Je souhaite que nous déchirions le voile de complexité arbitraire qui ampute le contribuable comme le parlementaire de leur faculté de déterminer l'impôt et d'y consentir.
Laurent Saint-Martin
Député LREM, vice-président de la commission des finances
“Si nous laissons les choses persister, la maladie de nos finances publiques atteindra un stade incurable.” La phrase aurait pu être celle d’un ministre, d’un élu ou d’un candidat, mais non –c’est le constat que Joël Pommerat met dans la bouche de “Muller”, Premier ministre du roi Louis XVI dans sa pièce ”Ça ira –Fin de Louis”, qui rejoue les premières heures de la Révolution française.
Cet état des choses dont il est question, auquel Muller propose de mettre fin pour redresser le pays, c’est l’injustice fiscale généralisée qui caractérisait, en 1789, la société française, l’obsolescence des impôts existants, ce sont les “privilèges” au bénéfice de la noblesse, du clergé, des corporations et
des villes. Ces mêmes privilèges dont nous célébrons aujourd’hui l’abolition, il y a 230 ans, par mes lointains prédécesseurs qui venaient de se constituer en Assemblée nationale.
Tous égaux devant l’impôt
L’épisode est connu. Le contenu concret des travaux parlementaires l’est moins. Car les “privilèges” dont on nous parle depuis l’école primaire étaient avant tout fiscaux. Il s’agit, littéralement, de “droits particuliers” au titre desquels deux des trois ordres, le clergé et la noblesse, pouvaient lever l’impôt sans y être réellement assujettis. Dans la nuit du 4 août, les députés de la toute
jeune Assemblée nationale, au terme de débats enflammés par les nouvelles des insurrections qui agitent le pays, votent la suppression de ces “lois particulières”. Pommerat en fait un moment magnifique, où le roi, abasourdi, n’en revient pas des informations qui lui parviennent depuis l’Assemblée: un membre
du parti de la noblesse propose que tous ceux de sa classe renoncent à leurs droits seigneuriaux! Ah bon? Un évêque dépose une motion visant à supprimer les taxes ecclésiastiques! Ah bon?! Le roi est dépassé: comment est-il seulement possible de renoncer, de son plein gré, à son propre avantage?
C’est le premier pas vers la consécration d’un principe fondamental qui, aujourd’hui encore, fait à la fois la spécificité et la force de notre système fiscal: l’égalité de tous les citoyens devant l’impôt.
La maladie de la complexité
Deux cent trente ans plus tard, a-t-on réussi à traiter “la maladie de nos finances publiques”?
En partie oui. Notre système est l’un des plus redistributifs au monde et il finance des services publics d’une qualité exceptionnelle. Mais en partie seulement. La maladie de notre temps, c’est l’excessive complexité de l’impôt, que nous devons notamment à la multiplication incontrôlée de ces exceptions à
la norme que sont les niches fiscales et les taxes affectées, dont l’empilement a fini par créer un inextricable maquis de droits fiscaux particuliers. Je ne crois pas cette maladie incurable, mais je dois reconnaître que, jusqu’ici, nous n’avons pas su endiguer ses métastases. Entre 2000 et 2010, 172 nouvelles niches ont vu le jour. Il en existe aujourd’hui plus de 470. Le parallèle avec les “privilèges” abolis en cette fameuse nuit du 4 août est d’autant plus tentant que la caricature est facile: 100 milliards d’euros de ristourne aux plus aisés chaque année? Scandale! Mais en matière fiscale, la tentation de la facilité est souvent maîtresse d’erreur et de fausseté.
A la différence des privilèges, les niches ne rémunèrent pas un état de naissance –la noblesse– ou une appartenance –le clergé. Il ne s’agit pas de faveurs que l’Etat consentirait à certains plutôt qu’à d’autres, mais de subventions qui encouragent, en théorie, des comportements individuels vertueux dont les retombées collectives doivent être au bénéfice du plus grand nombre. Seulement voilà, alors que les niches devaient être des outils incitatifs ponctuels, on en a fait un véritable outil pérenne d’action publique, pour un coût estimé à 100 milliards d’euros par an. Je n’ai pas de problème avec ce chiffre. Je
considère qu’il est légitime que nous financions certaines priorités, telles que la transition écologique, que nous soutenions les ménages les plus vulnérables ou que nous aidions certains secteurs d’activité, comme par exemple le logement social.
Mais accumuler les dérogations à la norme fiscale et les exceptions à ces dérogations finit par rendre l’impôt lui-même illisible et le consentement à l’impôt purement théorique. Et l’absence chronique d’évaluation de ces dispositifs, le manque d’information sur leur efficacité réelle, sont autant d’atteintes aux prérogatives du Parlement et aux droits des citoyens que nous ne pouvons plus tolérer. A cet égard, il faut saluer le travail accompli par le rapporteur général du budget Joël Giraud, qui a passé en revue l’ensemble des niches dans son rapport sur l’application de la loi fiscale. C’est la première étape d’un processus qui, à terme, doit nous permettre de réduire la jungle fiscale.
Je souhaite que nous déchirions le voile de complexité arbitraire qui ampute le contribuable comme le parlementaire de leur faculté de déterminer l’impôt et d’y consentir. Non pas en “remettant à plat” la fiscalité, ce qui n’a guère de sens, mais en faisant de la recherche de la simplicité, de la clarté, de l’efficacité de l’impôt notre impératif le plus absolu. Seule cette exigence nous permettra d’achever l’œuvre de la nuit du 4 août. Il y a 230 ans, l’Assemblée nationale décrétait “nuls et illégaux tous les impôts établis sans le consentement de la Nation”. Pour permettre aux Français de se réapproprier l’impôt, ayons le même courage et déclarons aujourd’hui nulles et illégales toutes les niches et toutes
les taxes affectées dont l’efficacité n’aura pas pu être démontrée.
La mise en place du prélèvement à la source, prévue pour le 1er janvier 2019, va avoir de nombreuses conséquences pour les contribuables, en particulier lors de l’année de transition, la fameuse “année blanche”. Retour sur les modalités de cette réforme fiscale, en 10 questions-réponses.
C’était l’une des réformes clés de François Hollande, et elle n’a pas été abandonnée par Emmanuel Macron. Après une période d’incertitudes dans la foulée de l’élection présidentielle, l’exécutif a finalement confirmé que l’impôt sur le revenu serait bien prélevé “à la source”, c’est-à-dire directement ponctionné sur la fiche de paie (ou la pension, ou l’allocation chômage…). La réforme a toutefois été reportée d’un an, au 1er janvier 2019, afin de parer à d’éventuels bugs.
Toujours est-il que cela va provoquer un sacré changement pour les contribuables, qui verront par la même occasion disparaître le décalage d’un an entre la perception des revenus et leur imposition. Une mesure de simplification donc… du moins pour les ménages puisque la tâche sera en revanche plus ardue pour les employeurs, désormais chargés de prélever l’impôt. Voici donc, en questions-réponses, tout ce qu’il faut savoir sur le prélèvement à la source et ses conséquences : quand s’appliquera-t-il, que se passera-t-il lors de l’année de transition avec la fameuse “année blanche”, les pièges à éviter…
Le prélèvement de l’impôt à la source, ça change quoi ?
Actuellement, l'impôt sur le revenu est payé avec une année de décalage. Par exemple, l'impôt qui sera réglé en 2018 portera sur les revenus engrangés en 2017. Le prélèvement à la source permet d'éviter cet écueil, en ponctionnant l'impôt la même année que la perception des revenus. Cela permet potentiellement de prendre en compte plus rapidement les variations de revenus ou les changements de situation. De plus, cela permet d'automatiser le paiement de l'impôt : son montant est directement déduit des revenus bruts. Pour un salarié, il apparaît donc comme une nouvelle ligne sur la fiche de paie. Par ailleurs, le paiement de l’impôt sera étalé sur 12 mois, ce qui réduira le montant des échéances par rapport au système actuel de mensualisation (étalé sur 10 mois, de janvier à octobre) ou de prélèvement par tiers provisionnels (en trois fois par an).
Le prélèvement de l’impôt à la source, c’est pour quand ?
Alors que la réforme devait initialement entrer en vigueur en 2018, la mise en place a finalement été retardée au 1er janvier 2019, le gouvernement actuel voulant éviter tout risque de gros bug au démarrage. Par ailleurs, le projet de loi de finances rectificative pour 2017 prévoit d’instaurer une période pédagogique, à partir de septembre 2018. Les entreprises volontaires pourront alors faire apparaître le taux de prélèvement à la source potentiellement applicable, le montant “virtuel” de retenue à la source et le salaire net qui en découle.
La déclaration de revenus va-t-elle disparaître en raison du prélèvement de l’impôt à la source ?
Non. Il y aura toujours une déclaration de revenus à envoyer au printemps de l'année suivant leur perception. Mais celle-ci servira simplement à effectuer une régularisation en septembre de cette même année, en fonction des revenus réellement touchés et des réductions ou crédits d’impôt octroyés. Cela pourra donner lieu à une modification du taux d’imposition appliqué.
Quels revenus seront prélevés à la source ?
La quasi totalité d'entre eux (97,6%, pour être précis, selon les chiffrages de la majorité) : salaires, pensions, allocations chômage, revenus fonciers ou encore revenus des indépendants y sont intégrés, tandis que les plus-values sur actions figurent parmi les rares à y échapper.
Qui prélèvera cet impôt à la source ?
Pour les salaires, pensions, allocations chômage, l'impôt sera récolté par le tiers versant ces revenus (employeur pour le salaire, caisses de retraite pour la pension, Pôle emploi pour le chômage…), en fonction d'un taux calculé par l'administration fiscale. Pour les revenus des indépendants et les revenus fonciers, l'impôt fera l'objet d'acomptes, calculés par l'administration et payés mensuellement ou trimestriellement.
Comment sera calculé mon taux d'imposition ?
Comme d’habitude, vous devrez déclarer vos revenus touchés en 2017 au printemps prochain. Cela permettra à l’administration de calculer le taux de prélèvement qui sera appliqué en 2019. Il vous sera communiqué dès cette déclaration pour ceux effectuant la démarche en ligne, ou au moment de la réception de l’avis d’impôt, pendant l’été, pour les autres. Il sera ensuite éventuellement actualisé en septembre 2019, afin de tenir compte de l'évolution des revenus en 2018, grâce à la déclaration de revenus envoyée au printemps 2019. Les années suivantes, le taux d’imposition sera calculé de la même manière : il reposera sur les revenus de l’année N-2 pendant les 8 premiers mois de l’année, puis sera mis à jour en septembre sur la base des revenus N-1 (avant la régularisation finale l’année suivante).
Que faire si mes revenus changent en cours d'année ?
Il est prévu que le taux soit automatiquement modifié en cours d’année en cas de mariage, divorce, décès de l’un des conjoints, ou de naissance, si cet événement a été déclaré à l’administration. Les autres changements de situation n’entraîneront pas de mise à jour automatique. Certes, une baisse de revenu, liée par exemple à un départ en retraite ou un licenciement, fera mécaniquement diminuer le montant de l’impôt payé mensuellement, puisque le taux s’appliquera à des revenus plus faibles. Mais si vous estimez que cette baisse de revenus fait aussi diminuer votre taux d’imposition (par exemple, que cela vous rend non imposable), vous devrez demander vous-même cette modulation. A vos risques et périls : en cas de modulation à la baisse, une majoration de 10% sera appliquée si l’écart avec l’impôt réellement dû est supérieur d’au moins 10% au montant réglé.
Y'aura-t-il une double imposition lors de l'année de transition ?
C'était l'une des craintes suscitées par cette réforme : l'année de transition risquait de se traduire par une double imposition. En clair, en 2019, on aurait dû payer l'impôt sur les revenus de 2018 (comme actuellement), ainsi que l'impôt sur les revenus de 2019 (via le prélèvement à la source). Ce ne sera pas le cas : le gouvernement a décidé d'une “année blanche” pour les revenus de 2018. Concrètement, en 2018 seront imposés les revenus de 2017, et en 2019 seront imposés les revenus de 2019. L’impôt normalement dû sur les revenus de 2018 sera calculé, mais immédiatement effacé via un crédit d’impôt spécifique. Attention : certains revenus touchés en 2018, considérés comme “exceptionnels”, resteront imposés (tout comme les revenus hors du champ du prélèvement à la source).
L’année blanche va-t-elle me faire perdre les avantages fiscaux dont je bénéficie ?
Pour la plupart d’entre eux, non. Les avantages octroyés sous la forme d’abattements sur les revenus, tels les 10% au titre des frais professionnels appliqués sur les salaires, seront automatiquement intégrés dans le calcul du taux d’imposition. Les crédits et réductions d’impôt seront, eux, perçus avec un an de décalage. Par exemple, un don réalisé en 2018 donnera droit à une réduction d’impôt vers septembre 2019. Par ailleurs, ceux employant une personne à domicile percevront une partie (30%) de leur crédit d’impôt sous forme d’acompte, avant le 1er mars 2019.
Par contre, certains avantages fiscaux vont perdre de leur intérêt lors de l’année de mise en place du prélèvement à la source. En particulier ceux octroyés en cas de versement sur un Perp, puisque les députés ont voté un mécanisme anti-optimisation, qui incitera les épargnants à reporter leurs versements à 2020. Le même genre de mécanisme s’appliquera pour le calcul des déficits fonciers, ce qui obligera les contribuables à bien faire leurs comptes avant de réaliser des travaux dans un logement destiné à la location (les calculs que nous avions présentés l'an dernier restent valables).
L'employeur saura-t-il tout des revenus de mon foyer ?
Il n'aura accès qu'à une information restreinte sur les revenus totaux de ses salariés, au travers du taux d'imposition global que lui transmettra l'administration fiscale. Par ailleurs, pour éviter que l'employeur puisse se faire une idée de leur revenu réel, les contribuables auront deux options. Les couples pourront choisir un taux “individualisé”, qui consistera à appliquer des taux différents à chacun des membres du couple, selon leurs revenus respectifs, ce qui peut s’avérer utile lorsque l’écart de salaire est important entre les conjoints. Il sera aussi possible d’opter pour un taux “neutre”, mesuré selon le seul revenu d’activité. Attention toutefois : ce taux étant calqué sur celui d’un célibataire sans enfant, il peut s’avérer moins avantageux pour certains profils, comme nous l’avions expliqué. Ce taux neutre s’appliquera aussi aux personnes pour lesquelles l’administration est incapable de calculer un taux spécifique (par exemple, celles entrant sur le marché du travail) ou pour lesquelles le fisc n’a pas eu le temps de communiquer ce taux (notamment les contrats courts).