On présente souvent OpenStreetMap comme « le Wikipédia des cartes ». Cette heureuse métaphore englobe plusieurs composantes complémentaires de ce bien commun numérique :
– une base de données cartographiques, composée de données informatiques stockées sur des serveurs. Ces données sont librement modifiables et utilisables : ce sont des données ouvertes (open data).
– une communauté, qui enrichit la base de données. C’est un ensemble hétéroclite d’humains et d’organisations qui co-créé la base de données, sans coordination apparente. Son fonctionnement est décentralisé (crowdsourcing).
– des outils techniques sont développés pour permettre le fonctionnement du projet. Ce sont très souvent des logiciels libres (open source).
Pourtant, restreindre le projet à ces trois axiomes principaux que sont l’open data, le crowdsourcing et l’open source revient à occulter qu’OpenStreetMap s’inscrit dans un mouvement progressiste bien plus vaste.
OpenStreetMap s’inscrit dans un projet politique de réappropriation du Monde et de libération de l’information
Durant ma période d’adolescent libertaire, j’avais affiché sur les murs de ma chambre la déclaration d’indépendance du cyberespace et un poster de Matrix. Inspiré par Lawrence Lessig et son incantatoire « Code is law », je n’aspirais alors qu’à prendre part à la révolution !
Le projet Mozilla représentait pour moi le Graal. Cette communauté mondiale avait accompli ce qui paraissait alors comme impossible : casser en quelques années seulement le monopole d’Internet Explorer avec son révolutionnaire Firefox.
Mon implication bénévole m’avait alors permis de décrocher un stage chez Mozilla Europe, où j’avais l’occasion de collaborer avec mon idole de toujours, Tristan Nitot.
Avec Matrix, la pop culture s’approprie le geek qui devient cool. Il en avait bien besoin.
Cette grande période d’euphorie libertaire numérique nous ouvrait en grand les portes d’Internet. Notre génération allait écrire l’Histoire avec un grand H. Une horde de hackers allait libérer le Monde grâce à la puissance du logiciel libre.
15 ans plus tard, la douche est froide pour grand nombre d’entre nous. Les GAFA nous ont très largement confisqué l’horizon de liberté promis par Internet et l’ont asservi à des visées mercantiles. Que ce soit en Chine, en Russie ou encore dans les pays occidentaux, le pouvoir politique a multiplié les lois pour encadrer toujours plus drastiquement Internet.
L’Internet libre et ouvert, qui semblait s’imposer pour un temps, a été peu à peu marginalisé par les plateformes. La grande majorité des plateformes cadenasse notre consommation, nos applications mobiles, nos relations sociales. Sous couvert de simplicité, l’utilisateur se retrouve cantonné à son rôle de consommateur, enfermé dans une cage dorée.
Néanmoins, de grandes victoires ont été et continuent d’être gagnées. Wikipédia et OpenStreetMap, entre autres, incarnent l’utopie concrète et prouvent chaque jour que le meilleur est toujours possible, si tant est que l’on se donne les moyens de le construire collectivement.
OpenStreetMap est le fer de lance d’un mouvement politique dont l’objectif est l’émancipation par la totale transparence de la description physique du Monde. Autrement dit, c’est un projet cartographique libre ou, plus précisément, son évolution numérique, c’est à dire une base de données cartographiques libre, ouverte et collaborative. En ce sens, OSM s’inscrit dans la tradition des Lumières de manière résolument libertaire.
OpenStreetMap est le fer de lance d’un mouvement politique dont l’objectif est l’émancipation par la totale transparence de la description physique du Monde
Or d’une manière en apparence paradoxale, il se trouve que le mouvement est également très libéral. En exploiter les données pour des raisons commerciales n’est pas seulement explicitement autorisé, c’est bien une pratique encouragée. Si l’on rajoute à cela que ces données sont gratuites à utiliser, OSM se positionne résolument comme pro-business.
La profonde modernité – certains diront l’innovation – se trouve bien être la synthèse de ces deux penchants apparemment irréconciliables.
La modernité d’OpenStreetMap ne viendrait-elle pas de sa singulière capacité à unir libertarisme et libéralisme, tout cela au sein d’une plateforme numérique ?
Comme toute autre force politique, le mouvement est protéiforme. C’est d’autant plus vrai qu’il est par définition distribué, extrêmement décentralisé. Sa gouvernance partagée, son fonctionnement méritocratique, ses codes et sa culture sont par de nombreux aspects comparables à Wikipédia.
Le mouvement fait face à des adversaires objectifs, dont le principal reste Google Maps. La multinationale combine en effet plusieurs redoutables facteurs de succès. On peut citer l’intarissable cashflow de sa maison-mère Alphabet, ou encore l’efficacité et la simplicité d’utilisation de l’application Google Maps. Sa botte secrète reste tout de même le fait que cette application mobile soit pré-installée sur la majorité des smartphones vendus dans le commerces (73% des terminaux vendus dans le Monde en 2020), ce qui constitue, à mon humble avis, un cas d’école d’abus de position dominante.
Sûr de sa position stratégique, Google n’a jamais daigné s’engager dans l’open data. L’open data est pourtant une main tendue permanente à la collaboration. L’opposition avec Google et les grands acteurs de la cartographie propriétaire n’est donc pas condamnée à rester figée.
Du côté des partenaires, le mouvement peut compter sur le triple soutien des écosystèmes du logiciel libre, de l’open data, mais aussi d’un panel grandissant des autres adversaires de Google, à commencer par leurs concurrents. Facebook, Microsoft et Apple investissent d’importantes ressources dans OSM depuis des années, en sponsorisant nos événements, en mettant à disposition leurs imageries aériennes (qui cracherait sur la possibilité d’exploiter les photos satellite de Microsoft ?) ou encore en débauchant les acteurs clés de la communauté pour mener à bien leurs programmes cartographiques internes (comme par exemple le projet Map with AI de Facebook).
Enfin, un actuel renouveau de la notion de souveraineté numérique, entraînant les collectivités publiques et tout leur écosystème dans leur sillage, fait également de plus en plus pencher la bascule en faveur d’OSM.
Même si peu de personnes le réalisent au-delà des initiés, les cartes OpenStreetMap sont omniprésentes dans nos vies. Elles sont utilisées dans nos applis mobiles, dans nos journaux, sur les plans affichés sur nos abribus …
Il est maintenant extrêmement répandu de trouver des cartes basées sur OpenStreetMap.
Utilisé par le monde du business autant que par les administrations, OSM est la base technique d’un nombre grandissant de projets numériques.
En France, l’establishment a tout d’abord dénigré OpenStreetMap, critiquant avant tout son ouverture, perçue comme excessive voir radicale, avant de reconnaître les effets bénéfiques de ce qui fait également sa plus grande force. Le parallèle est troublant avec l’évolution du statut de Wikipédia, passant de paria à référence incontournable en moins de dix ans.
L’ouverture radicale des données est concomitamment la plus grande force et la plus grande faiblesse d’OpenStreetMap
L’écosystème dans sa globalité est progressivement passé d’une posture de dénigrement d’OSM à celle d’intérêt frileux, puis d’investissement conséquent ; on perçoit maintenant depuis quelques années OpenStreetMap comme un acteur central dans la production de données géographiques de qualité.
Le positionnement de l’Institut Géographique National (IGN) est à ce titre éloquent. D’abord réticent à l’idée d’ouverture, l’organisme a opéré sa révolution copernicienne en publiant en open data une large partie de ses données en janvier 2021. Voilà maintenant que le prestigieux institut cherche à raccrocher les wagons en lançant une tardive mais bienvenue consultation publique sur les géo-communs. Conscient du besoin d’une redéfinition de la notion de service public, son directeur Sébastien Soriano, fraîchement arrivé, est à la recherche d’un nouveau positionnement dans un écosystème totalement chamboulé.
Une des caractéristiques frappante reste qu’une partie de la communauté ne considère pas OpenStreetMap comme un objet politique.
Cette frange plutôt minoritaire considère la base de donnée comme étant simplement « le meilleur outil » pour parvenir à ses propres fins. Ce peut être par exemple la création d’une carte de randonnée ou de cyclisme mais aussi une multitude de besoins métier spécifiques. Dans de nombreuses situations, OSM est une solution qui fonctionne, tout simplement.
Si l’on rajoute à cela la gratuité d’utilisation des données, on peut comprendre pourquoi la plateforme séduit autant d’acteurs dont la recherche d’efficacité est le critère premier.
OSM est une solution qui fonctionne, tout simplement
Selon une étude menée en 2016 par l’université de Bordeaux-Montaigne et le CNRS, les raisons de contribution à OSM sont avant tout pratiques. Spontanément, les contributeurs citent en effet la gratuité et la qualité des données, la facilité de réutilisation ou encore la simplicité de mise à jour, et cela plus que la conviction de soutenir un projet politique.
On voit donc se rejouer trente ans plus tard l’opposition philosophique opposant les tenants du logiciel libre, idéalistes et ceux de l’open source, utilitaristes.
Pourtant, force est de constater que ces débats théoriques ne sont pas si clivants qu’ils n’y paraissent. L’étude précédemment citée précise d’ailleurs que pour 70% des répondants « l’engagement militant trouve sa place dans une pratique de loisirs ».
Et vous, quel contributeur êtes-vous ? Plutôt idéaliste ou utilitariste ?
L’auteur français du logiciel d’édition de texte Notepad++ a des convictions politiques et les exprime à travers diverses éditions de son outil, ce qui ne plait pas vraiment aux autorités chinoises.
Magie de l’informatique, on peut être français et dissident en Chine. Don Ho, le créateur français de célèbre logiciel d’édition de texte (et de code, surtout) vient d’en faire l’expérience. Le site web de Notepad++ est interdit en Chine depuis lundi, en raison de la publication d’éditions spéciales intitulées « Free Uyghur » et « Stand with Hong Kong ». La contestation, les autorités chinoises n’aiment pas trop beaucoup ça.
Notepad++ est un logiciel gratuit fonctionnant sous Windows et disponible en 90 langues. Jusque là tout va bien, mais l’histoire montre que même un logiciel permettant d’écrire et éditer des lignes de code peut avoir des opinions politiques. En tout cas celles de son auteur. Dans ses avis de publication pour les deux éditions, Don Ho a ouvertement exprimé ses préoccupations concernant les conditions des droits de l’homme, respectivement dans la région autonome du Xinjiang et à Hong Kong.
Selon nos confrères de TechCrunch, l’interdiction de Notepad++ ne s’appliquerait qu’à sa page de téléchargement – qui présente les éditions spéciales et donc susceptibles d’être censurées – lorsqu’on essaie de l’atteindre à partir des navigateurs chinois développés par Tencent (QQ Browser et le navigateur intégré de WeChat), Alibaba (UC Browser), 360 et Sogou. Ces services signalent la page comme contenant des contenus « interdits » par les régulateurs locaux.
La page d’accueil de Notepad++, en revanche, reste accessible, et il est toujours possible de naviguer dans le site complet depuis Chrome et DuckDuckGo en Chine.
Il faut dire qu’en matière de message politique, Don Ho n’en n’est pas à son coup d’essai, puisque déjà en 2014, il avait publié une édition délivrant un message lié aux manifestations pro-démocratiques de Tiananmen. Par ailleurs, plus près de nous, d’autres versions du logiciel affichaient déjà une prise de position politique à la faveur d’évènements marquants en France, tels que les éditions « Je suis Charlie » et « Gilet Jaune ».
Lorsque la version « Free Uyghur » est sortie à la fin de l’année dernière, cela n’avait pas été du goût de certains citoyens chinois, qui avaient montré leur désaccord de façon massive sur le dépôt GitHub de Notepad++.
Quatre candidats pour un siège, dont un Pirate
Le Parti pirate se lance dans la course à l’élection complémentaire au Conseil d’Etat de Vaud. Son candidat, Jean-Marc Vandel, mise sur la protection des données et des mesures écologiques contraignantes
Les prochaines élections dans le canton de Vaud se disputeront entre quatre candidats aux profils antagonistes. Parmi eux, Jean-Marc Vandel. Membre du Parti pirate depuis dix ans, il a annoncé sa candidature jeudi 19 décembre au premier étage du restaurant Lucha Libre, à Lausanne. Cet homme de 51 ans a été choisi par ses camarades pour briguer le siège du Conseil d’Etat laissé vacant par la libérale-radicale Jacqueline de Quattro, élue en octobre dernier au Conseil national. Le Parti libéral-radical a choisi Christelle Luisier pour la remplacer, considérée depuis comme la favorite pour lui succéder sans encombre à ce poste. Mais c’était sans compter les prises de position des petits partis.
Des pas de danse à ceux de la politique
A quelques jours de la date limite du dépôt des listes, fixée ce lundi 23 décembre, le mouvement Grève du climat Vaud a ainsi tiré au sort son représentant anonyme, le 11 décembre, une candidature soutenue par les Jeunes Verts vaudois. Guillaume Morand, dit «Toto Morand», le candidat du Parti de rien, est de retour. Et le Parti pirate vaudois (PPVD) fait son entrée sur la scène politique vaudoise. «Face à une élection tacite, je préfère le débat d’idées», résume Jean-Marc Vandel, qui estime avoir toutes ses chances dans cette élection. «C’est aussi l’occasion de faire connaître nos valeurs: liberté, intégrité et laïcité, poursuit Emmanuelle Germond, présidente de l’assemblée pirate. Nous l’avons choisi pour ses qualités de leadership et d’humanisme.»
Le Genevois a étudié l’informatique à l’EPFL. «J’ai été sergent-major technique de l’armée, puis j’ai travaillé dans une entreprise familiale sur les tout premiers routeurs basés sur Linux, avant de m’occuper de la gestion de paiements électroniques», commence-t-il. En 1994, il fonde avec des amis une association qui promeut le tango argentin à Lausanne et dans ses environs. Une passion qu’il continue d’exercer en tant que professeur de danse à l’Université de Lausanne. En 2005, dans un bal estival de Morges, le candidat se découvre un talent pour l’animation de soirées et devient DJ Jean-Marc. Aux platines, il enchaîne les morceaux de néo-tango.
Il est aujourd’hui directeur technique d’Open Net, une société qui accompagne la transformation numérique des petites et moyennes entreprises romandes en utilisant des logiciels open source – quand le code source d’un logiciel est accessible à tous et gratuit. Un domaine qu’il défend dans son programme. «Nous ne devons pas être les esclaves des nouvelles technologies et devons nous battre contre l’Etat fouineur et la reconnaissance faciale», déclare-t-il. Le PPVD rassemble actuellement des signatures pour un référendum contre la gestion privée, par UBS et La Poste, des passeports numériques suisses. «Nous devons encourager l’intégrité des individus numériques et l’utilisation de logiciels libres au sein des administrations», poursuit-il.
Pour des transports gratuits et plus de transparence
Un autre axe de bataille du Parti pirate est la déclaration de l’urgence climatique assortie d’«effets contraignants; sinon, cela reste du bla-bla, dit-il. Notre objectif: que le canton de Vaud atteigne la neutralité carbone en 2030.» Pour ce faire, Jean-Marc Vandel reconnaît avoir «beaucoup d’espoir dans la fusion thermonucléaire» et propose la gratuité des transports publics, la défense des circuits courts, ainsi que la consommation de produits locaux. «Il est indispensable de soutenir les artisans et les entrepreneurs, car il faut une économie saine pour mettre en place un programme social généreux», estime-t-il. Jean-Marc Vandel souhaite également convertir les peines de prison-amende légères en travail d’intérêt général pour aider à la réintégration des petits délinquants. «Ce sera plus utile à la société et ainsi, ils ne seront pas entraînés par plus délinquant qu’eux en prison.»
Le Parti pirate défend la transparence totale dans les processus démocratiques «pour que chacun puisse faire des choix éclairés». Le budget de campagne est de 10 000 francs. «Nous serons là où on ne nous attend pas, assure-t-il. Nous espérons, comme nous l’avons fait pour les élections fédérales, une alliance avec les Vert’libéraux vaudois.» Ces derniers se prononceront sur ce point à la sortie de leur assemblée générale de janvier prochain, soit un mois avant l’élection qui aura lieu le 9 février.
Open Source : Le rapport Longuet sur "le devoir de souveraineté numérique" regrette l'absence de doctrine de l'Etat en matière de logiciels libres, et l'incite à "engager rapidement une réflexion au niveau interministériel sur ce sujet".
Face à l’expansion des Gafam, le logiciel libre est une approche essentielle pour repenser la technologie au bénéfice des citoyens. Logiciel libre : il faut mettre la technologie au service des villes et des citoyens.
Le 4, 5, 6 juin, la Ville de Paris, MossLabs et OW2 accueillent un forum pour discuter de l’avenir de la collaboration entre les villes en matière de logiciels libres. Pionnière en la matière depuis 2002, la Ville de Paris met en place une politique de logiciel libre, désormais regroupée sous l’égide de la plateforme Lutèce, développée spécifiquement pour les administrations municipales. Gratuite pour les villes, celles-ci ont accès à des centaines d’applications, qu’elles peuvent mettre à disposition de leurs agents et des citoyens.
Villes, Etats, entreprises, associations… Toutes ces entités sont aujourd’hui confrontées à l’importance de créer des services numériques de qualité, répondant à de nouveaux besoins, respectant les données personnelles des utilisateurs, et à un coût pouvant être supporté, notamment pour la puissance publique. Une équation souvent difficile à mettre en œuvre !
Solutions
Pourtant les solutions existent et parmi elles : le logiciel libre ou l’open source qui prévoient la diffusion libre du code source du logiciel avec la possibilité de l’étudier, le modifier et d’en redistribuer les modifications. Cette conception du développement logiciel est aujourd’hui utilisée massivement par tous les grands acteurs du numérique qui peuvent réutiliser de très nombreuses briques proposées notamment par les grandes fondations telles qu’Apache, Linux Foundation, Eclipse ou OW2.
Ce qui existe depuis longtemps pour les logiciels système ou d’infrastructure commence à voir le jour pour les applications verticales et notamment pour les services publics.
Pour les villes, c’est tout d’abord un gain économique important. Plutôt que de redévelopper, à l’échelle de territoires parfois très petits, des nouvelles solutions technologiques à partir de zéro, le logiciel libre permet aux collectivités de réutiliser des logiciels créés par d’autres, afin d’acquérir des services numériques à moindre coût. Comme l’explique la campagne Public Money Public Code, en dehors de l’aspect financier, il est aussi logique, que les logiciels financés par l’impôt soient publiés sous licence libre. «S’il s’agit d’argent public, le code devrait être également public» et la plateforme le restera après sa création.
Le logiciel libre permet également l’amélioration des outils qui sont au service du bien commun. Grâce à des communautés de codeurs et aux partenariats entre acteurs publics, les logiciels sont améliorés, au fur et à mesure des innovations technologiques, et adaptés aux nouveaux besoins des citoyens. A Paris, sont développés plusieurs projets de ce type, comme le chabot PaLyNi mutualisé avec les villes de Lyon et Nice sur le traitement des déchets, la rédaction de marchés publics partagé aujourd’hui avec l’Etat ou encore les espaces numériques de travail pour les collèges et lycées utilisés par d’autres départements ou régions françaises.
Transparence
Cambridge Analytica, mise à mal de la neutralité du net, utilisation des données personnelles par les entreprises… les dernières années ont été marquées par un climat de méfiance généralisé de la part des citoyens face à des monopoles dont l’extension exponentielle semble hors de contrôle. Grâce au logiciel libre, les villes ne sont plus otages : elles possèdent les moyens de reprendre la main sur leurs services numériques, sans être obligées de passer par des opérateurs privés, qui contrôlent les données et sont susceptibles d’augmenter leurs prix en fonction de l’évolution du marché. Elles peuvent aussi plus facilement confier ces missions à des entrepreneurs locaux.
Mais la question du logiciel libre, c’est aussi celle de la transparence. A Paris, le code des outils de participation citoyenne (budget participatif, plateforme de consultation publique, rendez-vous des élus avec les lobbyistes) est également public. Car ces plateformes et ces informations relèvent du bien commun. Utiliser l’open source, c’est donner le pouvoir aux citoyens de vérifier qu’elles sont bien neutres et transparentes. C’est aussi leur permettre de proposer des améliorations en fonction de leurs besoins et de leurs usages.
Souveraineté et indépendance numérique
Est-ce que c’est bien sécurisé ? Il faut comprendre l’inquiétude des territoires face à cette approche technologique, qui existe depuis bien longtemps mais qui n’a pas toujours été assez utilisé. Si la communauté de développeurs est suffisamment importante, l’open source offre de meilleures garanties de sécurité qu’un code fermé mais beaucoup moins relu. Au niveau technique mais aussi à d’autres niveaux : pas de risque de faillite d’un prestataire, de fuite des données ou de surfacturation !
Face à l’expansion exponentielle des Gafam, à la faiblesse des entreprises européennes sur les grands services numériques et à des législations étatiques peu protectrices, le logiciel libre est une approche essentielle pour repenser la technologie au bénéfice des citoyens et au service du contrôle démocratique qu’ils doivent exercer.
C’est pourquoi, même si des initiatives passionnantes existent déjà à travers le monde, nous lançons aujourd’hui un appel aux villes du monde entier pour créer une communauté du logiciel libre au niveau international et relever ensemble les grands défis auxquels sont confrontées les villes du monde. Tandis que les enjeux liés au numérique se complexifient, les villes doivent s’engager ensemble dans la bonne direction : celle de la souveraineté et de l’indépendance numérique, celle de l’open data et du logiciel libre.
Emmanuel Grégoire Premier adjoint à la maire de Paris , Jean-Christophe Becquet président de l’association April , François Elie président de l’association Adullact , Jacob Green fondateur de MossLabs.io , Jean-Baptiste Kempf Président de VideoLAN , Cédric Thomas Directeur Général du consortium OW2.
L’intérêt du logiciel libre1 c’est de pouvoir se réapproprier les outils et les connaissances et c’est important de ne pas dissocier les deux parce les outils sont aussi des connaissances et qu’aujourd’hui, dans un monde qui est de plus en plus numérique, où la télévision est numérique, le téléphone est numérique, la musique est numérique, les livres sont numériques, il est important de pouvoir comprendre comment fonctionne un peu tout ça. Donc ce n’est pas seulement comprendre comment fonctionne Internet, ce qui pourtant la base, c’est aussi comprendre comment fonctionnent les logiciels, par qui est-ce qu’ils sont faits, dans quel but, comment est-ce qu’ils contribuent à la société et comment est-ce que nous on peut contribuer, finalement, à ces logiciels de façon à ce qu’ils puissent améliorer la société.
Le modèle du logiciel libre ce n’est pas seulement un modèle technique de production du logiciel, c’est aussi tout un ensemble de valeurs éthiques et sociales qui sont portées par ce mouvement depuis plus de 30 ans maintenant et qui vise non seulement à rester maître de ses données, maître de ses logiciels, mais aussi de se dire que les outils ne sont pas neutres et que si on veut pouvoir en avoir la maîtrise, en tout cas en ce qui concerne les biens communs numériques, le logiciel libre est probablement la seule réponse concrète, efficace, utilisable tout de suite, qui nous permet de se poser la question de l’éthique et des valeurs sociales qui sont transmises au travers du logiciel aujourd’hui.
Je puis définir le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité.
Richard Stallman2 qui est le fondateur du mouvement du logiciel libre arrive souvent en conférence avec un accent anglais alors qu’il parle très bien français, mais il a un accent anglais assez prononcé, en disant : « Je puis définir le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité » ; d’habitude la salle se lève et l’applaudit. C’est assez juste, du coup, de pouvoir définir le logiciel libre comme ça, c’est-à-dire c’est à la fois les libertés qui sont accordées à l’utilisateur, parce que dans le logiciel libre ce n’est pas le logiciel qui est libre, c’est l’utilisateur ou l’utilisatrice ; l’égalité c’est parce qu’il n’y a pas de différence, il n’y a pas de discrimination sur qui va utiliser le logiciel en question ; et enfin la fraternité c’est quelque chose qui pour nous est important, c’est la capacité, finalement, à s’entraider pour coconstruire ensemble du bien commun numérique qu’est du logiciel libre, donc le fait de partager les bonnes recettes de cuisine du logiciel, mais aussi le fait de pouvoir aider quelqu’un qui est dans la mouise à un moment donné et qui n’arrive pas à s’en sortir, on peut poser la question. Donc un des avantages du logiciel libre ou un des slogans du logiciel libre ça peut être : « Si tu ne sais pas demande et si tu sais partage ! »
Si tu ne sais pas demande et si tu sais partage !
Il s’agit d’abord de faire connaître le logiciel libre, donc on a choisi de le faire connaître, nous, par la base, c’est-à-dire en intervenant dans des MJC [Maisons des jeunes et de la culture], dans des bibliothèques, dans des médiathèques et petit à petit que chaque personne puisse se dire : mais en fait moi aussi je peux contribuer au logiciel libre ; moi aussi je peux participer au bien commun ; moi aussi je peux m’investir dans une association ; moi aussi je vais pouvoir contribuer à Wikipédia. Et petit à petit ces personnes vont se rendre compte d’abord de la valorisation qu’il y a à travailler pour l’intérêt général, parce que c’est quelque chose de valorisant.
Ce qui nous3, nous intéresse c’est que ces logiciels puissent exister pour tout le monde, qu’ils puissent participer à développer un secteur de la société de contribution et notamment celui des biens communs pour qu’on ne reste pas cantonnés, finalement, à se dire : ah ben là c’est bon, il y a une alternative en Libre qui existe, on ne s’en occupe pas. Ce qu’on veut c’est construire et coproduire des logiciels libres au service de la société de contribution.
Si vous voulez développer des biens communs, il faut être prêt à y participer. C’est une société de l’effort, c’est évident, ce n’est pas ce qui nous est vendu évidemment en face ; on est plutôt dans une société du confort avec la société de surconsommation.
Si vous voulez développer des biens communs, il faut être prêt à y participer. C’est une société de l’effort, c’est évident, ce n’est pas ce qui nous est vendu évidemment en face ; on est plutôt dans une société du confort avec la société de surconsommation. La société de contribution est une société de l’effort qui va nécessiter de prendre du temps, de prendre sur soi, de mettre de l’énergie dans le maintien et le développement de ces biens communs.
Il est difficile aujourd’hui, quand on regarde cette société de la surconsommation, de se dire qu’elle a un avenir d’égalité et de fraternité pour beaucoup de gens. Concrètement dans cinq ans, dans dix ans, si jamais on ne développe pas le logiciel libre, on aura quoi ? On aura un « Googleternet » sur lequel vous pourrez consommer des vidéos, sur lequel vous pourrez publier des contenus, mais tous ces contenus seront validés, monétisés et on va vous encourager à produire des contenus qui n’existent pas ou qui ne sortent pas trop du cadre. Donc finalement, on va se retrouver enfermés dans une espèce de bulle intellectuelle qui aura été conçue par les algorithmes de Google ou de Facebook qui vous diront : « Dormez tranquilles braves gens, demain vous irez regarder votre vidéo de chatons plutôt que de vous intéresser à ce qui se passe sur la loi travail. »
Moi évidemment, ce dont j’ai envie c’est qu’on puisse construire un monde avec plus de solidarité, où les données puissent être contrôlées par les utilisateurs, mais c’est aussi un monde où les médicaments ne seraient pas brevetés par exemple. Ça c’est la vision que j’ai du monde, mais je ne prétends pas que c’est la bonne. Par contre, pour arriver à ça, il faut pouvoir coconstruire des outils sous forme de logiciels libres ; il faut pouvoir lutter ou en tout cas expliquer les dérives de la propriété intellectuelle : un médicament qui est breveté sur un certain nombre d’années, potentiellement évidemment il a un coût, ce qui est parfaitement compréhensible, en recherche et développement, il faut bien que l’entreprise puisse rentrer dans ses frais, mais d’un autre côté, s’il est protégé pendant 20 ans, qui va faire le calcul du nombre de personnes qui sont en souffrance parce qu’elles n’ont pas accès à ce médicament-là ?
Il faut surtout planter des graines dans les esprits pour que les gens puissent se rendre compte de ce que c’est que le bien commun, de ce que c’est que la contribution, des efforts que ça va leur demander, mais de pourquoi est-ce qu’ils vont le faire. Qu’est-ce que nous, on a envie de construire comme société ? Comment est-ce qu’on a envie de la construire ? Quels sont nos objectifs ? Et avec qui est-ce qu’on veut la construire ? Parce que, encore une fois, il ne s’agit pas de dire que c’est nous contre eux, il s’agit de dire : qu’est-ce que nous on veut inventer ?
Nous on ne parle pas de convergence des luttes, on parle de convergence des buts.
Finalement c’est assez important pour nous, aujourd’hui, de réfléchir avec les personnes qui sont intéressées par cette société de contribution. Qui veut, avec le logiciel libre, avec le développement durable, avec les innovations démocratiques, sociales et politiques qui peuvent exister, avec les médecines dites alternatives, pouvoir inventer une autre société qui ne soit pas juste celle de la consommation.
L’Union Européenne veut nous protéger des logiciels dangereux et envisage d’obliger les fabricants d’équipements de radiocommunication (comme les smartphones) à certifier les applications et services qui peuvent être installés sur nos appareils. Une menace pour le logiciel libre et la concurrence ainsi qu’une restriction de choix pour les utilisateurs.
L’Union Européenne prépare une nouvelle réglementation concernant les équipements radio. Une catégorie d’appareils qui comprend nos smartphones, mais aussi les routeurs, les TV connectées et les autres produits capables de se connecter à un réseau domestique (WiFi), mobile ou GPS. Cette directive prévoit notamment le verrouillage des radiocommunications pour plus de sécurité pour les consommateurs, avec comme conséquence l’impossibilité d’installer des logiciels personnalisés ou applications non certifiées par les constructeurs. En d’autres termes, bienvenue chez Apple et iOS. Un cauchemar.
Une situation qui alerte la Free Software Foundation Europe (FSFE), la fondation européenne pour le logiciel libre. L’organisme dénonce « des effets foncièrement néfastes sur les droits des utilisateurs et le Logiciel Libre, la libre concurrence, l’innovation, l’environnement, et le volontariat – le tout, hélas, sans réel bénéfice pour la sécurité ».
L’objectif de la réforme est de protéger les utilisateurs en les empêchant d’installer un programme susceptible de nuire à leurs données personnelles, à leur appareil, voire à leur santé. Les fabricants devraient alors vérifier tous les logiciels et certifier ceux qu’ils ne jugent pas dangereux. Ceux qui ne sont pas certifiés, même s’ils tout à fait inoffensifs, seraient alors bloqués. Mais ce faisant, le choix d’applications et services sera très fortement restreint, entraînant au passage un défaut de concurrence. Un comble alors que l’UE ne lâche pas Google sur le dossier antitrust Android.
Il ne s’agit pas seulement d’un fardeau pour ceux qui sont touchés mais il s’agit également d’une violation du droit des utilisateurs au libre choix. Les utilisateurs seront forcés d’utiliser le logiciel du fabricant car ils ne pourront plus choisir indépendamment le matériel et le logiciel », estime la FSFE. « Le status quo crée de hautes barrières pour les utilisateurs qui voudraient contrôler leur matériel et logiciel .
Ce cas nous rappelle le fameux article 13 sur le droit d’auteur que combattent férocement les plateformes de partage comme YouTube. Dans les deux situations, l’UE veut responsabiliser les entreprises plutôt que les utilisateurs des services et produits. Et dans les deux cas, une telle loi semble très difficilement applicable et au final au détriment des consommateurs malgré d’apparentes bonnes intentions.
Les logiciels libres et le mouvement open source luttent contre les boîtes noires, prônant le partage des savoirs et le « faire ensemble ». Mais l’ouverture des codes est-elle vraiment un gage d’ouverture aux autres ? Le monde du « libre » ne devrait-il pas engager une mutation pour rendre plus tangible sa dimension solidaire et toucher un public plus large ? Ce sont les questions que pose cet article de Solidarum, issu du numéro 3 de la revue Visions solidaires pour demain, en librairie depuis la mi-janvier.
Dans les années 1980, l’informatique devient grand public avec l’IBM PC, le Macintosh d’Apple et le système Windows de Microsoft. Cette généralisation s’accompagne à l’époque d’une dissimulation des codes sources des programmes, rendant les systèmes incompatibles les uns avec les autres.
Pour Richard Stallman, hacker de la première heure, ces programmes propriétaires privent en effet leurs utilisateurs de libertés essentielles : liberté d’utilisation, liberté de diffuser tout ou partie du programme et liberté d’accéder, de modifier, d’adapter, d’améliorer le code du logiciel. Pour lui, aujourd’hui comme hier, seule l’ouverture du code garantit que tout utilisateur puisse profiter en toute confiance d’un logiciel et, potentiellement, se le réapproprier. Ainsi a-t-il lancé dès 1983 le mouvement du logiciel libre avec la licence GNU, à partir de laquelle va se développer une multitude de programmes libres, dont l’emblématique Linux.
À la fin des années 1990, les développeurs se concentrent sur le volet technique du libre : l’ouverture du code. Ainsi naît l’open source, désormais pratiqué par des programmes majeurs tel le système d’exploitation mobile Android. Mais qu’en est-il aujourd’hui sur un terrain plus social ?
Catherine Guillard est administratrice système et cofondatrice de la Librerie solidaire, qui accompagne les acteurs de la solidarité sociale dans l’utilisation de solutions libres. « Je ne vois pas ce qui peut exister et qui ne soit pas remplaçable par une solution open source, en particulier dans les innovations sociales et tous les projets d’intérêt général, dit-elle. Hier, je suis tombée sur un logiciel qui gère la projection dans les cinémas... Le libre permet aussi de répondre à des besoins publics, à l’image d’OpenCimetière qui a été produit pour une commune et qui sert à présent à d’autres mairies. »
Un monde ouvert au partage et à la contribution
Cet élan d’ouverture s’est décliné dans la production de marchandises avec l’open hardware, dans les données avec l’open data (mise à disposition de données publiques) ou encore dans le partage des connaissances avec l’open innovation, l’open science, etc. Ce mouvement général repose sur la libre circulation des savoirs, l’accessibilité au « faire » et la coopération entre pairs. « Dans le pair-à-pair, il n’y a aucun lien de subordination, ce qui prime c’est l’élan contributif et chacun décide de ce qu’il est en capacité de faire, sans besoin de le justifier a priori. Il y a un principe de confiance qui est facilité par les dispositifs numériques qui rendent l’erreur acceptable puisqu’il est toujours possible de revenir en arrière », témoigne Maia Dereva de la P2P Fondation. Cette capacité du pair-à-pair à faire une place à chacun s’appuie sur une organisation qui n’est pas exempte de hiérarchies, mais qui repose sur la reconnaissance des compétences entre pairs. « Quand des salariés transforment leur entreprise en coopérative, cela ne les empêche pas de recruter un directeur, mais la direction est une compétence de coordination et non un organe de pouvoir. C’est la même chose dans le pair-à-pair », précise-t-elle.
Grâce à cette accessibilité, le monde de l’open fonctionne comme une deuxième école, une façon d’acquérir des savoirs sans passer par les institutions, de casser les barrières à l’entrée du monde de l’informatique ou de la production en général, à l’image des fablabs et des makerspaces. Ainsi, en Colombie, dans le fablab Utopiamaker « des jeunes handicapés apprennent à construire leurs propres prothèses avec des imprimantes 3D, à partir de modèles open source trouvés sur internet. Ils les adaptent à leurs besoins et envies : une prothèse pour jouer de la guitare ou pour faire du vélo, etc. », raconte Philippe Parmentier, à l’initiative de ce fablab.
L’open source est aussi une façon de rendre des solutions financièrement accessibles, les ressources étant majoritairement gratuites. En outre, au lieu de réinventer la roue, l’open source s’appuie sur ce qui existe a n de l’améliorer. Ainsi Nicolas Huchet, amputé d’une main, travaille avec l’aide de makers sur le projet Bionicohand, une prothèse avec capteurs sensoriels accessible à tous.
L’utilisation de l’open source leur permet de diviser le coût de production par cent et de s’appuyer sur des technologies inventées par d’autres. La main bionique, une fois finalisée, sera elle-même en open source. C’est le principe de l’économie du partage en opposition à l’économie de la rente, symbolisée par les brevets.
Un monde open pourtant très fermé dans la pratique
Ce monde du partage et de la libre contribution devrait convaincre toute personne œuvrant pour un monde plus solidaire, plus équitable ; toute personne se sentant exclue de la société, du marché.
Le libre reste circonscrit au monde de l’informatique et se compose majoritairement d’hommes
Mais, si l’open source a permis au libre de gagner en efficacité, sa focalisation sur la technique l’a sans doute éloigné de ceux à qui il s’adressait en premier lieu : tous les autres, qui ne développent pas. Le libre reste, en effet, très circonscrit au monde de l’informatique et se compose majoritairement d’hommes, même si d’une multitude de nationalités. « Il y a dix ans, on dénombrait à peine 2 % de développeuses dans l’open source, cela commence à bouger, mais le nombre de femmes reste marginal, bien plus que dans le monde du logiciel propriétaire, déplore Catherine Guillard. Nous n’arrivons pas à convaincre les acteurs de l’économie sociale et solidaire d’utiliser des logiciels libres alors qu’ils défendent les mêmes valeurs de partage et d’équité sociale que nous. On manque sans doute d’un langage commun pour se comprendre. »
Le projet de société véhiculé par le libre a néanmoins connu un regain d’attention auprès d’un public non initié à la suite des débats autour des données personnelles et des différents scandales qui ont révélé les dangers de la centralisation des données. Et il existe désormais des services alternatifs pour les personnes qui refusent la captation de leurs informations personnelles par quelques entreprises dont les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).
« Le logiciel libre fait prendre conscience de l’impact de l’informatique sur nos vies »
« Les logiciels libres ne permettent pas forcément de protéger les données, mais on est sûr que l’exploitation des données ne constitue pas le modèle économique du service. Quand on entre dans l’état d ’esprit du logiciel libre, on prend conscience de l’impact de l’informatique dans sa propre vie, on est plus vigilant et on est assuré que quelqu’un quelque part vérifiera s’il y a des mouchards dans le code et alertera les autres. La faiblesse du libre, c’est que si j’envoie un mail à un ami qui est sur Gmail, malgré tous mes efforts, Google aura mes données. Le libre te pousse à considérer l’interconnexion aux autres et le risque qu’on fait prendre aux autres en laissant ses données sur internet sans s’assurer de ce qu’elles deviennent », explique Catherine Guillard. Cette attention réciproque, qui demande de protéger ses données pour ne pas exposer celles de ses proches, reste, cependant, trop marginale. Aujourd’hui, le libre reste insuffisamment utilisé par la population pour avoir un impact à la hauteur de ces enjeux.
Comment sortir le libre de sa « geekitude » ?
Il faudrait réussir à embarquer d’autres types de motivations et de compétences dans les communautés du libre, impliquer une population plus large dans sa production. L’une des clés serait sans doute de rendre l’engagement dans le libre aussi mobilisateur pour d’autres métiers que ceux du développement... Par exemple les graphistes, les juristes ou pourquoi pas le monde médical, qui tous doivent composer avec le numérique et les dérives de certains de ses acteurs. Enfin, il faudrait peut-être revenir aux origines sociales et politiques du libre.
En effet, à l’image du bio qui n’est pas qu’une méthode de culture, le libre n’est pas qu’une méthode de développement, mais propose un modèle de société plus respectueux des autres, plus solidaire, plus attentif aux impacts sociaux et environnementaux. Faire un pas vers le libre, c’est, au fond, soutenir le « faire ensemble ».
Capable de lire n’importe quelle vidéo sur n’importe quel support, le petit logiciel gratuit VLC s’est imposé en vingt ans comme un indispensable. Il est développé par des Français.
Quatre cents millions d’utilisateurs, plus de trois milliards de téléchargements… En vingt ans, le logiciel gratuit VLC a su se rendre indispensable et a envahi ordinateurs et smartphones partout dans le monde. Ses forces : il permet de lire à peu près toutes les vidéos, quel qu’en soit le format, sur n’importe quel support et ce sans collecte de données ou publicité cachée.
Le célèbre cône de signalisation, qui lui sert d’icône, a vu le jour en région parisienne. Aujourd’hui encore, la plupart des développeurs responsables de ses mises à jour sont français.
Tout a commencé à l’Ecole centrale Paris. « C’est une histoire très simple et très française », raconte Jean-Baptiste Kempf, l’un des piliers du projet et président de l’association VideoLAN, qui développe et distribue VLC. En 1995, les étudiants réclament à la direction de l’école un meilleur réseau informatique. Officiellement, pour pouvoir travailler dans de meilleures conditions. Officieusement, il s’agit de pouvoir jouer à Doom, un jeu vidéo de tir, en réseau.
La direction de l’école, qui voit clair dans leur jeu, botte en touche et leur propose de trouver eux-mêmes leur financement. Bouygues fait une proposition : l’industriel est prêt à installer un nouveau réseau, à condition que les élèves développent un moyen d’y diffuser les programmes de TF1 et n’aient plus ainsi besoin d’installer une parabole par étudiant.
Le but n’est pas tant de faire l’économie de l’installation d’un parc complet de paraboles, mais de développer à moindres frais un projet qui pourra ensuite servir à l’industriel de vitrine technologique. « C’est la première fois que le streaming vidéo est utilisé », raconte M. Kempf à propos de cette technologie, qui préfigure Netflix ou YouTube. « C’était de la science-fiction », ajoute-t-il.
Et de fait, le développement patine, connaît quelques faux départs, mais, promotion après promotion, il occupe les élèves de deuxième année qui finissent par poser, en 1999, les bases du projet VideoLAN, qui vise à développer le streaming vidéo.
Celui-ci comprend plusieurs facettes : diffusion, lecture… C’est cette dernière fonction, baptisée VideoLAN Client, qui deviendra VLC. Reste à trouver le pictogramme. Ce sera le cône de signalisation de travaux. Omniprésent sur le campus, cet objet est détourné et utilisé dans de nombreuses soirées étudiantes. « Quand je suis arrivé il y en avait des centaines un peu partout. Mais on les a tous rendus à la DDE [direction départementale de l’équipement], promis ! », en rit encore aujourd’hui M. Kempf.
Le couteau suisse de la vidéo
Il faudra attendre 2001 avant que le projet ne devienne « open source », et même « libre », c’est-à-dire accessible gratuitement mais aussi librement diffusable, utilisable, modifiable, par tout un chacun. La technologie développée par les étudiants sort alors de l’école pour être bidouillée par les développeurs du monde entier. Aujourd’hui, des bouts de codes informatiques écrits à l’origine pour VideoLAN coulent dans les veines virtuelles de YouTube et Netflix.
« Au départ l’école espérait rentabiliser la technologie, mais elle se rend bien compte que le projet ne tourne qu’avec des étudiants. En 2001, la direction, un peu résignée, ne comprend pas très bien ce qu’est “l’open source”, mais trouve que c’est un projet sympa et innovant, alors elle l’accepte. Des mecs ont passé un an à faire que du VLC : ils ne sont pas allés en cours, ils ont redoublé… ».
Jean-Baptiste Kempf cite quelques-uns de ces pionniers, Christophe Massiot, Rémi Denis-Courmont, Laurent Aimar, ou encore Samuel Hocevar, un des pionniers de Wikipédia en France.
M. Kempf a vingt ans quand il intègre l’école, en 2003. Entre-temps, VideoLAN s’est étoffé. Au gré des mises à jour, VLC est devenu un formidable couteau suisse, capable de décrypter n’importe quel format vidéo ou audio. « A l’époque, VLC était le seul lecteur qui permettait de lire les DVD sur Mac », se souvient notamment M. Kempf.
Pour réussir cet exploit, les étudiants et les développeurs extérieurs dissèquent chaque format vidéo du marché pour en comprendre le fonctionnement et ainsi programmer les bouts de code qui permettent de les décoder – on appelle ça des « codecs ». C’est la grande force de VLC : il est livré avec la plupart des codecs nécessaires pour lire les formats vidéo les plus pointus, de sorte que l’utilisateur n’ait pas à se soucier de trouver le bon programme, la bonne mise à jour. C’est une révolution.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si VLC a vu le jour en France. Rien n’interdit aux développeurs de concevoir leurs propres outils pour lire un format vidéo inventé par Apple ou Microsoft. Ce n’est pas le cas partout, et notamment dans les pays où les lois de la protection intellectuelle sont beaucoup plus favorables aux géants de l’informatique. « La politique française est beaucoup plus saine qu’ailleurs. Je ne pense pas que ce soit menacé à court terme, mais il y a des attaques permanentes », explique M. Kempf, qui reste attentif à l’évolution de la législation européenne en la matière.
VLC à l’heure de la « start-up nation »
En 2004, VLC atteint son premier million de téléchargements. Mais tandis que la popularité du logiciel explose, la motivation des développeurs, elle, s’émousse. Forcément, il est plus grisant de poser les fondations que de corriger les bugs. M. Kempf fait les comptes : « le 1er janvier 2007, on n’est plus que deux sur le projet. L’école a resserré les boulons, il commençait à y avoir plus de boulot en cours » et moins de temps pour VLC.
M. Kempf décide alors de refonder le projet et lance l’association VideoLAN, dont il est toujours aujourd’hui président. « Je passe alors beaucoup de temps à recruter de nouveaux étudiants, à l’extérieur de Centrale, demande à des anciens de revenir. Je fais aussi beaucoup de conférences. »
L’initiative redonne un coup de fouet à VLC, qui dépasse, en 2009, les cent millions de téléchargements. Ce deuxième âge d’or n’a qu’un temps. Car, avec le tournant des années 2010, arrive la révolution des smartphones et surtout de leurs applications. « A mon époque, se souvient M. Kempf, les cadors, c’était les mecs qui faisaient de “l’open source” ou du jeu vidéo. A partir de 2012, tout le monde veut faire le prochain jeu smartphone à succès, ou lancer le nouveau Uber. »
« J’ai refusé beaucoup d’argent »
Développer une technologie utile, pratique, téléchargée en 2012 un milliard de fois, mais qui ne rapporte pas un centime ? Ringard, pour la nouvelle génération de développeurs qui veut monter le prochain gros coup, celui qui la rendra riche. Ou, a minima, qui lui permettra de payer ses factures. « J’ai compris qu’il fallait des employés à plein temps », explique M. Kempf. Il monte alors VideoLabs, dans le 13e arrondissement à Paris, forte aujourd’hui d’une vingtaine de salariés, qui adapte le logiciel au besoin des entreprises.
Pendant des années, les codeurs de VLC ont intégré – et continuent de le faire – des formats vidéo utiles au grand public. Mais désormais, les sociétés les sollicitent et les paient pour que VLC puisse lire leurs propres formats. « Nous avons eu un fabricant de caméras industrielles qui voulait pouvoir utiliser VLC. Ce n’est pas quelque chose que nous aurions intégré spontanément », explique M. Kempf.
L’entreprise développe aussi des versions spécifiques pour des clients, qui souhaitent implanter dans leurs produits un lecteur vidéo. Certains « baby phones » vidéo, par exemple, qui vous permettent de vérifier en image et depuis la pièce d’à côté que bébé va bien, utilisent une version modifiée de VLC.
Un savoir faire reconnu
« Le but est de pouvoir financer VLC, pour lui permettre de rester gratuit », résume M. Kempf. Et ça marche. En 2017, l’entreprise a réalisé un million d’euros de chiffre d’affaires. Suffisamment pour lui permettre de refuser des propositions éthiquement plus discutables. « J’ai refusé beaucoup d’argent, des contrats à 20 millions d’euros », annonce M. Kempf. Des sociétés comme l’américain Ask.com, par exemple, ont ainsi toqué à sa porte, lui proposant d’afficher sa très impopulaire et très envahissante barre de recherche à l’intérieur de VLC.
« Si Netflix nous propose la même chose, pourquoi pas, il y a plein d’utilisateurs à qui ça ferait plaisir. On n’est pas contre gagner de l’argent, mais on essaie de faire les choses bien. Cela ne doit pas être au détriment des utilisateurs. Je veux pouvoir me coucher le soir en étant fier de ce que j’ai fait de ma journée. Je pense que c’est la principale différence avec plein de gens de la start-up nation ».
En novembre 2018, M. Kempf, en qualité de président de l’association VideoLAN, a été élevé au rang de chevalier de l’ordre national du Mérite. A travers lui, c’est VLC et un certain savoir faire technologique français qui sont reconnus.
VLC, lui, en est à sa troisième itération. La quatrième, actuellement en développement, devrait notamment renforcer la sécurité du logiciel. « Des personnes malintentionnées essaient d’y mettre des virus », soulignait M. Kempf en 2017 sur le forum en ligne Reddit. En 2017, Wikileaks révélait, en effet, que la CIA s’était servie d’une ancienne version de VLC pour infiltrer des ordinateurs.
Après une rumeur de courte durée, Microsoft a annoncé début juin l'acquisition de la plateforme web d'hébergement et de gestion de développement de logiciels GitHub, pour le montant de 7,5 milliards de dollars en actions. Mais comme il est coutume pour ce genre de transaction, la firme de Redmond devait se soumettre à un examen règlementaire de différentes autorités de régulation dans le monde afin de finaliser le rachat de GitHub.
La décision du régulateur européen de la concurrence devait être connue ce vendredi 19 octobre, et comme on s'y attendait, la Commission européenne a donné son feu vert pour la finalisation de cette opération, sans condition. Dans un communiqué, la Commission dit être arrivée à la conclusion que « l'opération n'entraverait pas l'exercice d'une concurrence effective sur les marchés en cause et que Microsoft n'aurait aucune raison de s'en prendre à la nature ouverte de la plateforme GitHub. »
L'annonce de l'opération de rachat de GitHub par Microsoft avait en effet immédiatement suscité des inquiétudes ; lesquelles inquiétudes semblent toutefois avoir disparu après quelques communications. Dans un communiqué juste après l'annonce, Microsoft a mis en avant quelques avantages qui pourraient découler de cette opération, pour la société elle-même, pour GitHub et pour les développeurs : « Ensemble, les deux sociétés permettront aux développeurs de faire plus à chaque étape du cycle de vie du développement », expliquait le géant du logiciel. Cet accord permettrait aussi « d'accélérer l'utilisation de GitHub en entreprise et d'apporter les outils et services de développement de Microsoft à de nouveaux publics. »
GitHub va en outre continuer à fonctionner de manière indépendante pour fournir une plateforme ouverte à tous les développeurs de tous les secteurs. « Les développeurs continueront à utiliser les langages de programmation, les outils et les systèmes d'exploitation de leur choix pour leurs projets, et pourront toujours déployer leur code sur n'importe quel système d'exploitation, n'importe quel cloud et n'importe quel appareil », a assuré Microsoft dans son communiqué. Nat Friedman, vétéran de l'open source et nouveau CEO de GitHub s'est également montré rassurant après un communiqué et une séance de questions et réponses sur l'opération.
Bref, Microsoft a mené une bonne communication pour rassurer la communauté et les régulateurs. Pour sa part, la Commission européenne dit en effet avoir constaté que « le regroupement des activités de Microsoft et de GitHub sur les marchés concernés [plateformes de collaboration sur du code source ; et éditeurs de code et environnements de développement, NDLR] ne poserait aucun problème de concurrence parce que l'entité issue de la concentration resterait confrontée à une concurrence importante de la part d'autres acteurs sur ces deux marchés. »
La Commission dit avoir également cherché à savoir s'il existait un risque d'affaiblissement de la concurrence si Microsoft devait tirer parti de la popularité de GitHub pour stimuler les ventes de ses propres outils DevOps et services cloud. « Plus particulièrement, la Commission a cherché à savoir si Microsoft serait en mesure de poursuivre le rapprochement de ses propres outils DevOps et services cloud avec GitHub et aurait un intérêt à le faire, tout en restreignant une intégration de ce type avec les outils DevOps et les services cloud tiers », peut-on lire dans le communiqué. Mais « il est ressorti de l'enquête sur le marché que Microsoft ne disposerait pas d'un pouvoir de marché suffisant pour porter préjudice à la nature ouverte de GitHub, au détriment d'outils DevOps et de services cloud concurrents. La raison en est qu'un tel comportement réduirait la valeur de GitHub aux yeux des développeurs désireux et en mesure de changer de plateforme », explique la Commission.
Sur cette base, la Commission est donc parvenue à la conclusion selon laquelle l'opération ne poserait des problèmes de concurrence sur aucun des marchés concernés et l'a autorisée sans condition. Microsoft obtient ainsi le feu vert du régulateur européen pour la finalisation du rachat de GitHub.
Le Canard Enchaîné consacre son hors-série Les dossiers du Canard d'octobre 2018 à la question de la vie privée. Le journal revient à cette occasion sur l'emprise de Microsoft sur les ministères français, en particulier celui des Armées où le géant américain impose ses systèmes via un accord Open Bar renouvelé deux fois depuis 2009.
Pantouflage, marchés publics opaques, rapports opposés au contrat, enjeux de souveraineté et de sécurité, le Canard rappelle sur deux pages l'accumulation de couacs concernant l'Open Bar Microsoft au ministère des Armées. Une situation de dépendance que seule une commission d'enquête parlementaire, demandée par la Sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam, Secrétaire de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, depuis octobre 2017 et que l'April appelle à soutenir, pourra permettre d'adresser.
Comme le rappelle Frédéric Couchet, délégué général de l'April, interviewé pour cet article, « il est clair qu'il y a eu une commande politique de signer avec Microsoft malgré les rapports négatifs ». Il est indispensable que le Parlement joue son rôle de contrôle de l'action gouvernementale. Un constat sans appel après plusieurs années d'action de l'association pour que lumière soit faite sur ce dossier.
L'April a consacré une partie de sa première émission Libre à vous ! de mai 2018 à l'Open Bar, afin d'en expliquer les enjeux, les dangers et les parts d'ombre. Nous étions en compagnie de la sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam et de Marc Rees, rédacteur en chef de Next INpact. Un podcast est disponible pour (ré)écouter ce segment de l'émission, ainsi qu'une transcription à (re)lire.
Extrait de l'article
Lors d'un déplacement le 1er octobre 2018 à la Direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (DIRISI), la ministre de l'Armée Florence Parly a « appelé à une plus grande ouverture du ministère aux logiciels libres et annoncé que Qwant, moteur de recherche français qui s'engage à ne pas exploiter les données personnelles de ses utilisateurs, serait désormais le moteur de recherche par défaut du ministère des Armées. »
Recommandation qui aurait dû être suivie depuis longtemps : le ministère dispose depuis 2006 d'un rapport préconisant une migration vers le logiciel libre. L'April rappelle enfin qu'une « ouverture vers le logiciel libre » ne pourra réellement s'opérer sans une véritable politique de désintoxication du ministère aux logiciels Microsoft.
Le Parlement européen se prononcera mercredi sur la directive relative au «droit d’auteur dans le marché unique numérique». L’article 13, qui veut imposer l’utilisation d’algorithmes et automatiser la détection d’infractions au droit d’auteur, est une menace contre le partage et la créativité en ligne.
Le 12 septembre, nos députés européens auront à se prononcer sur la directive relative au «droit d’auteur dans le marché unique numérique», que les Etats membres ont déjà validé. Dès le préambule du texte, le cadre est fixé : il est question d’œuvres, d’auteurs, de patrimoine. Le texte veut clarifier le «modèle économique» qui définira dans quelles conditions les «consommateurs» (le mot apparaît quatre fois dans l’introduction) pourront faire usage de ces œuvres.
Le monde est ainsi découpé simplement : d’un côté, les artistes et les titulaires de droits d’auteurs, et parfois les structures et les institutions connexes (musées, universités, éditeurs) ; de l’autre, la grande masse des anonymes. La porosité entre les uns et les autres n’est pas de mise : le cas d’une personne écoutant des concerts sur Internet et publiant ses interprétations d’un prélude de Chopin n’est pas évoqué. Les médiateurs entre propriétaires (de droits, de licences) et locataires-utilisateurs sont les Etats, chargés de faire respecter la future loi, et les «prestataires de services en ligne» (les hébergeurs). Là encore, nulle place pour les auteurs-éditeurs de sites web altruistes, qui publient leurs analyses, leurs découvertes, leurs concerts de rock entre amis. On reste dans une logique traditionnelle où l’Etat et l’Union européenne régulent le fonctionnement d’industriels qui seraient laxistes en matière de propriété artistique ou intellectuelle.
Une volée de récriminations
Mais comment appliquer une telle loi ? Grâce à de gigantesques algorithmes. L’article 13 précise que les prestataires de services, en étroite coopération avec les titulaires de droits, développeront des techniques de reconnaissance des contenus. Les acteurs hors Facebook, Sacem ou équivalents seront censurés, donc éliminés du Web. Ulrich Kaiser, professeur de musique allemand, l’a vérifié. Il a mis en ligne quelques interprétations de son fait de morceaux de Schubert, tombé depuis longtemps dans le domaine public, et a vérifié comment le logiciel de vérification de droits d’auteur de YouTube (Content ID) réagissait. Il a vite reçu une volée de récriminations prétendant qu’il violait des droits d’auteur. Et ses arguments étaient systématiquement rejetés. En bref, pour qui n’est pas adossé à une agence de droits d’auteur, il y aura toujours un robot ou un digital worker payé au clic qui lui interdira toute publication, au motif qu’il copie une œuvre, même s’il a le droit pour lui. Belle inversion juridique où nous devons faire la preuve de notre innocence, quand sa présomption figure dans notre Constitution.
Le second souci est que ces algorithmes coûtent très cher (de l’ordre de 50 millions d’euros), et sont évidemment très protégés par… le copyright. Nous sommes ici bien loin des logiciels libres façonnés par des poignées de bénévoles, et qui font vivre Internet. Et notre Union européenne, qui veut protéger les big industries du numérique et de la culture, ne réalise pas qu’elle se transforme en bourgeois de Calais, au seul bénéfice des Etats-Unis, puisqu’elle ne sait produire ces logiciels et bases de données associées.
La peur du don
Ainsi, du haut de Bruxelles, on ne fait pas que penser le contemporain avec des catégories obsolètes, aux dépens des citoyens et de leur créativité. On se trompe.
Apparaît d’abord une étrange peur du don. Le don, ce phénomène social total, qui structure nos sociétés via l’échange, qui nourrit nos idées : celles-ci se confortent et s’affinent au contact d’autrui. Tenter de les censurer, d’en vérifier systématiquement l’authenticité, c’est aller contre l’éducation, contre le développement personnel : la science et la création se nourrissent d’emprunts, d’appropriations, de détournements.
Ensuite, supposer que la technique va sauver ou protéger la culture relève de l’erreur. De tout temps technique et culture forment une tresse inséparable. Nos films sont faits avec des caméras, qui fonctionnent à l’électricité, désormais montés sur ordinateur. Nous appelons nos ponts (du Gard ou de Tancarville) des «ouvrages d’art». Et avec l’informatique, nous prenons conscience de la dimension technique de l’écriture, qui nous sert autant à développer un raisonnement, à jeter les bases d’une nouvelle loi qu’à déguster un Rimbaud qui a peu profité de ses droits d’auteur. La grande majorité des productions informatiques relèvent de ces jeux d’écriture où copier, coller, emprunter, détourner, articulent recettes, banales applications et imagination.
Façonner le monde
Et enfin, l’idée qu’un algorithme puisse se substituer au jugement humain est erronée. Un algorithme est écrit par des humains, qui y injectent leur subjectivité, leurs représentations du monde, leurs valeurs morales, comme le montre le philosophe Andrew Feenberg. Il n’est pas neutre. Un algorithme l’est d’autant moins s’il appartient à une firme, qui va évidemment l’adapter à ses intérêts économiques. La chose est manifeste quand il s’appuie sur des bases de données massives pour produire du deep learning. C’est le principe même de l’apprentissage : si nous apprenons à des ordinateurs à modéliser le climat, nous ne pouvons leur confier des opérations chirurgicales sur des humains. Et l’idée que les machines puissent résoudre des problèmes moraux (liés au vol, à l’invention) signale avant tout une démission politique. La volonté de déléguer à ces machines des questions qui méritent d’être débattues par tous : démocratiquement.
C’est toute la question du «numérique»: cette technique a plus que jamais le pouvoir de façonner le monde. Y compris politiquement. Avec les réseaux sociaux, nous ressentons, non pas son pouvoir, mais ses effets sur nos sociétés. L’histoire de l’écriture nous rappelle que ces effets sont lents, variés, particulièrement dépendants de ce que nous voulons qu’ils soient. Moins que jamais, la technique est éloignée de nous. Sauf si nous déléguons à quelques managers le formatage de nos sociétés par le biais de leurs chimères. Souvent, celles-ci se réduisent à quelques croyances, qui confinent à la numérologie. Il s’agit de projeter toute la complexité humaine, ses variations multidimensionnelles, sur une droite, où chacun.e d’entre nous serait évaluable. Avec une seule note entre 0 et 20.
Le numérique, c’est politique. Ça se pratique aussi, ça s’apprend. Comme l’écriture. Ça se débat. Il est urgent de l’enseigner à toutes les générations, à tous les corps de métier ; d’en expérimenter les facettes actuelles, d’en inventer les futures. Les artistes, les historiens, les physiciennes usent tous de l’écriture. Il en est de même pour le «numérique». Jeunes et vieux, Chinois, Français et Californiens prenons le temps de penser le numérique, au-delà de nos moules et frontières disciplinaires. La technique nous appartient. A nous tous d’en convaincre nos députés.
Le Parlement européen a voté mercredi 12 septembre en faveur du projet de réforme de la directive sur le droit d'auteur, qui contient deux articles polémiques. D'autres étapes vont suivre.
La mobilisation dans plusieurs villes d’Europe n’aura donc pas suffi : malgré l’intense activisme des opposants au projet de réforme de la directive sur le droit d’auteur, y compris dans la dernière ligne droite, le Parlement européen a choisi d’approuver la proposition de directive à une confortable majorité : 438 voix pour, 226 contre et 39 abstentions.
La Commission européenne, qui soutient cette révision depuis plusieurs années, a évidemment partagé sa satisfaction. « Nous nous félicitons du vote […]. C’est un signal fort et positif et une étape essentielle pour atteindre notre objectif commun de modernisation des règles du droit d’auteur », déclarent les deux responsables du numérique, Andrus Ansip et Mariya Gabriel.
À l’inverse, les critiques de la réforme ont déploré un rendez-vous manqué, à l’image de Julia Reda, eurodéputée qui est issue des rangs du Parti pirate : « le Parlement n’a pas écouté les préoccupations des citoyens et des experts » sur les deux dispositions du texte les plus critiquées, à savoir les articles 11 (droit voisin pour la presse sur le web) et 13 (filtrage automatique des contenus mis en ligne).
Le vote survenu le mercredi 12 septembre tranche avec celui organisé le 5 juillet dernier. Là aussi réuni en séance plénière, le Parlement européen avait désapprouvé le mandat de négociations confié à la commission des affaires juridiques concernant la réforme du droit d’auteur au sein de l’Union. Le rejet du mandat s’était obtenu dans un vote relativement serré, par 313 voix contre 278.
Si le scrutin survenu mi-septembre constitue une étape clé dans le parcours de ce texte, il n’en constitue pas le point final. D’autres étapes sont prévues. Les députés vont en particulier devoir négocier un compris avec le Conseil de l’Union européenne. Cette phase doit avoir lieu au cours du mois de novembre 2018. Ensuite, un vote définitif, encore par le Parlement européen, doit survenir, vraisemblablement au printemps 2019.
« Maintenant que le Parlement et le Conseil ont adopté leurs positions, nous aurons une dernière chance de rejeter les articles 11 et 13 ors du vote final sur la directive après le trilogue [une réunion tripartite entre le Parlement, le Conseil et la Commission, ndlr], probablement au printemps. Interpellez vos gouvernements en attendant ! », a réagi Julia Reda à l’issue du scrutin.
La Commission européenne espère toutefois un calendrier plus rapide : « la Commission est prête à travailler […] afin que la directive puisse être approuvée dès que possible, idéalement d’ici la fin de 2018 ». « Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour aider les co-législateurs à parvenir à un accord d’ici la fin de l’année », a ainsi réagi Mariya Gabriel, qui a la charge de l’économie et la société numériques à Bruxelles.
Sauf coup de théâtre, il paraît improbable que l’une des trois parties impliquées dans ce trilogue fasse machine arrière. Pour la société civile, le seul angle d’attaque possible reste celui du Parlement européen, qui pourrait faire chavirer le texte dans sa dernière ligne droite. Mais au regard du vote survenu le 12 septembre, cette hypothèse n’est désormais plus celle qui tient la corde.
Un vote favorable mettra un point final aux débats. La France aura alors l’obligation de se mettre au travail pour transposer la directive dans son droit national.
En effet, son application n’est pas immédiate (à la différence, par exemple, du RGPD). Cette marge de manœuvre, qui laisse un délai aux gouvernements, est inscrite dans les règles de fonctionnement de l’Union : « la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ».
12 septembre 2018 - Le Parlement européen vient d'adopter la directive droit d'auteur, qu'il avait pourtant repoussée une première fois cet été. En ayant fait adopter cette directive, les industries culturelles et de la presse réclament les miettes de l'économie de la surveillance de masse. Plutôt que de combattre cette capitulation devant les GAFAM, le gouvernement français l'a vigoureusement encouragée.
En 20 ans, l'industrie culturelle française n'a jamais su s'adapter à Internet. Aujourd'hui, elle est folle de rage devant le succès de Netflix ou d'Amazon. Donc elle exige les miettes du gâteau. Elle veut contraindre les géants du Web, tels que Youtube ou Facebook, à partager avec elle les revenus de la publicité ciblée associée aux œuvres dont ils sont les ayants-droits.
Mais la publicité ciblée consiste surtout à surveiller tout le monde, partout, tout le temps, sans notre consentement libre. Depuis le 25 mai et le RGPD, c'est illégal, et c'est bien pourquoi nous avons attaqué chacun des GAFAM au printemps dernier devant la CNIL, dans des plaintes collectives réunissant 12 000 personnes.
Pourtant, ayant échoué à évoluer, l'industrie culturelle française est aujourd'hui prête à s'associer à ce modèle illégal. Avec le vote d'aujourd'hui, le financement de la culture se soumet à l'économie de la surveillance de masse. Et il est injustifiable que le gouvernement français, en soutenant lui aussi cette directive, ait consacré la toute puissance illicite des géants du Web, plutôt que de combattre leur modèle de surveillance pour nous en protéger.
Hélas, le débat ne s'arrête pas là. À côté, on retrouve les éditeurs de presse qui, eux non plus, pour la plupart, n'ont jamais su s'adapter. Du coup, ils exigent aujourd'hui que Facebook et Google les financent en les payant pour chaque extrait d'article cité sur leur service. Mais quand les revenus du Monde ou du Figaro dépendront des revenus de Google ou de Facebook, combien de temps encore pourrons-nous lire dans ces journaux des critiques de ces géants ? Plutôt que de s'adapter, les éditeurs de presse préfèrent renoncer entièrement à leur indépendance, sachant par ailleurs que bon nombre d'entre eux mettent en œuvre des pratiques tout aussi intrusives que celles des GAFAM en matière de publicité ciblée (relire notre analyse de leurs pratiques et de leurs positions sur le règlement ePrivacy).
Ici encore, le gouvernement français a encouragé cette capitulation générale face aux géants du Web, qui passent encore davantage pour les maîtres de l'Internet. Pourtant, ils ne sont les maîtres de rien du tout. Internet n'a pas besoin de Google ou de Facebook pour nous permettre de communiquer. Au contraire, ces géants nuisent à nos échanges, pour mieux vendre leur publicité.
Le vote d'aujourd'hui est le symptôme de l'urgence qu'il y a à changer de cadre. Le gouvernement français doit accepter qu'Internet ne se résume pas à une poignée de monopoles. Il doit renoncer aux multinationales du numérique et, enfin, commence à promouvoir le développement d'un Internet décentralisé - seul capable de respecter nos droits et libertés. Maintenant.
Communiqué de presse du 20 juin 2018.
La commission des affaires juridiques (JURI) a adopté ce matin la proposition de directive sur le droit d'auteur et notamment son article 13 qui impose aux plateformes d'hébergement la mise en place d'un filtrage généralisé et automatisé des contenus que nous mettons en ligne sur Internet. Les plateformes de développement de logiciels libres sont exemptées de ces exigences de filtrage1 mais l'idée même de ce principe est désastreuse. L'April appelle les parlementaires européens à rejeter la proposition de directive dans sa globalité lors de la plénière de juillet.
Ce matin s'est tenu au Parlement européen un vote crucial pour la sauvegarde d'un Internet libre et ouvert. La commission des affaires juridiques a notamment adopté l'article 13 qui impose aux plateformes d'hébergement la mise en place d'outils de censure automatiques. Cette disposition a pourtant été très largement critiquée, par des organisations de défense des libertés sur Internet, des auteurs, des entreprises du logiciel libre… mais aussi par le rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection de la liberté d’opinion et d’expression.
Sur la question des forges de logiciel libre plus spécifiquement, la commission JURI a fait un pas dans le bon sens en les excluant du champ d'application de l'article 13, qu'elles soient ou non à but lucratif. Malgré cette avancée, l'April considère que le principe même d'un filtrage généralisé est à proscrire.
La Commission a également adopté la décision d’entrer en négociation avec le co-législateur, le Conseil. Lors de la plénière qui commence le 2 juillet, les parlementaires pourront contester cette décision et demander à cette occasion qu'un vote ait lieu sur le lancement ou non des négociations. L'association appelle les parlementaires européens à rejeter le projet de directive.
« Une importante mobilisation a permis d'exclure les forges de logiciels libres des dispositions de l'article 13. Mais ce patch est insuffisant, l'article 13 reste dangereux et doit être supprimé. La mobilisation doit encore s’intensifier d'ici le vote en plénière pour que ce projet de directive rejoigne ACTA dans les poubelles de l'Histoire » a déclaré Frédéric Couchet, délégué général de l'April.
« On nous parle de compromis ; le texte est pointé comme liberticide par les plus grandes sommités. On nous parle de lutter contre le pouvoir des GAFAM et d'instaurer un marché unique numérique ; on renforce les silos. On nous parle d'auteurs et d'autrices ; on brime un des plus importants outils de création et de partage jamais créé. Au-delà de la disposition elle-même, c'est tout le procédé qui est désastreux. L'unique chose à faire est de rejeter intégralement ce texte et de repartir sur des bases saines, avec un véritable débat public de fond » ajoute Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l'April.
1.
L'amendement de compromis dit « CA 2 » adopté ce matin (voir page 2 de ce document PDF (en anglais)) a introduit l'exclusion des forges de logiciel libre en modifiant l'article 2 qui précise la définition de « online content sharing service providers », terminologie qui est ensuite utilisée dans la nouvelle version de l'article 13 :
« Providers of cloud services for individual use which do not provide direct access to the public, open source software developing platforms, and online market places whose main activity is online retail of physical goods, should not be considered online content sharing service providers within the meaning of this Directive ».
La nouvelle version de l'article 13 étant page 14 du même document (amendement CA 14).
Qu’y a-t-il de commun entre un hacker de la côte Est des États-Unis féru de programmation et un Indien d’Amérique du temps jadis ? Peu de choses en apparence. Pourtant, à y regarder de plus près, avec l’œil de l’ethnologue, ces deux tribus partageraient un même culte du don.
Le succès grandissant des logiciels libres promus inlassablement depuis près de vingt ans par ses militants, et désormais bien au-delà, n’est plus à démontrer. Le succès de cette entreprise, appuyée sur la notion trompeuse du bénévolat, a encouragé l’idée selon laquelle les contributions des partisans du libre reposent sur une éthique, voire une « philosophie du don ». Quelles sont la validité et la pertinence d’une telle association, et de quoi parle-t-on au juste ?
La notion de don fait fréquemment l’objet d’une confusion. En effet, il est d’usage de croire que celui-ci appelle un contre-don obligé, une contrepartie différée impliquant en définitive le droit d’exiger en retour.
Or, il n’en est rien si l’on tient pour acquis que cette structure anthropologique, observée tant chez les Mélanésiens que les Amérindiens, pour être accompagnée d’une obligation morale, n’implique aucune contrainte juridique. Si l’on y regarde de plus près, l’objectif n’est nullement l’échange de propriétés. En réalité, le don aboutit à un abandon qui tempère la triple obligation de « donner, recevoir et rendre » dégagée en 1924 par Marcel Mauss (Alain Testart, Critique du don, Syllepse, 2007). Pour autant, le don n’est pas un cadeau (Mary Douglas, Comment pensent les institutions, La Découverte, 2007). Le malentendu une fois levé, quelle clef de compréhension des pratiques du logiciel libre cette notion dessinée en creux délivre-t-elle ?
Le don remplit la fonction d’un principe liant qui permet au donataire de montrer son attachement à un système de valeurs. « Il n’est de don que de ce qui excède par sa dimension symbolique la dimension utilitaire et fonctionnelle des biens et des services » et c’est d’abord le lien social que le don s’attache à édifier (Alain Caillé, Anthropologie du don, La Découverte, 2007). Le bénéfice non explicite est en réalité acquis au donateur tandis que le donataire est rendu dépositaire de valeurs.
Richard Stallman, alors qu’il conduisait des recherches en programmation au MIT, a considéré que le développement et la promotion du logiciel libre participaient d’une véritable « philosophie » – certains partisans emploieront rapidement l’expression « philosophie du don » – tout autant que d’une règle comportementale devant guider et inspirer les principes de la circulation sur le réseau. Cela a conduit Stallman à remarquer que l’expression free software (logiciel libre) est souvent l’objet d’une méprise ou plutôt d’une incompréhension conduisant à brouiller le concept.
Se démarquant d’activistes libertaires comme John Perry Barlow ou Esther Dyson, il soutient que celui-ci n’entretient pas de rapport avec la gratuité – les logiciels libres ne s’opposant ni au commerce ni à l’idée de rémunération, contrairement à une idée reçue – mais plutôt avec la liberté. Le slogan de la Free Software Fondation (FSF) « Free as in free speech not as in free beer » entend ainsi dissiper, non sans humour, tout malentendu.
Cette liberté se décline en liberté d’utiliser le programme pour quelque usage que ce soit, y compris commercial, de modifier ce même programme via son code source, d’en redistribuer des copies au besoin modifiées et, ce faisant, elle se conjugue dans le même temps avec la lutte contre le secret. Ainsi, l’expression open source utilisée par ailleurs serait impropre à décrire cette philosophie dès lors qu’elle éclipse le terme « liberté ».
Le logiciel libre se conçoit donc comme un bien sémiophore, porteur de sens. Et c’est précisément dans ce sens que le don peut être compris comme une reconnaissance de la communauté du libre avec l’organisation et les valeurs qu’elle promeut. Pour autant, un dilemme est apparu à la FSF.
Pour garantir la liberté attachée au logiciel, seule une protection juridique par le biais d’une licence d’utilisation est en mesure d’empêcher une société de récupérer un logiciel libre pour, au terme de quelques modifications, le transformer en logiciel propriétaire. Afin de contrer une telle menace, le « don » a pris appui sur un contrat de licence comme la Licence Publique Générale « GNU » et ses déclinaisons, ce document juridique marquant l’appartenance à la communauté du libre, elle-même appuyée sur une fondation, la FSF.
L’instrument juridique formalise, par conséquent, la reconnaissance réciproque et renforce l’interdépendance des contractants au profit d’un partage de valeurs communes. En filigrane de la philosophie du don, c’est bien une théorie du changement social qui trouve à s’exprimer. En cela, le projet GNU, qui double la licence d’utilisation par un véritable contrat social, se présente comme un projet total.
Lire l'intégralité de notre contribution à l'ouvrage Imaginaire(s) des technologies d'information et de communication.