Le 26 mars dernier, après deux années de débats houleux (et une grande bataille pour Julia Reda, notre ancienne eurodéputée), le parlement européen adoptait une directive européenne du droit d’auteur.
Quand on dit houleux, on a toujours en tête l’eurodéputé Jean-Marie Cavada accusant les GAFAM de « corruption » et d’être « terroristes Pac-Man » ou Wikipedia de faire campagne « avec l’argent de Google ». [1]
Dans cette directive[0], il y a un article sur la presse (l’article 15, anciennement article 11). Cet article prévoit la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse. Pour simplifier, à chaque fois que les plate-formes en ligne (Google, Facebook) utilisent un contenu issu d’un site de presse, elles doivent verser un droit d’utilisation au site de presse. Une exception cependant, faire un simple lien vers un site est exclu du droit voisin (taxer un lien internet, c’est tuer internet … on n’est pas passé loin du pire).
Pour le moment, quand vous copiez/collez le lien d’un article de presse sur Facebook ou quand vous allez dans Google actualités, vous avez le lien vers l’article, mais aussi le titre de l’article, une illustration et une accroche de l’article. C’est cette technique qui est visée par la directive.La France, toujours à la pointe, est l’État qui a transposé le plus rapidement cette directive dans son droit, elle a été publiée fin juillet. La loi va donc entrer en vigueur dans peu de temps …
Le problème, c’est que Facebook et Google ont décidé d’appliquer la loi. Pour cela, ils ont mis en place un système permettant aux éditeurs de presse d’autoriser ou non les illustrations et courtes citations. Si l’éditeur est d’accord, les illustrations et courts extraits seront là, sinon, un simple lien sera affiché.
Scandale chez les éditeurs de la presse française [2], on dénonce une décision unilatérale, les GAFAM refuseraient de respecter « l’esprit et la lettre » de la loi.Pire encore, les choix proposés par les GAFAM mépriseraient la démocratie, la souveraineté nationale et européenne. C’est la porte ouverte vers les infox et la désinformation.
Oui parce que bon, les GAFAM qui fournissent gratuitement un service à leurs utilisateurs, sans publicité, qui génèrent gratuitement un flux important de visiteurs vers les sites de presse et qui proposent d’ailleurs aux éditeurs de presse des plateformes d’annonces publicitaires, des outils de statistiques précises des visiteurs… Ce n’était pas assez. Il fallait bien, en plus de fournir du trafic gratuitement, que les GAFAM paient pour cela…
Alors naturellement, les GAFAM, moyennement emballés par l’idée de payer un outil qui génère gratuitement des visites sur les sites de presse, ont décidé d’appliquer la loi. Avec une approche simple. Soit vous êtes d’accords pour que l’on génère les liens comme d’habitude, gratuitement, avec un joli petit encadré qui met l’eau à la bouche comme avant, soit vous voulez qu’on paie et on proposera un simple lien.
C’est tellement évident qu’on se demande pourquoi personne n’y avait pensé plus tôt, non ?
Lors de la précédente mandature, Julia Reda, une députée européenne issue du Parti Pirate allemand, a alerté de nombreuses fois sur les failles de cette directive [3] [4] Tim Berners-Lee lui-même s’est inquiété des risques possibles de cet article [5].
En septembre 2018, devant le ministère de la Culture, une phrase est lancée : « Cela fait des années que des pays d’Europe, l’Espagne, l’Allemagne ont essayé d’adopter une rémunération normale pour que Google ou Facebook, qui s’enrichit grâce à la presse, rémunère aussi votre travail.« [6]
Et en effet, Monsieur Tronc, numéro 1 de la SACEM, a raison. L’article 15, l’Allemagne et l’Espagne l’ont tenté.
L’Espagne est un cas intéressant. En 2014, le pays décide de mettre en place une compensation financière aux éditeurs de presse par les sites qui indexent et affichent une partie de leur contenu. Cette taxe, non négociable (l’éditeur ne peut pas autoriser gratuitement la publication de ses articles) à une conséquence simple, la fermeture de Google Actualités en Espagne.
Alors le législateur bruxellois a pris en compte ce problème, et a proposé que les éditeurs de presse puissent ou non réclamer cette compensation, en se disant qu’avec 500 millions d’habitants, on ferait sans doute plus peur que l’Espagne et ses 46 millions d’habitants …
Prenons maintenant le cas de l’Alllemagne. La loi allemande est très proche de la directive européenne. Après quelques semaines d’application, le leader de la presse allemande (l’éditeur Axel Springer) voit le trafic vers ses sites de presse chuter de 40 %. Presque 100 000 € de perte par jour et par site. Après quelques jours, l’éditeur accepte les conditions du moteur de recherche.
Du coup, entre l’Allemagne et l’Espagne, on a un test grandeur nature concernant 25 % de la population Européenne… Il faut croire que ce n’était pas suffisant pour la France…
Les éditeurs de presse ont beau tenter de retourner le problème dans tous les sens, de trouver l’approche des GAFAM méprisante ou déloyale… Ce qui se passe en ce moment était prévisible, avait été annoncé, par beaucoup de monde, par des élus, par des mouvements citoyens, par des lobbies, par les GAFAM eux-mêmes.
Alors, finalement, qu’est-ce qu’on peut dire à une personne qui se plaint d’avoir mal après s’être tiré une balle dans le pied ?
SOURCES
[0] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32019L0790&from=FR
[1] https://www.nextinpact.com/brief/directive-droit-d-auteur—les-gafa–des—terroristes-pac-man—selon-cavada-8226.htm
[2] https://www.lalsace.fr/france-monde/2019/10/27/pourquoi-vous-ne-voyez-plus-de-photos-quand-vous-partagez-nos-articles-sur-facebook
[3] https://juliareda.eu/2017/12/detruire-le-web/
[4] https://juliareda.eu/eu-copyright-reform/extra-copyright-for-news-sites/ [EN]
[5] https://www.bbc.com/news/technology-44482381 [EN]
[6] https://www.nextinpact.com/news/107692-directive-droit-dauteur-leurodeputee-julia-reda-accuse-lafp-conflit-dinterets.htm
[7] https://www.01net.com/actualites/un-jour-avant-sa-fermeture-les-media-espagnols-regrettent-deja-google-news-637166.html
[8]https://www.touteleurope.eu/actualite/qu-est-ce-que-la-directive-europeenne-sur-le-droit-d-auteur.html