis, ou “Really Good Photo Spots”, qui déniche les lieux les plus pittoresques à photographier à travers le monde.
Or, cette idée ne date pas d’hier. De nombreux lieux touristiques ont déjà mis à la disposition des visiteurs des plateformes conçues pour leur offrir les plus belles photographies de voyage.
L’arrivée des réseaux sociaux a aussi largement bousculé le rapport des touristes à la photo. Ces derniers ont commencé à publier leurs clichés, qu’ils pouvaient améliorer grâce à de nombreux “filtres”, sur les réseaux sociaux, se forgeant au passage un historique de voyage et une certaine image de soi.
Les influenceurs et entreprises du tourisme ont aussi investi ces applications pour faire la promotion de certains lieux ou évènements à la manière des brochures touristiques.
Mais l“addiction” à la photo a bel et bien saisi le public au sens large. Il n’y a qu’à observer son entourage lors d’une visite au musée: il ne se passe pas une minute sans qu’on aperçoive des visiteurs photographier le décor sous toutes ses coutures.
On ne peut nous-même pas résister à l’envie de dégainer notre smartphone devant une belle peinture ou un monument connu.
Si le tourisme tel qu’on le connaît existe depuis bien longtemps, il s’est largement démocratisé au cours des deux derniers siècles et en particuliers depuis le début des congés payés en France en 1936.
Évidemment, l’idée de vouloir immortaliser des moments familiaux au bord de la plage ou de photographier de beaux paysages ne date pas d’hier. On utilisait autrefois des appareils plutôt coûteux et encombrants, avant d’avoir accès aux fameux argentiques de la marque Kodak qui ont duré jusqu’à l’arrivée du numérique au début des années 2000.
Depuis, notre capacité à documenter facilement chaque parcelle de nos excursions touristiques a été rendue possible grâce aux nouvelles technologies. Leur développement rapide ces dernières années a donné naissance à des appareils photo à la fois très performants et faciles à transporter.
Le sociologue et auteur du “Manuel de l’antitourisme”, Rodolphe Christin, a observé cette évolution technologique. “Autrefois, prendre des photos avait un certain coût car il fallait un appareil, des pellicules et les faire développer”, explique-t-il. “Il y avait donc un côté économique lié à la prise de photo qui faisait qu’on y allait avec un peu plus de sobriété.”
De leur côté, les entreprises du numérique n’ont pas manqué l’occasion d’user de stratagèmes pour attirer les convoitises sur leurs marchandises, au point de les rendre totalement incontournables chez les consommateurs.
C’est vite devenu le cas des fameux smartphones, ces téléphones portables intelligents dont l’option photo évolue constamment pour optimiser la qualité des clichés. Leur légèreté et leurs capacités multiples les rendent même plus populaires chez les touristes, malgré la qualité d’image souvent plus élevée des appareils photo.
Les réseaux sociaux ont ensuite fait leur entrée fracassante, offrant la possibilité de créer des albums photos en ligne et de les partager sur la sphère publique. Vincent Pastorelli, consultant en réseaux sociaux et vidéo, analyse régulièrement le phénomène: “Il y a cette notion de ‘storytelling’ et de mise en scène où on raconte sa propre vie.”
Or selon une étude menée par une chercheuse de l’université de Fairfield dans le Connecticut, notre addiction à la photo pourrait aussi diminuer nos capacités à nous souvenir des moments photographiés.
“Les gens sortent si souvent leurs appareils photo, presque sans réfléchir, qu’ils peuvent rater ce qu’il se passe juste devant eux”, explique Linda Henkel. Elle a appelé cet effet le “Photo-Taking-Impairment Effect” (l’effet de déficience derrière la photo).
“Lorsqu’ils utilisent un appareil photo pour enregistrer un moment, les gens n’ont plus besoin d’y assister pleinement”, ajoute-t-elle. “Cela peut avoir un impact négatif sur leur manière de se rappeler ces expériences.”