Par Anne Crignon - Paru dans "L'OBS" du 6 avril 2017
Enid Blyton avait laissé quelques historiettes en jachère dans ses imposantes archives, que Hachette a rachetées en 2012 à Londres. De courtes aventures écrites, imagine-t-on, du temps qu'elle était gouvernante de très jeunes enfants. Hachette n'ayant pas à composer avec des héritiers sourcilleux, ces fonds de tiroir vont paraître dans une collection créée ad hoc pour les 6 à 8 ans: «le Club des Cinq junior». Le premier texte, en librairie cette semaine, s'intitule «Un après-midi bien tranquille». Edgar, 7 ans et demi, un goût affirmé pour la lecture, l'a avalé en un quart d'heure et trouvé «rigolo», particulièrement le chien Dagobert avec ses «ouaff'» sempiternels.
Quoi qu'on pense de ce Club des Cinq riquiqui, le miracle est là: la série «The Famous Five» écrite «pour la libération des enfants», selon François Rivière, biographe d'Enid Blyton (1), et installée depuis 1955 dans les librairies de France, est toujours au XXIe siècle une œuvre qui compte 300.000 exemplaires vendus rien qu'en France en 2016. Pour comprendre comment Hachette la «modernise» depuis soixante ans, nous avons donc lu et comparé, stylo à la main, «le Club des Cinq contre-attaque» dans ses versions successives: celle de 1955 avec la tranche jaune qui a préludé à la Bibliothèque rose (très prisée des bibliophiles), celle de 1974 dans la Rose, et ses versions édulcorées en 2000 et 2005.
Six ans après la mort d'Enid Blyton, les modifications survenues sont un incroyable coup de ciseaux: 400 lignes de moins en 1976, soit douze pages ou l'équivalent de deux chapitres. Des bavardages charmants et des considérations échangées par François, Mick, Claude et Annie en marge de l'intrigue disparaissent. Chez Hachette, on n'a pas gardé trace de ce travail éditorial; mais on est passé de 31 dessins à 57.
Dans les années 2000, la série est reprise. On raccourcit, on simplifie. On ôte au texte son vocabulaire désuet - des mots comme «grommeler» - et les marques d'une technologie dépassée - les enfants ne reçoivent plus un télégramme mais un appel téléphonique. En 2005, la bascule est spectaculaire: pour les 150 ans de la Bibliothèque rose, le passé simple est déclaré non grata. La série est récrite au présent. On ne veut pas risquer qu'un enfant lâche le livre au premier «découvrit» venu.
Un autre Club entre alors en scène, celui des anciens lecteurs catastrophés. Qui ose dégrader ainsi la chère série de leur enfance? Un blogueur nommé Celeborn prend la tête de la contestation. Le petit Edgar, à qui nous expliquons cette querelle, dit qu'il «aime bien le passé» et file chercher un Roald Dahl écrit au passé simple. «Si c'est au présent, dit-il, c'est comme si ça arrivait au moment où c'est écrit. Avec le passé, on voit que ça leur est déjà arrivé.» Mais Edgar grandit dans un milieu où on lit. Or le Club des Cinq est pensé pour le grand public enfantin. C'est «le premier polar pour enfant et les abdominaux de la lecture», disait Charlotte Ruffault, l'éditrice qui décida de tout mettre au présent.
Aujourd'hui encore cette série doit être «divertissante, attrayante et facile, explique Myriam Héricier, directrice des Bibliothèques rose et verte. Les enfants commencent par le Club des Cinq puis ils lisent Jack London et plus tard Kant, et nous avons gagné.» Jamais elle ne récrirait la comtesse de Ségur, qui reflète l'esprit du XIXe siècle, mais il lui semble pertinent de simplifier la série la plus susceptible de faire aimer les livres. Le prix à payer, c'est que le Club des Cinq de 2017 a bel et bien perdu son charme au profit d'une intrigue déshabillée jusqu'à l'os et d'une histoire platement rédigée.
Je constate ça dans d’autres séries littéraires également.
En particulier une série de livres pour enfant en néerlandais. J’avais la série complète, mais avec des bouquins de deux éditions différentes (originale & reformulée). J’ai fini par me mettre à la recherche de la série en version originale.
Je trouve ça assez lamentable, de simplifier. C’est pas mieux de maintenir le niveau ? Là ça revient simplement à avouer que les gens sont de plus en plus cons. Ni plus, ni moins.
Dans quelques années, on va avoir droit à une version en SMS aussi ?
Finalement Jean Rochefort n’avait pas tort avec ça : https://www.youtube.com/watch?v=16ubmu7qbJc
Du coup, je salue la solution à tout ça :
Que faire, alors ? Proposer deux versions en librairie. Celle des années 1970, avec son passé simple et ses longueurs savoureuses, simplement modernisée par les illustrations; et l'actuelle, rétrécie au nom de la lecture pour tous.
Si ça peut permettre à tous de lire, c’est bien.
J’espère juste que les éditeurs ne nous prennent pas tous pour des débiles et finissent par laisser tomber la version normale.
ÉDIT : Certaines choses disparaissent et d’autres apparaissent, ce qui est normal. Mais si c’est pour perdre le passé simple et le subjonctif pour se retrouver avec du SMS et des émoticônes… jsui pa conv1Q d’émé sa.