Bataille des versions, bataille des chiffres ce qui se passe en manifestation est souvent déformé. Mais au Moyen Âge aussi, on colportait volontiers des versions différentes du même événement.
Les lendemains de manifestations sont toujours propices à une véritable bataille des versions et des chiffres : l’écart entre les effectifs « selon la police » et « selon les manifestant.e.s » peut parfois prêter à rire et, dans tous les cas, ne rend pas les choses faciles pour s’informer. Or on retrouve cette importance accordée aux chiffres pendant le Moyen Âge, notamment quand il s’agit de partir en croisade !
La première Croisade (1095-1099), pèlerinage armée vers la Terre Sainte, a souvent laissé l’image de grandes masses humaines, progressant sur de longues distances vers Jérusalem. Il faut dire qu’en retraçant l’événement, les chroniqueurs de l’époque ont souvent tendance à mentionner d’importants effectifs mobilisés. Au départ de l’expédition en Orient, on peut compter 400 000 hommes selon Albert d’Aix ou encore 300 000 d’après Daimbert de Pise. L’un des témoignages intéressants est celui de Foucher de Chartres qui participa à la croisade et entreprit d’en raconter les événements. Dans son récit, il estime l’effectif de l’entreprise à 600 000 hommes capables de combattre et, sans s’arrêter à ce chiffre déjà impressionnant, il ajoute : « si tous ceux qui abandonnèrent leurs maisons, et entreprirent le pèlerinage qu’ils avaient fait vœu d’accomplir, étaient venus jusqu’à Nicée [ville d’Asie Mineure], nul doute qu’il y eût six millions de combattants réunis ». Un tel nombre est bien sûr complètement improbable, ne serait-ce que du fait de la démographie européenne de l’époque. Pour autant, derrière ces chiffres astronomiques proposés par Foucher de Chartres, on peut lire un message fort : celui selon lequel toute la chrétienté est appelée à prendre la croix vers la Terre Sainte et à surmonter les épreuves du trajet.
Les chiffres sont ainsi souvent des instruments du discours politique, idéologique ou religieux car ils frappent aisément l’esprit et prennent l’apparence de la réalité concrète et objective. La guerre des chiffres n’est pas prête de se terminer car elle reste au cœur de la bataille d’idées.
Quoiqu’il en soit, face à des effectifs aussi impressionnants, la tâche de l’historien.ne n’est pas facile, d’autant plus que les sources proposent des chiffres qui divergent d’un texte à un autre. Par ailleurs, certains chroniqueurs se plaisent à mentionner les bataillons de chevaliers, mais oublient d’énumérer les sergents à pied, les anciens chevaliers qui ont perdu leur monture pendant l’expédition et, surtout, les femmes, enfants et vieillards qui suivirent les croisés. Par mesure de précaution, plusieurs historiens soucieux d’estimer la taille de la première Croisade ont pris pour référence, dans les sources, les effectifs les moins élevés. La plupart s’accordent sur un total de 35 000 guerriers au départ de l’expédition. D’autres rehaussent ce comptage et y ajoutent les civils pour une estimation entre 60 000 et 100 000 personnes. Enfin, certains estiment qu’il ne pouvait y avoir qu’une dizaine de milliers de croisés car un nombre supérieur aurait dépeuplé l’Occident.
Il ne faudrait pas conclure trop vite de ces approximations que les auteurs médiévaux étaient terriblement mauvais en calcul – surtout lorsque l’on constate comment nos propres comptages contemporains peuvent être imparfaits et sujets à contestation. En effet, les dénombrements proposés par les chroniqueurs ne sont pas seulement une pure fantaisie mais obéissent à une certaine logique. Ces auteurs savent très bien qu’ils ne peuvent pas compter avec précision les participant.es d’un événement dont ils ne furent d’ailleurs pas nécessairement témoins. Ils ne cherchent pas à donner un chiffre exact, impossible à atteindre, mais plutôt un ordre de grandeur. À partir de ce qu’ils ont vu ou entendu, ils constituent cet ordre de grandeur en deux étapes : ils choisissent d’abord s’il faut compter en dizaines, en centaines, en milliers, etc. ; puis, ils appliquent un coefficient, souvent compris entre 1 et 4, ce qui donner des nombres comme 300, 4 000 ou 100 000. Ils proposent ainsi à leur public une idée générale du nombre d’individus ayant pris part à la croisade.
D’autre part, les chroniqueurs médiévaux savent parfois aussi critiquer les chiffres avancés par un autre : Guibert de Nogent se permet ainsi de critiquer à plusieurs reprises les inexactitudes de Foucher de Chartres et reproche à « ce prêtre » de s’être montré « fort exagéré dans ses calculs, comme, par exemple, lorsqu’il ose dire que ceux qui se rendirent à Jérusalem étaient au nom de six millions d’individus ». Enfin, on a pu dire que les chroniqueurs exagéraient les pertes humaines tout au long de la croisade : sur les 100 000 participant.es potentiel.le.s en 1096, ce serait un peu plus de 10 000 qui arrivent à Jérusalem en 1099 à en croire la plupart des récits. Une telle déperdition peut choquer. Toutefois, il est indéniable que l’expédition fut particulièrement meurtrière – entre les combats, l’épuisement ou la faim, les maladies ainsi que les défections. De la sorte, les chroniqueurs de l’époque ont sans doute cherché à insister sur l’importance des pertes humaines.
Nous sommes Légion ?
Il existe pour autant des œuvres médiévales sur la croisade où les chiffres sont bel et bien complètement fantaisistes ou alors utilisés de manière symbolique. Les armées musulmanes sont ainsi souvent présentées comme gigantesques. C’est le cas lors de la bataille de Dorylée en 1097 contre les Turcs. Selon « l’Anonyme normand », un participant de la croisade qui aurait tenu un genre de journal de bord : « les nôtres se demandaient avec étonnement d’où avait pu sortir une pareille multitude de Turcs, d’Arabes, de Sarrasins et autres impossibles à énumérer ». On observe ici le cliché d’une armée orientale innombrable, où se mélangent de nombreuses ethnies – dont certaines sont inventées – ce qui est présenté comme source d’indiscipline et d’impureté. En face, se tient l’armée croisée, ordonnée, unie et bénie par Dieu. On retrouve encore aujourd’hui une telle opposition caricaturale dans un film comme 300. Toutefois, ce sont surtout les chansons de geste qui mettent en scène des armées aux effectifs irréalistes. Après avoir mentionné des armées de 400 000, 600 000 et 900 000 soldats, La chanson d’Antioche présente l’armée du Turc Kaburqa comme composée de 32 bataillons de 60 000 hommes chacun ! Les auteurs de ces œuvres de fiction destinées à émouvoir le public cherchent surtout à montrer des armées de plus en plus grandes au fur et à mesure que l’action s’intensifie. Une véritable mine d’inspiration pour les blockbusters !
Pourtant, les chiffres avancés par les chroniqueurs servent également à faire passer un message. Quand Foucher de Chartres présente la mobilisation croisée, il n’hésite pas à grossir les effectifs pour montrer que l’appel à Dieu a été largement entendu à travers l’Occident. Par contre, lorsque cet auteur mentionne les croisés restés sur place après la prise de Jérusalem et la création des États latin d’Orient, il mentionne des chiffres très bas : « nous n’avions pas alors, en effet, plus de 300 chevaliers et autant de piétons ». Si les Latins installés en Orient furent effectivement peu nombreux – quelques milliers pour toute la Syrie-Palestine – un tel chiffre est volontairement faible. Foucher, resté en Orient, souhaitait sans doute y faire venir de nouveaux pèlerins et guerriers en Terre Sainte afin de tenir les récentes conquêtes face aux potentielles contre-attaques musulmanes.
Les chiffres sont ainsi souvent des instruments du discours politique, idéologique ou religieux car ils frappent aisément l’esprit et prennent l’apparence de la réalité concrète et objective. Malgré le vœu pieux de « retrouver l’innocence du chiffre » qu’a pu formuler le président du cabinet de comptage « Occurrence », la guerre des chiffres n’est pas prête de se terminer car elle reste au cœur de la bataille d’idées. À partir de là, sachons quand rejoindre la foule et quand s’en méfier !
Pour aller plus loin
Steven Runciman, Histoire des croisades, en 2 tomes, coll. « Texto », Paris, 2013.
Jean Flori, Chroniqueurs et propagandistes. Introduction critique aux sources de la première croisade, Genève, Droz, 2010.
Jean Flori, « Un problème de méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Âge. À propos des effectifs de la première Croisade », dans Jean Flori, Croisade et chevalerie, Paris, 1998.
John France, Victory in the East, Cambridge, 1994.
Sinister secret backdoor found in networking gear perfect for government espionage: The Chinese are – oh no, wait, it's Cisco again
Better ban this gear from non-US core networks, right?
By Iain Thomson in San Francisco
2nd May 2019 07:02 GMT
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Right on cue, Cisco on Wednesday patched a security vulnerability in some of its network switches that can be exploited by miscreants to commandeer the IT equipment and spy on people.
This comes immediately after panic this week over a hidden Telnet-based diagnostic interface was found in Huawei gateways. Although that vulnerability was real, irritating, and eventually removed at Vodafone's insistence, it was dubbed by some a hidden backdoor perfect for Chinese spies to exploit to snoop on Western targets.
Which, of course, comes as America continues to pressure the UK and other nations to outlaw the use of Huawei gear from 5G networks over fears Beijing would use backdoors baked into the hardware to snatch Uncle Sam's intelligence.
Well, if a non-internet-facing undocumented diagnostic Telnet daemon is reason enough to kick Huawei kit out of Western networks, surely this doozy from Cisco is enough to hoof American equipment out of British, European and other non-US infrastructure? Fair's fair, no?
US tech giant Cisco has issued a free fix for software running on its Nexus 9000 series machines that can be exploited to log in as root and hijack the device for further mischief and eavesdropping. A miscreant just needs to be able to reach the vulnerable box via IPv6. It's due to a default SSH key pair hardcoded into the software, as Cisco explained:
A vulnerability in the SSH key management for the Cisco Nexus 9000 Series Application Centric Infrastructure (ACI) Mode Switch Software could allow an unauthenticated, remote attacker to connect to the affected system with the privileges of the root user.
The vulnerability is due to the presence of a default SSH key pair that is present in all devices. An attacker could exploit this vulnerability by opening an SSH connection via IPv6 to a targeted device using the extracted key materials. An exploit could allow the attacker to access the system with the privileges of the root user.
The blunder, labeled CVE-2019-1804, was discovered and reported by Oliver Matula of ERNW Enno Rey Netzwerke in cooperation with ERNW Research.
It's one of 40-odd security patches Cisco emitted on Wednesday, fixing all sorts of holes from privilege escalation flaws to denial-of-service weaknesses in its products. And it's not the first time Cisco's had to patch over security shortcomings in its gear.
Yes, everything has bugs, from Cisco to Huawei, and Ericsson to Siemens kit. It's important they get fixed. It's just rather odd to see the US administration lean on its allies to ditch Huawei gear apparently out of fears of Chinese snooping via backdoors when its own homegrown offerings are just as flawed and open to remote access.
It's one thing for a nation to say it only wants gear it can trust on its networks; it's another to publicly pressure other countries into dumping their hardware providers. It just adds weight to the argument that America is simply upset its corporations are being undercut by Huawei and other manufacturers in China. ®
FAKE NEWS PANIC : LES NOUVEAUX CIRCUITS DE L’INFORMATION
Nous sommes tous persuadés que le 30 octobre 1938, la population affolée des États-Unis s’est précipitée dans les rues pour fuir une prétendue attaque martienne dont Orson Welles venait de faire l’annonce à la radio, à l’occasion d’une adaptation théâtrale de La Guerre des mondes, le roman de Henry George Wells. L’image d’un pays en panique est restée gravée dans les livres, les documentaires et l’imaginaire public (document 46).
Or, cette panique n’a jamais eu lieu. Dans un remarquable ouvrage, Broadcast Hysteria : Orson Welles’s War of the Worlds and the Art of Fake News, Brad Schwartz a minutieusement démonté la fabrication du mythe. Ce soir-là, les rues sont restées relativement vides, les hôpitaux n’ont pas été encombrés, personne n’a vu d’attroupement à Time Square et la menace des hordes martiennes n’a pas suscité de suicides.
La panique de La Guerre des mondes a été littéralement fabriquée par la presse écrite de l’époque, qui reprochait notamment à la radio d’aspirer tous les revenus publicitaires. On prêtait à ce nouveau média une telle force qu’on le disait capable d’hypnotiser le public. Reflet des anxiétés politiques d’alors, spécialement de la responsabilité des discours radiophoniques d’Hitler dans la montée du nazisme, une théorie des médias s’est construite, celle des effets forts, aussi appelée, de façon imagée, « seringue hypodermique » : la radio débranche la raison des auditeurs pour atteindre directement leurs sensibilités ; elle aurait la capacité de contrôler les croyances, de guider les comportements et de changer les représentations. ...