Le sujet est presque devenu un marronnier depuis le début de la crise sanitaire: les Français quitteraient la ville pour se mettre au vert. La réalité est tout autre.
Des cadres parisiens en télétravail, heureux de profiter d'une pièce supplémentaire, d'un jardin et d'un rythme moins effréné. Des agents immobiliers de zones rurales qui annoncent n'avoir «plus rien à vendre», et des villes qui se vident. Si ce tableau vous paraît familier, c'est qu'il est régulièrement brossé médiatiquement depuis la pandémie de Covid-19 en France.
Dès le premier confinement du printemps 2020, c'est d'abord avec les données de téléphonie mobile qu'on pense voir une fuite générale (mais temporaire) vers les campagnes. Une fois les restrictions levées, place aux achats de maison avec jardin, loin des centre-ville. Le sujet devient alors presque un marronnier, qu'il soit évoqué positivement comme un moyen de revitaliser les campagnes, ou moqué à travers la description de néo-ruraux découvrant la rosée matinale et les désagréments de la vie rurale. L'affaire paraît entendue: un bouleversement a eu lieu. La ville n'attire plus, et la campagne se gentrifie. «Comment l'exode urbain remodèle la France», titrait ainsi L'Obs en une.
Derrière cette expression générale «d'exode urbain» se cache pourtant un malentendu, pointe une étude pluridisciplinaire intitulée «Exode urbain? Petits flux, grands effets. Les mobilités résidentielles à l'ère (post-)Covid» et dont les premiers résultats viennent de paraître. «Dans l'imaginaire, l'expression renvoie à l'exode rural. Mais il n'y pas de caractère massif dans ces mobilités, note Hélène Milet, coordinatrice de l'étude. Il n'y a pas de big-bang territorial.»
Afin de traquer ces mouvements de population, les chercheurs ont étudié des données issues de plateformes en ligne: Leboncoin, Meilleursagents, Seloger, pour analyser les recherches immobilières où se projettent les Français. Pour compléter cette approche, les prises de contact et les ventes effectuées sur Seloger ont également été étudiées, tout comme les déménagements effectifs auprès de la Poste. Enfin, d'autres chercheurs ont de leur côté mené des enquêtes de terrain dans six zones rurales et péri-urbaines: Cévennes, Vosges, Pyrénées audoises, etc.
Les Français restent en majorité attirés par les grands pôles urbains, par le littoral, et par les zones périurbaines.
Un premier constat se dessine: les grandes tendances géographiques françaises n'ont pas été modifiées par la pandémie de Covid-19. Les Français restent en majorité attirés par les grands pôles urbains, par le littoral, et par les zones périurbaines. L'attrait pour la campagne, si présent dans nos représentations, n'est pas la principale caractéristique de la France à l'ère (post-)Covid. «Ce sont les principaux pôles urbains et leurs relations entre eux qui captent l'écrasante majorité des flux de recherche immobilière», cadre l'étude.
La principale raison est que ces pôles urbains restent des bassins d'emplois, le télétravail ne concernant qu'une faible partie des actifs. Idem pour les services: plutôt que la campagne, un couple de cadre va d'abord se diriger vers Marseille, Lyon ou Toulouse.
Dans le détail, les données de déménagement postaux montrent bien un départ des centres de grandes villes, particulièrement de Paris. Ce qui fait écho à d'autres données, comme la baisse du nombre d'enfants scolarisés dans la capitale, mais ne signifie pas que tout le monde est parti se mettre définitivement au vert. «Beaucoup des arrivées se font vers des petites villes, ou des villes de couronne», relève Hélène Milet. Là aussi, ce phénomène, appelé desserrement urbain, préexistait au Covid, prouvent les données de déménagement. La pandémie n'a fait que l'accentuer, parfois en poussant les ménages à s'installer un peu plus loin, comme à Tarare, à plus d'une quarantaine de kilomètres de Lyon.
Max Rousseau, chargé de recherches au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement et qui a participé à l'étude, voit dans ces achats «une extension de la métropolisation», voire une «méga périurbanisation», bien loin d'une transition rurale avec un changement de mode de vie.
Même si ces «petits flux» ne constituent pas la majorité des déplacements, les travaux des chercheurs convergent cependant pour montrer des départs accrus vers la campagne. Mais attention à la généralisation, prévient Hélène Milet. «Il y a beaucoup de diversité dans les zones rurales. Celles qui attirent sont accessibles, à la mer ou proches d'une ville», explique la coordinatrice de l'étude. Dans les Pyrénées audoises, terrain qu'a couvert Aurélie Delage pour l'étude, peu de chances de voir débarquer des cadres en télétravail, vu la difficulté de faire une navette vers une grande ville. «On y retrouve trois profils: des retraités, dont ceux qui reviennent au pays, des ménages en transition professionnelle, et des personnes en recherche de marginalité, d'une vie alternative», témoigne la maîtresse de conférences en aménagement et urbanisme à l'université de Perpignan.
Si les interviews de maires se félicitant de voir tous les biens de leur commune vendus ont été légion, «investissement ne signifie pas toujours installation», rappelle Hélène Milet. Les retours de terrain montrent qu'une partie des achats sont en réalité des stratégies d'investissement. Ils consistent à acquérir un nouveau bien, pour des personnes déjà propriétaires, et à ne l'occuper que de manière temporaire ou saisonnière, parfois avec de la location de courte durée. Un constat qui ne devrait pas étonner en France, où la propriété reste très concentrée, rappelait l'Insee dans une étude parue en novembre dernier.
Ce phénomène d'achat refuge a été renforcé par la crise du Covid et la crainte d'un nouveau confinement, mais aussi par une prise de conscience grandissant des risques écologiques. La Bretagne devient ainsi un nouveau lieu d'investissement en vue de l'évolution climatique, plutôt que la Côte d'Azur. Le jardin n'est pas qu'un moyen de s'aérer, mais permet d'avoir un verger, un poulailler, voire une source d'eau, afin de développer une autonomie. Auparavant l'apanage des personnes avec un capital culturel élevé, cette conscience écologique se diffuse y compris dans la classe moyenne, assurent Aurélie Delage et Max Rousseau.
Loin de revitaliser toutes les campagnes françaises, ces flux risquent donc d'accentuer la «surchauffe» dans des territoires déjà attractifs, prévient l'étude. «Dans les zones rurales, le marché de l'immobilier peut se retrouver rapidement sous tension», explique Aurélie Delage, en raison du faible nombre de biens disponibles et du décalage de ces biens avec les besoins des acheteurs: vétusté, manque de terrain... Les nouveaux acheteurs introduisent des pratiques nouvelles dans ces régions, que l'étude résume par la formule de «parisianisation des marchés locaux»: achats comptants sans négociation, «parfois même sans visite», témoigne Hélène Milet.
Le marché locatif traditionnel se retrouve donc asséché. «C'est ce qui arrive sur le littoral nord de la Bretagne, autrefois épargné», précise Max Rousseau. «Il y a un phénomène d'éviction. Les studios sont rachetés, ce qui met les étudiants en difficulté.» Les populations moins favorisées se retrouvent à habiter de plus en plus loin des centres, ou à se tourner vers de l'habitat précaire. On voit alors émerger localement des questions très politiques: faut-il créer un statut de résident au Pays basque? Le parc social est-il dimensionné pour faire face à la hausse de l'immobilier? Autant de problématiques jusqu'ici absentes des débats de l'élection présidentielle.
Face à l’expansion des Gafam, le logiciel libre est une approche essentielle pour repenser la technologie au bénéfice des citoyens. Logiciel libre : il faut mettre la technologie au service des villes et des citoyens.
Le 4, 5, 6 juin, la Ville de Paris, MossLabs et OW2 accueillent un forum pour discuter de l’avenir de la collaboration entre les villes en matière de logiciels libres. Pionnière en la matière depuis 2002, la Ville de Paris met en place une politique de logiciel libre, désormais regroupée sous l’égide de la plateforme Lutèce, développée spécifiquement pour les administrations municipales. Gratuite pour les villes, celles-ci ont accès à des centaines d’applications, qu’elles peuvent mettre à disposition de leurs agents et des citoyens.
Villes, Etats, entreprises, associations… Toutes ces entités sont aujourd’hui confrontées à l’importance de créer des services numériques de qualité, répondant à de nouveaux besoins, respectant les données personnelles des utilisateurs, et à un coût pouvant être supporté, notamment pour la puissance publique. Une équation souvent difficile à mettre en œuvre !
Solutions
Pourtant les solutions existent et parmi elles : le logiciel libre ou l’open source qui prévoient la diffusion libre du code source du logiciel avec la possibilité de l’étudier, le modifier et d’en redistribuer les modifications. Cette conception du développement logiciel est aujourd’hui utilisée massivement par tous les grands acteurs du numérique qui peuvent réutiliser de très nombreuses briques proposées notamment par les grandes fondations telles qu’Apache, Linux Foundation, Eclipse ou OW2.
Ce qui existe depuis longtemps pour les logiciels système ou d’infrastructure commence à voir le jour pour les applications verticales et notamment pour les services publics.
Pour les villes, c’est tout d’abord un gain économique important. Plutôt que de redévelopper, à l’échelle de territoires parfois très petits, des nouvelles solutions technologiques à partir de zéro, le logiciel libre permet aux collectivités de réutiliser des logiciels créés par d’autres, afin d’acquérir des services numériques à moindre coût. Comme l’explique la campagne Public Money Public Code, en dehors de l’aspect financier, il est aussi logique, que les logiciels financés par l’impôt soient publiés sous licence libre. «S’il s’agit d’argent public, le code devrait être également public» et la plateforme le restera après sa création.
Le logiciel libre permet également l’amélioration des outils qui sont au service du bien commun. Grâce à des communautés de codeurs et aux partenariats entre acteurs publics, les logiciels sont améliorés, au fur et à mesure des innovations technologiques, et adaptés aux nouveaux besoins des citoyens. A Paris, sont développés plusieurs projets de ce type, comme le chabot PaLyNi mutualisé avec les villes de Lyon et Nice sur le traitement des déchets, la rédaction de marchés publics partagé aujourd’hui avec l’Etat ou encore les espaces numériques de travail pour les collèges et lycées utilisés par d’autres départements ou régions françaises.
Transparence
Cambridge Analytica, mise à mal de la neutralité du net, utilisation des données personnelles par les entreprises… les dernières années ont été marquées par un climat de méfiance généralisé de la part des citoyens face à des monopoles dont l’extension exponentielle semble hors de contrôle. Grâce au logiciel libre, les villes ne sont plus otages : elles possèdent les moyens de reprendre la main sur leurs services numériques, sans être obligées de passer par des opérateurs privés, qui contrôlent les données et sont susceptibles d’augmenter leurs prix en fonction de l’évolution du marché. Elles peuvent aussi plus facilement confier ces missions à des entrepreneurs locaux.
Mais la question du logiciel libre, c’est aussi celle de la transparence. A Paris, le code des outils de participation citoyenne (budget participatif, plateforme de consultation publique, rendez-vous des élus avec les lobbyistes) est également public. Car ces plateformes et ces informations relèvent du bien commun. Utiliser l’open source, c’est donner le pouvoir aux citoyens de vérifier qu’elles sont bien neutres et transparentes. C’est aussi leur permettre de proposer des améliorations en fonction de leurs besoins et de leurs usages.
Souveraineté et indépendance numérique
Est-ce que c’est bien sécurisé ? Il faut comprendre l’inquiétude des territoires face à cette approche technologique, qui existe depuis bien longtemps mais qui n’a pas toujours été assez utilisé. Si la communauté de développeurs est suffisamment importante, l’open source offre de meilleures garanties de sécurité qu’un code fermé mais beaucoup moins relu. Au niveau technique mais aussi à d’autres niveaux : pas de risque de faillite d’un prestataire, de fuite des données ou de surfacturation !
Face à l’expansion exponentielle des Gafam, à la faiblesse des entreprises européennes sur les grands services numériques et à des législations étatiques peu protectrices, le logiciel libre est une approche essentielle pour repenser la technologie au bénéfice des citoyens et au service du contrôle démocratique qu’ils doivent exercer.
C’est pourquoi, même si des initiatives passionnantes existent déjà à travers le monde, nous lançons aujourd’hui un appel aux villes du monde entier pour créer une communauté du logiciel libre au niveau international et relever ensemble les grands défis auxquels sont confrontées les villes du monde. Tandis que les enjeux liés au numérique se complexifient, les villes doivent s’engager ensemble dans la bonne direction : celle de la souveraineté et de l’indépendance numérique, celle de l’open data et du logiciel libre.
Emmanuel Grégoire Premier adjoint à la maire de Paris , Jean-Christophe Becquet président de l’association April , François Elie président de l’association Adullact , Jacob Green fondateur de MossLabs.io , Jean-Baptiste Kempf Président de VideoLAN , Cédric Thomas Directeur Général du consortium OW2.
A 50 km au sud de Turin, dans le Piémont italien, Bra s'est fixée comme cap le bonheur de ses habitants. Quels leviers la cité actionne-t-elle pour s'attaquer aux maux urbains? Comment a-t-elle réussi sa transformation? Nous sommes partis en reportage de l'autre côté de la frontière, à la rencontre des habitants de cette ville piémontaise où l'on prend le temps de vivre.
La brume matinale se dissipe dans la plaine du Pô. Perchée sur sa colline, Bra se détache avec au loin les cîmes enneigées des Alpes. En ce vendredi matin, voitures et camions s'agglutinent aux entrées de cette cité piémontaise de 30.000 habitants.
En plein cœur de la région viticole des Langhe, en Italie, Bra n'a pas échappé pas aux maux des villes. Circulation dense, pollution, délitement du lien social, fermeture de commerces…
A la fin des années 1990, la commune a cherché comment y remédier. Amorcée avec la création du réseau des "Citta slow", ces "villes lentes qui prônent une philosophie du bien-être urbain", la lente mutation porte aujourd'hui ses fruits. Bra a "ralenti". Apaisé son coeur historique qui bat désormais à un autre rythme.
Via Vittorio Emmanuele II, actifs, retraités, étudiants se croisent. Se saluent d'un "ciao". S'arrêtent pour échanger quelques mots sur la pluie, le beau temps, la famille... Certains se posent en terrasse, histoire de poursuivre la discussion autour d'un café.
Le long de la principale rue piétonne de Bra, bat le pouls de cette "citta slow". Une ville qui a décidé, il y a près de 20 ans, de lever le pied, de réduire la circulation automobile. Pour le bien-être de ses habitants. Elle affiche avec fierté l'escargot, emblème des villes lentes.
Et pourtant. Quand les voitures ont été chassées de cette artère commerçante, des voix se sont élevées.
"Il y avait des inquiétudes: certains craignaient de voir leurs clients, habitués à faire leurs courses en voiture, déserter leur commerce", se souvient Fédérico, patron de la pâtisserie salon de thé Converso.
certains commerçants craignaient de voir les clients habitués à faire leurs courses en voiture déserter >leurs boutiques.
Aujourd'hui, difficile de trouver des détracteurs à la piétonnisation du centre historique. "On a plus de clients qu'avant, pointe Fédérico, mais, au delà de ça, on a créé ici de nouvelles opportunités pour les habitants de sociabiliser, d'échanger. C'est très positif."
Poignée de main énergique, sourire aux lèvres, Bruna Sibille maire de Bra, détaille comment la ville a avancé sur l'aménagement des zones piétonnes. A petits pas.
Quand on est arrivé il y a 9 ans, il y avait 250 m de zone piétonne, on a multiplié ce chiffre par 7-8.
Mais, nous l'avons fait très graduellement, pour éviter tout risque de désertification du centre-ville au >profit de centres commerciaux de périphérie."
Petit à petit donc, les espaces piétonniers ont gagné du terrain dans le centre historique. Sans fragiliser le commerce.
La commune a aussi veillé à créer des parkings de proximité où les automobilistes peuvent laisser leur voiture. Comme Piazza Spreitenbach à deux pas de la via Vittorio Emanuelle II.
"Un nouveau parc de 80 places va être aménagé "tout près du centre", annonce Bruna Sibille. Ça va dans la bonne direction mais il y a encore beaucoup de circulation et donc de travail. Changer les mentalités ça prend du temps."
Ainsi, pour donner aux plus jeunes le goût de la marche, la ville a interdit l'accès en voiture aux écoles et mis en place des "pédibus".
Les parents laissent les enfants à une certaine distance de l'établissement, et les écoliers finissent le trajet >à pied, accompagnés par des grands-parents, des volontaires. Ils prennent ainsi l'habitude de marcher, de >parler entre eux, explique l'édile. C'est bon pour la santé et ça évite l'usage frénétique de la voiture.
A pied, les habitants disent avoir redécouvert leur ville. Comme Marcia, dynamique retraitée:
"J'ai repéré des magasins que je n'avais jamais remarqués quand je circulais en voiture. En dix ans, le centre historique de Bra s'est métamorphosé."
Les habitants et commerçants rencontrés sont unanimes: la ville s'est embellie. De jolies rues pavées ont été réaménagées, ornées de jardinières.
Et de nombreux bancs publics invitent les habitants à se poser, discuter. Comme ces deux lycéens. Corso Garibaldi, ils ont calé leur vélo contre une barrière et papotent avant de rentrer chez eux.
Sur le campus de l'Université du goût, les étudiants plantent et font pousser des légumes.
Ralentir la ville, faire la place aux piétons, aux cyclistes, créer des zones qui favorisent les rencontres. A ces ingrédients, Bra a ajouté un soupçon de "retour à la terre", pour nourrir le vivre-ensemble.
"Nous avons eu l'idée de créer des jardins urbains parce que ça correspond à notre histoire agricole, poursuit Bruna Sibille. Quand j'étais enfant, ici tout le monde avait un potager." Puis, les immeubles ont poussé en ville. Et les jardins se sont réduits à une jardinière accrochée au balcon.
La ville a décidé d'attribuer 120 lopins de terre aux habitants. "Ça permet aux gens qui vivent en appartement de ne pas perdre la mémoire de ce qu'est le maraîchage, mais aussi d'économiser puisqu'ils peuvent consommer leurs propres légumes." 100% bio, c'est la règle pour bénéficier d'un carré de terre.
Dans ces jardins, les gens s'entraident, se donnent des conseils pour mieux faire pousser tel ou tel légume >et ainsi naissent des amitiés."
Au delà de l'aspect financier, Bruna Sibille insiste sur les rencontres "potagères". "Dans ces jardins, les gens s'entraident, se donnent des conseils pour mieux faire pousser tel ou tel légume et ainsi naissent des amitiés. Ils se retrouvent autour d'un barbecue partagé."
Les enfants ne sont pas en reste, puisque des potagers ont été aménagés à côté des écoles. "Les anciens viennent leur apprendre à cultiver du romarin, du basilic, et toutes sortes de légumes." Une production qu'ils retrouvent dans leurs assiettes à la cantine et contribue à une véritable éducation au goût.
Sur le campus de Pollenzo aussi, les étudiants plantent et font pousser des légumes. Au rythme des saisons. En périphérie de la ville, dans un décor somptueux de bâtiments en briques rouges, des étudiants du monde entier viennent apprendre à cuisiner. Dans le respect des produits du terroir.
Marcia, retraitée: "la ville s'est embellie, elle a su profiter de l'engouement de la slow food qui attire de nombreux touristes."
"La ville a su profiter de l'engouement pour la slow-food qui attire de nombreux touristes ici, et s'inspirer de sa philosophie pour ralentir un peu le rythme frénétique des citadins", observe Marcia, retraitée. L'escargot rouge, emblème de ce mouvement gastronomique désormais mondial qui s'oppose au fast-food et valorise les produits de saison locaux, s'affiche d'ailleurs fièrement au balcon du siège social, via Vittorio Emmanuele II.
La nature t'impose le bon rythme, alors que la ville te pousse à courir
Bra, longtemps dans l'ombre de voisine Alba, réputée pour la truffe blanche, s'est ainsi fait un nom. Touristes allemands, anglais, français se pressent à la table de l'osteria du "Boccondivino" où a été théorisée la "slow-food", pour déguster les spécialités du terroir.
"La nature t'impose le bon rythme, alors que la ville te pousse à courir", philosophe Fermino Buttignol, président de la coopérative qui gère le restaurant. Il suggère de renouer ce lien entre villes et campagnes qui a été rompu.
Pour Fermino, les citadins doivent "retrouver un rythme normal."
Avec ses allures de sage, il avoue son impuissance devant des clients hyper-connectés. A s'empresser de partager leur soirée sur les réseaux sociaux, ils en oublient de se connecter aux sensations que pasta et vitello tonato envoient à leurs papilles gustatives.
Un véritable crime aux yeux de ce "pape du goût" qui dit l'urgence de mettre à distance "la technologie trop envahissante."
Il y a une vraie qualité de vie ici, une convivialité basée sur la gastronomie
"La croissance, la croissance, mais pour aller où?" Avant de retourner en salle, il invite les citadins à "retrouver un rythme normal, pour mieux apprécier les bonnes choses. Et réfléchir à ce qui n'est pas bon."
En mairie, on avoue s'être inspiré de la philosophie de la "slow-food" pour faire de Bra une ville où l'on prend le temps de vivre. C'est ce que Maria, étudiante, apprécie tout particulièrement à Bra. "Il y a une vraie qualité de vie ici, une convivialité basée sur la gastronomie."
Maria, 20 ans, étudiante à l'Université du goût.
Maria fait partie des quelque 400 étudiants de l'Université du goût qui contribuent à doper l'économie de la ville.
"On a vu la différence depuis l'ouverture du campus. Ils habitent à Bra, consomment. C'est très positif pour le commerce", pointe Fédérico. Très impliqué dans sa ville. Comme bon nombre d'habitants.
Associer les habitants à la gestion de la ville, c'est l'élément cardinal
En effet, pour avancer sur le chemin de la "slow citta", Bra a tenu à associer les citoyens. "On a cherché à créer les conditions favorables à l'émergence d'une démocratie participative à l'échelle communale", note Bruna Sibille.
Ainsi, des tables rondes organisées avec les représentants de la commune permettent aux habitants de faire des propositions. Qu'il s'agisse d'aménagements de pistes cyclables, de la mise en place de zones à trafic limité, de pédibus…
"Le citoyen impliqué se sent faire partie d'un projet. Alors que celui qui ne l'est pas, vit dans sa ville comme s'il était de passage, comme s'il était un étranger, pose Bruna Sibille. C'est primordial d'associer les habitants aux décisions. Et de veiller à ne pas laisser les plus fragiles au bord de la route."
Bra, 30.000 habitants, royaume de la petite reine.
Dans moins de six mois, Bruna Sibille raccrochera son écharpe tricolore. Son deuxième mandat de maire arrivera à terme et elle ne pourra donc pas se représenter. Mais elle passera la main avec le sentiment d'avoir su garder le cap.
"On a toujours veillé à ce que le bien-être des habitants soit la valeur essentielle et fondatrice, quels que soient les choix à assumer. La ville est plus belle, plus sûre, et j'espère plus agréable à vivre. De nouveaux commerces ont ouvert." Des motifs de satisfaction pour cette enfant du pays. Même si elle estime qu'il reste encore du pain sur la planche pour "apaiser la ville", "créer des pistes cyclables"...
La recette de Bra pour tendre vers une ville plus humaine et plus agréable à vivre peut-elle s'appliquer ailleurs, dans des cités plus peuplées? "Les valeurs portées par Bra sont applicables partout. L'important c'est de se fixer un objectif, un calendrier, et de s'y tenir."
Les "bonnes pratiques" sont d'ailleurs partagées par les quelque 200 villes qui ont rejoint le réseau "Citta slow" sur leur site. Histoire de les promouvoir...
"Ce sera certes plus simple de les mettre en œuvre dans une ville à l'échelle de Carcassonne, qu'à Marseille. Comme c'est plus facile à Bra qu'à Turin, mais l'implication des citoyens, est l'élément cardinal pour débloquer les situations."