A small plaque in St Gluvias church, Penryn, reads:
A LA MEMOIRE DES ACADIENS This memorial commemorates the 73 men, women and children buried in the churchyard in unmarked graves, following their exile from Acadia between 1756 and 1763
This is the only indication of the presence of a group of Acadians who were housed on the outskirts of the town in the mid C18.
(The British spelling is Acadians. The French use Acadiens or Acadiennes)
The Acadians were a group of French Catholic settlers of the early C17 who became caught up in the struggle between France and Britain for control of Canada, a conflict that started around 1688 and ended with the fall of Montreal in 1760.
They founded a colony in the Nova Scotia/New Brunswick area, bordering the British province of Maine, which they called Acadia. It appears that they established good relations with the indigenous peoples with some inter-marriage.
The Acadian capital of Port Royal fell in 1710 but much of Acadia remained under French control. After each territorial advance, the British invited the Acadians to swear unconditional oaths of allegiance to the British crown: an offer many refused because of their Catholic faith and ancestry.
Although many Acadians were neutral, others continued to work for the French and, with members of the Wabanaki Confederacy indigenous communities, raided British-held territory. Finally, the British lost patience and decided to expel the Acadians where they could.
There were two waves of expulsion. Together they are called the Great Upheaval, the Great Expulsion, or the Great Deportation.
The first wave came after the successful 1745 siege of the strategic port of Louisbourg. Under the Treaty of Aix-la-Chapelle (1748) at the end of the War of Austrian Succession, Louisbourg was handed back to the French in exchange for Madras.
Different sources quoting different figures but it seems that between six and seven thousand Acadians were expelled from Nova Scotia to American colonies and Britain in the first wave. Some 1,226 Acadians survived the ocean crossing to Britain in 1755, being separated into four groups: 336 (243) were sent to Liverpool; 340 to Southampton (Portsmouth); 300 to Bristol; 250 (220/204) to Falmouth. (The sources vary quite markedly on the numbers)
Falmouth, June 17: arriv’d, the Fanny, (Captained by) Bovey, from Virginia, with 204 Neutral French on board, being sent by the Governor of Virginia, he apprehending they would go and join their Countrymen and the Indians in their Interest.
Boston Evening Post, September 20, 1756
Many Acadians who were sent to Britain were housed in crowded warehouses and subject to plagues due to the close conditions, while others were allowed to join communities and live normal lives. They received a small payment each day and were treated as if they were prisoners of war.
The Falmouth/Penryn contingent was housed in a large barn at Upper Kergilliac Farm on the edge of Penryn. This had been used to hold prisoners of war a few years earlier during the War of the Austrian Succession (1740-1748). These Acadians are the ones commemorated on the plaque in St Gluvias church.
The north and west view of the L-shaped barn at Upper Kergilliac Farm on the outskirts of Penryn and Falmouth. Could these be the barn in which the Acadians were held? They seem very modest.
The second wave of expulsions came after the 1758 siege of Louisbourg which was more decisive and was followed by the advance on Quebec and Montreal. In this wave the Acadians were deported to France and Britain.
The sinking of the Duke William
Almost 1,000 Acadians died on their way to France when the transport ships Duke William, Violet, and Ruby sank in 1758. So significant was the sinking of the Duke William that the date of its sinking, 13 December, became the Acadian Remembrance Day.
On board was Noël Doiron (1684–1758), a regional leader. He was widely celebrated and places have been named after him in Nova Scotia.
The rather self-serving account of Captain Nicholls, the Commander of the Duke William survives in an account which was published in the Naval Chronicle of 1807. He deserted the sinking ship and managed to make his way to Penzance.
In 1763, the Treaty of Paris brought an end to the Anglo-French struggles of the Seven Years’ War. Canada was to be under British control. The Acadians were at last free to move around.
After 1764, they were allowed to return in small isolated groups to British territories in Canada provided that they took an unqualified oath of allegiance. A significant number migrated to Spanish Louisiana, where their name was Anglicised to ‘Cajuns’. Others returned to France, particularly Belle-Île-en-Mer off the western coast of Brittany.
By January 1763, after seven years in exile, only about 866 of the 1,266 Acadians originally deported to Britain had survived. Some 159 people, the remnants of the Falmouth/Penryn contingent, sailed for France on La Fauvette sent by King Louis XV to Falmouth.
Très prolifiques et résilients face à l'adversité, les pionniers acadiens ont aujourd'hui une très vaste descendance : nous serions environ 3 millions, parmi lesquels de nombreuses personnes connues...
J'ai déjà évoqué Matt LEBLANC. Je me contenterai de quelques autres exemples.
En 1785, l'un des Acadiens passés par la Virginie, l'Angleterre, Morlaix et Belle-Isle, Joachim TRAHAN, tout juste veuf de Marie DUON, embarque à Nantes avec ses quatre enfants sur le Saint Rémiqui part pour la Louisiane. Il s'installe à Saint Martinville, et son fils Auguste, âgé de 7 ans quand il quitte la France, va s'y marier en 1793, et mourra à 33 ans, sans savoir qu'une de ses futures petites-filles, Marie Virginie TRAHAN, connaîtra une vie incroyable, épousant tout d'abord Claude Vincent de TERNANT, héritier d'une plantation près du Mississipi. A la mort de son mari, elle se remarie avec le colonel Charles PARLANGE, qui donnera son nom à ladite plantation, puis, devenue de nouveau veuve, elle défendra grâce à son charme et sa diplomatie sa terre et sa demeure pendant la guerre de Sécession.Cette plantation existe toujours et est tenue aujourd'hui par les descendants de Marie-Virginie, qui deviendra dans les années 70 l'une des héroïnes de la série de romans de Maurice Denuzière intitulée Louisiane - Fausse-Rivière - Bagatelle, sous le nom de Virginie TREGAN.
Une petite-fille de Marie Virginie, Virginie Amélie AVEGNO GAUTREAU, née en 1859 à La Nouvelle Orléans, deviendra une personnalité bien connue du Tout-Paris de la fin 19°-début 20°. Son portrait, exécuté par John Singer Sargent et intitulé Portrait de Madame X, est aujourd'hui exposé au Metropolitan Museum of Art in New York City. Elle est également un personnage des romans de Denuzière.
Virginie TRAHAN et Virginie AVEGNO, devenues héroïnes de romans, inattendues descendantes du maréchal de tranchant de Bourgueil, du passementier transfuge, et de l'un des malheureux déportés errants de Virginie en Angleterre, partis plein d'espoir de Belle Isle en Mer pour se créer une nouvelle vie en Louisiane...
Dans un tout autre genre, le lexicographe Paul ROBERT, l'auteur du fameux dictionnaire, oui oui!, avait des origines acadiennes par sa branche maternelle, et nous partageons nos ancêtres BOUDROT, BOURG, LANDRY, BOURGEOIS...
Mais on retrouve également Jean CHRETIEN, premier ministre du Canada de 1993 à 2003, Pierre Elliott TRUDEAU, également ancien premier ministre du Canada, et logiquement le fils de celui-ci, Justin TRUDEAU, premier ministre actuel (depuis 2005).
Justin TRUDEAU était d'ailleurs présent au Tintamarre de 2019 à Dieppe, au Nouveau Brunswick. Le Tintamarre est une manifestation de la fierté acadienne qui a lieu le 15 août (date de la fête "nationale" acadienne) : il s'agit d'un défilé aux couleurs de l'Acadie dans lequel on fait le plus de bruit possible pour rappeler au monde la présence et la vitalité des Acadiens.
Et enfin, peut-être la "cousine" la plus inattendue : Beyoncé !
En effet, Gisèle BEYONCE est l'arrière-petite-fille d'Odilia BROUSSARD (patronyme bien acadien), elle-même arrière-petite-fille de Marie-Françoise TRAHAN, née à ... Belle Isle en Mer, paroisse de Bangor, le 17 janvier 1774!!!
Et Marie Françoise était l'une des filles de Pierre TRAHAN et Marguerite DUON, Marguerite elle-même nièce de "mon" Cyprien... Quant à Pierre, je n'ai pas creusé le détail, mais c'est forcément un descendant de "'mon" Guillaume...
Pierre et Marguerite, mariés le 9 mai 1758 à Liverpool puis installés à Belle Isle, embarquèrent en 1785 avec leurs enfants - dont la petite Marie Françoise âgée de 11 ans et demi - en direction de la Louisiane sur Le Saint Rémi, et arrivèrent à la Nouvelle Orléans le 10 septembre. (Sur le bateau se trouvait également Joachim TRAHAN, cité plus haut, l'arrière grand-père de la future propriétaire de la Plantation Parlange).
En tout cas, connu ou inconnu, pour l'instant je n'ai trouvé aucun descendant d'Acadien avec lequel je ne cousine pas (lointainement) d'une façon ou d'une autre.
©Claude Picard, peintre du Nouveau Brunswick. On peut voir sa série sur le Grand Dérangement dans l'église (reconstituée) de Grand-Pré en Nouvelle Ecosse
Voici venu le moment d'aborder la Déportation, ce grand traumatisme historique qu'un sens aigu de la litote amena les Acadiens à appeler pudiquement "le Grand Dérangement"...
En 1713, par le traité d'Utrecht, les Français avaient perdu Terre-Neuve, la baie d'Hudson et la presqu'île de l'Acadie (qui devenait la Nouvelle-Ecosse -Nova Scotia-), dont les frontières étaient toutefois restées floues. Ils avaient conservé l'Ile Royale (aujourd'hui Cap-Breton) et les rives du Saint-Laurent.
Après le Traité d'Aix la Chapelle, en 1748, les britanniques, soucieux de garantir leur main-mise sur la Nouvelle-Ecosse, y envoyèrent 2 500 colons et fondèrent le port de Halifax, sur la côte sud. Par ailleurs, depuis le traité d'Utrecht, ils avaient exigé des Acadiens un serment d'allégeance à la couronne d'Angleterre. La plupart l'avaient signé, mais en exigeant de pouvoir rester catholiques et de ne pas avoir à combattre les Français. Ils revendiquaient le statut de "Français Neutres".
L'Acadie en 1754 ( CC-by-3.0- Tupkam)
Les Anglais n'ayant aucune confiance dans les Acadiens malgré le serment envisageaient régulièrement de s'en débarrasser. Sans compter que s'emparer de leurs bonnes terres serait un bonus appréciable. Mettant fin à des décennies de tergiversations, en 1755, Charles Lawrence, lieutenant-gouverneur de Nouvelle Ecosse, prit l'initiative de les déporter. Londres n'avait pas donné l'ordre d' expulsion, mais Lawrence ne fut pas désavoué.
Après plusieurs semaines de préparatifs secrets, et l'arrestation de divers Acadiens à certains endroits, le lieutenant-colonel John Winslow, accompagné de 313 soldats britanniques, arriva par bateau le 20 août dans le bassin des Mines. Il se rendit à l'église Saint-Charles et s'y installa, après avoir fait enlever les objets de culte par quelques habitants. Le 21, les soldats construisirent une palissade autour de leur camp, puis une autre le 30 autour du cimetière.
Entre le 31 août et le 2 septembre, Winslow et ses hommes visitèrent les différents hameaux et villages des Mines. Ils observèrent que la moisson était en train de se terminer. Les Acadiens, habitués à la présence anglaise, poursuivaient leurs travaux. Winslow rédigea une proclamation qui leur fut signifiée le 4 septembre :
« Aux habitants du district de la Grand-Prée, rivière des Mines, rivière aux Canards, etc., [...] j’ordonne [...] à tous les habitants, y compris les vieillards, les jeunes gens ainsi que ceux âgés de dix ans, [...] de se réunir à l’église de la Grand-Prée, le vendredi, 5 courant à trois heures de l’après-midi, afin de leur faire part des instructions que nous sommes chargés de leur communiquer. [...] aucune excuse, de quelque nature qu’elle soit, ne sera acceptée et que le défaut d’obéissance aux ordres ci-dessus entraînera la confiscation des biens et effets."
Le capitaine Murray adressa une sommation équivalente aux habitants de Piziquid et alentours.
Le lendemain, vendredi 5 septembre, les hommes et garçons âgés de plus de dix ans de tous les villages des Mines - Grand-Pré, Habitants, Canard, Gaspereau...-, soit 418 personnes, se rendirent donc à l'église. Les soldats britanniques fermérent aussitôt les portes, et Winslow fit lire par un interprète la déclaration suivante :
Journal de Winslow p 178
« Messieurs,
J'ai reçu de Son Excellence le gouverneur Lawrence les instructions du Roi1 que je tiens en main. [...] Le devoir qui m'incombe, quoique nécessaire, est très désagréable à ma nature et à mon caractère, de même qu'il doit vous être pénible[...]
Je vous communique donc, sans hésitation, les ordres et instructions de Sa Majesté, à savoir que toutes vos terres et habitations, bétail de toute sorte et cheptel de toute nature, sont confisqués par la Couronne, ainsi que tous vos autres biens, sauf votre argent et vos meubles, et vous devez être vous-mêmes enlevés de cette Province qui lui appartient. C'est l'ordre péremptoire de Sa Majesté que tous les habitants français de ces régions soient déportés. [...] je veillerai aussi à ce que les familles s'embarquent au complet dans le même vaisseau [..] et j'espère qu'en quelque partie du monde que vous puissiez vous trouver, vous serez de fidèles sujets, un peuple paisible et heureux2. Je dois aussi vous informer que c'est le bon plaisir de Sa Majesté que vous restiez en sécurité sous la surveillance et la direction des troupes que j'ai l'honneur de commander et ainsi je vous déclare prisonniers du roi. »
Le 15 septembre, Winslow établit la liste des Acadiens emprisonnés dans l’église de Saint-Charles, liste dont+ l'original se trouve aujourd'hui à Boston, et dont on peut voir un fac-similé au Musée de Grand’Pré. On y trouve les noms des habitants français de Grand’Pré, Rivière des Mines, Habitant, Rivière-aux-Canards, le nombre de leurs enfants, et le détail de leur bétail.
Fac similé de la liste de WInslow- Grand-Pré - Nova Scotia
Mon ancêtre Olivier DAIGRE et son fils sur la liste de Winslow
Expulser des milliers de personnes demandait une lourde logistique. Il fallut attendre plusieurs semaines l'arrivée progressive de tous les bateaux nécessaires pour transporter les habitants des paroisses Saint Charles de Grand-Pré, Saint-Joseph de la Rivière aux Canards, Sainte-Famille et Assomption de Piziquid. Les femmes et les enfants furent chargés de fournir la nourriture aux prisonniers. Pour empêcher que les habitants qui avaient pu s'enfuir ne puissent revenir s'installer après le départ de la flotte, Winslow fit brûler les hameaux et les champs3. A Beaubassin au fond de la baie Française et à Port Royal sur la rivière Dauphin, la situation des acadiens était la même... (Deux ans plus tard, un officier britannique décrivit les villages acadiens de Port Royal en ruines et les poiriers et pommiers abandonnés croulant sous le poids des fruits...)
Le 10 septembre, Winslow note dans son journal :
« J'ai remarqué ce matin une agitation inaccoutumée qui me cause de l'inquiétude. J'ai réuni mes officiers, il fut décidé à l'unanimité de séparer les prisonniers... Nous avons convenu de faire monter 50 prisonniers sur chacun des cinq vaisseaux arrivés de Boston et de commencer par les jeunes gens. [...] Selon mes ordres, tous les habitants français furent rassemblés, les jeunes gens à gauche. J'ordonnai au capitaine Adams, aidé d'un lieutenant et de 80 officiers et soldats, de faire sortir des rangs 141 jeunes hommes et de les escorter jusqu'aux transports. J'ordonnai aux prisonniers de marcher. Tous répondirent qu'ils ne partiraient pas sans leurs pères. [...] J'ordonnai alors à toute la troupe de mettre la baïonnette au canon et de s'avancer sur les Français. [...] Ils s'avançaient en priant, en chantant, en se lamentant et sur tout le parcours d'un mile et demi, les femmes et les enfants venus au-devant d'eux, priaient à genoux et pleuraient à chaudes larmes. J'ordonnai ensuite à ceux qui restaient de choisir parmi eux 109 hommes mariés qui devaient être embarqués après les jeunes gens [...] Ainsi se termina cette pénible tâche qui donna lieu à des scènes navrantes...»
Les familles de Grand-Pré commencèrent à embarquer à leur tour le 8 octobre. Elles le firent, note Winslow, "à contrecœur, les femmes en grande détresse emportant leurs enfants dans leurs bras. D'autres portant leurs parents décrépits dans leurs charrettes et tous leurs biens. Se déplaçant dans une grande confusion [...] scène de malheur et de détresse5."
C'est dans ce contexte que mourut le vieux Jacques LEBLANC (mon sosa 1232), alors âgé de 75 ans, petit-fils de Daniel le pionnier et de Françoise GAUDET par leur fils René, certainement terrassé de chagrin alors que ses frères et soeurs, ses 13 enfants, ses nombreux petits-enfants et petits-neveux, étaient sommés de monter à bord de bateaux différents, avant d'être éparpillés sur des milliers de kilomètres. Car malgré la promesse de Winslow, dans la confusion des embarquements, bien des familles se retrouvèrent séparées, et les milliers d'Acadiens expulsés de leurs terres de Grand-Pré, Piziquid, Beaubassin ou Port Royal, furent envoyés vers différentes colonies de la Nouvelle Angleterre : Massachussetts, Pennsylvanie, Virginie, Caroline du Nord, Connecticut, Maryland... L'objectif de Lawrence était non seulement d'expulser les Acadiens de Nouvelle Ecosse, mais également de les disperser, pour les empêcher de se regrouper et de reconstruire leurs communautés.
Déportation des Acadiens par Henri Beau
Le cas des enfants de Jean Baptiste DUON (sosa 624) et Agnès HEBERT (S 625) de Port Royal illustre bien cet éparpillement :
Agnès, veuve depuis 1746, avait 59 ans lors du Grand Dérangement, 11 enfants âgés de 16 à 40 ans, et un certain nombre de petits-enfants. Elle se retrouva brutalement et définitivement séparée de toute sa famille, excepté son fils Louis Basile, 27 ans, et sa plus jeune fille, Rosalie, 16 ans, transportés comme elle à New York.
Lorsque les rafles avaient commencé à Port-Royal, ses fils Honoré, 38 ans, Charles, 21 ans, et Claude,18 ans, étaient parvenus à s'enfuir dans les bois (où ils survécurent dans des conditions terribles de famine et de maladie avec des centaines d'autres acadiens en fuite pendant quelques années, avant d'être repris et emprisonnés par les Anglais).
Agnès vit ses autres enfants embarqués sur des bateaux qui allaient partir :
pour Boston : avec Jeanne, 36 ans, et Abel, 32 ans
Pourtant, ceci n'était que le début d'une dispersion qui allait mener les enfants et petits-enfants d'Agnès bien plus loin encore (Québec, Louisiane, Angleterre, Martinique, France, etc...), et elle ne les revit jamais...
Les départs vers l'exil s'échelonnèrent de fin octobre au 20 décembre, et le voyage fut effroyable. Il faut dire que les bateaux affrétés n'étaient pas du tout adaptés à des passagers humains; la plupart servaient normalement au transport de bétail ou de marchandises, et malgré quelques modifications en prévision de la déportation, ils ne permettaient pas aux prisonniers de se tenir debout. De plus, l'air était irrespirable et vicié dans les cales surchargées de passagers (les capitaines britanniques étant rémunérés à la quantité d'acadiens embarqués n'avaient donc pas hésité à enfreindre les règlementations de l'époque), et la nourriture insuffisante. La maladie, le manque d'hygiène, la malnutrition et le désespoir firent des ravages. D'autant que si l'embarquement avait commencé le 10 septembre, les bateaux tardèrent des semaines avant de prendre la mer, et certains prisonniers y passèrent donc plusieurs mois 4.
Bateaux de la déportation des Acadiens, par Myles Birket Foster (1825-1899), publié dans le poème Evangeline, a Tale of Acadie (1866)
Pour aggraver encore la détresse des déportés, la flotte partie fin octobre essuya une grosse tempête peu après le départ, obligeant certains bâtiments à faire relâche à Boston, le temps de réparer les avaries. Les autorités locales qui montèrent inspecter les bâtiments constatèrent la surpopulation, la présence de malades et le manque de provisions, ce qui n'empêcha pas les bateaux de reprendre leur route vers le sud...
Ce furent donc des prisonniers épuisés, affaiblis, souvent malades, qui arrivèrent à leurs destinations au fil des mois. Un certain nombre étaient morts pendant le voyage. D'autres moururent peu après l'arrivée, comme à Philadelphie où, sur les 454 acadiens débarqués en novembre, 237 furent rapidement emportés par la variole.
Les Anglais n'avaient pas pris la peine d'avertir leurs colonies de Nouvelle Angleterre de l'envoi de ces prisonniers. Les capitaines des navires étaient simplement chargés de remettre une lettre explicative aux autorités locales en débarquant... L'arrivée soudaine de ces exilés faméliques, malades, en haillons, étrangers et d'une autre religion (catholiques et considérés comme plus français que neutres), fut donc vue d'un très mauvais œil. Dans plusieurs colonies, on tergiversa des jours voire des semaines avant de les autoriser à débarquer, les laissant souffrir encore de la faim et du froid (novembre/décembre en Amérique du Nord...), toujours entassés sur les bateaux...
© Jacques Leclerc - 2010 -
Parmi ces malheureux passagers se trouvaient :
Marie Josèphe LEBLANC, 50 ans, fille du vieux Jacques mort de chagrin en octobre à Grand Pré, avec mari et enfants, et avec son frère Jacques6, 47 ans, leur soeur Madeleine, 43 ans, leur soeur Elisabeth, 28 ans
Anne LE PRINCE (sosa 1239 et 1255), veuve RIVET, 70 ans, avec son fils Michel RIVET et sa seconde femme , son fils Etienne avec sa famille, le mari de sa fille Anne décédée en Acadie en 1750, et les enfants de celle-ci, et sa petite-fille Françoise, 22 ans, fille de Marie Rose (sosa 619 et 627). Par contre, Marie-Rose fut envoyée en Virginie avec ses autres enfants, Jean,8 ans, Marie Joseph,6 ans, Anne (sosa), 16 ans, Marguerite (sosa) 20 ans
C'est là que fut transportée Catherine LEBLANC, 30 ans, autre fille du vieux Jacques.
L'arrivée des "papistes" fut donc très mal acceptée. Là aussi, les enfants, employés comme domestiques dans des familles britanniques ou mis en apprentissage, furent volontairement séparés de leurs parents. La pratique de la religion catholique était interdite, et les Acadiens étaient assignés à résidence. Les débuts de la Guerre de Sept Ans au printemps 1756 aggravèrent encore leur situation, car les bostoniens craignaient qu'ils ne pactisent avec l'ennemi français et ne s'enfuient pour les rejoindre...
Boston - 1723 - William Burgis - Boston PIctorial Archive
A Boston furent envoyés :
Jean TRAHAN, (sosa 630) , âgé de 58 ans, petit fils de Guillaume (lien) et de Madeleine BRUN, installé en Acadie à la Rivière aux Canards; je ne sais pas si sa femme Marie HEBERT l'accompagnait ou si elle était déjà décédée, ou si elle a été envoyée ailleurs. En tout cas il fut séparé de sa fille Marie Isabelle (dite aussi Elisabeth), 29 ans (ma sosa 315), envoyée en Virginie avec son (premier) mari et son fils de 6 ans
A New-York, Agnès HEBERT (sosa 625), qui avait déjà perdu presque toute sa famille au départ de la Nouvelle Écosse, fut séparée de sa fille Rosalie DUON, qui n'avait que 16 ans et dut rejoindre une famille locale.
Plan de New York en 1755
Et enfin, en Virginie, où furent envoyés la plupart de mes Sosas, le gouverneur refusa absolument de les accueillir. Après leur avoir fait attendre une décision pendant des mois, les autorités de Virginie décidèrent finalement de rendre la pareille aux autorités anglaises, et d'expédier les pauvres expulsés survivants en Angleterre, sans prévenir la Couronne. C'est ainsi que le 10 mai 1756, quatre vaisseaux transportant 1044 Acadiens cinglèrent vers l'Europe, et après une pénible traversée, accostèrent à Falmouth, Liverpool, Bristol, et Portsmouth (puis Southampton).
10 de mes Sosas subirent ce pénible destin (sans compter leurs nombreux proches et tous les autres) :
Françoise GRANGER, 55 ans, Olivier DAIGRE, 52 ans, Rose RIVET, 48 ans, "Marie" Josèphe TRAHAN, 44 ans, Honoré DAIGRE 29 ans, Elisabeth TRAHAN, 29 ans, Cyprien DUON, 25 ans, Charles LEBLANC 21 ans, Marguerite LANDRY 20 ans, Anne LANDRY 16 ans
En tout, outre mes ancêtres directs et leurs enfants, près de 7 000 Acadiens furent déportés de Nouvelle Ecosse pendant le dernier trimestre de 1755. Beaucoup moururent dès les premières semaines, et la plupart des survivants connurent misère et dénuement pendant de nombreuses années*** , et encore bien des vicissitudes. Ils furent de fait les premières victimes de la Guerre de Sept Ans, qui allait commencer officiellement le 29 août 1756 et bouleverser définitivement Europe et Amérique. Le Traité de Paris en 1763, en les libérant du joug britannique, accentua leur éparpillement, et la diaspora acadienne a depuis semé des descendants un peu partout sur la planète...
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Notes :
1) En fait, c'était un mensonge, les instructions venaient de Lawrence
2) Ben voyons...
3) "depriveing those who shall escape of all meam of shelter or support by burning their houses and destroying everything that may afford them the means of subsistance in the countrey." (Instructions du 11 août 1755. Journal de Winslow. N. S. H. S. vol. III, p. 80.) ("privant ceux qui s'enfuiront de tous moyens d'abri ou d'aide en brûlant leurs maisons et en détruisant tout ce qui pourrait leur fournir des moyens de subsistance dans la région")
4) Grand Pré, 20 décembre 1755: le capitaine Phins Osgood écrit au Colonnel Winslow: "This serves to inform you that the French which you left under my care are all removed. The last of them sailed this afternoon, in two schooners, viz., the Race Horse, John Banks, master, with 112 persons. Ranger, Nathan Monrow, master, with 112 persons. Banks for Boston. Monrow for Virginia." (NSHS#3, p. 192.) ("Ceci pour vous informer que les Français que vous avez laissés à mes soins sont tous partis. Les derniers d'entre eux ont pris la mer cet après midi, dans deux schooners, le Race Horse, capitaine John Banks, avec 112 personnes; le Ranger, capitaine Nathan Monrow, avec 112 personnes. Banks parti pour Boston, Monrow pour la Virginie.")
5) "very sullenly and unwillingly, the women in great distress carrying off their children in their arms. Others carrying their decrepit parents in their carts and all their goods. Moving in great confusion and [it] appears as a scene of woe and distress."
6) En 1767, Honoré LEBLANC déclare Catherine envoyée au Maryland, et Jacques envoyé en Pennsylvanie; à voir où sont l'un et l'autre quelques années plus tard, c'est visiblement l'inverse : en 1763, Jacques est à Oxford, Pennsylvanie, et en 1762, Catherine est à Philadelphie. Il y a quelques erreurs dans la déclaration de leur frère Honoré à Belle-Isle. Il faut dire que les faits dataient de 15 ans, et les nouvelles circulaient difficilement. Il est même remarquable que les Acadiens de Belle Isle aient eu tant d'informations sur le devenir de leurs familles dispersées
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Sources principales :
-The Collections of The Nova Scotia Historical Society (NSHS) et en particulier Les bateaux de la Déportation
Tous mes Acadiens de première génération sont déjà installés en Acadie lors du recensement de 1671. Tous, sauf un !
En effet, on ne trouve la première trace de Jean (Baptiste)* DUON en Acadie que le 27 février 1713 - soit tout juste un mois et demi avant la signature du traité d'Utrecht marquant la perte définitive de l'Acadie par la France -, lorqu'il épouse Jeanne HEBERT à Port-Royal; il a 29 ans, elle 17.
Si lui est récemment arrivé sur ces terres américaines, sa jeune femme représente la 4° génération acadienne par sa grand-mère Marie GAUDET fille du pionnier Jean GAUDET, et la 3° par son grand-père Etienne HEBERT arrivé à Port Royal avant 1650.
Au recensement de 1714, Jean Baptiste apparaît sous le sobriquet de "Lyonnais" ("Lionnois"). Et c'est bien là une énigme : comment et pourquoi ce DUON s'est-il décidé un jour à émigrer en Acadie, 50 à 60 ans après la plupart des autres pionniers ? D'autant plus que, alors que la plupart des premiers acadiens étaient originaires surtout de l'Ouest de la France (Saintonge, Poitou...) et travaillaient comme laboureurs, tonneliers, maréchal-ferrand, chirurgien..., métiers indispensables à l'installation d'une colonie, lui appartenait à une famille de soyeux de St Étienne en Forez et de Lyon.
Son arrière grand père Jean DUON l'aîné (mon sosa 4992) était "marchand tissotier*" à la Metare près de Saint Etienne.
Son grand-père, Mathieu DUON (S 2496), "marchand de Saint Etienne", avait épousé Catherine PEYRIEU (S 2497), fille de Gabriel, également marchand tissotier, le 26 mai 1635 .
Son père, Jean Louis DUON (S 1248), était maître passementier*, tout comme ses oncles Jean Baptiste et Jean le Cadet. Jean Louis avait quitté St Etienne pour Lyon à l'âge de 37 ans, deux ans avant de se remarier, le 22 juin 1683, avec Jeanne CLEMENSON (S 1249). Jean Baptiste sera le premier né du couple, le 31 octobre 1684, baptisé le lendemain paroisse St Vincent. Son parrain sera son oncle Jean DUON, " marchand de soies de St Nizier, petite rue Mercière", mari de Françoise BROCHAY, fille de "feu Jean BROCHAY marchand maître teinturier de soie à Lyon".
Toute la famille de Jean (Baptiste) DUON vivait donc de la soie, et l'on se mariait entre fils et filles de maîtres passementiers, veloutiers, teinturiers en soie, guimpiers, dans une parfaite endogamie sociale... Son frère Mathieu (né en 1699) ne faillira pas à la tradition : il sera "maître fabricant d'étoffes de soie", puis "maître veloutier" ; sa soeur Simone épousera en 1729 Alexis MAYOUD, "maître boutonnier".
Alors, pourquoi donc Jean Baptiste décide-t-il un jour d'abandonner un avenir tout tracé dans la soierie lyonnaise pour traverser l'océan et aller se construire une vie totalement différente, entre mer et forêt, dans une ébauche de pays??? Ses parents sont toujours vivants lors de son départ (son père décèdera le 26 octobre 1720, sa mère plus tard). Son frère Mathieu a une douzaine d'années, sa soeur Simone deux ou trois ans... Alors qu'il est le seul jeune adulte de la fratrie, pourquoi n'a-t-il pas pris la succession de son père septuagénaire?
D'autant plus qu'il a très certainement appris le métier de son père. Il est très probablement le "Jean DUON" inscrit comme apprenti passementier en juillet 1698 : il a alors 13 ans et demi, âge classique pour entrer en apprentissage, et c'est le seul Jean de cette tranche d'âge que j'aie relevé à l'époque à Lyon. La formation durait 5 ans, ce qui lui permettait, en tant que fils de maître de devenir maître à son tour dès 18 ans et demi, son statut familial le dispensant du passage par le statut de compagnon.
"Jean DUON est inscript aprentis avec Anthoine CAPLACER(?)Maître de notre art après avoir veu son acte d'aprentissage DUON 5(??)juillet 1698. Receu de LAFAY et MONTAGNON notaire royaux de cette ville par nous le 24° août 1698"
Or curieusement, c'est précisément à cette période-là qu'il va quitter Lyon et la France. Il est tout à fait impensable qu'il soit parti chercher un nouveau débouché pour les passementeries familiales : les Acadiens étaient trop peu nombreux et ne pouvaient pas constituer un marché pour ce type de produits... S'installer à Port-Royal était pour Jean Baptiste une rupture radicale et définitive avec ses origines sociales et son mode de vie. Alors, quid? Etait-ce une question de caractère ou de circonstances? Avait-il, chevillé au corps, un véritable esprit d'aventure, l'envie de découvrir des horizons lointains...? Fuyait-il un conflit familial, un chagrin d'amour?... Avait-il des ennuis avec la justice?... Rêvait-il de grands espaces, ou était-il un fils rebelle en rupture de ban ??? Cette question restera malheureusement sans réponse, une véritable Enigme...
Toujours est-il qu'il a rapidement trouvé sa place dans la colonie de Port-Royal, comme le montre son mariage avec une toute jeune fille issue d'une déjà "vieille" famille locale. De plus, venant d'une famille plutôt aisée et éduquée, une quinzaine d'années après son arrivée, en 1727, il est nommé notaire de Port Royal par le gouverneur Armstrong....
Père de 13 enfants dont 11 deviendront adultes, après plus de 30 ans passés en Acadie, il sera inhumé à Port Royal à l'âge de 61 ans, le 6 mai 1746. Cela lui épargnera le chagrin de voir sa famille totalement éparpillée sur la planète moins de 10 ans plus tard lors de la tragédie qui allait frapper le peuple acadien.
Notes :
Glossaire :
passementier : s. m. (Art. méchaniq.) ouvrier & marchand qui fait & vend des passemens ou dentelles. Les autres ouvrages que peut fabriquer le passementier sont des guipures, des campanes, des crespines, des houpes, des gances, des lacets, des tresses, des aiguillettes, des cordons de chapeaux, des boutons, des cordonnets, des rênes, des guides & autres ouvrages & marchandises semblables. (Diderot et d'Alembert)
tissotier : ancien nom du passementier
veloutier : celui qui fabrique du velours
guimpier : fabricant de fil d'or pour les rubans, galons...
Parmi les toutes premières familles installées à Port Royal figure celle de Guillaume TRAHAN (mon sosa 2468, 2520, 9862). Alors que les origines françaises de bon nombre de pionniers restent floues et sujettes à controverses, on suit clairement la trace de Guillaume dès avant sa venue.
Il est l'un des sept enfants répertoriés de Nicolla TRAHAN et Renée DESLOGES, de Montreuil-Bellay (Indre et Loire). Il se marie1 à St Etienne de Chinon le 13 Juillet 1627 avec Françoise CORBINEAU (S 9863). Vers 1629 naît leur fille Jeanne, puis un autre enfant quelque temps après. Guillaume est maréchal de tranchant, c'est-à-dire qu'il fabrique toutes sortes d'outils tranchants: haches, couteaux, faux, serpettes, faucilles, ciseaux de menuisier, etc., et même des ustensiles de table, comme couteaux, fourchettes, cuillères...
Il mène une vie paisible auprès de ses parents, ses frères François et Nicolas, ses soeurs Renée, Anne et Lucrèce2, sa femme et ses enfants... Mais voilà qu'en 1635, il est (ainsi que quelques autres) condamné pour avoir défriché et coupé du bois dans la forêt de Bourgueil. Ces défrichages semblent avoir été habituels depuis une quarantaine d'années, il n'est visiblement pas le seul ni le premier, mais un coup d'arrêt est soudain donné par les autorités à cette pratique. Selon le jugement de la maîtrise de Chinon,
Les habitants des paroisses St Germain et St Nicolas de Bourgueil, le procureur joinct........ et en outre Messire Léonor d'Etampes......ordonne à trois religieux, deux écuyers, un garde marteau de la forêt de Bourgueil, Guillaume TRAHAN........et quelques autres personnes que ce qui a esté entrepris, usurpé et déffriché par lesdictz deffendeurs des appartenances et dépendances de ladicte fôretz de Bourgueil depuis 40 ans en ladicte conservée par les procès verbaux de visitation et d'arpentaige et prétendus baux à rente que nous avons déclaré nulz et de nul effect, sera réuny en l'avenir au corps de ladicte forêtz de Bourgueil.......faisant inhibition expresse ausdictz deffendeurs et tout aultres de deffricher abattre ne couper aucun bois ........ne changer la nature d'icelle à peine de 500 livres d'amende..... sont condamnés ..... le dict Duberlé en 50 livres d'amende ......le dict TRAHAN 20 livres d'amende et soixante dix livres pour la valleur et estymation du jeune bois qui estoit en deux arpents qu'il a fait arrachez dont partie a esté trouvée en sa maison et oultre en quarante livres pour les domaiges et intêretz.....".3
Condamné à payer un total de 130 livres (une très grosse somme!) pour avoir défriché deux arpents de forêt, Guillaume doit être furieux, sans compter que ce jugement le met probablement dans une situation financière délicate.
Or il se trouve que depuis 16324 le tourangeau Isaac de Razilly s'efforce de développer l'Acadie, avec le soutien de Samuel de Champlain et Richelieu. Et fin 1635, peu après les déboires judiciaires de Guillaume, de Razilly fait recruter dans la région paysans et artisans pour aller travailler dans la toute jeune colonie encore embryonnaire.
Plusieurs habitants de la région vont se décider à partir à l'aventure vers ce continent de tous les possibles. Il s'agit de quatre jeunes couples de laboureurs de Bourgueil, qui n'ont encore qu'un ou deux enfants, ainsi qu'une veuve et ses deux enfants. S'y ajoutent cinq laboureurs célibataires , et, venant de Chinon, un tonnelier, deux tailleurs d'habits, deux laboureurs et un savetier.
Après sa mésaventure au tribunal, on peut imaginer que Guillaume et sa femme n'ont pas hésité longtemps à aller se construire une nouvelle vie au-delà de l'océan, là où défricher ne serait plus interdit mais au contraire encouragé, et où les autorités seraient bien lointaines... Ils se joignent donc, avec leurs deux enfants d'environ 7 et 5 ans et un valet, au groupe qui descend la Loire début 1636 et rejoint un navire de 252 tonneaux, le St Jean, que Claude de RAZILLY (frère d'Isaac) a affrété pour le long voyage.
L'équipage est constitué essentiellement de matelots de la Rivière d'Auray, d'où vient également le capitaine, Pierre SAUVIC. Le navire fait d'abord voile vers Bayonne, où sont recrutés 8 charpentiers et un maître charpentier basques, ainsi que 3 matelots pour renforcer l'équipage.
Puis le Saint Jean remonte sur la Rochelle, où embarquent 4 saulniers plus un maître et sa femme "pour aller faire des marais en la Nouvelle France", ainsi que le reste des passagers : tout d'abord Nicolas Le Creux, lieutenant de de Razilly, avec sa femme, Anne Motin, ses beaux-frères et belle-soeur, une cousine, et une "fille de leur suite" (= servante?). Le Creux a également embauché des "hommes de travail" : divers laboureurs et un fendeur de bois de Dijon, un maître charpentier de moulin et deux autres charpentiers venus de Paris, 3 matelots supplémentaires, un charpentier de Saint-Malo, un maître cannonier de La Rochelle, un vigneron, un maître armurier et serrurier, un maître farinier, un maître jardinier... Embarquent également quelques autres, aux spécificités non détaillées.
Au total, ce sont donc 18 membres d'équipage et 78 passagers (dont 9 enfants) qui quittent La Rochelle le 1er avril 1636 pour le "Nouveau Monde", certains pour s'installer définitivement, d'autres juste pour remplir un engagement de quelques saisons...
Fin mai, après 2 mois de navigation, le Saint Jean jette enfin l'ancre devant la Hève, dans le sud de la péninsule acadienne. Les passagers apprennent alors qu'Isaac de Razilly est mort, et que Charles de Menou, sieur d'Aulnay, qui a pris la relève, souhaite transporter la colonie à Port Royal, sur la côte nord. En effet, à La Hève, les terres cultivables sont rares et pauvres, tandis qu'à Port Royal, les premiers défrichements effectués sont très prometteurs. Le navire va donc permettre de déménager la colonie.
Dès l'été, les gros travaux commencent : construction de 2 moulins (l'un à eau et l'autre à vent), de 5 pinasses, plusieurs chaloupes et 2 petits vaisseaux, 2 fermes, des habitations, granges, étables. On s'emploie à construire des digues et des marais salants... Nul doute que Guillaume a fort à faire à fabriquer les outils nécessaires outre ceux qui ont dû être apportés par le St Jean.
Lui qui, un an plus tôt, s'était fait sévèrement sanctionner pour avoir défriché deux arpents de forêt en France, doit se réjouir de voir ces étendues immenses d'arbres que l'on peut à loisir abattre pour construire bateaux, moulins et maisons...
Vu l'urgence de s'installer avant l'hiver, les premières maisons sont assez grossières, faites d'arbres non équarris, couvertes d'écorce de bouleau ou avec des roseaux. De l'argile mêlée de paille permet d'assurer l'étanchéité des murs. (Plus tard, la construction d'un moulin à scie permettra d'équarrir les arbres et de construire de façon plus raffinée.) Le bois permet également de fabriquer des meubles et de façonner bols, assiettes, cuillers... La forêt et ses ressources sont vitales pour la colonie naissante...
Comme il n'existe pas encore de chemins, les nouveaux colons creusent des embarcations dans des troncs d'arbre et se fabriquent des canots en écorce de bouleau, à l'instar des autochtones...
Il faut aussi rapidement labourer les terres défrichées et préparer les semences pour s'assurer l'autonomie l'année suivante... Bref, après des mois d'inaction depuis le départ de Bourgueuil, c'est l'effervescence dans la petite colonie...
Les années suivantes, tandis que les engagés peu à peu regagnent la France, les quelques familles venues s'installer définitivement s'enracinent dans le nouveau continent.
Vers 1643, Jeanne TRAHAN (ma sosa 4931), 14 ans, la fille de Guillaume venue de France sur le St Jean à l'âge d'environ 7 ans, épouse Jacob BOURGEOIS (S 4930), 22 ans, membre très actif de la colonie, arrivé en Acadie le 6 juillet 1641 sur le Saint-François en provenance de La Rochelle. Il est chirurgien, mais se fera aussi au fil du temps constructeur de navires, commerçant, interprète entre Français et Anglais, et cultivateur... Guillaume sera grand-père dès l'année suivante, et au total, le couple lui donnera 11 petits-enfants.
Le nom de Guillaume TRAHAN apparaît dans différents documents concernant l'histoire de Port Royal, et notamment le 16 août 1654, quand il signe la capitulation en tant que "syndic des habitants".
Françoise et lui n'ont apparemment pas d'autre enfant après leur arrivée en Acadie, mais Françoise est toujours en vie en 1649, puisque dans son testament, le 20 janvier 1649, Charles de Menou, gouverneur de l'Acadie, demande à sa femme de ne pas oublier la femme de Guillaume TRAHAN :
« … Je la suplye davoir soin de Laverdure de sa femme; elle noublira pas la femme Guillaume TRAHAN et le tout autant que nostre bon dieu luy donnera les moiens et des richesses»
En 1666, toutefois, Guillaume est devenu veuf, puisqu'il se remarie avec la jeune Madeleine, fille de Vincent BRUN et de Renée BREAU (ou BRAULT / BRODE), elle-même arrivée en Acadie à l'âge de 3 ans. Il est déjà âgé d'une soixantaine d'années, tandis que la jeune épousée n'a que 21 ans, un de moins que l'aînée des petits-enfants de Guillaume... Cette très grande différence d'âge ne les empêchera pas d'avoir 6 enfants, avant le décès de Guillaume vers 16845.
Guillaume aura donc vécu près de 50 ans en Acadie, entouré de ses chères forêts...
PS : j'ai choisi de centrer cet article sur mon ancêtre Guillaume TRAHAN (dont je descends trois fois, par ses deux épouses), mais la forêt n'était pas seulement une ressource en matériaux pour les Acadiens. Elle fut aussi pour eux à diverses occasions un refuge. Quand les Britanniques arrivaient par la mer pour faire des raids contre les Acadiens, allant dans certains cas jusqu'à tuer les bestiaux, détruire les récoltes et brûler les maisons, comme en septembre 1696 à Beaubassin, la population fuyait dans les bois, où les Anglais n'osaient pas pénétrer. Et plusieurs milliers d'Acadiens s'y cacheront à partir de 1755 pour fuir la déportation.
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Notes :
1 acte découvert par Jean Marie GERME. Par contre, son acte de naissance ne nous est pas parvenu, certains registres étant manquants au début du siècle à Montreuil Bellay. Il est sans doute né entre 1607 et 1609.
2 Si l'on a confirmation par leurs actes de mariage que les frères sont devenus adultes, je ne suis pas sûre du devenir des filles
3 cité par Geneviève Massignon dans sa thèse Les Parlers français d'Acadie - Sorbonne - 1962
4 29 mars1632 : traité de St Germain en Laye par lequel l'Angleterre rend la Nouvelle France dont elle s'était emparée en 1629
5 Madeleine, chargée de jeunes enfants à élever, se remariera très rapidement, avec Pierre BEZIER, dit La RIVIERE, et aura avec lui une petite fille, Suzanne (âgée de 5 mois lors du recensement de 1686). Ce second mari sera lui aussi nettement plus âgé qu'elle, puisqu'il décèdera en 1706, à l'âge annoncé de "90 ans"! même si cette estimation est sans doute excessive, il devait être pour le moins sexagénaire lors de son mariage avec Madeleine, tandis qu'elle avait tout juste la quarantaine.