<Les féministes d’aujourd’hui sont-elles extrémistes ? Des magazines tels Causeur et Valeurs actuelles font leurs gros titres sur la « terreur féministe » et la radicalité des combats que des militantes « devenues folles » mèneraient contre le genre masculin. Le Rapport annuel 2024 sur l’état des sexismes en France qui met en avant une augmentation des idées machistes chez les jeunes hommes de 24-35 ans déplace le pôle de la radicalité en question.
« Faisons du sexisme de l’histoire ancienne », commente le rapport 2024. Ces débats sur le postulat de l’extrémisme féministe d’aujourd’hui et le constat de la montée concomitante des conservatismes masculins à l’égard des femmes intéressent assurément l’histoire et renvoient aux positionnements des antiféminismes et masculinismes d’hier.
Un exemple édifiant est la loi qui a permis aux jeunes filles d’accéder à l’enseignement secondaire en France. Adoptée le 21 décembre 1880, sous la IIIe République, la « loi Camille Sée » a révélé un masculinisme agitant le chiffon rouge de ce qui était perçu à l’époque comme de l’extrémisme féministe.
Note de Kat : j'ai fait mes études secondaires au Lycée Camille Sée à Paris
Tout à la fois, cette loi républicaine est novatrice et conservatrice.
Novatrice, car elle instaure pour les jeunes filles ce que le Second Empire n’a pas réussi à faire. Soucieux de promouvoir un enseignement secondaire féminin, le ministre de l’Instruction publique Victor Duruy avait posé avec la circulaire du 30 octobre 1867 le projet de la création de Cours d’enseignement secondaire pour les jeunes femmes. Cette initiative avait soulevé une violente opposition de l’Église catholique qui contribuera à l’échec de cette entreprise. La politique scolaire du ministre se situait dans le contexte d’un Second Empire qui avait initié une ébauche d’instruction féminine dans le primaire, avec la loi Falloux qui permettait l’ouverture d’une école primaire pour les filles dans chaque commune de plus de 800 habitants et la loi de Victor Duruy du 10 avril 1867 qui abaissait ce seuil à 500. Ces mesures étaient des avancées au regard de la loi de juin 1833 de François Guizot qui, sous la monarchie de Juillet, avait obligé l’ouverture d’écoles primaires pour les garçons dans chaque commune de plus de 500 habitants, en faisant l’impasse sur l’instruction primaire des filles.
Cette loi républicaine du 21 décembre 1880 est aussi conservatrice car elle crée de façon volontaire un enseignement féminin qui n’a ni le même cursus, ni le même programme, ni le même diplôme que celui des garçons. Il se déroule en cinq ans, au lieu de sept pour eux. Il privilégie un enseignement ménager et de couture pour elles. Et il n’inclut dans son programme aucun cours de philosophie et de langues anciennes. Or, ces matières sont obligatoires au baccalauréat. La fin du cursus donne accès non pas un baccalauréat, mais à un « diplôme de fin d’études secondaires » qui ne permet pas aux filles d’accéder à l’université. Les républicains ont donc profité du revers du Second Empire pour créer un enseignement féminin à leur convenance. Mais s’ils ont œuvré pour que la jeune fille ne soit plus élevée « sur les genoux de l’église », selon la formule chère à leur adversaire clérical, Monseigneur Dupanloup, ils ont aussi agi pour qu’elle soit élevée sur les genoux républicains du foyer familial.
Cet inégalitarisme de scolarisation entre filles et garçons n’est pas le fait du hasard. Dans ce XIXe siècle masculiniste, il résulte d’une peur que les hommes ont que les femmes puissent accéder à autre chose qu’un simple enseignement élémentaire. Cette frayeur tourne autour d’une trilogie que scandent législateurs et autres théoriciens de l’éducation dans les discours, ouvrages et articles dont ils sont les auteurs : les femmes studieuses seraient des femmes orgueilleuses, hideuses, dangereuses. Les délibérations qui se tiennent à la Chambre des députés en décembre 1879 et janvier 1880 ainsi qu’au Sénat en novembre et décembre 1880 permettent de bien rentrer dans le détail de ces émois.
Les Femmes savantes de Molière et Les Bas-Bleus de Barbey d’Aurevilly sont dans toutes les têtes lors des débats parlementaires et sénatoriaux. Ces pédantes ridicules sans talent sont des repoussoirs absolus. Dans l’introduction à son projet de loi, le député Camille Sée rassure ses collègues parlementaires :
« Il ne s’agit ni de détourner les femmes de leur véritable vocation, qui est d’élever leurs enfants et de tenir leurs ménages, ni de les transformer en savants, en bas-bleus, en ergoteuses. » (ndlr, « bas-bleu » est expression péjorative pour désigner une femme cultivée)
Pas plus par snobisme hautain que par surcroît d’intellectualité, il leur promet que la femme républicaine n’abandonnera les tâches culinaires qui lui reviennent :
« L’économie domestique leur est indispensable ; Chrysale a raison : il faut songer au pot-au-feu. On le dédaignait par mondanité ; il ne faut pas qu’on le dédaigne par excès de capacité. »
Sur les bancs de ces nobles assemblées, des cris fusent contre les « habits déchirés » que la femme, trop « occupée de hautes études » ne voudra plus recoudre pour son mari. Ils s’indignent aussi du « rôti brulé » et du « pot-au-feu manqué » qu’elle ne manquera pas de lui servir.
Toutes ces admonestations sur les « savantes », les « bas-bleus », les « ergoteuses » avec leur « mondanité », leur « capacité » et leurs « hautes études » sont des doigts sévèrement pointés sur celles qui sont perçues comme de futures orgueilleuses instruites et diplômées qui ne pourront que regarder de haut les tâches subalternes des habits à recoudre et du dîner à préparer. Même après la proclamation de la loi, les recommandations restent tenaces contre « l’orgueil » de la jeune fille instruite.
Tout ce qui relève du scientifique exacerbe particulièrement les élites de l’époque. Le 28 juillet 1882, l’ancien ministre de l’Instruction publique Jules Simon déclare lors d’une remise de prix à de jeunes lycéennes :
« Je soutiens qu’il est parfaitement inutile d’enseigner la chimie et la physique aux filles […] »
Le risque de ces sciences, continue-t-il, est de faire de ces jeunes femmes des mères infatuées qui ne s’abaisseront plus à nourrir leur progéniture. Elles utiliseront un langage châtié pour vérifier que leur servante ait bien mis du sucre dans le bouillon de leur petit. Jules Simon se moque du ridicule qu’aurait leur style ampoulé :
« [Elles] ne manqueront pas […] de s’écrier en molestant la nourrice de leur enfant – car elles ne nourriront certainement plus elles-mêmes – “Avez-vous donné à mon fils son potage sacchariné ?” »
La femme hideuse, c’est la « virago », cette mégère autoritaire aux allures masculines que généreront ces études secondaires. Trois jours après la séance sénatoriale du 22 novembre 1880, l’écrivain Octave Mirbeau dans le journal Le Gaulois s’étrangle de colère devant la politique républicaine en cours :
« Qu’est-ce que j’apprends ? Et où allons-nous, mon Dieu ? Ne voila-t-il pas, maintenant, qu’ils veulent prendre nos filles pour en faire des hommes ! »
Après quelques considérations sur « la barbe au menton » qu’elles ne manqueront pas d’avoir, il dénonce le sabotage d’identité qui se trame :
« II s’agit de les déniaiser, de les savantiser, de les bas-bleuiser, de les garçonniser, de les viriliser. »
Tous horizons politiques confondus, le « bas-bleu » n’est donc pas seulement une prétentieuse qui pérore à tout va. C’est aussi une femme qui trahit hideusement sa nature féminine. Un « homme manqué », un « hermaphrodite » qui s’échine à vouloir ressembler à son homologue masculin pour mieux le toiser. Charles Baudelaire, Georges Proudhon ou Jules Barbey d’Aurevilly se déchainent sur les affreuses métamorphoses à venir. En femme de plume célèbre, George Sand est une de leurs cibles favorites. Plus cyniques que jamais, les frères Goncourt s’en prennent aussi à elle pour attester des mutations en cours :
« Si on avait fait l’autopsie des femmes ayant un talent original, comme Mme Sand […] on trouverait chez elles des parties génitales se rapprochant de l’homme, des clitoris un peu parent de nos verges. »
On s’effraie des « bas-bleus » dégénérés autant que des « bas-rouges » révoltés à venir. Le lendemain du vote en première lecture de la loi sur les lycées de jeunes filles, le journal catholique L’Univers fait son miel du péril imminent que préparent les savoirs et diplômes féminins. Les « futures doctoresses et avocates », élevées « sans religion » et « bourrées de cette science-frelatée » ne seront que les répliques des violences de 1848 et 1870 :
« La haine de ces bas-rouges sera d’autant plus féroce que leurs appétits seront plus vastes ; elles voudront réformer une société où elles ne sauraient trouver place, et s’en iront, avec les Hubertine Auclert et les Louise Michel, courir les réunions publiques et réclamer les droits de la femme. »
Lors des débats parlementaires précédant le vote de la loi, le sénateur bonapartiste Georges Poriquet agite également l’épouvantail de l’émeutière communarde. « Même améliorée par la République », il ne veut pas de cette « femme savante, électeur et orateur, la Louise Michel du présent et de l’avenir ».
Dangereuses pour les autres, les femmes studieuses le seraient aussi pour elles-mêmes. Ces littératures prédisent que, désœuvrées par ces nouveaux savoirs, elles se donneront « au premier homme qui passera », « qu’elles se tueront », qu’elles « deviendront folles »…
Les hommes du XIXe siècle ont eu peur des évolutions à venir. Et ils ont fait peur à leurs contemporains pour que ces progrès ne se fassent pas. Leur refus d’un enseignement secondaire à égalité avec celui des garçons a été extrême. Il a rejeté de toutes ses forces ces changements en dramatisant leurs enjeux. Il faudra attendre le décret de Léon Bérard en 1924 pour que les filles puissent commencer à passer un baccalauréat identique à celui des garçons ; soit cent seize ans après le décret impérial du 17 mars 1808 de Napoléon 1er.
Deux siècles plus tard, les conservateurs s’offusquent de l’extrémisme des féminismes d’aujourd’hui. Ces femmes seraient une fois encore orgueilleuses, hideuses, dangereuses… Ce n’est rien de neuf sous le soleil noir des conservatismes sexistes du XXIe siècle.
Les revendications égalitaires de 1789 ont apporté la promesse de l'émancipation… pour finalement mieux bâillonner les femmes.
«Les hommes ont fait le 14 juillet, les femmes le 6 octobre, écrivait Jules Michelet dans Les Femmes de la Révolution (1854). Les hommes ont pris la Bastille royale, les femmes ont pris la royauté elle-même.» L'historien fait ici référence à la marche des femmes sur Versailles les 5 et 6 octobre 1789. Les Parisiennes en colère étaient venues réclamer du pain; elles repartent avec la famille royale au grand complet.
Si elle se conclut par le retour du roi à Paris, désormais logé aux Tuileries, la marche du 6 octobre est surtout un symbole: celui d'une révolution égalitaire, où les femmes comme les hommes participent aux protestations, scandent les chants révolutionnaires et montent à la tribune. Tout un symbole. Mais à quel point est-ce représentatif de la réalité historique?
Ne crions pas victoire trop vite. Sous l'Ancien Régime, la France maintient les privilèges séculaires et, de fait, les vieilles inégalités héritées de la loi salique. À l'aube de la Révolution, ses institutions vacillantes continuent de se méfier des femmes. Ces dernières sont exclues de l'administration, du gouvernement et de l'appareil judiciaire; à quelques exceptions près, assemblées, tribunes et trônes sont couverts de mâles.
Les Lumières du XVIIIe siècle n'arrangent rien. L'humaniste Jean-Jacques Rousseau rabaisse la femme au rang de «moitié de l'homme». D'autres érudits justifient leur éviction de la vie politique en incriminant leurs soi-disant «tendresse excessive» ou «raison limitée». En ces temps prétendument éclairés, la femme n'est plus pécheresse, à l'image d'Ève, mais faible de corps et d'esprit.
Cette tyrannie masculine justifie l'engouement que provoque l'étincelle de la Révolution chez les femmes: enfin, l'occasion leur est donnée de repousser les frontières étriquées de leur condition! Rien de surprenant, donc, à ce que les sans-culottes au féminin soient d'abord émeutières, notamment lors des crises de subsistance qui secouent 1788 et 1789.
À Grenoble le 7 juin 1788, c'est une femme qui, en giflant le sergent Bernadotte, déclenche l'émeute retenue sous le nom de la «journée des tuiles». À Paris, les «Dames de la Halle» nourrissent le gros des troupes sans-culottes. Elles sont blanchisseuses, épicières, domestiques, marchandes ambulantes, fripières, mais toutes se retrouvent dans la cohorte des barricades. Leur enthousiasme suffit-il à arracher les droits qu'elles réclament?
Malgré ses prétentions égalitaires, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen exclut opportunément les revendications féministes. Même si les femmes participent activement à la vie politique, rejoignant les clubs et les salons révolutionnaires, elles n'ont toujours pas voix au chapitre. D'ailleurs, les tribunes des Cordeliers et des Jacobins leur sont toujours interdites.
C'est cette injustice qui poussera Olympe de Gouges à rédiger, en 1791, sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne… Elle y écrira notamment: «La femme a le droit de monter à l'échafaud; elle doit avoir également celui de monter à la tribune.» Pour s'être hissée à la seconde, critiquant Maximilien de Robespierre et Jean-Paul Marat, elle passera sous le couperet du «rasoir national» en novembre 1793.
Dans une lettre rédigée en 1776, Madame Roland regrettait déjà ce que signifiait sa condition féminine. «En vérité, je suis bien ennuyée d'être une femme: il me fallait une autre âme, ou un autre sexe, ou un autre siècle. Je devais naître femme spartiate ou romaine, ou du moins homme français. [...] Mon esprit et mon cœur trouvent de toute part les entraves de l'opinion, les fers des préjugés, et toute ma force s'épuise à secouer vainement mes chaînes.» Il est des changements que l'on peine à provoquer.
Les rares qui s'aventurent dans les assemblées révolutionnaires se voient affublées, à partir de 1792, du surnom insultant de «Tricoteuses». On les imagine tricoter pendant que défilent les motions, sans doute pour incriminer le manque d'esprit inhérent à leur sexe.
Qu'ont donc gagné les femmes de la Révolution? Si l'émancipation tant attendue est loin de se matérialiser, cette défaite politique est éclaircie par quelques victoires sociales. Les règles de succession sont réformées en avril 1791: dès lors, garçons et filles jouissent des mêmes droits en matière d'héritage. La laïcisation du mariage, actée en septembre 1792, introduit la nécessité du consentement mutuel des deux conjoints, permettant d'entrevoir la fin des unions forcées. En outre, le divorce est légalisé –une arme qui sera en grande majorité mobilisée par les femmes pour se débarrasser d'époux abusifs, violents ou absents.
Ragaillardies, les militantes poursuivent la lutte dans les clubs où leurs idées trouvent un auditoire à leur mesure. Certaines oratrices se distinguent, à l'instar d'Anne-Josèphe Théroigne, dite de Méricourt, qui, le 25 mars 1792, prononce ces mots devant la Société fraternelle des Minimes: «Armons-nous, nous en avons le droit par la nature et même par la loi. Montrons aux hommes que nous ne leur sommes inférieures ni en vertus ni en courage. Il est temps que les femmes sortent de leur honteuse nullité.»
Malgré cet appel, on continue de leur refuser le droit de voter, d'intégrer la garde nationale ou de porter des armes: le sabre et le fusil restent des attributs mâles…
Trois ans après la Révolution, le statut des femmes n'a pas bougé d'un iota. Les préjugés toujours tenaces cristallisent le «sexe faible» en groupe soumis et peu éduqué. Toute femme dotée d'ambitions politiques fait figure d'hystérique, d'extrémiste, de «harpie» capable d'user de tous les moyens pour parvenir à ses fins. Pamphlets et tracts érotiques achèvent de bâillonner les militantes; la misogynie des tribunaux révolutionnaires n'épargne d'ailleurs pas la famille royale, puisque Marie-Antoinette est humiliée lors de son procès, accusée de relations incestueuses avec son propre fils.
Les femmes, toutes conditions confondues, voient leurs libertés s'amaigrir encore davantage au crépuscule de la Révolution. Le 30 octobre 1793, un député de l'Isère, Jean Pierre André Amar, déclare ainsi devant la Convention nationale: «Nous croyons donc qu'une femme ne doit pas sortir de sa famille pour s'immiscer dans les affaires du gouvernement […]. Leur présence dans les sociétés populaires donnerait une place active dans le gouvernement à des personnes plus exposées à l'erreur et à la séduction.»
Le même jour, les clubs féminins sont dissous. Seule une poignée de femmes hante encore les assemblées révolutionnaires et, courant 1794, certaines sont chassées à coups de verge des gradins de la Convention. Passés les ténèbres de la Révolution, le coup de grâce est porté par Napoléon. Promulgué en 1804, le code civil réduit les femmes à l'état de mineures et enterre définitivement toute promesse d'émancipation.
C'est moche, c'est mou, ça boudine. Pourtant, le legging pourrait bien être, sans le savoir, un vrai vêtement politique.
Le 25 mars, une mère de famille américaine nommée Maryann White s'est fendue d'une lettre ouverte au journal de l'université de Notre Dame (Indiana) pour dénoncer le port du legging à la messe. En effet, selon la maman de quatre garçons, ce vêtement «complique la tâche, pour les jeunes hommes, d'ignorer le corps des femmes». Elle décrit «un groupe de jeunes filles venues à l'église portant des leggings si moulants qu'on aurait dit qu'ils avaient été peints sur leur corps» et ajoute: «J'ai pensé à tous les hommes autour qui ne pouvaient pas faire autrement que de voir leurs derrières».
Rapidement, l'affaire fait polémique dans les médias aux États-Unis et des centaines d'élèves débarquent à la fac de Notre Dame en portant des leggings, en signe de soutien. Twitter s'enflamme de hashtags militants comme #LeggingsdayND ou #MybodyMychoice.
These leggings might be tight AF, but they still fit my determination to treat every human respectfully and with autonomy in regards to their choices in there #leggingsdayND #leggings #leggingsday pic.twitter.com/K5uYkrIYcy
— Meghan (@franklydarlin) 29 mars 2019
Ladies of Notre Dame - we're with you! Wear them loud, wear them proud. #yourbody #yourchoice #leggingsdayND #leggingsdayND pic.twitter.com/uZPabHetJI
— TLC Sport (@TLCSport) 28 mars 2019
«Athleisure» et «basic bitch»
Chez nos voisin·es d'outre-Atlantique, ce n'est pas la première fois que cet hybride entre pantalon et collant Lycra affole l'opinion. En 2017, déjà, deux préados avaient été refusées à l'embarquement d'un vol interne United Airlines pour cause de port de legging, l'employé de la compagnie ayant jugé leur tenue inappropriée selon le dress code en vigueur chez United (PS: sont aussi interdites les tongs et les jeans déchirés).
Dans les pays anglo-saxons encore plus que chez nous, le legging est devenu un pantalon comme les autres. Confortable, extensible, facile à porter, voire même carrément fashion, il a été adopté par les femmes de 7 à 77 ans. D'abord tenue de sport réservée aux cours de gym ou de yoga, il a étendu son territoire d'influence stylistique avec la fin de la frontière stricte entre casual et formal, soit entre le vêtement de détente et celui que l'on adopte pour les situations formelles. Bref, avec le legging, c'est l'extension du domaine du look casual Friday. On le porte partout, tout le temps et surtout pas pour faire du sport (voir ce sketch hilarant du «Saturdy Night Live» qui parodie une pub Nike).
Ces derniers temps, avec la vague «athleisure» [contraction de athletics et leisure, loisir, ndlr], soit le style «sport fashion», le legging est carrément devenu hyper désirable. Il se porte avec des baskets mais aussi avec des talons façon «basic bitch», comme Kim Kardashian... Au grand dam de Cristina Cordula. La papesse du style sur M6 a fait du legging sa bête noire, répétant à l'envi qu'il est interdit hors des gymnases.
Vêtement doudou pour les millennials avides de confort, le legging est évidemment la star d'Instagram (le mot-clé #leggings totalise près de sept millions d'occurrences, sans parler de #leggingsaddict ou #leggingslove). Au tournant des années 2010, il a même gagné la guerre contre le jean, mettant quasi KO une industrie du denim en mal de cool. À tel point que les géants du secteur ont dû réagir, inventant les pires aberrations stylistiques, tel le jeggings (jean + leggings), ou incorporant illico du stretch dans leurs pantalons.
D'après un rapport publié par la société américaine Global Industry Analysts, Inc., le marché mondial des vêtements athleisure devrait atteindre 231,7 milliards de dollars d'ici 2024. Et bonne nouvelle pour les industriels du collant sport/chic, la Chine est devenue accro! Résultat: tout le monde fait des leggings, que ce soit Etam, Zalando, Monoprix ou même Beyoncé, la première à avoir flairé la tendance avec sa marque Ivy Park, lancée en 2016.
Le secteur est très porteur et des marques se sont carrément imposées chez les urbaines actives et branchées, comme la Canadienne Lululemon, avec ses leggings à 120 euros pièce.
Couvrez ce camel toe que je ne saurais voir!
À l'origine, le legging, mélange de synthétique et de fibres extensibles, est un dérivé du collant, lui-même ancien dessous devenu dessus. Les premières traces de ce qui s'apparente à un collant remontent au XIVe siècle et au départ, ce sont les hommes qui adoptent ce vêtement fort révélateur de leur anatomie. Yvane Jacob, diplômée de l'Institut français de la mode, tient le compte Instagram Sapé comme Jadis. Elle précise: «Au XIVe siècle, le costume masculin commence à se différencier du costume féminin. Avant, les deux sexes portaient un habit assez similaire, une sorte de tunique longue. Lorsque les pourpoints raccourcissent, les chausses, sortes de bas en laine ou lin, apparaissent. Le tout relié par une pièce de tissu appelée “braguette”». Tellement galbant que l'Église ne les voit pas d'un très bon œil.
À la fin du XVIe siècle, Catherine de Médicis, lasse de souffrir l'intimité des cavalières révélée à tous lors des chutes de cheval, impose la culotte vénitienne –aussi appelée «bride à fesses», une sorte de caleçon. Un vêtement à l'origine porté par… les prostituées de la cité des Doges. Le collant arrivera dans le vestiaire féminin via la danse.
Vers 1730, une ordonnance de police oblige les danseuses de l'Opéra de Paris à enfiler un «caleçon de modestie», leurs jambes nues étant jugées indécentes. Pendant la période du Directoire en France, ce sont encore les hommes qui portent une sorte de pantalon archi moulant, fantaisie vestimentaire venue directement de l'Angleterre de Jane Austen.
Et dans les années 1980, avec la vague de l'aérobic, pas de jaloux c'est leggings moulax pour tout le monde!
Pour les femmes, la conquête de ce vêtement participe donc, au même titre que le port de la fameuse culotte précédemment citée, à la lutte pour plus d'égalité vestimentaire. Yvane Jacob raconte: «Le legging, comme la culotte, est un vêtement fermé. Jusqu'au XXe siècle, les femmes n'avaient pas le droit au vêtement fermé, privilège des hommes. La femme doit restée “offerte”, il y a clairement un enjeu d'accès au sexe féminin».
Aujourd'hui, ce bout d'élasthanne est devenu pour certaines un outil d'affirmation de soi, notamment via le fitness. Ainsi trouve-t-on sur Instagram moult corps féminins sportifs et musculeux, moulés dans un legging ad-hoc. Car le legging est l'uniforme de la femme puissante, celle qui combine carrière + vie perso et façonne son body grâce au running ou à la boxe.
Pour Yvane Jacob, le legging, comme d'autres vêtements venus du sport, participe à la libéralisation du corps de la femme: «C'est avec le sport notamment, et des femmes comme la tenniswoman Suzanne Lenglen ou la nageuse Annette Kellermann, inventeuse du maillot de bain une-pièce, que le corps féminin s'est mis à bouger. Auparavant, on empêchait la femme de se mouvoir, elle restait captive de l'homme». Le legging, un vêtement qui, avec ses coupes étudiées, flatte les muscles sculptés à coup de séries de squats. Et dévoile cette partie de l'anatomie féminine qui est l'obsession de notre époque: le booty, le butt –les fesses, quoi.
Car depuis le tournant des années 2000, les fesses sont les nouveaux seins. Après la décennie Wonderbra/Pamela Anderson, notre siècle nouveau est bien celui du popotin –celui de JLo, de Shakira ou de Beyoncé. Après le 90D, le twerk. Les grosses fesses ont la cote et le legging est à leur gloire. Un déplacement érotique assez révélateur pour Yvane Jacob: «Le corps blanc et longiligne n'est plus la référence, voyez Kim Kardashian».
Sur le net et notamment Instagram, il existe évidemment tout un fétichisme autour des fesses «émoji pêche» moulées de leggings, avec camel toe apparent (on vous laisse chercher…).
«Oui ça me boudine, et alors?»
Mais si pour certaines, le legging participe à une forme d'hypersexualisation du corps libéré, pour d'autres, ce vêtement archi moulant devient le vecteur d'un empowerment insoupçonné (en mode «oui ça me boudine, et alors?»).
Très démocratique car peu cher dans ses versions basiques, le legging existe en de nombreuses tailles et pour toutes les morphologies. À ce titre, c'est donc un vêtement étonnamment assez inclusif. Porter un legging, c'est aussi une manière de s'émanciper du regard masculin –pour beaucoup d'hommes, le legging est perçu comme pas chic, peu flatteur, voire carrément moche.
Anne a 38 ans et ne porte quasiment que des leggings, même pour aller au bureau (elle est créative dans une agence): «J'ai commencé à en acheter quand j'ai grossi. Impossible pour moi de passer au jean taille 40, trop déprimant, alors qu'un legging en 38, ça me va. Pour moi, c'est du confort avant tout. C'est pas du tout un statement mode comme les jeunes générations, les filles qui assument leur gros cul et dont je suis très admirative». Qui l'eût cru? Le legging, c'est mou, c'est moche, mais c'est dur avec le patriarcat.
Pour Abnousse Shalmani, auteur de «Khomeyni, Sade, et moi», la libération de la femme ne passera pas par l'écriture inclusive.
Le souci avec le féminisme, depuis qu’il est devenu «mainstream», c’est le pot pourri des revendications qui étouffent la légitimité du combat et brisent la colonne vertébrale de la raison –oui, je sais aussi: c’est devenu un gros mot, vu que, dorénavant, ce qui prime et séduit, c’est l’émotion, le ressenti, le témoignage; nous vivons la fin de l’esprit critique. Parmi ses nouvelles marottes: l’écriture inclusive. Qu’est-ce que c’est? Une orthographe qui inclut le masculin et le féminin. Par exemple: les militant.e.s. sont tou.te.s des con.ne.s. Le tout dans l’espoir de rencontrer le prince charmant, pardon, d’effacer les inégalités qui persistent entre les hommes et les femmes.
Les défenseurs de l’écriture inclusive en sont convaincus: le langage conditionne l’inégalité, et structure la domination (ou le contraire). Le masculin l’emportant sur le féminin, les femmes sont naturellement infériorisées, il faut donc changer cette odieuse règle qui sévit seulement depuis le XVIIe siècle et condamne les femmes à être exclues de la grammaire, de la parole, de la société, de la galaxie.
Seulement voilà: en persan ou en turc –pour ne parler que des langues que je connais un peu–, il n’y a pas de masculin et de féminin. Ce qui ne fait pas pour autant de l’Iran et de la Turquie, des havres de paix et d’égalité où l’infériorité des femmes n’est pas terriblement intériorisée comme dans notre République si abjecte envers les femmes jusque dans la grammaire.
Soyons sérieux: lorsque j’apprenais le français à l’école de la République, personne ne m’a asséné: «Le masculin gagne sur le féminin» mais «Le masculin est neutre». Nuance. Je passe rapidement sur la laideur esthétique de l’écriture inclusive, pour imaginer un monde façonné par les adeptes de la novlangue où il faudra traduire Madame Bovary ou Anna Karénine en inclusif parce que, merde, les femmes méritent leur forme écriture à elles toutes seules. Quoique… si nous en arrivons là, dans la logique où s’inscrit l’écriture inclusive, les deux romans précédemment cités seront interdits et brulés, car comment! des hommes, des hétérosexuels blancs, fruits du patriarcat dominant qui écrivent sur les femmes, qui s’autorisent à faire parler les femmes? Vous n’y pensez pas! Usurpation sexuelle! Trahison de sexe! Au bûcher! Flaubert repasserait devant le tribunal de l’inquisition féministe: «Non, Monsieur Flaubert, vous n’êtes pas Madame Bovary.»
Et Madame la procureure s’empresserait de déterrer des limbes du temps, la belle formule de l’écrivain, à propos de sa grande amie et collègue, George Sand (ci-contre): «Il fallait la connaître comme je l’ai connue, pour savoir tout ce qu’il y avait de féminin dans ce grand homme.» Sursaut dans la salle d’audience, un frisson de haine parcourait la foule: Flaubert ce phallocrate immonde. Ce serait une preuve à charge: parce que George Sand osait être écrivaine, osait se travestir pour être plus libre de ses mouvements, Flaubert, ce sexiste qui s’ignorait, éprouvait le besoin patriarcal de préciser, dans son «hommage», que c’était quand même toujours une femme! Ne riez pas: nous n’en sommes pas si loin.
L’écriture inclusive nous raconte quelque chose du féminisme qui sévit et qui n’a plus grand chose à voir avec le féminisme historique (ou universaliste): créer les conditions de l’égalité en offrant les mêmes chances de réussite et d’émancipation, militer pour la liberté sexuelle, soutenir l’entrée des femmes dans toutes les carrières et lutter contre les discriminations. Personne n’avait imaginé qu’on en viendrait à dresser des listes de noms féminins négatifs (la soumission, la corvée, la vaisselle etc. et je pourrais rajouter la clairvoyance, la violence, la puissance etc. pour équilibrer) et qu’il serait sexiste de dire «Madame le Président» ou de vouloir demeurer «Mademoiselle» (ne pas se marier et le revendiquer est aussi un choix féministe).
La sacralisation des femmes sous-entend sa fragilité et par conséquent sa protection indispensable. Protéger les femmes, c’est les discriminer
Les conséquences de ce parasitage continu du féminisme historique sont doubles: la sacralisation de la femme et son corolaire, la sainte victimisation. La sacralisation des femmes sous-entend sa fragilité et par conséquent sa protection indispensable. Protéger les femmes, c’est les discriminer.
Ainsi, en 1928, lors des Jeux olympique d’Amsterdam, les femmes participent pour la première fois à l’épreuve du 800 mètres. Mais à l’arrivée, devant le spectacle d’athlètes effondrées par l’effort ou reprenant simplement leur souffle, les organisateurs décidèrent que les femmes étaient inaptes à tenir plus de 200 mètres, le tout dans le but de les préserver… L’épreuve olympique du 800 mètres fut alors interdite aux femmes jusqu’en… 1960.
Les femmes n’ont pas besoin d’être protégées, elles ont besoin de liberté pour exister et faire la preuve de leur endurance. Car derrière la fragilité se dévoile la victime éternelle qu’est la femme et qui arrange les sexistes depuis des millénaires pour justifier sa mise à l’écart et sa discrimination au nom de sa différence. Victimes, les femmes! Victimes tout le temps, partout, victimes nues et habillées, victimes dans le verbe, victime dans l’art, victime dans le travail, victime dans l’espace public!
À 8 ans, je ne parlais pas un mot de français. Mais je voulais déjà être «écrivain français», ce qui faisait gentiment rire mon entourage. Zola fut l’un des premiers auteurs que j’ai adoré. De l’âge de 10 ans à 15 ans, je croyais que Zola était une femme. Emile et Emilie sont proches, mon français était encore immature et j’avais joliment choisi que mon écrivain préféré était une femme. Une femme écrivain. Cela m’a conforté dans mon ambition. En 2014, la question m’était encore posée: écrivain ou écrivaine? Ce temps-là est achevé. Femme tu es, écrivaine tu seras.
Eh bien, je ne veux pas. Je ne veux pas vivre dans un monde parallèle à celui des hommes, réservé aux femmes décidément si fragiles. J’ai toujours voulu être écrivain et déjà enfant, je trouvais injuste que dans les manuels scolaires français, l’histoire des femmes se résume à un chapitre couvrant plusieurs siècles en fin de livre. Pourquoi ne pas mentionner Olympe de Gouges lors de la Révolution Française mais lui réserver une place à part? Comme si les femmes ne faisaient pas parti du même monde que les hommes, comme si leur histoire se déroulait en marge de celle des hommes.
Ainsi, l’injonction à être écrivaine, réveille en moi ce même sentiment enfantin de rejet. L’écrivain n’a pas de sexe et son œuvre s’inscrit dans l’histoire universelle de la littérature. Je suis une femme, j’écris. Je suis un écrivain.
Et pourtant. Adolescente, je découvre les figures féministes d’avant mai 1968 et des luttes collectives. Je découvre Madeleine Pelletier, la première femme psychiatre en 1905. Elle s’est farouchement battu pour poursuivre ses études: il fallait alors posséder ses droits civiques pour s’inscrire en psychiatrie et les femmes n’en avaient pas. Madeleine Pelletier encore moins: boursière, orpheline de père, mère catholique intégriste. Alors quand elle installe son cabinet dans le XVIIIe arrondissement de Paris, en 1907, il est légitime qu’elle féminise sa profession pour faire naître la révolutionnaire Doctoresse Pelletier (elle pratiquait aussi illégalement l’avortement).
Ici, est la différence: le contexte, l’époque, l’inédit. Aujourd’hui, nous sommes égales aux hommes dans le droit –faite des pieds et des mains, hurlez à la mort, en tapant du pied, que c’est pas vrai, ça l’est, Doctoresse Pelletier s’est battue pour ça– bien que les mentalités évoluent plus lentement que la loi, bien que nos droits fondamentaux soient régulièrement mis en cause, nous disposons d’un arsenal juridique pour exister à l’égal des hommes.
À nous d’exercer nos droits et de se battre pour nous imposer, à nous de renvoyer une baffe bien sentie après une main au cul, à nous d’avoir une attitude conquérante et une certitude inébranlable, à nous de ne pas glousser comme des gourdes face à des attaques sexistes, à nous de nous mettre en avant, à nous de prendre la parole et de la garder, à nous de conquérir des espaces masculins, à nous de refuser d’être des victimes, à nous d’être fières, à nous, chacune, individuellement, de prendre le pouvoir, comme ont su le faire des femmes extraordinaires à une époque pas si lointaine où elles n’étaient pas protégées par aucune loi.
Féminiser les métiers ne rendra pas le rapport de force moins inégalitaire comme écrire «tou.te.s» ne rendra pas les femmes plus autonomes et indépendantes. Au contraire, choisir sa vie, en dehors de toutes les injonctions parentales, sociétales, religieuses et culturelles, demeurera toujours une démarche féministe. Et gagnante.
A l’occasion des cinquante ans de la loi autorisant les femmes à ouvrir un compte en banque et à travailler sans l’autorisation de leur mari, petite histoire des interdictions qu’ont eu à combattre les femmes.
Quand les femmes ne pouvaient pas ouvrir de compte en banque
Le XXe siècle a créé la femme d’aujourd’hui. Celle qui travaille, gère ses biens, vote et vit sa vie. La loi de 1965, qui souffle aujourd’hui ses 50 bougies, a ouvert la porte à l’émancipation féminine. Avant elle, une femme ne peut travailler sans l’accord de son mari ni ouvrir de compte en banque à son nom propre. Mais le combat ne s’est pas arrêté là. Il a fallu attendre très longtemps pour qu’elle ait l’autorisation de porter un pantalon ou avoir accès à toutes les écoles hexagonales.
Il y a cinquante ans, les femmes obtenaient le droit de… par libezap
1907 Les femmes mariées disposent de leur salaire. Avant ça, tout revient à son mari. C’est aussi cette même année que le conseil des prud’hommes autorise les femmes à siéger.
1924 Avant cette date, il est impossible pour une femme de passer le baccalauréat. Une femme l’a pourtant fait : Julie-Victoire Daubié, en 1861 qui fut autorisée à le passer. Léon Bérard, ministre de l’Instruction publique sous Raymond Poincaré, institue le même enseignement secondaire que ce soit pour les filles ou les garçons. Tout le monde peut désormais passer le bac.
1938 L’incapacité juridique des femmes est levée. Dès lors, elles peuvent aller à l’université, avoir une carte d’identité ou un passeport sans l’autorisation de leur mari.
1946 Ouverture du statut de juge pour les femmes. L’une des premières sera Simone Rozès, en 1949, qui deviendra première femme président de la Cour de cassation, en 1984.
1967 Les femmes sont désormais autorisées à entrer à la Bourse de Paris et à spéculer. Auparavant, certaines décident de contourner le système. Marthe Hanau, la «Madoff des années folles», initiatrice d’une chaîne de Ponzi qui fit sa fortune, avait pour habitude de se travestir pour entrer dans le palais Brongniart et faire trembler ses rivaux.
1970 Le gouvernement Chaban-Delmas apporte une autre pierre notoire à la reconnaissance du statut de femme indépendante : il supprime le «chef de famille». Le couple régit de concert le ménage dans les dépenses et les choix de vie et d’éducation. L’autorité parentale vient de naître. Pourtants, 45 ans plus tard, la pilule ne passe toujours pas. Dans son ouvrage Le suicide français, Eric Zemmour écrit que la disparition de la notion de chef de famille, c’est un peu la «mort de la famille occidentale». Et d’ajouter que l’homme a «besoin de dominer pour se rassurer sexuellement et les femmes d’admirer pour se donner sans honte».
1972 Polytechnique devient complètement mixte, tout comme HEC. La même année, huit femmes y entrent et l’une sera major de promotion : Anne Chopinet. Les autres grandes écoles se sont déjà ouvertes à la mixité : Chartres (1906), les Ponts et Chaussées (1959), les Mines (1969).
1975 La mariée a désormais droit à un peu d’intimité. Son mari ne peut plus ni lire ses lettres ni décider pour elle de ses relations. La même année, tout enseignement ou spécialité de l’enseignement supérieur est accessible pour les garçons et les filles.
2013 Mieux vaut tard que jamais, l’interdiction du port du pantalon est enfin abrogée. Dès 1909, le pantalon peut être féminin… mais uniquement s’il est utilisé pour faire du vélo, du cheval ou du ski. Pour la petite histoire, le pantalon est interdit par une ordonnance du 16 Brumaire an IX (7 novembre 1800) pour toute personne de sexe féminin parce qu’il est considéré comme «objet de travestissement». L’ordonnance prévoit quand même quelques cas particuliers qu’elle appelle «les autorisations de travestissement». Amantine Dupin ou George Sand en a bénéficié. Au fur et à mesure, l’ordonnance est assouplie mais jamais formellement abrogée. Le pantalon fait scandale dans les années 20 avant de se banaliser dans les années 60 avec le smoking Yves Saint Laurent ou le pantalon Courrèges. Quelle Française aujourd’hui n’a jamais porté de pantalon ? Aucune, mais elles étaient toutes en infraction.
C’est avec l’usage que la langue s’adapte. Le jour où les postes de préfets, chercheurs, ingénieurs et autres métiers seront occupés par autant de femmes que d’hommes, le langage suivra.
Le langage a-t-il besoin d’un manuel pour évoluer?
C’est avec l’usage que la langue s’adapte. Le jour où les postes de préfets, chercheurs, ingénieurs et autres métiers seront occupés par autant de femmes que d’hommes, le langage suivra.
ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
"Grâce aux agriculteur.rice.s, aux artisan.e.s et aux commerçant.e.s, la Gaule était un pays riche". L’on pourrait croire à une nouvelle expérience d’écriture créative de l’OuLiPo où le "e", disparu sous la plume de Georges Pérec, ferait cette fois une grande apparition. Mais il s’agit plus prosaïquement d’un extrait en écriture inclusive du nouveau manuel scolaire édité par Hatier que les enseignants pourront désormais choisir pour leurs classes de CE2. Un manuel se voulant, comme l’explique son éditeur, "le reflet de la société et de ses évolutions". Mais le langage a-t-il besoin d’un manuel pour évoluer?
Le langage ne se décrète pas
Il est évident que l’égalité entre les femmes et les hommes doit être une priorité. Il est tout aussi évident que la langue française ne doit pas être figée pour être préservée et qu’une langue dite vivante doit justement s’adapter. Mais ce n’est pas en glissant de force des "e" minuscules entre deux points que l’on fera évoluer les usages. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes en apporte, sans le vouloir, la démonstration : c’est en constatant l’inapplication de la première circulaire relative à la féminisation des noms de métier que le Premier ministre a réitéré cette obligation en 1998. Vingt ans plus tard, entend-on davantage de femmes se dire "sapeuse-pompières" ou "doctoresses"?
Laissons les mots se transformer à leur rythme. C’est avec l’usage que la langue s’adapte et se transforme. "Ma doctrine est que ce sont les usagers qui décident", confiait récemment le linguiste Alain Rey dans un entretien pour Le 1. Prenons le mot "sénatrice". Dans sa version féminine, ce mot ne figure pas dans le Larousse. Il est pour autant facile de constater que cela ne l’a pas empêché de s’imposer dans le langage courant. Que l’usage précède le langage! Rien n’empêche les auteurs, "autrices" et les plumes en tous genres favorables à l’écriture inclusive de s’en saisir. Tout plaide en faveur d’une féminisation de certaines professions. Le jour où les professions de préfets, chercheurs, ingénieurs et autres activités seront occupées par autant de femmes que d’hommes, le langage suivra.
L’écriture inclusive pour les robots?
Selon étude menée par l’Université de Princeton sur un algorithme utilisé dans toutes sortes d’applications, l’intelligence artificielle associerait majoritairement les mots évoquant la gente féminine (fille, soeur, mère, etc.) aux notions de famille, enfants, foyer et aux arts. A l’inverse, l’algorithme rapprocherait automatiquement les hommes des notions de travail, carrière et les associe aux matières scientifiques et technologiques.
L’algorithme - né d’un concepteur subjectif - serait-il sexiste? Ou n’est-il que le reflet numérique de nos comportements individuels? Dans les deux cas, le big data alimente le risque de voir les comportements majoritaires devenir une norme. Et nous courrons aussi collectivement le risque de nous emprisonner dans nos propres conformismes. Faudra-t-il alors enseigner l’écriture inclusive aux robots? Commençons d’abord par intéresser les petites filles aux robots.