Le musée d'histoire de Nantes a indiqué lundi 12 octobre qu'il reportait une exposition consacrée à l'histoire de Gengis Khan et de l'empire mongol en raison du "durcissement" de "la position du gouvernement chinois à l'encontre de la minorité mongole".
publié le 13/10/2020 à 16:11
Au premier semestre 2021, le Château des ducs de Bretagne, à Nantes, devait accueillir dans ses murs, une "exposition consacrée à l’un des plus grands conquérants de l’Histoire" : le Mongol Gengis Khan, rapporte Ouest-France. Mais s'était sans compter sur une pression inattendue exercée par la Chine, selon le directeur du musée d’Histoire de Nantes, qui a annoncé lundi 12 octobre devoir "reporter" l'évènement.
"Nous sommes aujourd’hui contraints de reporter cette exposition en octobre 2024 en raison du durcissement, cet été, de la position du gouvernement chinois à l’encontre de la minorité mongole", indique Bertrand Guillet dans un communiqué. "Nous avons pris la décision de stopper cette production au nom des valeurs humaines, scientifiques et déontologiques que nous défendons".
Une décision prise après que les autorités chinoises ont exercé différentes pressions. Elles auraient ainsi d'abord exigé de "faire disparaitre de l’exposition des éléments de vocabulaire (les mots Gengis Khan, empire et mongol)", avant de demander un droit de regard sur les contenus eux-mêmes.
"Une annonce de modification du contenu de l’exposition accompagnée d’une demande de contrôle de l’ensemble de nos productions (textes, cartographies, catalogue, communication) ont été formulées", a fait savoir le directeur du musée nantais qui parle de "censure à l’égard du projet initial".
Le "nouveau synopsis proposé, écrit par le bureau du patrimoine de Pékin (...) comporte notamment des éléments de réécriture tendancieux visant à faire disparaître totalement l'histoire et la culture mongole au bénéfice d'un nouveau récit national", précise encore le communiqué.
La Chine compte 1,4 milliard d'habitants et 56 groupes ethniques. Les Hans y sont majoritaires à 92%. Les quelque 6,5 millions de Mongols habitent principalement en Mongolie intérieure, vaste région chinoise constituée de prairies, de déserts et de forêts. Mais en Mongolie voisine, la nouvelle politique linguistique chinoise, qui veut accroître l'enseignement du mandarin au détriment du mongol, provoque un tollé dans l'opinion et suscite de large manifestations.
Le projet, à l'instar de précédentes expositions présentées avec le concours de musées grec, colombien ou suédois ces dernières années, était prévu en partenariat avec le musée de Mongolie Intérieure à Hohhot (Chine). Le musée d'histoire affirme qu'une nouvelle exposition "nourrie de collections européennes et américaines" sera bientôt reconstruite en "conservant le premier synopsis".
Le roman policer culte fait disparaître le mot "nègre" de son titre et de ses pages dans une nouvelle édition qui paraît ce mercredi 26 août.
Après deux épisodes (1, 2 ) sur les accents et trois sur les noms ( 1 ), 2, 3 ?), le 3e opus étant d'ailleurs déjà beaucoup plus orienté vers la culture, je pense qu'il faut voir le problème sous une forme globale et englober toute la culture.
Depuis plusieurs mois, une notion appelée « cancel culture » qui a fait son apparition aux États-Unis, arrive en France. Au départ il s'agit d'une « culture de l’annulation » une « culture de l'effacement » qui consiste a effacer de son environnement ce qui va à l’encontre de la pensée dominante dans un groupe militant, qui souvent milite pour une cause noble : féministes, antiracistes, pour les droits des personnes LGBT,...
Le magasine Stylist, cité par Martin Pimentel dans Causeur, nous en donne une version plus précise : "Dorénavant, dès que quelque chose ne nous plait plus, on peut l’annuler dans la minute : forfait de téléphone, course Uber, abonnement Netflix. Alors pourquoi ne pas annuler aussi les humains".
Comme le souligne la traduction de la philosophe et sociologue Natalie Wynn sur le site Madmoizelle, la « cancel culture » souffre de 8 caractéristiques :
La présomption de culpabilité (les victimes qui témoignent DOIVENT être crues, les accusés sont FORCÉMENT coupables)
L’abstraction (qui remplace les détails concrets et spécifiques d’une revendication par une déclaration plus générique afin de créer une culpabilité)
L'essentialisme (quand on passe de la critique des actions d’une personne à la critique de la personne elle-même)
Le pseudo-moralisme (les prétextes que nous trouvons pour justifier d’actes normalement répréhensibles)
L’absence de pardon (malgré ses excuses publiques, et même si les accusations se sont avérées être un tissu de mensonges, l’histoire ressortira à chacun des faits et gestes d'une personne "cancelled")
La contagiosité (si une personne soit dénoncée, ses amis, ses proches, ses collaborations sont passées au crible et pris à partie)
La vision manichéenne (les personnes sont soit bonnes, soit mauvaises, sans qu’aucune nuance ne puisse être apportée.)
La souffrance provoquée (les menaces et les cyber-harcèlements laissent des traces)
D'après le politologue Eric Branaa, cette notion de « cancel culture » est l’héritière des séances de délation publique tenues par les puritains à leur arrivée aux USA. Au sein des gouvernements locaux appelés "caucus", auxquels tous les citoyens participaient, il fallait tout dénoncer en public, par exemple les adultères. C'est dans ce cadre puritain qu'eut lieu le procès des sorcières de Salem en 1692 dans le Massachusetts, qui conduisit à l'exécution de 25 personnes, accusées de sorcellerie. La question philosophique "faut-il distinguer l'homme de l'artiste" est ainsi tranchée de façon manichéenne et leurs actions immorales (à l'aune d'aujourd'hui) sont reprochées à personnalités des siècles passés. Gauguin a été proposé a être "cancelled" par le New-York Times fin 2019 (à lire en français sur le site de Marianne). Le Figaro nous montre les 3 catégories de statues qui pourraient être déboulonnées si l'on suit les demandes de ces nouveaux censeurs
Ce mouvement dérive ainsi de plus en plus vers une autre traduction possible de « cancel culture » ou le mot cancel n'est plus traduit comme un nom mais comme un verbe, il s'agit alors de « détruire la culture » tel un autodafé moderne. Il s'agit alors de ne plus heurter la sensibilité de personne, et cela crée comme le montre France24 de nouveaux métiers de "sensitivity readers" qui vont vérifier qu'aucun élément les choquant n'apparait fonction de leur sexe, de leur couleur de peau ou de tout autre critère.
De même le monde du Scrabble s’interroge aussi sur l’interdiction des insultes racistes et sexistes en compétition et l'on apprend ainsi l'envie de l'association nord-américaine des joueurs de Scrabble de retirer 238 mots du dictionnaire officiel de la discipline ! D'ailleurs les termes antisémites ont déjà été retirés dans les années 1990. En France aussi les éditions récentes du dictionnaire du scrabble ignorent aussi certain mots. On se croirait dans la société de 1984 de George Orwell ou la novlangue réduit le langage pour réduire toute possibilité de conceptualiser plus large que le cadre voulu.
L'humoriste Christophe Bourdon sur la radio de la RTBF La 1ere a fort bien résumé le problème : à vouloir supprimer tout ce qui heurte la sensibilité de quelqu'un on se retrouve dans un monde vide sans culture, sans histoire, un monde de présent sans passé ni avenir. Et de nous citer le livre 1984 :
" Tous les documents on été détruits ou falsifiés, tous les livres réécrits, tous les tableaux repeints, toutes les statues, les rues, les édifices ont changé de nom, toutes les dates ont été modifiées. Que le parti puisse étendre le bras vers le passé et dire d'un évènement cela ne fut jamais, c'était bien plus terrifiant que la simple torture ou la mort. La dictature s'épanouit sur le terreau de l'ignorance"
Enfin, seule réaction, dans une lettre ouverte publiée sur le site de la revue américaine, Harper’s Magazine, plus de 150 auteurs et personnalités intellectuelles mettent en garde contre une forme de censure inédite exercée par des minorités – ou pour leur compte – qui se prétendent dépourvues de tout pouvoir politique, économique et médiatique. Comme nous le dit Jerémy Stubbs dans Causeur cette nouvelle censure qui s’exerce dans les universités, les maisons d’édition, les médias et même les entreprises, se caractérise par une « intolérance à l’égard des opinions divergentes », un « goût pour l’humiliation publique et l’ostracisme » et une « tendance à dissoudre des questions politiques complexes dans une certitude morale aveuglante. » Il s’agit d’exclure du discours public à la fois certains points de vue et les voix qui les portent. L’idéologie au nom de laquelle ces prohibitions sont imposées s'appelle le woke, ce politiquement correct dopé aux stéroïdes ...
***La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 18 juin n'est certainement pas une surprise. En censurant une large partie de la loi Avia visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, le Conseil constitutionnel n'a fait qu'appliquer l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
En d'autres termes, ceux initiés il y a bien longtemps par Georges Morange, la liberté d'expression relève du régime répressif : chacun est libre de s'exprimer, sauf à rendre compte d'une éventuelle infraction a posteriori devant le juge pénal. En tout état de cause, la censure préventive, sans intervention d'un juge, n'est pas conforme à la Constitution.***
Le plus triste est sans doute qu'il soit nécessaire de rappeler ce principe dans un État de droit. Or la catastrophe pouvait sans doute être évitée. Rappelons qu'il s'agissait d'une proposition de loi en principe portée par Laetitia Avia, mais ce texte n'aurait jamais vu le jour s'il n'avait bénéficié d'un fort soutien du gouvernement et du Président de la République. Le choix d'une proposition de loi permettait surtout d'éviter l'étude d'impact, qui aurait peut-être permis de mettre en lumière les problèmes juridiques posés par le texte. Le débat, quant à lui, a été précipité, le gouvernement ayant imposé la procédure accélérée, le texte ne faisant l'objet que d'une seule lecture dans chaque assemblée, et les amendement écartés sans réel débat.
Enfin, il faut reconnaître que l'avis du Conseil d'Etat était particulièrement complaisant à l'égard du texte, se bornant à constater que la lutte contre les contenus haineux sur internet serait sans doute plus efficace si elle trouvait son fondement juridique dans le droit européen. A part cela, il ne voyait rien de choquant dans le projet. Sans doute ne l'avait-il pas bien lu, contrairement à la Commission européenne qui, elle, a fait savoir que le texte violait plusieurs dispositions de la directive du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques de la société de l'information et notamment au commerce électronique. Mais l'avertissement a été souverainement ignoré.
La loi a finalement été votée à l'Assemblée par une écrasante majorité de 434 voix, avec seulement 33 voix contre et 69 abstentions. Il ne s'est pas trouvé soixante députés pour saisir le Conseil, les intéressés imaginant sans doute que leurs électeurs les accuseraient d'être favorables aux discours de haine. Heureusement, le Sénat a témoigné d'une opposition d'autant plus résolue qu'il n'avait obtenu aucune concession lors de la commission mixte paritaire, et soixante sénateurs n'ont donc pas hésité à saisir le Conseil.
Le Conseil constitutionnel rappelle que la liberté d'expression, comme d'ailleurs toutes les libertés sauf la liberté de penser, s'exerce dans le cadre des lois qui la réglementent. Le législateur peut certes voter des dispositions destinées "faire cesser des abus de l'exercice de la liberté d'expression et de communication", mais seulement dans la mesure où ces "abus" portent atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers. Pour la première fois, le Conseil précise que ces "abus de la liberté d'expression" se réduisent à la diffusion d'images pédopornographiques et à la provocation à des actes de terrorisme ou à l'apologie de tels actes. Dans cette définition extrêmement étroite ne saurait rentrer la simple référence à un "discours de haine" dont la loi Avia ne donne aucune définition juridique.
Le Conseil exerce donc un contrôle de proportionnalité. Selon une formule qui figure déjà dans la décision du 8 septembre 2017 : "La liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s'ensuit que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi". On pourrait évidemment s'interroger sur le sens de cette formulation, et ce que signifie une procédure "adaptée" à son objectif. Sans doute le Conseil renvoie-t-il au principe déjà affirmé, selon lequel une mesure restreignant une liberté doit être a priori susceptible de permettre ou de faciliter la réalisation du but recherché par le législateur.
Exerçant ce contrôle de proportionnalité, le Conseil censure deux dispositions essentielles de la loi.
Il déclare d'abord non conformes à la Constitution les dispositions du paragraphe I de l'article 1er permettant à l'autorité de police de demander aux hébergeurs ou aux fournisseurs d'accès internet de retirer certains contenus à caractère terroriste ou pédopornographique dans un délai d'une heure après la demande. Le non-respect de ce délai était passible d'une peine d'emprisonnement d'un an et de 250 000 € d'amende.
La cessation de tels abus constitue, à l'évidence, une finalité licite. Mais en l'occurrence l'appréciation du caractère illicite des contenus repose exclusivement sur l'appréciation de la police. En effet l'exigence de l'administration doit immédiatement être satisfaite, ce qui signifie qu'un éventuel recours de la part de l'hébergeur n'est pas suspensif. Le juge n'intervient donc pas immédiatement dans la procédure, et la censure repose donc sur une simple décision administrative. Dans sa "porte étroite", La Quadrature du Net fait d'ailleurs observer que les hébergeurs et fournisseurs d'accès n'emploient pas nécessairement des webmasters disponibles 24 h sur 24, sept jours sur sept, pour répondre aux éventuelles demandes de retrait dans l'heure.
Le Conseil censure également le paragraphe II de ce même article 1er, imposant cette fois aux hébergeurs et fournisseurs d'accès de retirer ou de rendre inaccessibles, dans un délai de 24 heures, les contenus illicites en raison de leur caractère haineux ou sexuel, ou répondant à une qualification pénale dont la liste est fort longue (discrimination, contestation de crime contre l'humanité, incitation ou apologie de crimes, injure, harcèlement, etc).
L'absence d'intervention préalable d'un juge est sanctionnée, dans les mêmes termes que pour le paragraphe I, mais le Conseil se montre cette fois encore plus sévère. Il mentionne en effet les "difficultés d'appréciation du caractère manifestement illicite des contenus signalés dans le délai imparti". Sans être formellement mentionné, le principe de légalité des délits et des peines est directement en cause. La notion de "contenu haineux" est dépourvue de sens juridique, car le droit a vocation à encadrer, voire à sanctionner, des comportements, mais pas des sentiments. Quant à la liste des infractions, elle est fort longue et donne lieu à des jurisprudences souvent subtiles. Il est donc matériellement impossible que les opérateurs puissent déterminer en 24 heures si le contenu dont le retrait est demandé est licite ou illicite. Or cette fois, la demande peut émaner, non pas des autorités de police, mais de n'importe quelle personne qui s'estime victime d'un discours de haine, à la seule condition qu'elle fasse connaître son identité.
Cette fois, la censure est donc initiée par une personne privée, l'internaute, et exercée par une autre personne privée, l'hébergeur ou le fournisseur d'accès. Ce sont eux, et eux seuls, qui sont chargés de constater l'existence d'une infraction pénale et d'en tirer les conséquences. Dès lors que le délai de 24 heures est beaucoup trop court pour s'assurer du caractère licite ou illicite d'un contenu, le Conseil observe que de telles dispositions "ne peuvent qu'inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu'ils soient ou non manifestement illicites". On arrivait ainsi à un régime de censure exercé par n'importe qui. Et il appartenait à la malheureuse victime de la censure de contester ensuite la mesure dont elle était victime. Mais le mal était fait, car son propos avait déjà disparu du net.
De ces deux annulations en découlent d'autres, par une sorte d'effet domino. Les dispositions qui mettaient en oeuvre cette procédure de retrait, six articles en tout, sont donc annulées car devenues inutiles. Et la loi Avia s'effondre comme un château de cartes. Il n'en subsiste que deux éléments, d'une part la création d’un parquet spécialisé dans la répression de la haine en ligne, d'autre part celle d'un Observatoire de la haine en ligne placé auprès du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Autant dire rien.
Après une telle défaite, il est clair que les propos de Laetitia Avia et de Nicole Belloubet qui annoncent en chœur vouloir "retravailler le dispositif" relèvent de la pure rhétorique. La loi Avia tombera bientôt dans un oubli mérité, et ne sera plus citée que dans les facultés de droit comme un magnifique exemple de crétinisme juridique. Pourtant la question essentielle n'est pas celle de la loi, mais celle de son adoption. Comment un texte bafouant les principes les plus élémentaires du droit pénal peut-il être voté par les députés à une écrasante majorité, avec la bénédiction du Conseil d’État et le soutien sans faille du gouvernement ? Ceux qui sont attachés à l’État de droit vont devoir chercher des réponses à cette question.
Laurent Sagalovitsch — 17 juin 2020 à 10h02
[BLOG You Will Never Hate Alone] Quelle figure historique peut prétendre avoir mené une vie en tout point irréprochable?
J'ai beau avoir décroché mon bac avec mention, hier encore, j'ignorais qui était vraiment Colbert. Je le voyais comme un grand commis de l'État dont le magistère avait dû s'exercer quelque part entre le XVe et le XVIIIe siècle et c'est à peu près tout. Probablement comme le plus mécréant des ignorants suis-je déjà passé devant sa statue sans même le savoir. Aurais-je pris le temps de lire son nom que je n'aurais pas été plus avancé. «Tiens, ce brave homme perché sur ce socle d'airain est donc Colbert», me serais-je dit avant d'attraper mon bus. Et l'affaire en serait restée là.
Aujourd'hui, grâce aux manifestations de la semaine dernière, j'en sais un peu plus sur lui, notamment qu'il fut à l'origine du Code noir, lequel régissait le sort des esclaves aux siècles passés. Ce qui n'est pas bien, pas bien du tout. Vilain monsieur que ce Colbert. La prochaine fois, je ne manquerai pas de m'en aller lui tirer les oreilles et de lui dire ma façon de penser. Du moins si sa statue est toujours en place.
En soi, je n'ai rien contre le fait de déboulonner des statues, sauf qu'il faudrait les déboulonner toutes. Si Colbert a le droit à cet honneur, je ne vois pas pourquoi Voltaire ne connaîtrait pas le même sort tant ce dernier tenait en piètre estime –c'est peu de le dire– et les Noirs et les Juifs. Et quand on se sera débarrassé de l'auteur de Candide, on passera au suivant, à Rousseau qui abandonna ses enfants à l'hôpital public, à Jules Ferry, ce théoricien du colonialisme, à Napoléon qui ensanglanta toute l'Europe avec ses conquêtes meurtrières, à Hugo, l'amateur de chair fraîche, à l'Abbé Pierre, ce révisionniste qui s'ignorait, à tous ces grands hommes ou prétendus tels dont nul ne saurait résister à un examen rétrospectif de leurs actes et de leurs gestes.
Personne n'en réchappera. Ce sera un massacre absolu. Une vendetta sans retour. Qui peut imaginer un homme ou une femme ayant eu tout au long de son existence un comportement en tout point admirable dans sa vie publique comme dans sa sphère privée? Qui jamais n'aura écrit ou dit une parole offensante? Dont la vie aura été une suite interrompue d'éclairs de bravoure, une existence sans vice et sans travers, sans manquements ni petitesse, si linéaire et si grandiose qu'elle aurait comme quelque chose d'irréel, d'effrayant même?
Les individus sont les produits de leur époque, lesquelles charrient tout leur lot d'ignominies qui nous apparaissent comme telles une fois passées par le moulinet du temps. L'antisémitisme ou l'antijudaïsme de Voltaire ne peut être comparé à celui d'un Paul Morand ou d'un Céline qui même après l'Holocauste continuèrent à vilipender «la race juive». Le raciste de nos jours qui continuerait à louer les mérites de l'esclavage sera jugé bien plus sévèrement que celui qui présida à sa naissance même si les deux comportements sont tout aussi condamnables. Le colonisateur des époques reculées aura le droit à une certaine mansuétude, laquelle sera absente pour juger celui de l'époque moderne.
Un esprit aussi éclairé fut-il ne peut pas s'extraire des conditions qui donnèrent naissance à sa pensée. Nous sommes tous prisonniers de notre temps, nous voyons le monde comme il se présente sans qu'il nous soit possible de dire combien, sur certaines problématiques, il nous entraîne à nous comporter d'une manière qui avec l'accumulation des années apparaîtra aux générations futures comme tout à fait scandaleuse ou inappropriée.
Nous-mêmes qui passons notre temps à donner des leçons de morale, sans même que nous en ayons conscience, avons des attitudes, des pensées, des conduites qui un jour prochain ne manqueront pas d'indigner nos cadets, lesquels seront prompts à nous juger avant d'être à leur tour l'objet des remontrances de leur descendance et ainsi de suite comme une invariable qui régirait nos existences humaines.
Les héros n'existent pas, ce sont des créatures rencontrées seulement dans les livres d'enfants. Par nature, à des degrés divers, nous sommes tous coupables. Nous avons tous nos défauts, nos étroitesses, nos égoïsmes, nos lâchetés, nos rancœurs, nos jalousies mesquines, nos outrances, nos bêtises. Prétendre le contraire serait s'extraire de la condition humaine pour épouser un destin divin. Et encore, à bien des égards, même les dieux sont imparfaits!
L'histoire humaine n'est pas figée. Ses canons changent selon les humeurs des siècles. Les progrès scientifiques ne cessent de redistribuer les cartes et ce qui hier encore était pris pour une vérité éternelle sera démenti par l'apparition de nouvelles connaissances qui seront autant de désaveux pour les croyances d'antan.
D'une certaine manière, le temps passe son temps à se contredire, à dire tout et son contraire, à se renier, riant de nous autres qui sommes assez naïfs pour vanter la qualité de nos jugements comme immuables. C'est ainsi qu'autrefois dans les sanatoriums, on ne trouvait rien à redire aux malades qui fumaient! Il suffit de lire ou de relire La Montagne magique de Thomas Mann pour s'en convaincre.
Il est vrai que le cœur humain, lui, ne change pas et c'est probablement dans ce domaine que notre vigilance doit être de mise. Celui qui dans l'exercice de son pouvoir manifesta vis-à-vis d'autrui une haine viscérale à rebours des avancements de la science ou de la morale propres à son temps, celui qui au-delà des contingences de son époque, proclama la supériorité d'une peuplade sur une autre, celui dont l'incandescence de la pensée déboucha sur le massacre d'innocents, celui qui consacra toute sa vie à se répandre en considérations oiseuses au point d'en faire la matrice de son existence, celui-là ne saurait mériter de figurer dans l'espace public; sa place est dans le caniveau de l'histoire.
Colbert répond-il à cette définition?
Vu ma connaissance du bonhomme, il ne m'appartient pas d'en juger.
Quel courage que le mien!
«Autant en emporte le vent», ce n'est pas juste une idéalisation de l'esclavage. C'est également une histoire de résilience, de sexe et de courage.
Il est probablement utopiste de penser réconcilier les deux camps qui aujourd'hui s'affrontent autour de la décision de HBO de retirer momentanément le film Autant en emporte le vent de sa plateforme, le temps de le «recontextualiser», et de celle de Warner Bros de déprogrammer sa projection au Grand Rex.
La seule chose que l'on puisse affirmer, c'est que cette œuvre littéraire est l'une des plus connues au monde, non seulement parce que les chiffres le disent (elle a été vendue à des millions d'exemplaires, traduite dans des dizaines de langues –une nouvelle traduction vient juste de sortir en français–, et en 2014, les Américain·es la citaient au deuxième rang de leur livre préféré, après la Bible. Pour la petite histoire, lors de sa publication en 1936, Margaret Mitchell avait dit: «J'espère qu'ils en vendront 5.000 exemplaires. Pour rentrer dans leurs frais»), mais aussi au vu du grand nombre de personnes qui ont un avis sur l'histoire que ce roman raconte.
Qui a lu et/ou vu Autant en emporte le vent vous dira que c'est l'histoire de Scarlett O'Hara (au départ, Margaret Mitchell l'avait appelée Pansy, ce qui avait beaucoup moins de gueule, admettez), jolie Sudiste de 16 ans qui voit son destin bousculé 1) par son amour impossible pour le fadasse Ashley Wilkes 2) par la découverte tardive qu'elle a un cœur et qu'elle peut aimer cette gourde de Melanie et ce tombeur de Rhett Butler 3) par la guerre de Sécession, la fin du monde qu'elle a toujours connu, la mort de ses parents 4) par la découverte qu'en couchant avec les bonnes personnes, tout devient possible.
Loin d'être l'histoire d'amour cucul la praline à laquelle elle est trop souvent réduite, Autant en emporte le vent est en réalité une fresque historique majeure, qui décrit pour la première fois –et c'est encore assez rare– l'histoire du côté des vaincus.
Margaret Mitchell «se souvenait d'avoir entendu, enfant, de nombreuses histoires de batailles héroïques, sur le courage des Sudistes et la traîtrise des Yankees, et sur la vie dans le Sud avant, pendant et juste après la guerre. Ce ne fut qu'à l'âge de 10 ans, plaisantait-elle, qu'elle se rendit compte que le Sud avait perdu», rappelle Cass R. Sunstein dans un excellent article publié en 2015 dans The Atlantic.
Mais c'est aussi, et peut-être surtout, une histoire de femmes. Celle de Scarlett bien entendu –on y reviendra–, mais aussi celle de Melanie, cruche hyper-patriote et d'une loyauté sans faille, tant à la «cause» qu'à la perfide Scarlett.
Mère courage et victime qui perd son frère à la guerre, voit son mari partir et son monde s'écrouler, comme la majorité des femmes de cette époque, Melanie est un symbole de la vie d'avant, de celles qui ne survivent pas à la catastrophe, à l'image des femmes d'Atlanta qui passent leur temps à médire sur Scarlett parce qu'elle s'adapte pour survivre –ce dont elles sont bien incapables.
C'est aussi, brièvement, l'histoire de Belle Watling, prostituée au grand cœur, dans les bras de qui Rhett se console quand Scarlett fait trop la peste et qui insiste pour que les vertueuses femmes sudistes qu'elle révulse prennent son argent sentant la luxure pour aider l'hôpital.
C'est l'histoire de Mama, la nounou noire de Scarlett, sa deuxième mère, femme roc, indéfectible et consentante, toujours prête à la ramasser quand elle tombe et la seule à exercer une quelconque autorité sur sa maîtresse, et de Prissy, la petite esclave insupportable du film qui se voit menacée d'être vendue par une Scarlett hystérique pendant le siège d'Atlanta, alors que Melanie est en train d'accoucher.
Toutes ces femmes se prennent en pleine face ce que l'histoire des hommes a inventé de pire: la guerre, et s'en sortent plus ou moins bien. À une époque où les femmes blanches de cette société sudiste qui se voulait aristocratique servaient uniquement d'objet de décoration et de reproduction et où les Noires étaient des machines à servir leurs maîtres et leurs maîtresses, elles n'avaient d'autre choix que d'être des victimes à la merci de ce que les hommes pourraient ou voudraient faire d'elles.
Mais pas Scarlett. Au début de l'histoire, elle a 16 ans, elle n'est bonne à rien et c'est une ado obnubilée par celui qu'elle prend pour l'homme de sa vie et qui servira de fil conducteur à toute l'histoire. Au moment où la guerre est déclarée, elle épouse le frère de Melanie par dépit, parce que que peut-elle faire d'autre pour se rapprocher et se venger d'Ashley (qui devient ainsi son beau-frère)? Le mariage, objectif et finalité des femmes de son monde, devient soudain un instrument. Et ça marche.
De ce premier mariage éclair («Deux semaines plus tard, Scarlett était mariée, deux mois plus tard, elle était veuve»), Scarlett gagne, bien sûr, un enfant, «à son grand désarroi». Elle en aura un deuxième, une fille, quasiment invisible, lorsqu'elle convolera pour la deuxième fois, par intérêt, avec le fiancé de sa sœur.
Car si Scarlett, jeune fille, flirtait, une fois la guerre arrivée, lorsqu'elle constate qu'elle a presque tout perdu et que personne ne pourra l'aider, elle décide de se servir de la seule arme qu'elle a à sa disposition pour ne pas perdre ce qui lui reste et parce qu'elle doit subvenir aux besoins de sa famille: son corps.
Elle tente d'abord de se prostituer en vendant ses charmes à Rhett Butler, et la tentative ayant échoué, elle épouse un homme qui a une bonne situation et de l'argent, dont elle pourra se servir pour payer ses impôts, conserver sa maison et nourrir les siens.
Scarlett sera la cause indirecte de son second veuvage, ce que ne manque pas de lui reprocher son entourage: si elle a été agressée dans un bidonville près d'Atlanta, c'est qu'elle a osé le traverser seule, ce qu'une femme bien ne doit pas faire, en plus pour aller travailler (et allez savoir comment elle était habillée); son mari était bien obligé de la venger, ce qui lui sera fatal (et pourtant, Scarlett n'en demandait pas tant).
Car en plus elle travaille (un comble), et elle s'occupe si peu de ses enfants qu'ils ne sont même pas mentionnés dans le film. La seule fibre maternelle qu'on lui connaîtra sera éveillée par la petite Bonnie, qui meurt en bas âge –ce qui n'arrangera pas les affaires de son couple.
Scarlett est dans l'ensemble une mauvaise mère pour ses enfants non voulus, et c'est une garce: elle s'exhibe, elle flirte, elle vole les fiancés des autres (deux fois!), elle travaille au lieu de se résoudre à rester dans la misère, elle roule des pelles à son beau-frère et lui propose de s'enfuir avec elle, elle épouse un homme infréquentable en partie pour son argent (bien sûr, nous, on a compris qu'elle l'aimait, dans le fond, mais c'est une mule, cette fille), et au passage, elle tue un homme et l'enterre au fond du jardin.
Si malgré l'idéalisation de l'esclavage et les relents de glorification du Sud confédéré de ce roman, l'histoire de Scarlett a touché tant de gens, tant de filles et tant de femmes, c'est parce que cette jolie putain qui ne cesse jamais de se battre pour ne pas tout perdre et qui refuse de se laisser soumettre, c'est avant tout la survivante que nous voudrions toutes être.
C'est là un des grands rôles de la littérature: construire et offrir des personnages qui nous inspirent et nous font espérer que nous aussi, nous pouvons traverser les pires situations et avoir suffisamment de résilience et de force pour nous en sortir.
Car le choix qui est offert à Scarlett, c'est soit rester à sa place, perdre sa maison, voir sa famille crever de faim dans la dignité (et se faire violer par l'épouvantable Yankee qu'elle va trucider) mais rester ancrée dans le respect des traditions de son époque et de sa caste, soit envoyer valser la crinoline, serrer les dents et les fesses et faire ce qu'il faut bien faire, à la guerre comme à la guerre: une robe dans des rideaux et un passage obligé dans le lit d'hommes qu'elle méprise, parce que dans son monde, il n'y a pas de juste milieu.
Et il en faut, du courage, dans une fiction comme dans la vie, pour braver la morale, agir en faisant fi de toutes les conventions et décider de ne pas mourir. Quand elle revient à Atlanta en pleine reconstruction, elle n'en croit pas ses yeux: «“Ils t'ont brûlée”, pensa-t-elle, “et ils t'ont laissée pour morte. Mais ils ne t'ont pas vaincue. Ils ne pouvaient pas te vaincre. Tu te reconstruiras, aussi grande et aussi insolente qu'autrefois!”» On n'est pas trop sûr de savoir si c'est d'elle dont elle parle, ou bien de la ville.
Alors on peut taxer Autant en emporte le vent de racisme, en confondant fiction et documentaire, en choisissant d'oublier qu'il fut écrit par une femme née trente-cinq ans après le cataclysme qui bouleversa sa famille (son grand-père paternel fut blessé pendant la guerre de Sécession) et l'histoire de sa région, qui en portait encore des stigmates visibles, et brûler l'héritage, mais ce serait cracher sur ce qu'est avant tout le chef-d'œuvre de Margaret Mitchell: un modèle pour des millions de femmes qui à travers la vie de Scarlett ont espéré ou espèreront encore que quelles que soient les circonstances et quelles que soient, parfois, les pauvres armes qu'on leur laisse, demain sera un autre jour.
“Autant en emporte le vent” est probablement le plus grand film de l’histoire du cinéma. Il appartient à la grande tradition des films humanistes dont les héros sont des individus naufragés dans un monde en voie de destruction et qui font survivre une certaine idée de la nature humaine.
La résistance aux coups du destin, le refus d’allégeance au malheur et la fantastique énergie vitale capable de se déployer du fond du désespoir pour nous faire renaître de nos cendres.
C’est un film d’amour avec le couple le plus glamour de l’histoire d’Hollywood qui a fait rêver des millions de personnes en leur donnant de la force et de l’espérance. C’est un film d’adulte, précision importante, pour un cinéma aujourd’hui dédié aux adolescents.
L’annulation de la projection de “Autant en emporte le vent” au Grand Rex sur demande de la Warner Bros est une nouvelle illustration du courant de décérébration qui s’est emparé de notre société.
La barque qui circule sur ce fleuve qui accélère son cours depuis une décade s’appelle la nouvelle morale.
Nous nous retrouvons tous, qu’on le veuille ou non, entassés sur ce nouveau véhicule. Le rythme s’accélère et nous n’avons que très peu de moyens de freiner l’évolution exponentielle du phénomène.
“Autant en emporte le vent” est raciste comme “La chevauchée fantastique” l’est. Comme tous les westerns le sont dès qu’ils mettent en scène un sauvage indien massacré par un cow-boy civilisé. Excluons donc les westerns de nos collections cinéma.
Excluons tous les films qui donnent de l’histoire une vision biaisée, intolérante, manichéenne.
Excluons en réalité tous les auteurs qui ont un regard.
Nous sommes dans le monde de la “doxa”, de l’opinion collective qui installe ses œillères mentales, par petites touches quotidiennes dont nous n’avons pas toujours conscience.
Il y a aujourd’hui un axe du bien imposé dans notre culture que vous avez plutôt intérêt à respecter si vous voulez survivre. L’art est aujourd’hui, comme le reste de notre société sous haute surveillance.
Ne prenez pas de liberté avec les grands sujets sacrés et fédérateurs: l’écologie, la famille, le handicap, le multiculturalisme. Vous risquez de graves déconvenues.
Les films sans gluten sont la règle aujourd’hui, dénués de toute molécule allergisante.
La critique s’est médicalisée. On ne critique plus, on aseptise. La plupart des films d’aujourd’hui sont sous antibiotiques pour éviter la virulence. Attention aux résistances…
Excluons! puisque nous sommes aujourd’hui des modèles de perfection morale et que nous avons fait amende honorable de toutes nos erreurs passées. Excluons et voyons ce qui restera de la culture.
“On ne critique plus, on aseptise”
On parle d’un film américain mais il ne faut pas s’arrêter là. Un coup d’œil sur notre patrimoine et nous verrons que les œuvres les plus innocentes sont farcies de sectarisme.
Pourquoi ne pas considérer que la trilogie de Marcel Pagnol, Marius Fanny César, constitue une grave atteinte aux droits des marseillais. Car quel marseillais aujourd’hui peut se reconnaître dans l’image qui lui est donnée de lui-même, de joueur de belote alcoolisé au pastis, tricheur, menteur et totalement centré sur son petit monde, indifférent au sort du moindre quidam né à plus de quarante mètres du vieux port.
Je lis dans Le Parisien (article abonnés, NDLR) du samedi 13 juin 2020 que des soi-disants historiens mettent sur un plan comparable “Autant en emporte le vent” et “Mein Kampf” et jugent nécessaires d’imposer un avertissement préalable au visionnage ou à la lecture.
Comme quoi la connerie est souvent diplômée.
J’y vois deux points à souligner:
Le mépris complet pour l’intelligence moyenne du public qui accéderait à une révélation inespérée grâce à l’avertissement d’une phrase de prévention ouvrant les œuvres sulfureuses.
Faudra-t-il passer toutes les œuvres au tribunal de la nouvelle inquisition ?Pensons aux films qui nous resterons, ceux qui auront le label “bonne moralité”. Les films lèche-culs, bien pensants, bien propres qui s’engraissent des millions d’entrée de spectateurs frileux mais contents d’être rassurés dans les salles sur une société qui leur est montrée comme elle est dans la vie, bien gentille, aimable, ouverte, hospitalière.
Tout cela rappelle quand même une époque particulièrement sombre pour le cinéma et pourrait bien initier un nouveau maccarthysme à la sauce européenne.
Naissance de la nouvelle censure à costume de tolérance et de bonne moralité. Censure propre.
Tiens, pour les historiens révisionnistes d’Hollywood, je rappelle que c’est grâce à “Autant emporte le vent” que le premier oscar pour un acteur noir a été attribué (Hattie mc Daniel) et que Hollywood a commencé à entrouvrir ses portes à la diversité.
Les redresseurs de tort ont donc bien raison d’interdire le visionnage de cette œuvre qui a participé à l’évolution de la société mixte.
Le thème du film était la fin d’une époque.
Il faudra consacrer quelques mètres de pellicule à la fin du cinéma, la fin d’un temps d’expression libre, où l’humanisme de surface ne suffisait pas.
Du conformisme, des leçons de conduite, de la médiocrité, voilà ce qui restera. Autant en emportent les cons.
Faut-il récrire l'Histoire ?
HBO a enlevé le film de Victor Fleming de sa plateforme au motif qu'il «dépeint des préjugés racistes» communs en 1939 mais plus aujourd'hui. Un retrait démagogique et stupide.
On en est là.
«Qualifié par des historiens de révisionniste, le film de Victor Fleming sorti en 1939 a été retiré de la plateforme de streaming HBO Max, en plein mouvement de protestation contre le racisme et les violences policières aux États-Unis» nous apprend une dépêche AFP.
Inutile de faire ici le panégyrique du film aux dix Oscars, du ciel flamboyant d'Atlanta et des amours impossibles de Clark Gable et Vivian Leigh. Rien de cela n'est en cause. C'est la «version romantique du Sud et [la] vision très édulcorée de l'esclavage» du film qui posent problème, dans un contexte de tensions raciales très violentes aux États-Unis. Déjà, en 2017, à Memphis, un cinéma avait interrompu la projection annuelle du film «estimant que cette œuvre [...] était insensible au public afro-américain».
Fallait-il retirer, même temporairement, ce film d'une plateforme de streaming?
Non, évidemment non.
D'abord parce que personne ne va arrêter de manifester en se disant «Bon, les gars, c'est ok, tout va bien, Gone with Wind n'est plus sur HBO Max, on a gagné, on rentre à la maison dans le calme» et qu'il est peu probable qu'un flic cesse de tabasser un·e Noir·e à mort en lui sortant: «Oups, excuse-moi, mon vieux, j'ai vu qu'HBO avait retiré Gone with the Wind de sa plateforme, du coup, j'ai déconstruit mes préjugés et c'est fini je suis plus raciste du tout, merci HBO.»
La censure est inefficace, laide et bête. L'autocensure n'a rien à lui envier.
Ce retrait pose de nombreuses questions. Et, comme tout acte de censure, il nous invite à couper court à l'émotion de l'instant («c'est nul!» versus «enfin!») pour réfléchir à ce qu'il signifie.
D'abord, HBO prend à l'évidence les gens pour des imbéciles. HBO considère que nous regardons un film de 1939 en 2020 en le prenant entièrement au premier degré. En gros, Gone with the Wind est une sorte de documentaire ou un document de propagande bien fichu (dont s'emparent d'ailleurs des activistes –révisionnistes– de The Lost Cause) et comme nous sommes bêtes, on ne s'en rend pas compte. Comme nous n'avons aucun jugement critique, aucune distance, et qu'on bouffe du racisme et du préjugé sans sourciller, autant retirer ce film puisqu'il est problématique. De la tartufferie ordinaire (cachez ce Sud que je ne saurais voir) naîtra un besoin viscéral de voir, de savoir, de s'échanger sous le manteau l'œuvre censurée. HBO nous prend pour des imbéciles mais crée l'envie de voir, comprendre ou défendre une œuvre légendaire et quasi oubliée: le film a vieilli et il dure 238 minutes de trop pour les jeunes d'aujourd'hui.
Sans «Gone with the Wind», que serait «Get Out»?
Ensuite, Gone with the Wind est au film romantique ce que sont, parmi d'autres, The Covered Wagon (1923) ou The Plainsman (1937) au western. Des films où les Indiens sont des violents, agressifs et cruels et ne méritent rien d'autre qu'une bonne giclée de plomb viril. Mais voilà, depuis, il y a eu La Flèche brisée, La Dernière chasse, Soldier Blue, Jeremiah Johnson, Little Big Man, Josey Wales... Si notre représentation des Indiens a changé, c'est aussi parce qu'elle s'est construite, sédimentée avec tous ces films, y compris les premiers.
Il en est de même dans la représentation des personnages noirs avec, me semble-t-il, une filiation évidente et tortueuse, qui conduit de Gone with the Wind jusqu'à Us, en passant par Sergeant Rutledge, Malcolm X, Amistad, Django Unchained ou 12 Years a Slave, Avec ses multiples pistes et significations cachées, le fim de Jordan Peele, Us, est à l'évidence le fruit de cette longue histoire. Et Get Out la version grinçante de Devine qui vient dîner...
Et c'est aussi ce qui fait la force et la singularité du cinéma américain (pardon: États-unien, je vais me faire lyncher), qui a toujours su se renouveler, à partir de son histoire et de ses mythes plus ou moins frelatés, en accompagnant ou précédant les évolutions sociétales. Si vous retirez Gone with the Wind de cette lignée, peut-être aurez-vous la satisfaction ponctuelle de vous dire: «Ouf! Cette année, je passe pas Noël avec mon beauf'», mais votre famille ne serait plus tout à fait la même. Sans oublier qu'on est toujours le beauf' de quelqu'un.
Par ailleurs, qu'on l'aime ou pas, Autant en emporte le vent reste un des films majeurs de l'histoire du cinéma, par ce qu'il comprend de démesure et dit de cet âge d'or des studios d'avant-guerre. Qu'il soit raciste et réécrive l'histoire de la guerre de Sécession est une évidence. Mais, à chaque fois que je l'ai vu, cela m'est apparu comme une évidence. De la même manière que la vision raciste, paternaliste et colonialiste de Tintin au Congo ou Cinq Semaines en ballon ne m'a jamais échappé, y compris lorsque j'étais gamin. Lorsque je lis Drieu La Rochelle, je ne deviens pas fasciste, pas plus qu'ouvrir un bouquin d'Aragon ne fera de moi un communiste. J'arrive aussi à lire Les Aventures de Babar sans me prendre pour un éléphant.
Il est probable que les grottes de Lascaux ont été peintes par des hommes qui violaient des femmes et couchaient avec leurs enfants. Et je sais qu'il y a eu pas mal de morts dans les chantiers des cathédrales et qu'on laissait mourir des esclaves dans les tombeaux royaux égyptiens. Je ne demande pas pour autant une mise en garde contextualisée devant ces monuments.
Quand je lis, écoute, regarde, visite... se jouent en moi deux processus distincts: identification et distanciation. Or, chaque censure nie mon libre arbitre et ma capacité à me distancier. Chaque censure me renvoie au procès grotesque et hélas réel intenté à Madame Bovary en 1857, au nom des bonnes mœurs. Un dictionnaire de la bêtise s'attaquant à un monument d'intelligence.
Lorsque je lis Drieu La Rochelle, je ne deviens pas fasciste, pas plus qu'ouvrir un bouquin d'Aragon ne fera de moi un communiste.
Paraphrasant Ernest Pinard, procureur impérial, on pourrait dire de Gone with the Wind: «Un film admirable sous le rapport du talent mais un film exécrable au point de vue de la morale!»
De ce procès, le plus consternant (ou désopilant, c'est selon) est le choix (ou plutôt le non-choix) de la défense. Pour sauver le roman, son avocat plaide la relaxe et entreprend de «démontrer que Flaubert a voulu faire œuvre de moraliste, ou que du moins une moralité se dégage de son œuvre». Et c'est pourquoi les scènes crues sont à peine effleurées («La toute-puissance descriptive disparaît parce que sa pensée est chaste») et qu'Emma «est cruellement punie de ses fautes, trop cruellement puisqu'elle meurt dans d'épouvantables souffrances: “L'adultère que dépeint Flaubert n'est pas charmant, il n'est chez lui qu'une suite de tourments, de regrets de remords”.»
Pour se jouer de la censure, il fallait donc être aussi hypocrite qu'elle. Les courbettes en vigueur aujourd'hui et les précautions de HBO ne servent guère la cause antiraciste. Il est même à craindre que ce happening de bonne conscience contribue à renforcer les haines et les préjugés.
Loin de moi l'idée de considérer Gone with the Wind comme un film ordinaire et d'ignorer les préjugés qu'il véhicule. Mais j'ai du mal à croire que nous regardons ce film en 2020 comme nos grands-parents le regardaient en 1939, de la même manière que je n'imagine pas un instant que le lectorat d'aujourd'hui puisse considérer que Madame Bovary est une œuvre pornographique. On grandit, on mûrit, on s'informe, on apprend, on sait. Penser le contraire, voire l'imposer, est infantilisant.
Qu'il existe ici ou là des groupuscules racistes qui érigent ce film en symbole d'une histoire fausse et fantasmée doit nous consterner autant que nous inquiéter. Que les héritièr·es de Margaret Mitchell aient réussi en 2001 à faire interdire une version noire du livre (The Wind Done Gone, d'Alice Randall) en arguant du copyright ne doit tromper personne. Mais ne donnons pas à ces cortex rabougris la victoire d'une censure qui ne ferait que les conforter dans leurs délires haineux en leur offrant sur un plateau des torrents d'argumentaires nourris de persécution, de vérités soi-disant cachées et autres petits complots. C'est en faisant appel à l'intelligence des imbéciles qu'on les confond. Pas en nous comportant nous aussi en imbéciles.
Estimant que maintenir le film tel quel aujourd'hui serait «irresponsable», HBO entend le remettre dans son catalogue, dans son format original, «car procéder autrement reviendrait à prétendre que ces préjugés n'ont jamais existé», a expliqué un porte-parole, tout en assortissant la diffusion d'une «discussion du contexte». Peut-être un bandeau d'avertissement (version cheap) ou un entretien critique, on ne sait. Si HBO a vraiment les chocottes, il lui sera loisible de faire précéder le film d'un avertissement: «Attention! Ce film est sorti en 1939, à une époque où vos grands-parents et arrières grands-parents ne pensaient pas comme vous aujourd'hui et on pense que vous êtes incapables de le comprendre par vous-mêmes.» Ça ne servira à rien.
Qu'il existe des groupuscules racistes qui érigent ce film en symbole d'une histoire fausse et fantasmée doit nous consterner autant que nous inquiéter.
Je préfèrerais et de loin l'entretien critique avec des spécialistes en histoire, cinéma ou sociologie qui enrichiraient le débat au lieu de l'appauvrir. Et puis, pourquoi ne pas proposer également une version «universitaire» du film, avec commentaires critiques et rappels historiques? Nul doute que ce serait instructif et nous aiderait à appréhender ce film dans ce qu'il dit des mensonges et aveuglements d'une époque.
Enfin, commencer à censurer, supprimer, occulter, faire disparaitre des œuvres est totalement contre-productif pour qui entend les dénoncer, analyser, déconstruire, reconstruire, pasticher, enseigner... Si un jour Gone with the Wind n'était plus visible, ici ou là, des journalistes et des profs devraient supprimer quelques paragraphes, renoncer à une partie de leur cours. Quelques pastiches perdraient leur raison d'être et le militantisme s'en trouverait réduit, n'ayant plus une œuvre phare à stigmatiser. Pensez à vos jobs, camarades!
Bien sûr, me direz-vous parfois, Jean-Marc Proust, ce vieux mâle blanc de 50 ans, en parle à son aise car il ne subit pas les préjugés, abuse de ses privilèges et Gone with the Wind ne le touche pas plus que ça en raison de sa couleur de peau. J'entends déjà l'objection, tellement convenue et facile. Certes, discréditer une personne dont les arguments vous dérangent permet de ne pas débattre, mais qu'y gagnerez-vous ?
Mercredi 22 janvier, la majorité LREM a adopté en seconde lecture la proposition de loi Avia visant soi-disant à lutter contre la haine sur internet. En juillet dernier, j’avais défendu une motion de rejet contre ce texte. En effet, derrière des intentions apparement louables, il ouvre la possibilité de pratiques dangereuses sur les réseaux sociaux, notamment la censure privée. Déjà, l’intervention des multinationales du numérique dans la vie politique est une réalité. En 2019, Facebook avait coupé la canal WhatsApp de Podemos en pleines élections générales en Espagne. En 2018, un changement dans l’algorithme de recherche de Google aux Etats-Unis avait pénalisé grossièrement les sites internet de gauche et anti-impérialistes.
Mais la seconde version de ce texte comporte une disposition plus grave encore. Le gouvernement a utilisé ce texte pour donner à la police un pouvoir arbitraire et absolu de censure sur internet. Et cela sans crier gare et en dernière minute ; il a proposé un amendement incroyable. Celui-ci oblige les plateformes numériques à retirer un contenu en moins d’une heure si la police française le demande au nom de la lutte anti-terroriste. Si elle ne le fait pas, la plateforme pourra être fermée administrativement. Evidemment, il revient entièrement à la police de déterminer ce qui est inclus dans la définition du « terrorisme ». On a l’habitude maintenant que ce prétexte soit utilisé pour réprimer des opposants sociaux et politiques. Les dispositions de l’état d’urgence avaient par exemple été largement utilisées pour maintenir assignés à résidence des militants écologistes et syndicalistes.
Avec cette nouvelle disposition adoptée en catimini, la police pourra très facilement faire fermer des sites internets alternatifs. En effet, pour pouvoir répondre en moins d’une heure à ses injonctions à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, il faut une équipe de modérateurs importante. Ce n’est souvent pas le cas pour des petits sites qui n’ont pas de but lucratif. Le régime rétablit donc une forme de censure royale, à travers laquelle le monarque peut du jour au lendemain faire fermer un journal. Tout le monde sait désormais que de tels abus seront vite monnaie courante.
Car sous Macron, l’utilisation de la police à des fins de répression politique est devenu la norme. 10 000 gilets jaunes ont été placés en garde à vue en un an, le plus souvent de manière arbitraire. Des avocats et un bâtonnier ont été arrêtés à l’occasion du mouvement contre la réforme des retraites. Les leaders syndicaux sont harcelés par d’interminables procédures judiciaires.
Comme souvent, le gouvernement a présenté cet amendement en pleine nuit, et sans en avoir parlé à personne avant. Il n’avait pas dévoilé cette intention lors du passage du texte en commission. Heureusement, les députés insoumis Danièle Obono et Alexis Corbière, présents pour étudier le texte ont immédiatement compris et se sont opposés à cet amendement. Les quelques macronistes présents, comme d’habitude, ont adopté sans y réfléchir. La proposition de loi doit encore revenir à l’Assemblée nationale pour son adoption définitive. Elle doit être combattue avec encore plus de force qu’avant. C’est de la défense des libertés publiques fondatrice de la République dont il est question désormais.
Le média britannique veut rendre accessibles des informations censurées par des gouvernements autoritaires avec le navigateur Tor qui permet de naviguer sur Internet en dissimulant son identité.
publié le 24/10/2019 à 17:39
Passer par le Web parallèle pour déjouer la censure médiatique à l’oeuvre dans certains pays. L’initiative émane de la BBC. Le média britannique a rendu son site d’informations internationales BBC News disponible sur le "deep Web", la partie immergée d’Internet qui n’est pas indexée par les moteurs de recherche traditionnels.
La BBC entend ainsi contourner la censure en vigueur dans un certain nombre de pays mais aussi s'adresser aux internautes qui privilégient l'anonymat pour naviguer sur Internet.
"Le contenu des informations internationales de BBC World Service est désormais disponible sur le réseau Tor et s’adresse à des publics vivant dans des pays où BBC News est restreint ou bloqué", explique la BBC dans son communiqué.
Au lieu de visiter bbc.co.uk/news ou bbc.com/news, les internautes peuvent visiter la nouvelle adresse bbcnewsv2jtpsuy.onion. Cette url ne fonctionne pas dans un navigateur classique. Pour y accéder, il faut passez par un logiciel spécifique, le navigateur Tor, l’acronyme de The Onion Router.
De la même manière qu’il existe de nombreuses couches dans le légume, le réseau Tor est composé d’une succession de noeuds de cryptage, ce qui rend très difficile le traçage d’une adresse IP et son association avec l’identité d’un internaute. Cela permet de naviguer de façon anonyme en se protégeant des intrusions policières et commerciales.
Souvent associé à des activités illégales comme le trafic de drogues, d’armes ou de données personnelles, l’Internet parallèle peut aussi être utilisé à bon escient et constituer une source d’informations préservée de la censure des régimes autoritaires, comme la Chine, l’Iran et le Vietnam qui ont tenté de bloquer ou bloquent toujours l’accès au site Web ou aux programmes de BBC News.
Le site miroir de la BBC propose les informations internationales du service BBC World et des services spécialisés BBC Mundo et BBC Arabic mais pas celles issues de la version britannique. La BBC n’est pas le premier média majeur à s’inviter sur le réseau anonyme Tor. Le New York Times a lancé un miroir similaire en 2017.
Quand le gouvernement vous cache la vérité, qu’est-ce qu’il vous cache ?". C'est l'unique question posée à la population locale par la quasi-totalité des journaux australiens et à la télévision à travers la publicité, ce lundi 21 octobre. Rayées de noir, caviardées, comme censurées, les Unes se ressemblaient toutes.
Ces journaux, parmi lesquels des titres aussi prestigieux que The Australian, The Sydney Morning Herald et l’Australian Financial Review, dénoncent ainsi la culture du secret au sein du gouvernement et les divers atteintes à la liberté d'expression.
Cette campagne pour le droit à l’information intervient après des descentes de la police fédérale, il y a quelques mois, chez la chaîne nationale ABC et au domicile d’une journaliste de News Corp, Annika Smethurst, qui avaient publié deux informations embarrassantes pour le gouvernement.
"Ces opérations de police (…) sont des attaques portées à la liberté de la presse en Australie mais elles ne représentent que la partie émergée de l’iceberg", a déclaré Paul Murphy, chef du syndicat Media Entertainment and Arts Alliance.
Les médias australiens demandent notamment que les journalistes ne soient pas soumis à la législation très stricte en matière de sécurité nationale qui, selon eux, complique leur travail. "La culture du secret qui découle de ces dispositions légales restreint le droit de tout Australien à être informé et cela va bien au-delà de l’intention de départ qui était la préservation de la sécurité nationale", a indiqué Paul Murphy.
À la suite des perquisitions à l’origine de la campagne, trois journalistes pourraient faire l’objet de poursuites criminelles : Annika Smethurst pour avoir révélé que le gouvernement envisageait d’espionner les Australiens, et deux journalistes d’ABC pour avoir dénoncé des crimes de guerre qui auraient été commis par les forces spéciales australiennes en Afghanistan.
Une fuite de documents à la Maison-Blanche la semaine passée aurait révélé que le président américain Donald Trump serait en train de rédiger un décret visant à réglementer la censure des médias sociaux en ligne. Le projet de loi confierait à la FTC et à la FCC, la surveillance des échanges en ligne sur les plateformes de médias sociaux, les forums, etc. Le décret en question donnerait aux organismes fédéraux, le pouvoir de choisir quel type de données seraient acceptable ou non sur Internet. Pour beaucoup, ce projet témoigne de l’aversion profonde de Donald Trump pour les médias sociaux.
Ces derniers mois, le président américain Donald Trump n’a pas cessé de rappeler combien de fois il trouve que les médias sociaux deviennent de plus dangereux pour l’homme et la façon dont ils influent négativement sur le comportement humain. Cela a encore été le cas la semaine passée lorsqu’il s’est prononcé sur les fusillades dans les villes d’El Paso, au Texas, et Dayton, dans la l’Ohio. « Les dangers d'Internet et des médias sociaux ne peuvent être ignorés et ne seront pas ignorés. La haine n'a pas sa place en Amérique », avait-il déclaré. Il a invité les agences de réglementation de l’État et les médias sociaux à collaborer.
« Nous devons identifier et agir plus efficacement sur les signes avant-coureurs. Je demande au ministère de la Justice de travailler en partenariat avec les agences étatiques et fédérales locales, ainsi que les sociétés de médias sociaux, pour développer des outils qui vont permettre de détecter les tireurs de masse avant qu'ils ne frappent », avait-il déclaré dans son discours de la semaine passée. À en croire ces événements, l’on peut être amené à dire que Trump nourrit un sentiment d’exécration très forte à l’égard des plateformes de médias sociaux et des communautés en lignes.
Selon le média américain CNN, un résumé du décret montre que Donald Trump appelle la FCC à élaborer de nouvelles réglementations. Ces réglementations vont préciser comment et quand la loi peut protéger les sites de médias sociaux lorsqu'ils décident de poster ou de supprimer du contenu sur leurs plateformes.
Selon des groupes de défense de liberté d’expression, cela donnerait à ces agences fédérales un contrôle sans précédent sur la manière dont les plateformes Internet modéreraient les posts en ligne. Le décret leur permettrait de révoquer les protections essentielles énoncées par le Congrès à la section 230 de la loi sur la décence des communications.
En effet, la CDA 230 (Communications Decency Act 230) est la loi fondamentale qui permet aux plateformes en ligne de permettre aux utilisateurs de publier leur propre contenu et de prendre des décisions de base concernant les types de contenu qu’elles souhaitent héberger en tant qu’entités privées. Tous les contenus publiés par les utilisateurs sur Internet ont été rendus possibles grâce à cette protection essentielle de la liberté d’expression.
Ainsi, si le décret venait à être appliquée, elle refléterait une escalade significative du président Trump dans ses attaques fréquentes contre les sociétés de médias sociaux pour un préjugé systémique prétendu, mais non prouvées à l'encontre de conservateurs de la part de plateformes technologiques.
Cela pourrait aussi donner lieu à une réinterprétation importante d'une loi (CDA 230) qui, selon ses auteurs, était censée donner aux entreprises de haute technologie la plus grande liberté pour gérer le contenu à leur guise. Ce qui signifierait que n'importe quel parti politique au pouvoir pourrait dicter quel discours est autorisé sur Internet. Selon l’association Fight For The Future, l’administration prétend vouloir empêcher les entreprises privées de faire taire le discours, mais ce plan créerait de nouveaux pouvoirs terrifiants de censure en faveur du gouvernement et pour les agences étatiques de réglementation.
Le média CNN a informé que le résumé du projet de loi qu’il a pu consulter porte actuellement le titre « Protéger les Américains de la censure en ligne ». La FTC serait la grande bénéficiaire des avantages de ce décret. Elle va travailler avec la FCC pour élaborer un rapport d’enquête sur la manière dont les entreprises technologiques gèrent leurs plateformes et vérifier si elles le font de manière neutre.
Le résumé indique aussi que les entreprises dont la base d'utilisateurs mensuels représente au moins un huitième de la population américaine pourraient se retrouver confrontées à un examen minutieux. En gros, le décret de l’administration Trump cherche à restreindre considérablement les protections accordées aux entreprises en vertu de la directive CDA 230. Trump a-t-il à l’idée que cette loi accorde trop de protection aux médias sociaux ?
Cette loi aurait déjà été fermement condamné par le Premier amendement et des experts de la liberté de parole issus de tous les horizons politiques. « Peu importe votre politique, peu importe ce que vous pensez du président, c'est une idée terrible qui aura l'effet exactement opposé à celui de son objectif déclaré de protéger la liberté d'expression », a déclaré l’association Fight For The Future. D’après cette dernière, la Maison-Blanche et son administration actuelle ne sont pas les seules à promouvoir cette idée erronée. Certains grands démocrates ont également appelé à affaiblir la CDA 230.
En Europe également, des lois sur la censure continuent de nourrir les assises des députés. Au sein de l’UE, en début d’année, les négociations sur la réforme européenne sur le droit d’auteur avaient été interrompues après que les gouvernements des États membres n’ont pas réussi à adopter une position commune sur l’article 13, qui vise à obliger les plateformes d’Internet à installer des machines de censure qui filtrent automatiquement les contenus mis en ligne par leurs utilisateurs. Finalement, en février, la France et l'Allemagne ont trouvé un accord et les négociations sur la directive Copyright ont repris.
Pour rappel, l’article 13 vise à instaurer le filtrage automatique des contenus mis en ligne, puisque ce sont des algorithmes qui devraient juger quel contenu a le droit d'apparaître sur Internet. Néanmoins, notons que beaucoup condamnent ces propositions de loi, en les traitant d’horribles. « Je parie que de nombreux conservateurs se retournent dans leur tombe en écoutant toutes ces grandes approches du gouvernement. Leur proposition aujourd'hui ne constitue rien de moins qu'un discours policier », a déclaré le sénateur Ron Wyden (D-Ore) dans une interview accordée à CNN.
En 2015, les ministres européens ont autorisé Europol à mettre en place le European Union Internet Referral Unit (EU IRU), une entité ayant pour objectif d’endiguer le nombre et l’impact des contenus terroristes, extrémistes ainsi que ceux qui sont utilisés dans le cadre de l’immigration illégale pour le trafic de migrants sur Internet. Le EU IRU tirerait parti des « relations de confiance qui existent entre les autorités de police [et] le secteur privé » et fournirait « aux États membres un appui opérationnel sur la manière de réaliser plus efficacement la détection et la suppression d’un volume croissant de contenus terroristes sur Internet et sur les médias sociaux ». À l’échelle des pays membres, le EU IRU peut être appuyé par une unité locale : c’est le cas en France avec l’IRU française ou en Belgique avec l’IRU belge.
L’Internet Archive - un organisme à but non lucratif basé à San Francisco qui est chargé de l’archivage du Web et de la création/gestion d’une bibliothèque numérique constituée de clichés instantanés de pages Web, logiciels, livres et divers contenus multimédias - a récemment reçu une série de courriels qui émaneraient de l’Internet Referral Unit (IRU) Française. Ces notifications identifieraient à tort des centaines d’URL (environ 550) hébergées sur archive.org, le site Web de l’organisation, comme de la « propagande terroriste ». La plupart concerneraient uniquement des éléments conservés et publiés directement par l’Internet Archive, d’autres seraient liés au contenu mis en ligne par des utilisateurs.
Une de ces URL au moins — elle renvoyait vers un article qui traite du Coran — aurait été identifiée comme du contenu terroriste dans un avis de retrait indépendant envoyé par l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (ou OCLCTIC) à l’Internet Archive. Signalons au passage que l’OCLCTIC est une branche de la direction centrale de la Police judiciaire française qu’on appelle aussi la Sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité (SDLC).
Rappelant que le Parlement européen devrait se prononcer sur une législation exigeant que les sites hébergeant des contenus générés par les utilisateurs bloquent ou suppriment les contenus rapportés comme terroristes dans un délai d’une heure, l’Internet Archive estime que cette situation illustre les limites d’un projet de loi qui « nuirait au libre partage de l’information et à la liberté d’expression que l’Union européenne s’engage à protéger ». D’après l’Internet Archive, cette « exigence d’une heure signifie essentiellement que nous devrions supprimer automatiquement les URL signalées et faire de notre mieux pour les réviser après coup ».
« Ce serait déjà assez grave si les URL erronées dans ces exemples visaient un ensemble d’éléments relativement obscurs sur notre site, mais les listes de l’IRU française incluent certaines des pages les plus visitées sur archive.org et des documents qui ont évidemment une grande valeur éducative et scientifique », a confié l’Internet Archive à ce propos.
Précisons enfin que l’association AccessNow qui milite pour la protection des droits fondamentaux sur Internet estime que l’EU IRU agit « en dehors de l’état de droit sur plusieurs plans », car la justice étatique doit primer face aux illégalités. AccessNow assure en outre que « reléguer le traitement des contenus illicites à un tiers, et lui laisser la discrétion de l’analyse et de la poursuite, n’est pas juste paresseux, mais extrêmement dangereux ».
Bien que les courriels de l’IRU française aient été envoyés avec une adresse « @europol.europa.eu », le UE IRU aurait confié qu’il ne participait pas aux critères d’évaluation du contenu terroriste des IRU. Devrait-on en déduire que l’IRU française n’est en réalité qu’un trompe-l’œil démocratique ?
La réforme du droit d'auteur en Europe veut aider les créateurs de contenus à défendre leurs droits vis-à-vis des plateformes numériques.
(CCM) — Dans la nouvelle directive que les députés européens viennent d'adopter, le célèbre article 13 est devenu l'« article 17 », mais dans l'ensemble, le contenu de la loi n'a pas changé fondamentalement. La réforme du droit d'auteur en Europe prend forme, en renforçant les responsabilités desplateformes de contenus en ligne.
Le nouvel article 17 de la directive européenne sur le droit d'auteur prévoit que les plateformes digitales soient considérées comme responsables des contenus que les internautes partagent publiquement. C'est la fin programmée du statut d'hébergeur dont beaucoup de plateformes profitaient jusqu'à présent. L'objectif est de mieux protéger les œuvres en amont, dès le moment où un internaute veut les « uploader ».
Les obligations imposées aux plateformes dépendent de leur situation. Après 3 ans d'existence et au-delà de 10 millions d'euros de chiffre d'affaires, leur responsabilité est de rendre inaccessible tout contenu inapproprié le plus vite possible. Quant aux plateformes de plus de 5 millions de visiteurs par mois, leur responsabilité n'entre en jeu qu'à partir du moment où elles ont reçu une notification des ayants droits. En cas d'infraction sur le droit d'auteur, chaque contrefaçon pourrait être punie de 3 ans d'emprisonnement et 300 000 euros d’amende.
Les législateurs ont prévu des exceptions. Les parodies restent permises, même sans l'autorisation des propriétaires des contenus. Idem pour les citations, les revues de presse ou les critiques. Sont également exclus les plateformes de contenus à but non lucratif, les sites de partage de logiciels libres, les places de marché et les services de communication. Wikipedia, GitHub, LeBonCoin, WhatsApp et leurs concurrents devraient donc échapper aux nouvelles responsabilités prévues par la directive européenne.
Mais sur toutes les plateformes concernées, le filtrage automatique des contenus devrait devenir la norme, quitte à ce que des contenus soient refusés abusivement, comme le craignent les défenseurs des libertés sur Internet. Ces derniers craignent que les algorithmes de filtrage ne soient pas assez performants pour analyser les différents contextes d'utilisation d'un même contenu : entre une parodie et une utilisation abusive d'une vidéo, la différence est parfois subtile.
Le Parlement européen a adopté aujourd’hui la Directive sur le droit d’auteur. Cédant au lobbying intense et fallacieux des industries de la presse et de la culture, ainsi qu’à la pression de plusieurs gouvernements européens (avec la France en première ligne) l’Union européenne vient d’institutionnaliser la censure automatisée et la surveillance de masse pratiquées par les géants du Web.
Aujourd’hui, en quelques minutes à peine, le Parlement européen a adopté le texte de la Directive Copyright (par 348 voix contre 274). Croyant agir au nom de la défense des auteurs et de la liberté de la presse, l’Union européenne vient au contraire (comme nous le dénonçons depuis plusieurs mois) de renforcer la dépendance de l’industrie de la culture et de la presse aux géants du Web, Google et Facebook en tête. Les manifestations de ce week-end, les pétitions, les tribunes et autres campagnes organisées par des associations de défense des libertés à travers toute l’Europe n’auront donc eu que peu de poids face à la campagne frénétique et mensongère menée par les promoteurs de ce texte (voir, pour un bon exemple, ici, à 1’06’10).
Le texte adopté impose notamment à une partie des acteurs du Web — les plateformes centralisées et lucratives — une obligation de filtrage a priori des contenus protégés par le droit d’auteur (article 13, devenu article 17). Il crée également de nouveaux droits pour les éditeurs de presse, en forçant les plateformes à les rémunérer pour toute utilisation de leurs contenus (article 11, devenu article 15). Nous le répétions encore la semaine dernière : ces dispositions ne pourront entraîner que de graves restrictions de la liberté d’expression et de l’accès à l’information.
En aucun cas, elles ne permettront de rééquilibrer les relations avec les Géants du Net : elles ne conduiront qu’à leur déléguer encore plus de pouvoir. Ces derniers doivent d’ailleurs voient sûrement avec plaisir l’ouverture d’un nouveau marché très porteur, celui des filtres automatiques. Déjà leaders sur ce sujet, les géants ne seront sûrement pas mécontents de le voir institutionnalisé et consacré par l’Union européenne.
Au lieu de combattre la surveillance de masse mise en place par les Géants du Net, la Directive Copyright consacre leur puissance, pourtant basée sur la violation du RGPD voté par le même Parlement européen… D’où vient l’argent que convoitent tant les industries de la presse et de la culture ? Du marché de la publicité ciblée qu’exploitent depuis plusieurs années les GAFAM en toute illégalité, et qui est entièrement fondé sur la surveillance généralisée de nos comportements sur le Web. Alors que les premières décisions commençaient justement à remettre en cause ce modèle économique (voir notre communiqué sur la décision de la CNIL contre Google), l’Union européenne et ses gouvernements ne semblent pas réellement souhaiter l’application de leur propre texte, mais plutôt se satisfaire de petits retours financiers sur la violation de nos libertés.
Ainsi, l’Union européenne préfère promouvoir des outils de filtrage automatique, dans une logique de toujours plus de censure, de toujours plus de surveillance, au lieu de se pencher sur d’autres réformes et d’autres solutions plus adaptées au monde numérique et surtout plus respectueuses de nos libertés (voir nos propositions).
Malgré le vote d’aujourd’hui, la lutte contre le filtrage automatisé et la censure continue. L’autre texte contre lequel La Quadrature se bat depuis plusieurs mois, et qui repose sur les mêmes logiques de censure automatisée, de surveillance et de centralisation, sera voté en commission parlementaire début avril. Il nous reste encore quelques jours pour appeler les députés en charge de ce règlement de censure automatique de contenus terroristes et leur demander de le rejeter.
Mardi 26 mars 2019, journée noire pour les libertés sur Internet et pour tous ceux et celles qui agissent au quotidien pour promouvoir un Internet libre et ouvert, neutre et acentré, donc contre l'emprise technologique des GAFAM. 348 parlementaires européens (contre 274) ont adopté la généralisation du filtrage automatisé des contenus mis en ligne. Le coup est dur mais l'April restera mobilisée pour la transposition future du texte en droit national et pour la probable révision à venir de la directive E-commerce, dont les principes structurants ont été profondément mis à mal par la directive droit d'auteur.
Malgré une incroyable mobilisation citoyenne et des prises de position argumentées toujours plus nombreuses issues de milieux très divers — culturel, technique, juridique, associatif comme institutionnel — les eurodéputés ont finalement approuvé la version issue des négociations inter-institutionnelles et portée par le rapporteur Axel Voss.
Des amendements de suppression de l'article 13, devenu article 17, avaient bien été déposés, mais 317 parlementaires (contre 312) ont jugé qu'il n'y avait pas lieu de les soumettre aux votes malgré les désaccords profonds entourant la disposition. La procédure prévoit en effet qu'avant de voter d'éventuels amendements les parlementaires doivent d'abord valider le fait d'amender le texte.
La liste des votes nominatifs est disponible (en PDF) pour les deux votes : celui de refus d'amendements et sur la directive elle même. On notera à regret que seulement deux parlementaires côté français ont voté contre la directive droit d'auteur dont un article institutionnalise pourtant la censure automatisée : Marie-Christine Vergiat et Younous Omarjee du groupe GUE/NGL. Un grand merci à elle et à lui ! L'ensemble de leurs collègues ont voté favorablement ou se sont abstenus.
Par ailleurs, dans les votes comptabilisés, ils ne sont que trois français et française parmi les 312 parlementaires à avoir voté pour la tenue d'un vote sur l'article 13. Sur ce même vote, parmi les 24 abstentionnistes, quatre sont français. Précisons que des « corrections d'intention de vote » ont été signalées ensuite (voir page 51), corrections qui font que normalement il aurait dû y avoir une majorité pour que les amendements de suppression de l'article 13 soient soumis au vote. Deux parlementaires françaises ont indiqué avoir en fait voulu voter en faveur de l'étude des amendements alors que leur vote a été comptabilisé comme une abstention.
Nous n'oublierons pas les parlementaires qui ont jugé acceptable de confier l'application du droit d'auteur et la protection (sic !) de la liberté d'expression à des systèmes automatisés gérés par des entités de droit privé. Les positions des parlementaires français et françaises sont détaillées en bas de page.
Si l'exclusion des plateformes de développement et de partage de logiciels libres a été actée, article 2 (6), il n'est évidement pas question de s'en satisfaire tant le texte est contraire aux valeurs du logiciel libre.
L'April restera bien sûr mobilisée et remercie toutes celles et ceux qui se sont mobilisés contre ce texte liberticide.
La réforme du droit d'auteur sur Internet est approuvée par le Parlement européen ce mardi 26 mars 2019. Souvent présentée comme une solution pour "sauver les auteurs et la presse" contre l'appétit des géants du Net qui ne les rétribuent pas, la réalité est plus complexe et plus nuancée.
Personne n'a encore réussi à comprendre ce qu'il se passerait réellement si la directive droits d'auteur sur Internet était votée, après plus de deux ans de négociations et de remaniements. Maintenant que le Parlement européen l'a approuvée, ce mardi 26 mars, il est temps de refaire le point sur ceux qui la dénoncent ou ceux qui la plébiscitent.
Jeudi 21 mars 2019, les versions de l'encyclopédie coopérative en ligne Wikipédia, en allemand, en tchèque, en slovaque et en danois n'étaient pas disponibles pour 24 heures, en signe de protestation contre la directive droits d'auteur.
Pour résumer : deux camps s'affrontent, et en réalité… trois. D'un côté, les sociétés d'auteurs et les auteurs, ayants droit, organes de presse, et de l'autre les plateformes géantes du Net et les défenseurs des libertés sur Internet. Croire que les deux derniers s'opposeraient aux premiers pour les mêmes raisons est un raccourci souvent utilisé : des accusations de financement par Google du collectif "Save the Internet" qui appelle à manifester en Europe ont circulé et la croyance que les GAFAM seraient seuls à la manœuvre pour faire empêcher le vote de la directive ou seraient de mêche avec des organisations civiles anti-censure internet, reste encore d'actualité. Pourtant, la vérité se situe souvent au milieu du gué, et c'est bien là que se situe le nœud du problème avec la directive droits d'auteur, ses détracteurs… et ses soutiens.
A lire : Droits voisins Internet : l'Union européenne donne son feu vert pour une réforme
Une idée juste…
Rétribuer les auteurs lorsque leurs œuvres sont utilisées ou empêcher leur utilisation par des tiers sans accord est une règle juste qui s'applique dans le monde physique sans opposition particulière. Mais sur Internet cette règle n'est pas forcément respectée : plateformes de streaming illégales, diffusion d'œuvres par des particuliers sur YouTube, partages de photos, de vidéos sur Facebook et diffusion d'articles de presse sont devenus courants, le tout étant massivement monétisé par les firmes, et ce, sans contreparties. C'est à cet état de fait que la directive droits d'auteurs veut s'attaquer. Pour redonner le pouvoir à ceux qui créent les contenus plutôt qu'à ceux qui les pillent ou les exploitent illégalement.
La directive droits d'auteur est donc une directive qui a pour ambition d'aider la création artistique, soutenir les producteurs de contenus et pouvoir les rétribuer : une idée considérée comme "juste" par tous — collectifs de "défense d'Internet" inclus — à l'exception des firmes mises en cause, que sont les GAFAM et autres plateformes d'échanges de contenus. Mais comme le diable se cache dans les détails, ce n'est pas l'idée en tant que telle qui est contestée mais les moyens prévus pour l'appliquer. C'est sur cet aspect que les défenseurs des libertés et les promoteurs de la directive sont irréconciliables.
…pour une application décalée ?
Deux articles sont contestés en particulier : le 11 et le 13, qui — pour simplifier — obligent les fournisseurs de contenus à empêcher que des contenus sans accord avec des ayants droit puissent être publiés, ou que des citations puissent être faites sur des contenus de presse sans rétribution.
L'article 13 de ce texte entend créer de nouvelles règles pour les gros hébergeurs - qui diffusent un « grand nombre d'œuvres ». Ceux-ci devraient passer des accords avec les ayants droit des œuvres qu'ils diffusent, afin de définir les modes de répartition des revenus (publicitaires ou d'abonnement) avec ceux-ci ou de prendre des mesures pour empêcher la diffusion de contenus signalés par ces derniers. Le texte mentionne des « techniques efficaces de reconnaissance des contenus », faisant clairement référence au Content ID déployé sur YouTube depuis dix ans - outil qui permet à Google de détecter automatiquement les œuvres publiées sur son site afin de permettre à leurs ayants droit d'empêcher ou de permettre leur diffusion (auquel cas contre rémunération).
(Droits voisins Internet : l'Union européenne donne son feu vert pour une réforme)
Ces articles ont été assouplis depuis septembre : dans la nouvelle version les hyperliens vers des sites presse sont par exemple désormais possibles sans autorisation : Wikipedia ne devrait donc pas subir les foudres de la directive droits d'auteur pour ses liens externes. Mais de nombreuses nuances apportées dans la directive laissent dans le flou la surveillance des contenus et leur retrait, les possibilités de citations d'articles sans accord ou la création de pastiches, de parodies à partir d'œuvres commerciales…
Le site NextInpact détaille point par point les effets possibles de censure ou de limitations de la liberté d'expression que la directive pourrait causer, ainsi que les potentielles avancées en matière de financement de la presse par Google ou d'autres plateformes de mises en avant de contenus : "Directive Droit d'auteur : mais qu'ont voté les eurodéputés ?"
Savoir précisément ce qu'il sera possible ou non de publier, sur quelle durée, par quels moyens, depuis quelle plateforme est excessivement difficile à la lecture du texte de loi européen. Les défenseurs d'Internet estiment par exemple que la "censure aveugle des robots de téléchargement", empêchera de nombreux partages, comme les "mèmes Internet" (idée, concept simple propagés à travers le web, prenant la forme d'un hyperlien, d'une vidéo, d'un site Internet, d'une image).
Liberté, protection et surveillance sont dans un bateau
Internet et son célèbre avatar le World Wide Web est un outil de partage depuis l'origine. Son succès mondial est le fruit d'une liberté de diffusion de l'information sans contraintes entre tous ses utilisateurs. Ce succès a permis d'ouvrir les échanges à tous mais a aussi créé des opportunités commerciales immenses, des monopoles de fait, menant à l'exploitation indue du travail d'autrui : c'est cette distorsion que veut combattre la directive droit d'auteur en permettant de protéger les créations.
Mais protéger en contraignant les plateformes à surveiller chaque contenu pour vérifier les droits qui lui sont conférés, oblige ces plateformes à automatiser le filtrage des contenus, selon les défenseurs de la liberté d'expression sur Internet. Tout contenu ou extrait de contenu commercial pourrait alors être supprimé ou impossible à partager sur le réseau de façon publique. C'est avec cette crainte qu'une question simple pourrait se poser : "Si dans le bateau Internet accueillant la protection, la surveillance et la liberté, la liberté tombe à l'eau, qui va donc rester dans le bateau ?"
La réponse est facile. Reste désormais à voir si celle-ci s'applique aussi simplement ou de manière plus souple… une fois la directive adoptée.
Pascal Hérard
es eurodéputés ont approuvé mardi 26 mars la réforme européenne du droit d'auteur, un texte très attendu par les médias et le monde de la culture mais combattu par les plateformes américaines et les partisans de la liberté sur internet.
Présentée par la Commission européenne en septembre 2016, cette réforme a reçu 348 votes pour, 274 contre et 36 abstentions. Les grandes plateformes commerciales américaines comme Google, Facebook ou YouTube, devront donc coopérer avec les auteurs et la presse pour les rémunérer ou les aider à protéger leurs œuvres.
"Je sais qu'il y a beaucoup de craintes sur ce que peuvent faire ou pas les utilisateurs - maintenant, nous avons des garanties claires sur la liberté d'expression (...) et la créativité en ligne", s'est félicité le vice-président de la Commission européenne, Andrus Ansip, sur twitter. Présentée par M. Ansip en septembre 2016, cette réforme aux enjeux financiers conséquents a fait l'objet d'un lobbying sans précédent de la part de ses partisans comme de ses opposants, mobilisés jusqu'au dernier jour.
La semaine prochaine, le Parlement européen va devoir se prononcer par un dernier vote sur le sort de la directive Copyright, en discussion depuis plusieurs années. La Quadrature du Net appelle les députés européens à rejeter ce texte, qui provoquerait de graves restrictions à la liberté d’expression et à l’accès à l’information. Loin de rééquilibrer les relations avec les Géants du Net, cette directive conduirait à leur déléguer un inquiétant pouvoir de censure automatisée. Ce texte ne constitue pas la réforme du droit d’auteur dont l’Union européenne a besoin et il ne comporte aucun élément tangible qui améliorerait la situation des créateurs.
Le texte résultant des négociations conduites ces derniers mois par les institutions européennes n’a corrigé aucun des points problématiques qui nous avaient conduit à demander le rejet du texte déjà à plusieurs reprises en 2018. Notre analyse reste la même : les industries culturelles et les grandes sociétés d’ayants droit cherchent en réalité à ramasser les miettes du butin engrangé par les Géants du Net grâce à la surveillance de masse qu’ils mettent en œuvre à travers la publicité ciblée. Sous couvert d’opérer un « partage de la valeur », cette directive constituerait un grave renoncement de l’Union européenne, en liant le financement de la création et de la presse à la violation systématique des droits des individus.
Tout ceci s’accomplira en outre sur le dos des libertés fondamentales, à cause des articles 11 et 13 de la directive qui suscitent l’opposition d’un grand nombre d’acteurs de la société civile. Même si le champ d’application de l’article 13 ne concerne pas dans sa rédaction finale ce que La Quadrature considère comme l’Internet libre et ouvert – à savoir les services décentralisés ou fédérés de type Mastodon ou Peertube – il imposera aux plateformes centralisées et lucratives une obligation de filtrage a priori des contenus à laquelle notre association s’est toujours opposée. L’application de tels procédés est manifestement disproportionnée et la directive n’apporte aucune garantie satisfaisante pour protéger la liberté d’expression. La directive Copyright a ainsi servi de laboratoire aux logiques de censure automatisée que l’on retrouve dans d’autres textes, comme le règlement Anti-terroriste contre lequel La Quadrature du Net est mobilisée (voir notre page dédiée).
L’article 11 est tout aussi problématique, puisqu’en souhaitant instaurer de nouveaux droits pour les éditeurs de presse, il va restreindre l’usage de ces contenus bien au-delà des seuls agrégateurs, type Google News, en affectant aussi potentiellement des acteurs non-lucratifs et tout l’écosystème de l’accès à l’information.
Si la directive Copyright doit être rejetée par le Parlement européen, c’est aussi parce qu’elle ne constitue pas la réforme positive du droit d’auteur dont l’Union a besoin. Les industries culturelles sont parvenues encore une fois à focaliser le débat autour d’un renforcement de la propriété intellectuelle, en occultant le profond besoin d’adaptation des règles du droit d’auteur aux pratiques numériques. Dans son état actuel, la directive contient certes quelques aménagements sous la forme d’exceptions au droit d’auteur, mais ils restent bien trop limités pour apporter un changement significatif.
Aucune de ces mesures ne correspond aux propositions formulées depuis plusieurs années par la Quadrature du Net afin de changer en profondeur le droit d’auteur en réconciliant les artistes et le public. Il aurait fallu pour cela mettre en débat des idées comme la légalisation du partage non-marchand des œuvres, la reconnaissance des pratiques transformatives comme le remix ou le mashup ou de nouvelles formes de financement comme la contribution créative.
En affirmant que ce texte sera en mesure d’améliorer le sort des créateurs en Europe, les industries culturelles qui le soutiennent mentent profondément. Elles ont constamment empêché que des sujets comme les modalités de financement de la création ou les règles de répartition des revenus entre créateurs et intermédiaires soient discutés, alors qu’ils constituent le cœur du problème à régler pour améliorer la condition des auteurs. La France porte une responsabilité particulière dans ce fiasco dans la mesure où les gouvernements successifs et la majorité des eurodéputés français ont constamment fait obstruction sur ces questions tout en poussant les mesures les plus répressives.
Plus largement, c’est tout le processus d’élaboration de ce texte qui a été émaillé d’intrusions, aussi bien de la part du lobby des industries culturelles que de celui des Géants du Net. Ce spectacle navrant porte atteinte à la crédibilité démocratique de l’Union européenne. Mais il ne doit pas occulter la mobilisation importante des personnes et des organisations de la société civile – l’une des plus importantes à ce jour -, qui a constamment été ignorée ou raillée tant par la Commission européenne que par une partie des eurodéputés favorables au texte.
Le Parlement européen dispose encore d’une ultime chance de montrer qu’il est capable de faire preuve d’indépendance en enterrant définitivement ce texte aberrant. Il l’a déjà fait en juillet 2018 pour protéger les libertés fondamentales et il doit le refaire à présent pour les mêmes raisons.
C’est la raison pour laquelle La Quadrature du Net se joint aux autres associations engagées contre ce texte – EDRi, Bits of Freedom, Wikimedia, l’APRIL et bien d’autres ! – en appelant les citoyens à contacter les eurodéputés via la plateforme Pledge2019.
Le site de l'April est passé au noir aujourd'hui en protestation contre l'article 13 de la directive droit d'auteur qui sera soumis au vote au Parlement européen lors de la plénière du 26 mars 2019 à 12h.
Cet article imposerait le filtrage automatisé de l'ensemble des contenus circulant sur les plateformes de partage. Une mesure profondément liberticide.
Vous pouvez agir en appelant les parlementaires à adopter les amendements de suppression de l'article 13 !
Liens utiles :
Un schéma réalisé par Next Inpact pour mieux comprendre l'article 13.
La campagne SaveYourInternet.eu donne les informations de contact des parlementaires.
Le site Pledge2019.eu propose un outil d'appel gratuit.
Nous parlions de la mobilisation lors de notre émission de radio Libre à vous ! du 19 mars. Écouter le podcast (10 minutes).
Accéder au site web de l'April