Vous avez aimé les Rectifications orthographiques de 1990 ? Vous allez adorer celles de 2030 ! C’est bien connu : quand une mayonnaise ne prend pas, on y ajoute quelques gouttes de vinaigre et on ressort le fouet.
Vous pensez vous aussi que mieux vaudrait la jeter ? ne pas singer l’entêtement de ces docteurs des sciences de l’éducation qui, à force de fuites en avant, ont plongé notre école dans le désarroi ? Ce serait compter sans nos linguistes, lesquels, dans une récente tribune hébergée par Le Monde, entendent bien ne rien changer à une formule qui perd, préférant rejeter la responsabilité de l’échec sur éditeurs et médias de la presse écrite.
Repoussé sine die, l’engagement de s’en remettre à l’usage ! Celui-ci n’avait été invoqué que pour fléchir une Académie réticente. Reniée, la promesse inaugurale de « laisser du temps au temps » ! Quand ledit temps vous désavoue, il n’est plus temps de l’écouter. Retoqué, le « toilettage » qui n’osait s’appeler réforme ! On piaffe à présent aux seules idées d’en découdre avec l’accord du participe passé et de « republier nos classiques », entendez par là – fi des euphémismes ! – les récrire.
Et ne nous avisons pas, manants de l’expression, sans-dents de l’écriture, ratés de l’évolution linguistique que nous sommes, d’émettre la moindre objection : elle serait aussitôt, et non sans morgue, jugée « folklorique » par ces juges suprêmes qu’a au contraire touchés la grâce. Nous ne voudrions pour rien au monde les « atterrer » davantage ! Remercions plutôt ces héros du quotidien d’avoir le « courage » d’agir, de pourfendre cet obscurantisme qui, à les en croire, étouffe notre langue depuis des lustres.
Il est pourtant à craindre que, pour nombre d’entre nous, ce courage-là consiste surtout… à n’en plus exiger des « apprenants » à venir. Encore si cette démission pure et simple pouvait influer sur les performances d’iceux aux classements PISA ! Le hic, c’est qu’elles sont tout aussi calamiteuses, sinon plus, en… mathématiques. En sera-t-on bientôt réduit à dénoncer également l’illogisme et les incohérences de ces dernières ?
Mais voilà qu’à notre tour nous donnons dans le folklore au lieu de nous incliner devant tant de science et de dévouement. Hâtons-nous au contraire de déconstruire notre langue comme le reste : il eût été étonnant qu’elle fût la seule à résister à cette frénésie ambiante qui nous porte à brûler ce que nous avons adoré…
Bruno Dewaele
L'inscription du français dans la Constitution de la France remonte seulement à 1992. C'est l'une des informations que vous (re)découvrirez à la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts dont les portes sont désormais ouvertes.
La Cité internationale de la langue française est ouverte au public depuis le 1er novembre 2023, l'occasion d'en apprendre davantage sur cette langue qui permet à plus de 320 millions de personnes de communiquer à travers le monde. Une visite du parcours permanent vous en révélera les mille et un secrets (de polichinelle parfois). En attendant, en voilà déjà sept avec les explications de Xavier North, le commissaire principal du parcours permanent dédié au français à Villers-Cotterêts.
Depuis 1992, cette phrase est inscrite dans la Constitution française et, non pas "le français est la langue de la République" parce qu'il est la langue de pays autres que la France, souligne Xavier North, le commissaire principal du parcours permanent dédié à "L'aventure du français" dans la nouvelle Cité internationale de la langue française. Cette inscription, rappelle-t-il, a coïncidé avec l'ouverture du "grand marché européen, c'est l'année où tombent les frontières en Europe". L'occasion est propice pour la France de réaffirmer "sur quoi repose son identité". "Le législateur a éprouvé le besoin de marquer, de souligner fortement que ce qui fait de nous des Français, c'est parler français", indique le commissaire. Il est "un élément constitutif de notre identité au même titre que l'attachement à un territoire".
Le français apparaît depuis des siècles comme un instrument au service de l'État en France. "C'est une langue, qui dans sa dimension politique justement, a été instrumentalisée par un pouvoir, affirme Xavier North. D'abord le pouvoir royal, puis la République. On en a fait l'instrument d'une unification politique de la Nation. Autrement dit, nous sommes dans un univers ou l'unité politique et l'unité linguistique de la Nation ont marché de pair, ont fonctionné ensemble. Ce qui explique, alors même que ce pays est fondamentalement plurilingue – on a toujours parlé plusieurs langues en France – , que c'est un monolinguisme officiel qui s'est imposé. L'ordonnance de Villers-Cotterêts a joué un rôle considérable à cet égard", explique Xavier North.
Quelques siècles après ce document qui fait du français la langue administrative et juridique, "au moment de la Révolution française, seul un tiers des Français (le) parlaient". La langue française s'est finalement imposée "très lentement". En faisant de la Cité internationale de la langue française "son" projet culturel, le président Emmanuel Macron s'est inscrit dans cette vieille tradition politique singulièrement française.
Le français est utilisé par 321 millions de locuteurs, ce qui en fait la 5e langue la plus parlée au monde après l’anglais, le chinois, l’hindi et l’espagnol. C'est la 4e langue la plus présente sur Internet, derrière l’anglais, l’espagnol et l’arabe. De même, "le français est la 2e langue la plus apprise dans le monde par plus de 50 millions d’individus", selon l'Observatoire de la langue française. Et ce n'est pas Paris, la ville où l'on parle le plus français mais Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, au centre du continent africain qui abrite la majorité des francophones. Selon Xavier North, la meilleure défense du français et par conséquent la bonne formule pour laisser son empreinte partout dans le monde, est sa littérarité. En d'autres termes, sa capacité à produire des concepts qui ne peuvent s'énoncer que dans cette "langue-monde".
C'est la seule institution de l'Union où le français occupe cette place. La Cour européenne a ainsi préservé sa dimension juridique. L'institution délibère ainsi dans cette langue. Le français est sa langue de travail : un cas est introduit dans sa langue originelle, traduit en français et les juges rendent leur verdict dans cette même langue. Leur décision est ensuite retranscrite dans les 23 autres langues de l’Union. "C'est la langue d'un droit européen", résume Xavier North.
"La réalité du français dans le monde, c'est celle-là (...) : le français est toujours en coexistence avec d'autres langues", analyse Xavier North, avec "l'arabe au Maghreb", "l'extraordinaire foisonnement des langues africaines, il dialogue avec l'anglais et ce dialogue est conflictuel en Amérique du Nord parce qu'il y a des rapports de force entre les langues". Le français est "toujours en contact avec d'autres langues" et "c'est ce qui lui confère sa fonction médiatrice". Il est "par excellence une langue de dialogue entre les cultures". Sur son territoire d'origine, le français cohabite avec l'arabe, langue la plus parlée après lui, et 72 langues régionales.
L'écrivaine Annie Ernaux a été distinguée en 2022 par le prix Nobel de littérature, pour "le courage et l'acuité clinique avec lesquels elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle". Elle est ainsi devenue le 16e auteur français à recevoir la prestigieuse récompense littéraire. "La France, explique Xavier North, est le pays qui a gagné le plus grand nombre de prix Nobel de littérature." De même, après l'anglais, le français occupe le deuxième rang des langues qui en ont le plus reçu.
Pourquoi la périphrase "La langue de Molière" désigne-t-elle le français ? Contrairement à Racine et à Corneille, répond Xavier North, "Molière parle, lui, la langue des Français : des aristocrates, des bourgeois, des médecins, des paysans (…), le patois a sa place dans les pièces et même la lingua franca, la langue des marins.Toutes les manières de parler français à l'époque de Molière figurent dans son répertoire dramatique."
COMMUNIQUÉ
Le Haut Conseil international de la langue française et de la francophonie* (HCILF) transmet le message suivant :
Le peuple français et les peuples des pays et communautés de langue française de Belgique, Canada, Québec, Suisse, et d’ailleurs, ACCUSENT :
une oligarchie mondialiste de viser une hégémonie universelle en épandant et imposant partout un anglais de commerce déculturant ;
trois institutions de l’Union européenne (Commission, Parquet, Cour des Comptes) de s’en faire les instruments en imposant – post-Brexit ! – l’anglais langue de travail unique en leur sein, décisions violant les textes fondateurs de l’UE : Traité de Rome, Charte des Droits, Règlement des langues ; nos associations attendent que le président de la République obtienne du Conseil de l’UE sous la présidence française le rétablissement d’un vrai pluralisme des langues : promesse écrite reçue de M. C. Beaune, secrétaire d’État aux Affaires européennes ;
la Cour de justice de l’Union européenne de déni de justice pour s’être déclarée incompétente sur le fond, déboutant notre association agréée qui la priait – preuves requises à l’appui – de sanctionner l’illégalité des trois décisions ; déni aggravé par le passage de fait du droit romain au droit coutumier anglo-saxon : le fait accompli illégal dure, fait jurisprudence, puis devient loi (« common law »), le remplacement de langue et celui de droit allant de pair, impérialement ;
les gouvernements français, belge, wallon, canadien, québécois, suisse, de ne pas faire appliquer leurs législations linguistiques : Constitution française (art. 2 et 87), lois Toubon (1994) et Fioraso (2013 pour l’enseignement supérieur trop en anglais) ; loi 101 au Québec... et de laisser pervertir administrations, écoles et universités par une idéologie et une novlangue américaines « déconstructrices » de l’histoire et de la langue de leur pays ;
des tribunaux administratifs français de complaisance coupable, pour avoir débouté nos associations qui attaquaient des décisions illégales de ministères et d’universités, et s’être ainsi rendus complices du remplacement du droit français par une « common law » de fait ;
Le Haut Conseil international de la langue française et de la francophonie (HCILFF) invite donc les gouvernements cités à entendre le message de leur peuple et à appliquer la loi.
Il invite les Français et toutes personnes de langue française présentes à Paris le 20 mars, et voulant – pacifiquement mais clairement – rejeter l’arrachage de leur langue, et affirmer leur attachement à leur civilisation, à confluer dès 14 h vers la Montagne Sainte-Geneviève et le Panthéon pour un rassemblement-forum au-delà de toutes les opinions politiques, à y entendre nos appels, puis à suivre notre cortège dans le Quartier latin, haut lieu de l’humanisme et de l’universalisme européens, pour appeler ensemble à un urgent sursaut civilisationnel.
Au nom du Haut Conseil : son secrétaire général Albert Salon, ancien ambassadeur. Contact : Avenir de la langue française (ALF), 34 bis, rue de Picpus, 75012, Paris, albert.salon0638@orange.fr tél 0768 87 16 01.
Reçu ce matin ce communiqué de l'A.FR.AV (Association francophonie avenir) et de son président Régis Ravat, que je crois utile de porter à la connaissance des habitués de ce blog :
Madame, Monsieur,
Une forfaiture civique et linguistique, une de plus, est en train de se mettre en place dans notre pays, et cela a été annoncé, qui plus est, le 16 mars 2021, durant la Semaine mondiale de la langue française et de la francophonie :
LA FUTURE CARTE D'IDENTITÉ DES FRANÇAIS VA DEVENIR BILINGUE FRANÇAIS-ANGLAIS !
Nouvelle provocation contre les francophones et les amis de la langue française en France et dans le monde : le gouvernement a choisi la Semaine de la francophonie et de la langue française pour présenter, sans le moindre débat parlementaire préalable, son projet de nouvelle carte d'identité bilingue où les rubriques sont toutes libellées en français et... en anglais.
L'anglicisation en marche !
Ça ne suffisait pas à l'équipe gouvernementale en place de fermer les yeux sur les innombrables entorses des grandes firmes « françaises » privées et publiques (Renault, PSA) qui basculent leur communication technique vers le tout-anglais ou qui nomment leurs produits et enseignes en anglais (« Ma French Bank », « TGV Night », etc.).
Ça ne lui suffisait pas non plus de laisser nombre de grandes écoles et d'universités multiplier les enseignements en anglais destinés... à des francophones dans toutes sortes de disciplines pendant que, illégalement, toutes sortes de collectivités publiques rebaptisent leurs « territoires » en anglais (« Oh my Lot ! », « Only Lyon », « In Annecy Mountains », « Purple Campus », « Lorraine Airport », etc.).
Enfin, ça ne suffisait pas au gouvernement de laisser la Commission de Bruxelles, sans aucune protestation française qui fût à la hauteur de cette forfaiture, installer le fait accompli d'une communication européenne exclusivement délivrée en anglais.
Voilà maintenant que l'État français lui-même décide de passer outre l'article II de la Constitution (« la langue de la République est le français ») et de violer lui-même, et fort grossièrement, la loi Toubon de 1994 (« la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France » en éditant une carte d'identité dont l'effet réel sera de désétablir le français de son rôle de seule langue officielle du pays, de le reléguer au rang de langue locale en niant sa dimension internationale et d'instituer du même coup l'anglais – et cela en plein Brexit ! – comme seule langue internationale reconnue par la France.
De plus en plus se confirme la volonté, voire l'acharnement des milieux dominants imbus d'idéologie atlantiste et « post-nationale » de désétablir à toute vitesse notre langue nationale, premier service public de France, socle de la République indivisible et ciment de la francophonie internationale.
Cette carte d'identité de la honte est un test de la résistance civique et linguistique des citoyens.
Si nous, citoyens français, laissons passer cette grossière forfaiture linguistique, le pouvoir saura qu'il peut donner son feu vert à l'entreprise visant à faire de l'anglais la seule langue de travail de l'UE, puis à en faire une langue co-officielle en France même : ce qui accélèrera prodigieusement la politique linguistique d'arrachage du français, de substitution systématique de l'anglais à notre langue maternelle commune et de basculement général, en France et dans le reste de l'UE, à la langue unique ardemment désirée par la finance et par les grandes sociétés transnationales, avec tous les énormes dangers que cela représente sur les plans économique, social, culturel et politique.
C'est pourquoi nous, associations de défense du français, adjurons les parlementaires, les intellectuels, les syndicalistes, les journalistes, d'interpeller fortement le président de la République et le gouvernement, qui jusqu'ici n'ont même pas la courtoisie démocratique de répondre à nos adresses citoyennes, pour qu'ils retirent au plus tôt ce projet attentatoire à la loi, à la Constitution, à la personnalité même de la France et à la langue commune du peuple français et des autres peuples de la francophonie internationale.
Albert Salon, ancien ambassadeur, président d’honneur d’Avenir de la Langue française (ALF), président du FFI-France, et secrétaire général du Haut Conseil de la langue française et de la francophonie (HCILFF)
Georges Gastaud, philosophe, président exécutif de CO.U.R.R.I.E.L. (Collectif unitaire républicain pour la résistance, l'initiative et l'émancipation linguistiques)
Catherine Distinguin, présidente d'Avenir de la langue française (A.L.F.)
Ilyes Zouari, président du Centre d'études et de réflexion sur le monde francophone
Thierry Saladin, secrétaire de l'A.FR.AV. (Association francophonie avenir)
Philippe Reynaud, président de Défense de la langue française (D.L.F.) en pays de Savoie, ainsi que M. Lucien Berthet, DLF en pays de Savoie.
Depuis plusieurs semaines, on en parle de plus en plus. Il faut croire que le sujet devient une controverse qui ébranle tout le monde. On pourrait trouver fou que chacun considère un fait de langue si capital, si digne de révolte, si révélateur de la pensée, dans un camp comme dans l’autre. Car les camps s’affrontent, et là, en revanche, c’est moins drôle. Je ne retranscrirai pas de propos précis ici mais j’ai été stupéfaite de lire de véritables insultes, parfois vulgaires, prononcées à l’encontre de F féministes qui prônent ces bêtises, ou de ces F (aussi) vieux réacs qui ne veulent pas changer la langue alors qu’elle est tellement macho, notre bonne vieille langue. Vous ne le saviez pas ? Une macho finie. C’est vrai, on apprend aux petites filles que « le masculin l’emporte sur le féminin », les temps ont changé, non ? Et si on propose de remettre un peu le féminin aux commandes, les vieux s’insurgent, quelle honte, ne touchez pas à mon orthographe. Bref. J’arrête-là, mais je caricature à peine, à mon grand regret. (Il suffit d’écouter un débat radiophonique ou d’ouvrir twitter pour être soufflé de toute cette violence, terrassé par ces arguments, toujours les mêmes, et parfois faux, des deux côtés.)
Avant de commencer, il faut aussi préciser quelque chose. Cet article n’est pas un article de fond, une référence, un manifeste. Il s’agit simplement de nos deux avis. Mon avis, celui d’une femme (et ça compte), agrégée de lettres, et professeure de lycée. Et l’avis de mon mari, ce chercheur en linguistique antique spécialiste du genre. (Oui.) Tous les deux, nous sommes sensibles à ce sujet passionnant qu’est l’évolution des genres dans les langues occidentales. Nous avons même prénommé notre fils… Camille, ce si joli nom épicène, il faut croire que nous avons toujours eu quelque chose avec cette question du masculin et du féminin.
Voici donc notre petit avis, je vais tenter de le rendre le plus bref et le plus clair possible, mais aussi le plus complet, et le plus lisible. C’est un avis de passionnés de la langue, dans son ensemble, et de toutes les réflexions qui gravitent autour d’elle. Je compte donc sur votre compréhension et votre bienveillance. Si cela permet de clarifier les choses pour beaucoup, nous en serons ravis, mais chacun pense ce qu’il veut et nous n’avons pas envie de convertir (ni de froisser) qui que ce soit. Il s’agit surtout de nuancer plusieurs idées que l’on entend beaucoup, et d’inviter chacun à être mesuré sur la question.
D’abord, je vais essayer de rappeler très brièvement les faits, si (vous vivez sous un caillou et que) vous n’avez pas trop entendu parler de tout ça.
On entend en cette fin d’année l’expression « écriture inclusive » partout. Elle est présentée comme une idée portée par les mouvements féministes et comme un concept en train de s’imposer, d’autant plus qu’un manuel scolaire l’a adoptée récemment. Il s’agirait donc de « réformer l’orthographe et la syntaxe », et l’on « attend que l’académie fasse une loi ». (C’est ainsi qu’on peut le lire dans les journaux.)
Mais qu’est-ce que c’est d’abord, cette écriture ?
En fait, c’est compliqué, mais ce qu’on entend beaucoup, ce que les médias (et les gens) retiennent, c’est : une mise en valeur du féminin dans la langue, passant par une féminisation des noms de métiers, la précision du genre féminin s’il y a lieu (celles et ceux qui…), ou grâce notamment au point en haut (les éditeurs・trices) (ou iels, ou celleux) , l’abolition du « masculin qui l’emporte », en « rétablissant l’accord de proximité », on pourrait dire « les hommes et les femmes sont belles », ce qu’on faisait avant que des grammairiens statuent là-dessus au XVIIIème, et hop, exemple de Racine (toujours le même exemple d’ailleurs), tenez tenez, «Armez-vous d’un courage et d’une foi nouvelle» (Athalie), vous voyez ?
Bon.
Autrement dit, sans rentrer dans le contenu des propositions, il y a déjà des précisions à apporter. Je mettrai en vert les arguments que l’on entend beaucoup et qui posent problème, en expliquant ensuite pourquoi.
« Il faut réformer l’écriture, la grammaire est sexiste. » // « Qu’est-ce que c’est que cette réforme, conservons l’orthographe telle qu’elle est. »
Le premier problème, c’est de penser que la langue est une loi. (J’en avais longuement parlé dans mon article sur la réforme sur l’orthographe, si vous voulez en savoir plus.) Dans la langue il n’y a pas de loi. Donc pas de réforme. On entend beaucoup dire que les enseignants qui veulent enseigner l’écriture inclusive « ne respectent pas la règle et sont hors la loi, condamnables ». Mais… il n’y a ni loi, ni loi à changer ! Il y a un usage. La langue n’existe que par ce que nous faisons d’elle, ce que nous prenons l’habitude de dire.
Et c’est là un point qui nous semble crucial : d’un côté comme de l’autre, on ne pourra pas dire « allez hop maintenant on va faire comme ça ». La plupart du temps, la règle officielle ne suffit pas. On ne vote pas ça comme on vote une loi. La langue ne repose que sur des usages.
Si vous êtes écrivain, ou écrivaine, vous pouvez tout à fait choisir d’écrire en écriture inclusive. Ou pas. C’est un choix, selon vous-même, selon votre éditeur, selon vos futurs lecteurs, dans un cas comme dans l’autre. Rien n’est interdit. Il y a certes des normes, mais surtout un usage, mais l’usage a toujours primé et primera toujours.
Bien sûr, il est vrai aussi que parfois les normes vont contre l’usage, comme si elles étaient un peu périmées, et il faut qu’elles soient adaptables. Mais elles ne sont périmées qu’à cause de ce que la majorité adopte comme usage, on ne peut pas forcer une majorité à adopter une manière de parler.
« L’académie française, c’est une bande de vieux qui décide de tout, et qui décide n’importe quoi. Je vais leur écrire. «
L’académie en a parfaitement conscience, : ce n’est pas elle qui fait la langue. C’est lui donner mille fois plus d’importance qu’elle n’en a vraiment ! Les académiciens font leur propre dictionnaire, il font des recommandations, mais c’est tout. Ce n’est pas un parlement de la langue. Leurs recommandations ne sont d’ailleurs pas toujours raccord avec le Robert, ou le Littré ou le Larousse. On peut trouver des informations différentes d’un dictionnaire à l’autre, ce qui surprend souvent les gens qui prennent un dictionnaire pour un code pénal. Mais non ! Une langue est mouvante. Il y a des normes qui aident à se comprendre les uns les autres mais l’usage domine ces normes.
« C’est faux d’écrire iels, c’est juste d’écrire il et elles » (ou l’inverse.)
On a un problème avec l’orthographe en France parce que c’est si compliqué que des générations ont été traumatisées par ça et on entretient l’idée selon laquelle il y a « le bon » et le « pas bon ». Le faux et le juste. Mais l’affaire est bien moins binaire, et tout dépend des époques, et des contextes. Voilà qui est regrettable : aucun des deux camps n’est mesuré là-dedans.
« Il faut l’enseigner à l’école. »
Alors, ne me fustigez pas, nous décidons simplement de vous donner notre avis. L’école est souvent très en retard sur plein de choses dans l’évolution de la société, parce qu’il reste sans doute préférable qu’elle s’adapte à l’usage, et non l’inverse. Son but reste de former des élèves à s’intégrer dans la vie du travail, et même, la vie en général. Si cette écriture inclusive (dans son aspect acteur•trice•s et celleux) est promue par un tout petit nombre de personnes (parce que ça reste le cas, qu’on le veuille ou non), je crois qu’il faut préférer enseigner l’usage majoritaire. Pour l’instant l’usage dominant c’est l’autre. L’école ne peut pas prendre les devants. Elle n’a pas à le faire. Si les auteurs décident d’écrire davantage ainsi, si les entreprises, les employés, à tous les niveaux, l’adoptent, imaginons, dans 50 ans, ou plus, si on la trouve partout, cette écriture iels ou candidat•e, là on l’enseignera. Mais aujourd’hui, l’école ne peut pas suivre une mode tant qu’on ne sait pas si c’est une mode ou si c’est durable.
L’écriture inclusive repose sur plusieurs grands principes. Ce sont ces principes qui sont au coeur des débats que l’on entend en ce moment, alors, prenons le temps de les examiner.
♦ »Accorder en genre les noms des fonctions, grades, métiers et titres. » (Exemples, que je cite depuis écriture-inclusive.fr : « présidente, intervenante, directrice, chroniqueuse, professeure. » )
Alors là… il est évident que cela relève du bon sens. Et même… c’est déjà très largement le cas ! (Mon correcteur orthographique n’a pas tiqué lorsque j’ai tapé ces mots d’ailleurs.) C’est tout à fait entendu à l’oral, d’ailleurs l’usage se l’est approprié. Le besoin est né, l’usage a su évoluer. Alors, évidemment, certains préfèrent encore dire « madame le professeur », ou « madame le ministre ». Mais il faut être honnêtes : l’usage populaire a déjà imposé le féminin. Allez dans n’importe quel café du commerce, je vous mets au défi d’entendre quelqu’un dire autre chose que « la ministre ». C’est là un point véritablement important : cela s’impose dans l’usage, et donc dans la langue, et donc, il n’y a même pas de débat à avoir là-dessus. On ne peut pas « décider que désormais tout le monde dira ou écrira » A ou B. Les mots sont vivants, ils naissent lorsque nous en avons besoin.
Et, parlons-en d’ailleurs : ce n’est pas (selon moi, mais vous avez le droit de ne pas être d’accord) le langage qui a créé des femmes ministres. Ce n’est pas la mise au féminin du nom qui a encouragé la féminisation de la fonction. C’est la société, c’est la réalité, et le langage a suivi. Je ne crois donc pas que l’on puisse dire que si l’on impose une adaptation de la langue qui irait dans le sens d’une mise en valeur des femmes, on ferait changer la société. Cela se produit toujours dans la langue : quand on a besoin d’un mot, on le crée. Le féminin se met à exister pour être plus clair, plus logique à l’oreille. (Et « Madame la ministre », c’est plus logique à l’oreille.) (Après, militer pour qu’il y ait plus de femmes ministres, ou présidentes, là, je suis bien d’accord avec vous, mais c’est un autre sujet ! ) En bref : cet accord se fait de lui-même, avec le temps, dans l’usage, puis à l’écrit.
♦User du féminin et du masculin, par la double flexion, l’épicène ou le point milieu. Exemples (je cite toujours ce site) « »elles et ils font », « les membres », « les candidat·e·s à la Présidence de la République », etc. »
Il y a plusieurs soucis là-dedans, mais qui ne sont pas vraiment des soucis, et je vais essayer de les expliquer clairement, sans trop rentrer dans des détails techniques.
(Accrochez-vous et enfilez votre costume de linguiste, ou de philosophe, vous allez voir c’est amusant.)
Le principe de l’écrit est au départ d’exister pour figer quelque chose de dit. Le principe d’une langue est d’être la version sur le papier d’une langue orale. Tout écrit doit pouvoir se dire. Il existe un cas ou l’on s’éloigne un peu de ce principe : le cas des abréviations. Toutefois, cela correspond quand même à quelque chose qu’on peut développer à l’oral. (Si j’écris qqch, je peux le prononcer « quelque chose ».) Sur des milliers d’années d’écriture, la seule petite différence qui ait existé entre l’écrit et l’oral se situe ici, sinon, tout écrit est prononçable. Même la ponctuation est une retranscription écrite de quelque chose d’oral.
Le problème de l’écriture avec le point en haut se situe donc ici : en plus d’être délicate à lire, elle est proprement imprononçable. Ce serait donc rompre un lien ancestral, et cela pose un problème de fond. Tout texte écrit doit pouvoir être lu. Comment faire, alors, si on écrit «iels sont fier.e.s », comment dire ? « Iels sont fiereuess? » Ou alors doit-on lire «ils et elles sont fier et fières », et alors, on considère « l’écriture inclusive » comme une abréviation ? Dans ce cas pourquoi ne pas l’écrire en entier ? Le voilà, le premier souci de cette histoire de point en haut. On ne peut pas considérer l’écrit en faisant abstraction de l’oral.
Evidemment, plus ça va, plus il y a un fossé dans notre langue entre l’écrit et l’oral, plus on idéalise l’écrit, on utilise à l’écrit des élégances dont on se passe à l’oral, évidemment. Mais normalement, et, quoi qu’il arrive, fondamentalement, c’est indissociable, on ne peut penser l’un sans l’autre.
Eh, dites, si on se mettait à conseiller de préciser à chaque fois le masculin ET le féminin (c’est ce qui s’appelle la « double flexion » : « celles et ceux », « tous et toutes»…) ? Comme ça, on peut le prononcer !
Alors. C’est un fait : il existe dans la langue française (comme dans toutes les langues occidentales) un masculin pluriel qui englobe masculin et féminin. Je reviendrai sur l’origine, mais techniquement,et sans être linguiste, tout le monde sait qu’on dit « vous êtes arrivés » si le pronom « vous » désigne à la fois des femmes et des hommes. On dira de même pour des objets : « chez nous, les fourchettes et les couteaux sont verts ». (L’autre jour en faisant mes courses, j’entendais un enfant dire à sa soeur « ils sont où, papa et maman ? ». Ce dernier avait donc intégré sans y réfléchir que pour désigner un masculin + un féminin, on utilise le masculin pluriel, sans que ce « masculin » exclue le féminin, me suis-je dit, avant d’aller au rayon pâtes.) Encore une fois, j’y reviendrai, mais je voulais préciser cela pour mieux situer les choses.
Or, ce masculin pluriel globalisant commence parfois à nous gêner, (« nous » au sens de « nous tous utilisateurs de la langue française »), et nous sentons de plus en plus le besoin de préciser le genre féminin lorsque nous parlons de référents animés, pour bien indiquer que nous ne l’oublions pas. (L’enfant des courses n’en a pas besoin, par exemple, il ne dira jamais « il et elle sont où, papa et maman ». En revanche, on peut imaginer qu’on commence une annonce par « les danseuses et les danseurs », ou « les musiciennes et les musiciens », parce qu’on a peur que l’utilisation de « les danseurs » n’indique pas assez qu’il peut y avoir des danseuses dedans, et la même chose pour « les musiciens ».)
Là encore : c’est un fait, on le dit de plus en plus. « Chers adhérentes, chers adhérents ». Je ne sais pas si c’est bien ou pas. D’un côté, je trouve que c’est bien, c’est la femme en moi qui parle. D’un autre, je trouve que ça rend la phrase assez lourde, et puis, l’inconvénient et que, si par malheur on oublie de préciser le féminin quelque part, on peut nous accuser d’oublier les femmes. (Je n’invente rien, et je lis beaucoup d’avis dans ce sens.) Toujours est-il que l’usage l’adopte de plus en plus, et il suffit d’écouter n’importe quel discours de notre président de la république pour l’entendre. Il s’agit donc là non d’une écriture inclusive mais d’une évolution naturelle de l’usage et de la langue qui fait son chemin : à chacun de voir ce qu’il utilise, s’il ressent le besoin de préciser la version féminine ou pas de ceux dont il parle. (Et si vous voulez mon avis, je trouve ça très fastidieux à écouter, à dire, à écrire, et à lire.)
D’accord, et alors, si on contournait le problème ? On pourrait systématiser l’usage d’une tournure épicène, c’est-à-dire, on pourrait essayer de se débrouiller pour trouver à chaque fois un équivalent globalisant, « les membres » au lieu de « les employés », « les plumes » au lieu de « les écrivains » ?
Alors, oui, c’est une autre solution : contourner le souci en trouvant une formulation qui évite d’avoir à choisir. Et là, eh bien… évidemment, qu’on peut ! Mais ça ne résout pas vraiment le problème ! Est-ce que cela voudrait dire qu’il faudrait se débrouiller pour trouver dans TOUTES les situations où le masculin pluriel se manifeste une tournure qui évite de se poser des questions ? Qu’à chaque fois qu’on aurait besoin d’un pluriel dans une phrase, on chercherait un mot qui nous évite de choisir entre masculin et féminin ? C’est certain, nous ne pouvons pas deviner l’évolution de la langue dans le futur. Toutefois, je doute que le masculin pluriel conçu comme un neutre, comme une tournure globalisante, disparaisse, parce que notre langue en a besoin. Et qu’on ne peut rendre « obligatoire » ni le fait de préciser le féminin à chaque fois, ni celui de trouver un détour, car l’ensemble serait très fastidieux, d’un point de vue linguistique.
Le point crucial demeure cette idée de « il faut dire ou écrire ainsi » : on ne peut pas statuer sur une «obligation» de précision grammaticale, on ne peut pas imposer d’écrire « les abonnés et les abonnées », ou seulement « les abonnés », parce que techniquement, « les abonnés » englobent encore le masculin et le féminin. Je recevais encore aujourd’hui un mail s’ouvrant par un « bonjour à tous » (signé par une femme) alors qu’il y a des femmes dans le « tous », et je ne m’en offusquais pas, et j’imagine qu’elle non plus. J’entendais une étudiante dire à son copain « Viens, on va s’installer là tous les deux », avec un beau « tous » qui englobe masculin et féminin, et qui est bien la preuve que notre langue a besoin de ce pluriel globalisant, portant la marque du masculin sans désigner seulement des hommes. (Sinon c’est assez compliqué, avouez, « Viens, on va s’installer là tout•e•s, euh, toute les deux, tous, enfin, à deux, enfin, toi et moi quoi. »)
Si seulement c’était comme en anglais, sans féminin et masculin, ce serait plus simple (bordel).
C’est un fait : la langue française est une langue qui contient un genre grammatical, pour les référents animés (les personnes), comme pour les référents inanimés. On ne la fera pas passer là maintenant tout de suite du côté d’une langue sans genre. Allez savoir, peut-être un jour, mais pas tout de suite. (Et je ne sais pas vous, mais moi, je le trouve jolie, notre bonne vieille langue, avec son féminin et son masculin.) Cet aspect travaille énormément les grammairiens depuis des siècles, et c’est passionnant à lire. (Par exemple, les grammairiens latins ont établi que tous les noms d’arbres étaient au féminin, parce qu’ils portent des fruits. Ça a changé en français : c’est bien dommage.) Depuis des centaines d’années, on se pose des questions là-dessus, on se demande pourquoi on dit « une corde », et « un livre », et pas l’inverse. Or, beaucoup de chercheurs passés et présents s’interrogent sur le lien entre genre grammatical et sexe, autrement dit, sur la vision de la société qu’une telle distinction linguistique imposerait (ou n’imposerait pas) dans nos esprits. Pour résumer, certains linguistes établissent que le féminin de « vaisselle » est lié à de la fragilité, par exemple. On se pose beaucoup de questions sur cette histoire de masculin et féminin, et on se demande si on attribue aux objets des caractéristiques sexistes. (Une fourchette, et un couteau, est-ce suspect ? Je vous laisse réfléchir là-dessus.)
Mais le langage influence tellement la pensée. Donc si on apprend que le masculin l’emporte, même pour les objets, ce n’est pas juste ! On va finir par croire que les choses au masculin, comme les hommes, sont supérieur(e)s aux choses au féminin, comme les femmes.
Forcément, nous sommes façonnés par le langage, et forcément, nous ne mesurons pas consciemment tout. Mais (vous avez le droit de penser le contraire) : je crois que la notion de genre grammatical ne peut pas aller jusqu’à influer sur notre vision des hommes et des femmes. Si c’était le cas…on penserait tous la même chose, puisqu’on utilise tous la même langue ! En des centaines d’années, l’égalité en France entre hommes et femmes n’a cessé de changer, et pourtant on a toujours dit « une table » et « un tabouret ». L’enfant que j’évoquais qui disait « ils sont où, papa et maman », ne devait pas pour autant penser que papa était plus fort que maman, et j’avoue que moi-même, en tant que maman, je ne me sentirai ni oubliée ni inférieure quand mon petit garçon dira « papa et maman sont parfaits ». (Parce qu’il le dira.)
Oui mais regardez à côté, les autres langues ! Les sociétés les plus égalitaristes sont celles avec un genre neutre !
Mais ce n’est pas toujours aussi simple. En finois, oui d’accord, mais il existe des contre-exemples. (Le Turc, notamment, ou le mandarin oral.) Cet impact de la grammaire sur les comportements sociétaux, en terme d’égalité homme-femme, est réellement encore très controversé, c’est un point d’interrogation. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il y a un masculin et un féminin en français que nous sommes très en retard en matière de place de la femme.
Mais et l’accord de proximité ? Racine écrivait bien en accordant avec le plus proche si c’était un féminin, comme en latin, non ? (On peut lire ça un peu partout, comme ici ou ici. ) Pourquoi « le masculin l’emporte » ? Les hommes et les femmes sont beaux, c’est injuste, on pourrait dire « les hommes et les femmes sont belles », parce qu’il paraît que c’était le cas, avant ?
Alors.
Je vais essayer d’être compréhensible.
Ce qui est très embêtant là-dedans, c’est justement que le genre grammatical ait un lien avec le sexe. Prenons de la hauteur. De tout temps, les langues ont fait une distinction naturelle (d’usage) entre des référents animés et des référents inanimés. C’était d’ailleurs la distinction première en indo-européen, la langue-mère. Dans les deux langues descendant de l’indo-européen que l’on connait le plus, le latin et grec, on a eu une division en 3. (L’animé-masculin, l’animé-féminin, et le neutre pour l’inanimé.) Sauf qu’au fil du temps, le neutre a disparu, et tous les inanimés sont venus s’inscrire dans des cases de féminin et de masculin. On arrive donc au fameux système de notre langue, dans laquelle une chose a un genre, et où l’on dit une table et un tabouret, avec cette fameuse complexité qui laisse si perplexe nos voisins anglo-saxons. Ils nous demandent pourquoi un tabouret est masculin… Nous sommes souvent si démunis pour leur répondre ! C’est bien qu’il ne s’agit pas de problème homme/femme là-dedans. Les mots sont rentrés dans ces genres masculins ou féminins pour des questions de terminaisons, de flexion, et d’usage.
Donc, si vous me suivez, nous avons une langue avec deux grandes colonnes : les animés et les inanimés. Ces deux colonnes sont elles-mêmes partagées en deux, le féminin et le masculin, à chaque fois. Or, pour simplifier les choses, on apprend aux élèves qu’en cas de pluriel, « le masculin l’emporte « . (« Papa et maman sont ravis », « le croissant et la tasse de thé que j’ai apportés ».) Dans notre débat, on entend trop souvent : « Avant les méchants grammairiens du XVIIIème, on accordait couramment au féminin, exemple : Racine, et surtout : les citations des grammairiens qui disent que le masculin est plus noble. (Cf par exemple cette tribune de Marie Darrieussecq dans l’Obs.)
Mais ce n’est pas si simple.
Racine aurait hurlé si on lui avait dit « les hommes et les femmes sont belles ». Ça ne s’est JAMAIS FAIT, JAMAIS JAMAIS.
Qu’est ce qui s’est fait alors?
En latin, en grec, dans toutes langues romanes depuis 3000 ans, quand nous sommes dans la colonne des animés, si on veut utiliser le pluriel, on accorde au masculin. Et surtout quand l’adjectif est attribut. En grec, en latin, on accordait au masculin, systématiquement. « Les hommes et les femmes sont beaux ». On pouvait aussi éventuellement accorder l’attribut et le verbe avec le dernier nommé, ou le plus important des deux. Si on essayait de faire un équivalent français, ça donnerait : « La fille et le garçon a été arrêté ». Pourquoi? En fait, suite de la phrase avec le premier sujet sous-entendu. (« La fille a été arrêtée et le garçon a été arrêté. ») Dans tous les cas, il faut bien avoir à l’esprit que les syntaxes latines et grecques n’ont rien à voir avec notre syntaxe, et qu’il est donc très délicat de comparer strictement avec notre langue. (Et pour finir, le statut de la femme dans la civilisation latine, parlons-en, hein.)
Passons dans la colonne des inanimés. Là, et si l’adjectif est attribut, on trouve plusieurs possibilités. Soit on accorde au neutre pluriel. (Et ça, on ne peut plus le faire, on n’a plus de neutre.) Soit on accordait le verbe et l’attribut avec le dernier nommé, là encore. (Cela faisait quelque chose comme : « nous avons eu affaire à des conflits et des haines sérieuses ».)
Au moyen-âge, on a continué à appliquer cette règle de proximité, qui n’était donc pas si simple et pas applicable dans tous les cas, et, effectivement, nos grands auteurs l’ont employée, pour les référents inanimés. Jamais pour les animés. (Rappelons-nous l’exemple entendu partout de Racine (« Armez-vous d’un courage et d’une foi nouvelle ») : « le courage », et « la foi » ne sont pas des référents animés, des êtres vivants. De plus, il s’agit d’un exemple, il n’appliquait pas cette règle à chaque fois, et puis on l’oublie, mais eh, c’est bien utile pour sa rime, donc, bon. )
Quand les premiers grammairiens ont essayé de tout normaliser au XVIIIème siècle, parce que c’était un gigantesque capharnaüm, ils se sont demandé quelle règle fixer. Ils ont proposé une idée qui ne sortait pas de nulle part : le masculin l’emporterait, dans tous les cas, inanimé ou animé. On les voit misogynes avec nos yeux d’aujourd’hui. Et pourtant, cela devait très probablement être déjà l’usage courant, sinon, leur règle ne se serait jamais installée. Leur formulation est certes maladroite, mais ils voulaient suivre l’usage, ils n’ont pas sorti ça de nulle part.
Il est donc bien trop simple de dire « de méchants grammairiens ont tout imposé et l’école a appris ça aux malheureux écoliers qui l’ont fait contre nature ».
Je ne dis pas que ça veut dire qu’il ne faut rien changer.
Je veux simplement dire : attention à ne pas déformer l’histoire de la langue pour la mettre au service d’une idéologie.
Certes, on peut rêver, et se dire qu’un jour on modifiera l’usage, et qu’il sera courant d’entendre « les hommes et les femmes sont belles ». Mais pour l’instant on ne le dit pas. Et on ne l’a jamais dit. Intuitivement, on ne l’a jamais fait dans l’histoire de la langue. Est ce que ça pourra s’imposer ? Qui sait. Mais dans tous les cas, arrêtons de mentir en le présentant comme un retour à un ordre ancien, une sorte d’âge d’or avant le sexisme. (Et laissons Racine tranquille.)
Pour conclure…
Cet article un peu long ne veut pas blâmer qui que ce soit. Il a simplement pour but de rappeler des faits de langues trop méconnus qui sont détournés au service d’une idéologie, sans être creusés, ce qui est regrettable.
Je crois qu’il faut garder en tête que pour les référents animés, les êtres vivants, si depuis 3000 ans, on fait un accord au masculin lorsqu’on les met au pluriel, il y a très peu de chances que l’usage prenne pour faire autre chose. Je ne dis pas qu’il faut tout enterrer, mais simplement qu’il faut avoir un recul historique sage sur tout cela. Et qu’il faut garder en tête que ce pluriel masculin n’est pas un masque à la féminité, pas du tout : il s’agit d’une forme qui englobe, qui rassemble, et ça, c’est joli, non ? Vous n’avez pas envie d’être rassemblés ?
Il reste les noms de métiers : et là, évidemment, la version féminine s’impose si on en a besoin. Il n’y a rien à revendiquer, selon moi : l’usage suit l’évolution de la société.
Terminons par ce qui paraît essentiel dans toute cette polémique : cette culpabilisation ambiante des français par eux-mêmes, cette idée selon laquelle la langue française va mal, la société va mal, avant c’était mieux, ailleurs c’est mieux. C’est là un mal bien français et tellement triste. Dans aucune langue romane on ne dit aujourd’hui « les hommes et les femmes sont belles », et on ne l’a jamais dit dans un âge d’or passé.
Moralité : laissons l’usage nous guider, laissons notre impression et notre rapport à la langue nous guider. Et l’usage rassemble des millions de personnes. On ne peut pas résoudre un dogmatisme par un autre dogmatisme. Sur ce sujet, et avec un recul de linguiste, ce n’est pas aussi simple que de dire « il n’y a qu’à écrire ça », et boum, tout le monde l’écrirait. La langue est vivante, et libre, tellement libre, c’est ce qui la rend merveilleuse. Elle est incontrôlable, elle touche à l’intimité des gens et à leur pensée. La mue vers un nouvel usage, quel qu’il soit, est très longue et progressive.
Allez, pour finir, un autre petit exemple de Racine. C’est dans une de ses pièces que je préfère.
Andromaque (V, 2) « Son salut et sa gloire semblent être avec vous sortis de sa mémoire ».
« Sortis ». Au masculin pluriel. Sans l’accord de proximité avec « gloire ». Comme quoi…
Nouvel accès de masochisme linguistique, hier : les médias n'ont cessé de s'apitoyer sur le niveau du Français moyen en anglais. Une fois n'est pas coutume, je me contenterai dans ce billet de laisser la parole à Ilyes Zouari, spécialiste du monde francophone, ex-administrateur de l'association Paris-Québec. Ne serait-ce que pour le plaisir d'entendre un son de cloche quelque peu différent... et d'alimenter le débat !
« Selon la dernière édition du classement international EF EPI, publiée ce 8 novembre, la France se classe 32e pour ce qui est du niveau en anglais de sa population adulte. L’Hexagone fait ainsi mieux que dix ex-colonies britanniques ayant toutes l’anglais pour langue co-officielle, de jure ou de facto, comme les Émirats arabes unis, le Qatar, le Sri Lanka ou encore le Pakistan.
Mais la France est également la grande puissance non anglophone la plus anglicisée au monde, et se classe largement devant les chefs de file des autres principaux espaces géolinguistiques, à savoir la Russie, la Chine, le Brésil, le Mexique et l’Arabie saoudite (ou l’Égypte). Par ailleurs, elle devance aussi le Japon dont la société est technologiquement la plus avancée au monde.
Cette situation ubuesque est la conséquence de cette anglicisation à outrance que subit la France. Une France repliée sur l’Union européenne (UE), qui ne cesse de se comparer aux autres de ses pays membres, vassaux culturels et donc politiques des puissances anglo-saxonnes. Cette UE, qui est de loin la zone la plus anglicisée du monde et qui ne cache plus son hostilité à la langue et à la culture françaises. Dernier exemple en date, la toute nouvelle réglementation européenne SERA - Partie C qui vise à imposer l’anglais comme unique langue de communication entre les pilotes privés français et les six principaux aéroports de France métropolitaine. Aberration qui n’existe nullement au Québec et en Afrique francophone, où il faut désormais s’exiler afin de vivre paisiblement en français.
À cette attitude de l’UE, s’ajoute celle de la France elle-même où l’on ne compte plus les Grandes écoles aux sites internet majoritairement en anglais, ainsi que les manifestations et salons internationaux où le français est banni de l’affichage. Choses absolument impensables au Québec ou dans la vaste Afrique francophone, Maghreb inclus. Une France où l’on ne compte plus les slogans publicitaires ou les intitulés de fonction intégralement en anglais, alors qu’ils sont en français au Québec. Une France où se multiplient les bars et restaurants où le français est désormais lingua non grata, et qui accueille avec mépris les touristes francophones et francophiles, de l’Hexagone et du reste du monde, en mettant de plus en plus à leur disposition des brochures exclusivement en anglais, ou avec une version microscopique en français. Chose inimaginable au Québec ou en Afrique francophone. Une France dont de nombreux diplomates irresponsables affichent des messages d’absence uniquement en anglais, contrairement à leurs confrères francophones du Québec ou d’Afrique. Enfin, une France désormais république bananière où les tribunaux s’acharnent à ne pas faire appliquer la loi en déboutant systématiquement les associations de défense de la langue française. Situation là encore impensable au Québec où la loi… est la loi.
La France d’aujourd’hui est donc bel et bien la principale menace qui pèse sur la langue et la culture françaises dans le monde. Cette langue qui est l’un des piliers de son identité et de sa puissance mondiale. Un de ses piliers auxquels l’on s’attaque sans retenue afin de servir certains intérêts. Loin d’être un simple passe-temps pour passionnés de dictées, de mots croisés ou encore de poèmes, la langue est avant tout une question de géopolitique, de parts de marchés et d’influence culturelle. Ainsi, ce n’est pas un hasard si les premiers pays au monde à avoir interdit le niqab étaient tous francophones, en Europe comme en Afrique, ou si le Canada est toujours plus pacifiste lorsqu’il est dirigé par un Québécois.
Pourtant, et dans cette partie européenne et sans repères d’un monde francophone grand comme près de quatre fois l’UE et regroupant 470 millions d’habitants, dans sa définition la plus stricte, la France s’emploie donc activement à entraver la dynamique favorable dont bénéficie le français à travers le monde, grâce à l’émergence démographique et économique de l’espace francophone. Tel un enfant, qui sur une plage, prendrait un malin plaisir à venir régulièrement détruire un château de sable patiemment édifié par d’autres enfants. Une France, seconde puissance militaro-économique du monde, trente fois plus étendue que l’Allemagne en incluant son vaste territoire maritime, et où certains souhaitent aller encore plus loin sur la voie de l’absurde, de la défrancisation, de la trahison et de la collaboration, en rendant désormais quasi obligatoire, de facto, l’apprentissage de l’anglais dès le CP (chose que même trois des quatre pays scandinaves n’ont osé faire). Ou encore, en proposant que les films américains soient diffusés en version originale à la télévision.
Comme l’avait dit le Général de Gaulle, "Le snobisme anglo-saxon de la bourgeoisie française est quelque chose de terrifiant. [...] Il y a chez nous toute une bande de lascars qui ont la vocation de la servilité. Ils sont faits pour faire des courbettes aux autres." Quels qu’ils soient et où qu’ils soient, les responsables et acteurs de ce processus d’éradication du français doivent être écartés. Il ne peut y avoir de place en France pour des individus hostiles à la langue et à la culture françaises, et donc à la France. »
Ilyes ZOUARI, auteur du Petit Dictionnaire du monde francophone (éd. de L'Harmattan)