L’Association Interhop.org est une initiative de professionnels de santé spécialisés dans l’usage et la gestion des données de santé, ainsi que la recherche en machine learning dans de multiples domaines médicaux. Aujourd’hui, en leur donnant la parole sur ce blog, nous publions à la fois une alerte et une présentation de leur initiative.
En effet, promouvant un usage éthique, solidaire et intelligent des données de santé, Interhop s’interroge au sujet du récent projet Health Data Hub annoncé par le gouvernement français pour le 1er décembre prochain. Devons-nous sacrifier le bon usage des données de santé sur l’autel de la « valorisation » et sous l’œil bienveillant de Microsoft ? Tout comme dans l’Éducation Nationale des milliers d’enseignants tentent chaque jour de ne pas laisser le cerveaux de nos enfants en proie au logiciels fermés et addictifs, il nous appartient à tous de ne pas laisser nos données de santé à la merci de la recherche de la rentabilité au mépris de l’éthique et de la science.
Hold-up sur les données de santé, patients et soignants unissons-nous Par Interhop.org
La plateforme nationale des données de santé ou Health Data Hub, pour les plus américains d’entre nous, doit voir le jour d’ici la fin de l’année. Il s’agit d’un projet qui, selon le Ministère de la Santé, vise à « favoriser l’utilisation et de multiplier les possibilités d’exploitation des données de santé » en créant notamment « une plateforme technologique de mise à disposition des données de santé ».
Or, à la lecture du rapport d’étude qui en détermine les contours, le projet n’est pas sans rappeler de mauvais souvenirs. Vous rappelez-vous, par exemple, du contexte conduisant à la création de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) en 1978 en France ? L’affaire a éclaté en mars 1974, dans les pages du journal Le Monde. Il s’agissait de la tentative plus ou moins contrecarrée du projet SAFARI (Système Automatisé pour les Fichiers Administratifs et le Répertoire des Individus) visant à créer une banque de données de tous les citoyens français en interconnectant les bases de plusieurs institutions grâce à un numéro unique d’identification du citoyen : le numéro de Sécurité Sociale.
Ce scandale n’était pourtant pas inédit, et il ne fut pas le dernier… À travers l’histoire, toutes les tentatives montrent que la centralisation des données correspond à la fois à un besoin de gouvernement et de rentabilité tout en entamant toujours un peu plus le respect de nos vies privées et la liberté. L’histoire de la CNIL est jalonnée d’exemples. Quant aux motifs, ils relèvent toujours d’une très mauvaise habitude, celle de (faire) croire que la centralisation d’un maximum d’informations permet de les valoriser au mieux, par la « magie » de l’informatique, et donc d’être source de « progrès » grâce aux « entreprises innovantes ».
Concernant le « Health Data Hub », il s’agit d’un point d’accès unique à l’ensemble du Système National des Données de Santé (SNDS) issu de la solidarité nationale (cabinets de médecins généralistes, pharmacies, hôpitaux, Dossier Médical Partagé, registres divers et variés…). L’évènement semble si important qu’il a même été annoncé par le Président Macron en mars 2018. Par ailleurs, il est important de pointer que le SNDS avait été épinglé pour l´obsolescence de son système de chiffrement en 2017 par la CNIL.
De plus, l’infrastructure technique du Health Data Hub est dépendante de Microsoft Azure. Et ce point à lui seul soulève de grandes problématiques d’ordre éthique et réglementaire.
Alors que le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) protège les citoyens européens d’un envoi de leurs données en dehors du territoire européen, la loi Américaine (Cloud Act) permet de contraindre tout fournisseur de service américain à transférer aux autorités les données qu’il héberge, que celles-ci soient stockées aux États-Unis ou à l’étranger.
Entre les deux textes, lequel aura le dernier mot ?
Les citoyens et patients français sont donc soumis à un risque fort de rupture du secret professionnel. La symbolique est vertigineuse puisque l’on parle d’un reniement du millénaire serment d’Hippocrate.
Le risque sanitaire d’une telle démarche est énorme. Les patients acceptent de se faire soigner dans les hôpitaux français et ils ont confiance dans ce système. La perte de confiance est difficilement réparable et risque d’être désastreuse en terme de santé publique.
C’est sous couvert de l’expertise et du « progrès » que le pouvoir choisit le Health Data Hub, solution centralisatrice, alors même que des solutions fédérées peuvent d’ores et déjà mutualiser les données de santé des citoyens Français et permettre des recherches de pointe. Bien que les hôpitaux français et leurs chercheurs œuvrent dans les règles de l’art depuis des années, il apparaît subitement que les données de santé ne sauraient être mieux valorisées que sous l’égide d’un système central, rassemblant un maximum de données, surveillant les flux et dont la gestion ne saurait être mieux maîtrisée qu’avec l’aide d’un géant de l’informatique : Microsoft.
Il est à noter que d’une part, il n’a jamais été démontré que le développement d’un bon algorithme (méthode générale pour résoudre un type de problèmes) nécessite une grande quantité de données, et que d’autre part, on attend toujours les essais cliniques qui démontreraient les bénéfices d’une application sur la santé des patients.
Pour aller plus loin, le réseau d’éducation populaire Framasoft, créé en 2001 et consacré principalement au développement de logiciels libres, veut montrer qu’il est possible d’impacter le monde en faisant et en décentralisant. C’est cette voie qu’il faut suivre.
La loi pour une République numérique fournit un cadre légal parfait pour initier des collaborations et du partage. La diffusion libre du savoir s’inscrit totalement dans la mission de service publique des hôpitaux telle qu’imaginée il y a des décennies par le Conseil National de la Résistance, puis par Ambroise Croizat lors de la création de la Sécurité Sociale.
On ne s’étonne pas que le site Médiapart ait alerté le 22 novembre dernier sur les conditions de l’exploitation des données de santé. Il est rappelé à juste titre que si la CNIL s’inquiète ouvertement à ce sujet, c’est surtout quant à la finalité de l’exploitation des données. Or, la récente Loi Santé a fait disparaître le motif d’intérêt scientifique pour ne garder que celui de l’intérêt général…
Quant à la confidentialité des données, confier cette responsabilité à une entreprise américaine semble être une grande erreur tant la ré-identification d’une personne sur la base du recoupement de données médicales anonymisées est en réalité plutôt simple, comme le montre un article récent dans Nature.
Ainsi, aujourd’hui en France se développe toute une stratégie visant à valoriser les données publiques de santé, en permettant à des entreprises (non seulement des start-up du secteur médical, mais aussi des assureurs, par exemple) d’y avoir accès, dans la droite ligne d’une idéologie de la privatisation des communs. En plus, dans le cas de Microsoft, il s’agit de les héberger, et de conditionner les technologies employées. Quant aux promesses scientifiques, elles disparaissent derrière des boîtes noires d’algorithmes plus ou moins fiables ou, disons plutôt, derrière les discours qui sous le « noble » prétexte de guérir le cancer, cherchent en fait à lever des fonds.
Le monde médical et hospitalier est loin de plier entièrement sous le poids des injonctions.
Depuis plusieurs années, les hôpitaux s’organisent avec la création d’Entrepôts de Données de Santé (EDS). Ceux-ci visent à collecter l’ensemble des données des dossiers des patients pour promouvoir une recherche éthique en santé. Par exemple, le projet eHop a réussi à fédérer plusieurs hôpitaux de la Région Grand Ouest (Angers, Brest, Nantes, Poitiers, Rennes, Tours). Le partage en réseau au sein des hôpitaux est au cœur de ce projet.
Par aller plus loin dans le partage, les professionnels dans les hôpitaux français reprennent l’initiative de Framasoft et l’appliquent au domaine de la santé. Ils ont donc créé Interhop.org, association loi 1901 pour promouvoir l’interopérabilité et « le libre » en santé.
L’interopérabilité des systèmes informatisés est le moteur du partage des connaissances et des compétences ainsi que le moyen de lutter contre l’emprisonnement technologique. En santé, l’interopérabilité est gage de la reproductibilité de la recherche, du partage et de la comparaison des pratiques pour une recherche performante et transparente.
L’interopérabilité est effective grâce aux standards ouverts d’échange définis pour la santé (OMOP et FHIR)
Comme dans le cas des logiciels libres, la décentralisation est non seulement une alternative mais aussi un gage d’efficacité dans le machine learning (ou « apprentissage automatique »), l’objectif visé étant de rendre la machine ou l’ordinateur capable d’apporter des solutions à des problèmes compliqués, par le traitement d’une quantité astronomique d’informations.
La décentralisation associée à l’apprentissage fédéré permet de promouvoir la recherche en santé en préservant, d’une part la confidentialité des données, d’autre part la sécurité de leur stockage. Cette technique permet de faire voyager les algorithmes dans chaque centre partenaire sans mobiliser les données. La décentralisation maintient localement les compétences (ingénieurs, soignants) nécessaires à la qualification des données de santé.
La solidarité, le partage et l’entraide entre les différents acteurs d’Interhop.org sont les valeurs centrales de l’association. Au même titre qu’Internet est un bien commun, le savoir en informatique médical doit être disponible et accessible à tous. Interhop.org veut promouvoir la dimension éthique particulière que reflète l’ouverture de l’innovation dans le domaine médical et veut prendre des mesures actives pour empêcher la privatisation de la médecine.
Les membres d’Interhop.org s’engagent à partager librement plateforme technique d’analyse big data, algorithmes et logiciels produits par les membres. Les standards ouverts d’échange sont les moyens exclusifs par lesquels ils travaillent et exposent leurs travaux dans le milieu de la santé. Les centres hospitaliers au sein d’Interhop.org décident de se coordonner pour faciliter et agir en synergie.
L’interconnexion entre le soin et la recherche est de plus en plus forte. Les technologies développées au sein des hôpitaux sont facilement disponibles pour le patient.
L’Association Interhop.org veut prévenir les risques de vassalisation aux géants du numériques en facilitant la recherche pour une santé toujours améliorée. L’expertise des centres hospitaliers sur leurs données, dans la compréhension des modèles et de l’utilisation des nouvelles technologies au chevet des patients, est très importante. Le tissu d’enseignants-chercheurs est majeur. Ainsi en promouvant le Libre, les membres d’Interhop.org s’engagent pour une santé innovante, locale, à faible coût et protectrice de l’intérêt général.
Les données de santé sont tout à la fois le bien accessible et propre à chaque patient et le patrimoine inaliénable et transparent de la collectivité. Il est important de garder la main sur les technologies employées. Cela passe par des solutions qui privilégient l’interopérabilité et le logiciel libre mais aussi le contrôle des contenus par les patients.
L’intérêt du logiciel libre1 c’est de pouvoir se réapproprier les outils et les connaissances et c’est important de ne pas dissocier les deux parce les outils sont aussi des connaissances et qu’aujourd’hui, dans un monde qui est de plus en plus numérique, où la télévision est numérique, le téléphone est numérique, la musique est numérique, les livres sont numériques, il est important de pouvoir comprendre comment fonctionne un peu tout ça. Donc ce n’est pas seulement comprendre comment fonctionne Internet, ce qui pourtant la base, c’est aussi comprendre comment fonctionnent les logiciels, par qui est-ce qu’ils sont faits, dans quel but, comment est-ce qu’ils contribuent à la société et comment est-ce que nous on peut contribuer, finalement, à ces logiciels de façon à ce qu’ils puissent améliorer la société.
Le modèle du logiciel libre ce n’est pas seulement un modèle technique de production du logiciel, c’est aussi tout un ensemble de valeurs éthiques et sociales qui sont portées par ce mouvement depuis plus de 30 ans maintenant et qui vise non seulement à rester maître de ses données, maître de ses logiciels, mais aussi de se dire que les outils ne sont pas neutres et que si on veut pouvoir en avoir la maîtrise, en tout cas en ce qui concerne les biens communs numériques, le logiciel libre est probablement la seule réponse concrète, efficace, utilisable tout de suite, qui nous permet de se poser la question de l’éthique et des valeurs sociales qui sont transmises au travers du logiciel aujourd’hui.
Je puis définir le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité.
Richard Stallman2 qui est le fondateur du mouvement du logiciel libre arrive souvent en conférence avec un accent anglais alors qu’il parle très bien français, mais il a un accent anglais assez prononcé, en disant : « Je puis définir le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité » ; d’habitude la salle se lève et l’applaudit. C’est assez juste, du coup, de pouvoir définir le logiciel libre comme ça, c’est-à-dire c’est à la fois les libertés qui sont accordées à l’utilisateur, parce que dans le logiciel libre ce n’est pas le logiciel qui est libre, c’est l’utilisateur ou l’utilisatrice ; l’égalité c’est parce qu’il n’y a pas de différence, il n’y a pas de discrimination sur qui va utiliser le logiciel en question ; et enfin la fraternité c’est quelque chose qui pour nous est important, c’est la capacité, finalement, à s’entraider pour coconstruire ensemble du bien commun numérique qu’est du logiciel libre, donc le fait de partager les bonnes recettes de cuisine du logiciel, mais aussi le fait de pouvoir aider quelqu’un qui est dans la mouise à un moment donné et qui n’arrive pas à s’en sortir, on peut poser la question. Donc un des avantages du logiciel libre ou un des slogans du logiciel libre ça peut être : « Si tu ne sais pas demande et si tu sais partage ! »
Si tu ne sais pas demande et si tu sais partage !
Il s’agit d’abord de faire connaître le logiciel libre, donc on a choisi de le faire connaître, nous, par la base, c’est-à-dire en intervenant dans des MJC [Maisons des jeunes et de la culture], dans des bibliothèques, dans des médiathèques et petit à petit que chaque personne puisse se dire : mais en fait moi aussi je peux contribuer au logiciel libre ; moi aussi je peux participer au bien commun ; moi aussi je peux m’investir dans une association ; moi aussi je vais pouvoir contribuer à Wikipédia. Et petit à petit ces personnes vont se rendre compte d’abord de la valorisation qu’il y a à travailler pour l’intérêt général, parce que c’est quelque chose de valorisant.
Ce qui nous3, nous intéresse c’est que ces logiciels puissent exister pour tout le monde, qu’ils puissent participer à développer un secteur de la société de contribution et notamment celui des biens communs pour qu’on ne reste pas cantonnés, finalement, à se dire : ah ben là c’est bon, il y a une alternative en Libre qui existe, on ne s’en occupe pas. Ce qu’on veut c’est construire et coproduire des logiciels libres au service de la société de contribution.
Si vous voulez développer des biens communs, il faut être prêt à y participer. C’est une société de l’effort, c’est évident, ce n’est pas ce qui nous est vendu évidemment en face ; on est plutôt dans une société du confort avec la société de surconsommation.
Si vous voulez développer des biens communs, il faut être prêt à y participer. C’est une société de l’effort, c’est évident, ce n’est pas ce qui nous est vendu évidemment en face ; on est plutôt dans une société du confort avec la société de surconsommation. La société de contribution est une société de l’effort qui va nécessiter de prendre du temps, de prendre sur soi, de mettre de l’énergie dans le maintien et le développement de ces biens communs.
Il est difficile aujourd’hui, quand on regarde cette société de la surconsommation, de se dire qu’elle a un avenir d’égalité et de fraternité pour beaucoup de gens. Concrètement dans cinq ans, dans dix ans, si jamais on ne développe pas le logiciel libre, on aura quoi ? On aura un « Googleternet » sur lequel vous pourrez consommer des vidéos, sur lequel vous pourrez publier des contenus, mais tous ces contenus seront validés, monétisés et on va vous encourager à produire des contenus qui n’existent pas ou qui ne sortent pas trop du cadre. Donc finalement, on va se retrouver enfermés dans une espèce de bulle intellectuelle qui aura été conçue par les algorithmes de Google ou de Facebook qui vous diront : « Dormez tranquilles braves gens, demain vous irez regarder votre vidéo de chatons plutôt que de vous intéresser à ce qui se passe sur la loi travail. »
Moi évidemment, ce dont j’ai envie c’est qu’on puisse construire un monde avec plus de solidarité, où les données puissent être contrôlées par les utilisateurs, mais c’est aussi un monde où les médicaments ne seraient pas brevetés par exemple. Ça c’est la vision que j’ai du monde, mais je ne prétends pas que c’est la bonne. Par contre, pour arriver à ça, il faut pouvoir coconstruire des outils sous forme de logiciels libres ; il faut pouvoir lutter ou en tout cas expliquer les dérives de la propriété intellectuelle : un médicament qui est breveté sur un certain nombre d’années, potentiellement évidemment il a un coût, ce qui est parfaitement compréhensible, en recherche et développement, il faut bien que l’entreprise puisse rentrer dans ses frais, mais d’un autre côté, s’il est protégé pendant 20 ans, qui va faire le calcul du nombre de personnes qui sont en souffrance parce qu’elles n’ont pas accès à ce médicament-là ?
Il faut surtout planter des graines dans les esprits pour que les gens puissent se rendre compte de ce que c’est que le bien commun, de ce que c’est que la contribution, des efforts que ça va leur demander, mais de pourquoi est-ce qu’ils vont le faire. Qu’est-ce que nous, on a envie de construire comme société ? Comment est-ce qu’on a envie de la construire ? Quels sont nos objectifs ? Et avec qui est-ce qu’on veut la construire ? Parce que, encore une fois, il ne s’agit pas de dire que c’est nous contre eux, il s’agit de dire : qu’est-ce que nous on veut inventer ?
Nous on ne parle pas de convergence des luttes, on parle de convergence des buts.
Finalement c’est assez important pour nous, aujourd’hui, de réfléchir avec les personnes qui sont intéressées par cette société de contribution. Qui veut, avec le logiciel libre, avec le développement durable, avec les innovations démocratiques, sociales et politiques qui peuvent exister, avec les médecines dites alternatives, pouvoir inventer une autre société qui ne soit pas juste celle de la consommation.
En fait les gens qui ont construit l’Internet l’ont fait de manière ouverte entre eux, donc on a une communauté des développeurs qui ont fait l’Internet et ils l’ont fait pour que cet Internet serve de support à des applications qui allaient être libres, ouvertes, que personne n’allait décider, mais qui allaient se mettre en place sur ce commun de l’Internet qu’ils avaient construit. C’était leur philosophie de travail. Ce qu’ils n’avaient pas prévu c’est qu’il y aurait beaucoup d’argent à gagner sur les applications, parce que c’est venu beaucoup plus tard, c’est venu à partir du milieu des années 90, à partir de la création de Amazon, par exemple, en 1994 et peut-être un symptôme de ça c’est : on va passer non plus d’un échange entre des individus sur un mode horizontal, mais bien sur une entreprise qui a un objectif visant de la population, visant des individus usagers, pour capter à son bénéfice au début leur commerce, puis leurs données, puis l’ensemble de leur activité, de leurs traces humaines dans la vie.
Un programme informatique aujourd’hui il enregistre. Toutes les connaissances, les savoirs du monde sont quelque part dans les systèmes informatiques. Or, on le voit bien avec les médias sociaux par exemple, nous agissons dessus, nous croyons voir, mais nous ne voyons que la surface. Toute l’utilisation des traces qui se réalise en dessous, toutes les interprétations qui sont faites par des algorithmes nous échappent, parce que le système n’est pas libre, parce que personne ne sait réellement ce que fait Facebook avec nos usages et nos pratiques.
L’intérêt du logiciel libre1 c’est justement d’être transparent sur ce qui va être fait et donc de garantir qu’il n’y a pas des chevaux de Troie installés à l’intérieur d’un logiciel, qu’il n’y a pas des choses qui vont être contraires à la liberté d’usage de l’utilisateur.
En fait, quand on prive les gens du savoir, quand on les prive du droit d’usage sur des produits qu’y compris ils ont achetés, les gens ne le supportent pas. Ils ont envie de hacker le système. Et ce qu’il y a de bien avec l’informatique, avec les logiciels libres au démarrage, c’est qu’ils peuvent le faire ; il suffit d’apprendre à faire de l’informatique pour hacker le système. Ce qui a fait que des milliers et des milliers de personnes ont créé des sites web au tout début des années 90 à partir de savoirs qui étaient transmis comme ça, qui n’avaient été prévus par personne.
C’est ce qui fait qu’aujourd’hui les paysans ont de plus en plus envie de savoir ce qu’ils plantent, de maîtriser leur chaîne de production et donc d’utiliser des semences fermières, de créer un réel commun de la semence qui ne soit pas dépendant de grandes entreprises où on ne sait plus trop quelle est la qualité, l’adaptation du produit.
C’est le succès des fab labs2 dont il faut tenir compte. Les gens ont envie d’apprendre à faire des choses et ils le font, c’est ça qui est intéressant. On voit des tas de communs se développer dans tous les domaines d’activité. On voit des gens qui créent des activités coopératives, des jardins partagés à l’intérieur des villes, qui créent des villes résilientes et ça, ça construit du commun. Et les gens le font de manière plus ou moins spontanée, souvent sans utiliser le mot. Le mot « commun » c’est nous universitaires qui le mettons quand on regarde des pratiques très diverses, mais les gens font leurs échanges de graines, ils font leurs fab labs, ils font leurs fabrications coopératives, ils font les jardins partagés, ils le font sans mettre un mot dessus.
C’est important d’avoir aussi des intellectuels qui regardent les choses et qui disent : « Là il y a des ressemblances, il y a tout un mouvement, toute une dynamique par en bas qui dit "nous voulons nous réapproprier le monde". » Et ça c’est la dynamique du commun. Et nous voulons le réapproprier de manière coopérative, collaborative, ensemble, pas tout seuls. Ça existe, ça promet une nouvelle société. Ouvrons les yeux et servons-nous-en pour nous coordonner.
S’il y a un retour des communs aujourd’hui c’est parce que le numérique nous a remis cette question du partage, cette question d’échange au goût du jour.