Les expressions jugées offensantes sur le physique ou l’origine de personnages vont être supprimées, ont annoncé les éditions « Le Masque ».
LITTÉRATURE - Les traductions françaises d’Agatha Christie vont faire l’objet de « révisions », notamment la suppression de termes jugés offensants sur le physique ou l’origine de personnages, « s’alignant ainsi sur les autres éditions internationales », a indiqué une porte-parole des éditions « Le Masque » à l’AFP ce lundi 17 avril.
« Les traductions françaises de l’œuvre d’Agatha Christie font l’objet de révisions habituelles et intègrent au fil des années les corrections demandées par Agatha Christie Limited (la société qui gère l’œuvre de l’autrice, ndlr), s’alignant ainsi sur les autres éditions internationales », précise l’éditeur, qui fait partie du groupe Hachette.
Fin mars, le quotidien britannique The Telegraph avait rapporté que plusieurs passages des romans racontant les enquêtes d’Hercule Poirot et Miss Marple, initialement publiés entre 1920 et 1976, avaient été récrits après examen par un comité de lecture. L’éditeur a notamment modifié ou retiré des descriptions de certains personnages étrangers.
Les Dix petits nègres devenus Ils étaient dix
Comme dans Mort sur le Nil (1937), où le personnage de Mrs Allerton se plaignait d’un groupe d’enfants et se moquait de leur nez, ou dans La Mystérieuse Affaire de Styles (1920), dans lequel Hercule Poirot soulignait qu’un autre personnage était « un Juif, bien sûr ».
Ce n’est pas la première fois qu’un titre d’Agatha Christie est modifié. En 2020, le roman policier les Dix petits nègres, un des plus lus et vendus au monde, avait été rebaptisé Ils étaient dix et l’appellation péjorative, citée 74 fois dans la version originale, avait été ôtée de la nouvelle édition.
Récemment, des modifications apportées aux romans pour enfants de l’auteur anglais Roald Dahl avaient suscité l’indignation au Royaume-Uni. Les références au poids, à la santé mentale, à la violence ou aux questions raciales avaient été expurgées d’œuvres comme Charlie et la Chocolaterie ou James et la Grosse Pêche.
Face au tollé, son éditeur, Puffin UK, avait assuré qu’il continuerait de publier les versions originales dans une collection spéciale. La maison d’édition française de l’auteur, Gallimard Jeunesse, avait indiqué qu’elle continuerait d’éditer les versions originales.
Les aventures du célèbre espion britannique James Bond, écrites par Ian Fleming, ont également été récrites en anglais pour en enlever certains passages jugés racistes.
Comme beaucoup de gens de ma génération, je ne goûte guère l'idéologie ambiante dominée par cette obsession quasi-maladive de tout entrevoir sous le prisme des minorités à défendre, qu'elles fussent culturelles ou sexuelles. Non pas que je trouve ces combats illégitimes –ils ne le sont pas et je partage la plupart des causes défendues–, mais les moyens employés sont si excessifs, autoritaires, parfois mêmes dictatoriaux que j'en viens par un renversement de valeurs à me détourner d'eux.
À dire vrai ils m'exaspèrent, ces nouveaux gourous de l'égalitarisme à tout crin, cette explosion de revendications tout azimuts où la moindre des peccadilles est désormais à considérer sous le rapport dominants versus dominés. Je les crois nécessaires, ces combats. Je pense qu'ils constituent un vrai progrès, une étape importante dans l'histoire de la civilisation –la reconnaissance et l'acceptation des particularismes de chacun–, mais je ne peux que déplorer la façon dont ils sont menés, cette manière très partisane de dresser les gens les uns contre les autres, cette radicalité de l'opinion où, si l'on tente d'apporter un peu de nuance dans la discussion, on est aussitôt considéré comme un ennemi à abattre.
Pire, il me semble que les méthodes employées sont à plus d'un titre contre-productives et débouchent sur des résultats inverses aux espérances affichées. Répéter à tort et à travers que l'homme blanc, quel qu'il fût, en dehors de toutes considérations entourant les circonstances de sa naissance, de son parcours éducatif et de ses conditions de ressources, est à l'origine de toutes les souffrances humaines n'aura comme résultat que de braquer toute une partie de la population au point de l'amener à épouser les causes et les combats d'extrême droite.
De fait, c'est ce qui m'inquiète le plus. Il me semble que plus nous sombrerons dans une outrance identitaire dominée par des questions de race et de genre, plus nous rendrons possible l'avènement de forces hautement réactionnaires, une révolution conservatrice d'une telle ampleur qu'elle balayera tout sur son passage, progrès social comme conquêtes émancipatrices.
Je vois déjà comment un individu comme moi, une personne à peu près raisonnable et rétive à toute forme de violence, réagit quand on lui lance à la figure toute une série d'anathèmes, d'injonctions, d'accusations qui tendraient à me prouver que je suis le dernier des hommes. Au fil du temps, je mesure mon agacement, mon énervement, ma lassitude, mon ressassement. Mais je sais que chez moi ces sentiments-là ne déboucheront sur rien d'autre qu'un simple haussement d'épaules, un long soupir qui se résumera à lui-même.
Je doute qu'il en soit de même auprès de personnes dominées par un instinct de violence, lesquelles sont bien plus nombreuses qu'on ne le suppose généralement. Jusqu'à quand un individu chez qui les fondations ne reposent pas sur une éducation dominée par un esprit de sagesse et de concorde endurera ces sommations et mises en accusation répétées? Jusqu'à quand acceptera-t-il d'être ainsi caricaturé sous les traits d'un infâme colonisateur dont la richesse acquise tout au long des siècles précédents se colore du sang de l'opprimé?
À partir de quel moment la somme de ces frustrations et de ces indignations sera telle qu'elle annihilera chez lui toute capacité de jugement, d'autant plus quand lui-même aura eu à se démener dans des vies étriquées marquées du sceau de la précarité ou de la misère? Qu'est-ce que le trumpisme, si ce n'est en partie l'expression d'un corps électoral las d'avoir à se justifier d'être ce qu'il est et qui attend du politique une remise au pas des revendications identitaires?
Non point que ces revendications identitaires ou genrées n'ont pas lieu d'être. Bien au contraire. Mais, de grâce, point de cette manière frontale où l'on confond tout avec tout, où il n'existe aucune forme possible de débats, où du haut de son intransigeance née de siècles de lutte, on refuse à l'autre de s'exprimer, d'exister, de prétendre participer à la vie culturelle de la nation. Où, au moindre écart ou prétendu tel, on le somme de démissionner, de rendre sa blouse, de s'écarter comme s'il venait de commettre le pire des crimes possibles. Où soudain l'appartenance à la majorité d'une personne présuppose chez elle tout un écheveau d'attitudes, de pensées, de raisonnements qui font d'elles une parfaite coupable.
Ce n'est point ainsi qu'on gagne une société à ces causes. Bien au contraire. Plus l'absence de discernement (et d'humour, d'autodérision!) seront présents dans les universités, au sein des rédactions, parmi les instances démocratiques, et plus la société aura tendance à marquer sa préférence pour des régimes autoritaires –le crépuscule de la gauche, du moins en France, est là pour nous le rappeler.
Que ceux qui sont à la tête de ces luttes émancipatrices s'en souviennent.
Il y a urgence.
Dans cette série de tartufferies (d'Accent 1,2,3) , de Nom (1,2,3) ou de Culture (1,2) nous nous aventurons pour ce nouvel épisode de l'autre côté de l'Atlantique où mi-septembre a été révélé qu’en 2019 le Conseil scolaire catholique de Providence, rassemblant plusieurs dizaines d’écoles dans le sud de l’Ontario, a décidé, à l’invitation de Suzy Kies, qui se présentait comme une gardienne du savoir autochtone, de purger les bibliothèques scolaires de plusieurs milliers d’ouvrages accusés de relayer une vision défavorable ou négative des Amérindiens.
L'enquête menée par Radio Canada a montré que la dite Suzy Kies coprésidente de la commission des peuples autochtones du Parti libéral du Canada n'avait pas d'ascendance autochtone avérée car elle ne figure pas dans les registres des conseils de bande abénakis et on ne lui trouve aucun ancêtre autochtone jusqu'à au moins l'année 1780.
Que s'est-il donc passé en 2019 ? Sur l'injonction de cette dame, le groupe scolaire a détruit près de 5000 livres jeunesse parlant des Autochtones dans un but de réconciliation avec les Premières Nations, Une cérémonie de "purification par la flamme" s’est tenue en 2019 afin de brûler une trentaine de livres bannis, "dans un but éducatif". Les cendres ont servi "comme engrais" pour planter un arbre et ainsi "tourner du négatif en positif". Autrement dit un autodafé (étymologiquement un « acte de foi ») a été réalisé au nom de la Cancel Culture laquelle consiste à détruire ce qui n'est pas conforme aux normes du moment. Un document de 165 pages, détaille l'ensemble des titres éliminés, ainsi que les raisons invoquées. Par exemple pour "Tintin en Amérique" : le motif du retrait est un "langage non acceptable", des "informations erronées", une "présentation négative des peuples autochtones" et une "représentation fautive des Autochtones dans les dessins". Des livres qui présentaient des bricolages qualifiés d’"appropriation culturelle" ont aussi été retirés. Deux biographies de Jacques Cartier publiées dans les années 1980 ont été retirées pour des informations jugées "désuètes et fausses". La biographie de l’explorateur Étienne Brûlé, Le Fils des Hurons, a aussi fait les frais du comité, notamment pour "fausse information historique", alors que les auteurs Jean-Claude Larocque et Denis Sauvé sont deux diplômés en histoire de l’Université d’Ottawa qui ont enseigné dans des écoles francophones de l’Ontario. Leur travail a d'ailleurs reçu plusieurs distinctions.
L'idéologie "woke" qui sous-tend cet autodafé est basée sur le principe "Jamais à propos de nous sans nous", autrement dit selon Suzy Kies, un livre sur les Autochtones ne peut pas être écrit par un non-Autochtone, à moins qu’un Autochtone ait révisé l'œuvre ou y ait collaboré.. C'est une vraie préoccupation car si on applique ce principe de manière large, on voit mal comment parler de civilisations disparues, ou même accepter des recherches historiques faites par des personnes non directement concernées. On comprend mieux dans cet environnement l'appel de l'historien suisse Christophe Vuilleumier qui affiche sur son blog un plaidoyer pour l'histoire.
N'est-ce pas l'acculturation de notre jeunesse qui lui fait voir son présent partout ? Certains reconnaissant dans le tableau l'Espéré de Ferdinand Georg Waldmüller une adolescente sur son smartphone alors qu'elle lit une lettre. Faîtes vous une idée ci-dessous.
Le 6 septembre, on a appris qu'en ce début de XXIe siècle, en Occident, il existait encore des censeurs capables de brûler des livres parce que leur contenu était jugé offensant.
Voici le contexte: en 2019, des écoles francophones de l'Ontario, au Canada, ont supprimé de leurs rayonnages à disposition des enfants des ouvrages accusés de propager des stéréotypes négatifs sur ceux qu'on appelle tantôt les peuples autochtones, tantôt les Premières Nations, tantôt les Amérindiens, et qu'il était autrefois d'usage d'appeler les «Indiens» (mot qui, rappelons-le, remonte à une erreur géographique du XVe siècle, lorsque les Européens crurent débarquer en Inde alors qu'ils venaient de découvrir un continent nouveau pour eux).
Comme le rapporte le journaliste Thomas Gerbet dans un article publié par Radio Canada, il s'agissait d'une grande «épuration littéraire» concernant rien moins que trente écoles. Près de 5.000 livres ont été détruits «dans un but de réconciliation avec les Premières Nations». Une cérémonie de «purification par la flamme» (sic) s'est tenue dans une école où une trentaine de livres ont été brûlés puis ont servi d'engrais pour planter un arbre et «tourner du négatif en positif». Les cérémonies programmées dans d'autres écoles ont été ajournées pour cause de pandémie.
On pourrait se croire dans une dystopie à la Atwood, Orwell ou Bradbury, mais non.
Cerise sur le gâteau flambé, Suzy Kies, l'une des principales initiatrices de cette opération, celle qui a accompagné le conseil scolaire dans la destruction de ces livres en tant que «gardienne du savoir» et revendique des racines autochtones, s'est avérée être une menteuse dépourvue de la moindre goutte de sang amérindien. Mais le Parti libéral du Canada où elle occupe le rôle de coprésidente de la commission autochtone depuis 2017, une fois ce mini-scandale révélé, a indiqué que «Mme Kies s'identifie elle-même comme Autochtone non inscrite». Comme le dit Dominique Ritchot, coordonnatrice de la Société généalogique canadienne-française, qui a collaboré avec Radio-Canada à titre de chercheuse indépendante: «La Madame, elle en beurre épais. Elle n'a aucun ancêtre autochtone sur au moins sept générations.»
Depuis, sous la pression d'une controverse qui a fait le tour de la planète, le Conseil scolaire catholique (CSC) Providence a fait machine arrière. Près de 200 livres dont le contenu était encore à évaluer échapperont, pour le moment, à une éventuelle destruction.
"Les révélations de Radio-Canada selon lesquelles la « gardienne du savoir » autochtone qui a accompagné le Conseil scolaire, Suzy Kies, n'est pas Autochtone ont accéléré la décision de la direction". https://t.co/oiDbHReuW1
— d_schneidermann (@d_schneidermann) September 10, 2021
Les livres et les raisons de leur bannissement ont été recensés dans un document faisant rien moins que 165 pages. Il n'en faut pas autant pour identifier la véritable nature de cette démarche. Cet autodafé, si effrayantes que soient les images qu'il évoque (en Europe, les brûleurs de livres ont plutôt mauvaise presse depuis 1945) a des côtés ridicules et dérisoires qui sont une douleur pour l'entendement.
« Là où on brûle des livres, on finit par brûler des hommes. » Heinrich Heine. Une trentaine de livres détruits par le par une école de l’Ontario, parce qu’ils véhiculaient des stéréotypes négatifs sur les habitants des Premières Nations du Canada. https://t.co/m2NtQFtzwl
— Licra (@LICRA) September 9, 2021
Car il s'agissait, par exemple, d'éliminer certains albums d'Astérix (une Indienne en mini-jupe, amoureuse d'Obélix, étant jugée trop sexualisée), de Tintin (qui présenterait les peuples autochtones «de façon négative», notamment par l'utilisation du mot «Peau-Rouge»), de Lucky Luke (les autochtones y sont «perçus comme les méchants»). «L'utilisation du mot Indien a aussi été un motif de retrait de nombreux livres. Un livre est même en évaluation parce qu'on y utilise le mot “Amérindien”», rapporte Radio-Canada. Un ouvrage proposant aux enfants de manger, écrire, et de s'habiller comme les Amérindiens a été considéré comme un «manque de respect envers la culture». La liste est aussi longue qu'absurde.
La littérature, dans une société démocratique, est l'ultime espace de liberté totale et il est admis que la pensée ne peut pas être censurée.
Petit rappel à l'usage des lecteurs woke et bien intentionnés désireux d'annihiler des pans entiers de la culture sous le prétexte de moraliser la société ou de racheter les fautes de leurs pères: la littérature n'existe pas pour représenter la réalité fantasmée d'une certaine catégorie de personnes. La littérature est une expression de l'imaginaire d'un ou de plusieurs auteurs et autrices, à laquelle le lecteur est libre de s'identifier ou pas.
Il n'existe pas de tables de la loi de la fiction sur lesquelles sont gravés en lettres d'or les commandements de l'écrivain. Chacun écrit ce qu'il veut. Et chacun lit ce qu'il veut. La littérature, dans une société démocratique, est le seul et ultime espace de liberté TOTALE. C'est un prolongement de la pensée et, dans les sociétés démocratiques (et ce n'est pas un détail), il est admis que la pensée ne peut pas être censurée.
Pourquoi vouloir éliminer ces livres? Parce que, selon les défenseurs des peuples brimés d'Amérique du Nord, ils leur manquent de respect. Cet argument est matière à débat, œuvre par œuvre, et si possible avec leurs auteurs (dont certains ont découvert à cette occasion qu'ils étaient racistes. «Même des auteurs autochtones ont été envoyés au recyclage, à cause de l'usage de mots jugés inappropriés. Le roman jeunesse Hiver indien, de Michel Noël, a été écarté pour propos raciste, langage plus acceptable, information fausse, pouvoir des Blancs sur les Autochtones, et incapacité des Autochtones de fonctionner sans les Blancs», explique Thomas Gerbet. Michel Noël, qui était descendant d'Algonquins et militant pour la cause autochtone, donc.)
Et si, à l'issue d'une réflexion honnête, le lecteur estime que livre est offensant, il peut, en effet, exercer sur lui la meilleure, la plus efficace des censures: ne pas le lire. En le laissant fermé, il évitera à ce macho d'Obélix de contaminer son âme pure (et celle de ses enfants, bien sûr). Pour les autres, rien de mieux que de se faire une opinion par soi-même, et, au passage, de découvrir comment pensaient, écrivaient et lisaient ceux qui sont passés sur Terre avant nous et ont ancré les racines de notre histoire.
Croire qu'un enfant n'est pas capable de comprendre que certains usages n'ont plus cours, certaines appellations sont désuètes voire insultantes, c'est le prendre pour un crétin, ce qui n'est pas très bienveillant de la part de personnes dont le but affiché est de façonner un monde de Bisounours dont toute trace négative serait extirpée. Les enfants exposés à une société progressiste et évoluée ne se transforment pas en monstres de sexisme ou de racisme dès lors qu'ils voient Pocahontas à la télé («Pocahontas, elle est tellement sexuelle et sensuelle, pour nous, les femmes autochtones, c'est dangereux», a déclaré celle-qui-s'identifiait-comme-une-autochtone, alias Suzy Kies.)
Vouloir détruire toute œuvre qui représente une époque dont on n'a pas à être fier, ou des stéréotypes éculés et indignes, qu'ils soient réels (car évidemment, il y en a) ou fantasmés (Astérix? Sérieusement?), c'est tenter de moraliser la fiction pour ne laisser que des livres «purs», qui ne risquent de choquer personne et ne relatent qu'avec un vocabulaire cautionné par les tenants du bien-parler (et de préférence en écriture inclusive) des histoires où les méchants sont parfaitement identifiés, les gentils exempts de tout défaut ou aspérité, et où la complexité humaine n'a pas sa place. C'est-à-dire, à terme, d'éliminer la littérature.
Toute la littérature (oui, même Oui-Oui, qui pollue comme un taré avec sa voiture jaune alors qu'il pourrait se déplacer à vélo, et dont l'essence provient sûrement d'un puits de pétrole en Amazonie où des peuples indigènes sont chassés de chez eux par des compagnies sans scrupules). Et vous savez qui revendique l'élimination de toute la littérature au profit de l'idéologie? Mais si, bien sûr, vous le savez (et c'est ainsi que le point taliban remplaça le point Godwin).
Ceux qui brûlent ces histoires seraient bien inspirés, avant d'allumer le bûcher, de les relire: les tyrans, ce sont souvent ceux qui perdent à la fin.
En outre, en plus d'être inepte, c'est une démarche vaine, si vaine. En effet, vous pouvez brûler un livre, le reléguer au placard, le dissoudre dans l'acide, le jeter à la mer, le faire bouffer à vos ennemis, il est déjà trop tard: il existe, et les mots, les images, les idées qu'il contient sont indestructibles. La réalité du passé, aussi déplaisante qu'elle puisse vous paraître, ne sera pas modifiée parce que vous en aurez détruit les preuves et les traces.
Sans parler de l'attrait absolu que peut constituer une «bibliothèque interdite» pour de jeunes esprits avides de transgression. Détruire un objet physique pour symboliser une volonté d'anéantissement de concepts, d'idées et d'histoires a toujours été, et sera toujours, l'apanage des tyrannies. Ceux qui brûlent ces histoires seraient bien inspirés, avant d'allumer le bûcher, de les relire: les tyrans, ce sont souvent ceux qui perdent à la fin.
Un mouvement qui fait souvent parler, et qui prend une ampleur phénoménale : la "cancel culture". Par exemple, la suppression de références historiques racistes dans les livres, des statues ou encore des noms de rues et même des noms d’oiseaux.
Exemple d’un nom qui pose problème : le gobe-mouche de Hammond. Ce petit oiseau doit son nom à William Alexander Hammond, un chirurgien du XIXe siècle. Ce dernier était convaincu que les Noirs étaient des êtres humains inférieurs. L’année dernière, un autre oiseau, le "Longpur de McCown", qui lui devait son nom au général confédéré John Porter McCown. Confédéré, donc pour le maintien de l’esclavage. L’oiseau est devenu Longpur à bec épais.
Ceux qui sont à l’origine de cette initiative ont établi une liste de 150 oiseaux à débaptiser. La société ornithologique américaine vient de mettre en place un comité : qui va réfléchir à la façon de nommer les oiseaux qui pourrait poser problème. Et devrait faire des recommandations début 2022.
Un mouvement qui va trop loin ?
Un des arguments est de dire que ces oiseaux connus des seuls spécialistes, ce n’est pas la même chose que des statues de personnages controversés en plein centre ville, des écoles qui portent le nom de personnages au passé douteux ou des noms d’équipe de football prononcé des dizaines de milliers de fois chaque jour comme les Redskins de Washington.
Lors d’une interview sur CNN en début de semaine, Barack Obama est revenu là-dessus. Il a estimé que ça allait trop loin. Et plus généralement, l’ancien président a estimé qu’on ne pouvait pas demander à tout le monde d’être toujours parfait dans ses propos, dans ses intentions. C’est important que Barack Obama s’exprime là-dessus, car on ne peut pas le soupçonner de ne pas lutter contre les discriminations, notamment raciales. Ce qu’il dit, c’est qu’il faut réfléchir jusqu’où aller.
Et c’est vrai que c’est compliqué parce déjà, on perçoit les choses différemment si on est noir, asiatique ou blanc, si on est un homme ou une femme. Mais bon, revoir tous les dessins animés, s’insurger que le prince charmant aurait donné un baiser non consenti à Blanche Neige. À minima, ça mérite débat.
La peur des opposants à la "cancel culture", c’est que l’on revoit toutes les créations culturelles. Un exemple puisqu’on a parlé de la série Friends avec son épisode exceptionnel. Le New York Post a listé cette semaine 8 raisons pour lesquelles la série peut être critiquée.
Premièrement un casting, très blanc… Qui plus est dans une ville aussi cosmopolite que New York. La série peut être taxée de grossophobie puisque c’est une blague récurrente: se moquer du poids de Monica quand elle était adolescente. Le traitement de l’homosexualité peut être vu comme caricatural. La misogynie d’un Joey, voire le comportement limite d’une Rachel qui drague l’un de ses subordonnés.
C’est complexe, aucune réponse à apporter. C’est bien que les questions soient posées, que des écoles ne portent plus le nom de personnes racistes. Ce qui inquiète Obama, c’est que ça se transforme en injonction, à être parfait en toutes choses et toute circonstances. C’est en tout cas parti pour être l’un des grands débats culturel de la décennie.
Avec la colonisation "woke", les idéologies victimaires et revanchardes veulent faire passer l’universalisme pour un gros mot, utilisé par des gens peu fréquentables.
Jamais dans l’histoire de l’humanité nous n’avons vécu un moment aussi “planétaire”, une pandémie qui touche tous les continents. Or, au lieu de mettre en perspective ce contexte inédit avec nos principes universels d’égalité, de liberté et justice, de solidarité pour nous renforcer, des idéologies déshumanisantes imbibent nos sociétés pour nous fragiliser.
Pire, les idéologies victimaires et revanchardes veulent faire passer l’universalisme pour un gros mot, utilisé par des gens peu fréquentables.***
La perte de repère, l’absence de perspectives, la fragilité de la transmission de nos principes républicains mais aussi l’influence massive du soft power américain déplacent les jeunes générations vers des mécanismes antinomiques avec nos fondamentaux. Ils se radicalisent vers des pratiques communautaristes et autres replis identitaires.
Des jeunes se radicalisent vers des pratiques communautaristes et autres replis identitaires.
Le Wokisme, symbolisé par le mouvement Black Lives Matter aux États-Unis est pour ses défenseurs la seule possibilité de lutter efficacement contre les discriminations fondées sur la race, le genre et les préférences sexuelles. Intersectionnalité, non-mixité, décolonialisme, mais aussi concept de “blanchité” assumée... En réalité, il ne s’agit pas de se battre pour l’égalité mais sur fond de haine, se venger de l’histoire.
En France, faire l’autruche pendant plus de 30 ans, sans jamais prendre à bras le corps cette question essentielle de l’Égalité républicaine a fini par saper la confiance et renforcer la conviction que seul le modèle américain basé sur le communautarisme et sur des combats radicaux contre la classe dominante pouvait changer les choses dans cette France corsetée qui promeut un modèle d’Universalisme à bout de souffle.
Dès lors, face à cette colonisation woke qui arrive de manière incisive sur l’hexagone, une grande question se pose, celle de la défense du modèle français universaliste.
Bien sûr le racisme existe en France, bien sûr les discriminations basées sur la couleur de peau ou le patronyme, ou le genre (...) sont des réalités.
Bien sûr que la représentation de l’ensemble de la société, notamment à des postes de pouvoir et particulièrement dans les sphères économiques, financières et médiatiques est un vrai problème.
Bien sûr, nous avons du faire face à des sarcasmes, prouver notre valeur mille fois, lutter contre la condescendance, voire le mépris de certaines personnes, d’ailleurs quelle que soit leur couleur.
Néanmoins, le modèle Universaliste est le seul qui permette dans notre contexte d’affronter les défis d’aujourd’hui sur le plan intérieur et international. L’universalisme est le seul qui nous permette de ne faire qu’un contre toutes les formes d’injustice.
Dans ce monde traumatisé par le Covid mais qui reste dominé par les États-Unis, la Chine et demain l’Inde et l’Afrique, ne nous trompons pas de combat. Notre modèle est attaqué par ceux qui dans cette grande compétition économique souhaitent garder leur “leadership”.
Si nous sommes, en tant que Français, peu nombreux au regard des populations des super-puissances, nous avons une histoire, une culture, des traditions fortes qui nous distinguent et fondent notre Identité. Les renier, c’est voir disparaître la Nation sous la gomme de la Cancel culture, pour ne devenir plus qu’un agrégat d’une culture dominante.
Quid de notre art de vivre, de notre patrimoine, de nos complexités, de notre puissance créatrice en liberté dans une France du communautarisme racialiste et identitaire?
Face à cette colonisation woke qui arrive de manière incisive sur l’hexagone, la question de la défense du modèle français universaliste se pose.
Dans nos métiers respectifs recevant les ambassadeurs, les élus ou les artistes internationaux, Paris, la ville des Lumières reste un phare pour le monde entier en raison de son histoire, de ses valeurs et de son rôle de capitale des droits humains. Nos interlocuteurs recherchent avant tout la richesse de notre singularité comme une respiration dans la globalisation économique et le formatage de la pensée. N’oublions jamais que c’est à Paris qu’un écrivain noir, homosexuel du nom de James Baldwin est venu s’installer en 1948 afin de fuir les discriminations aux États-Unis et s’épanouir artistiquement et personnellement. Il n’est pas le seul.
Il nous appartient de défendre l’universalisme, de le faire évoluer, de le mettre en oeuvre et de le promouvoir sous toutes ses hautes coutures.
Dans cette crise mondiale, il est important de refuser de sacrifier ce que nous sommes, ce qui fait ce que nous sommes, ce qui fait que la France reste la France ici et dans le monde entier. L’universalisme est indéboulonnable.
Par Rachel Khan (Co-directrice du Centre culturel hip-hop La Place, actrice, autrice) et Arnaud Ngatcha (Adjoint (PS) à la Maire de Paris en charge des relations internationales, réalisateur de Noirs, l'identité au cœur de la question noire)