Une des branches de ma famille était donc "acadienne". Mais qu'est-ce que ça voulait dire? et comment avait-elle atterri sur une petite île bretonne de 85 km² ?
Partie Orientale du Canada - Vincenzo Coronelli - Source gallica.bnf.fr
Quand j'ai questionné mon père sur ses souvenirs à ce sujet, il a commencé par me dire qu'enfant, il s'ennuyait lorsque sa grand-mère belliloise racontait les histoires du passé avec les autres vieilles du village, et que donc il n'écoutait pas... Tout juste a-t-il fini par grommeler qu'il avait entendu dire "qu'on venait du Canada"... Mais je n'ai rien pu en tirer de plus. Mon arrière-grand-mère et mon grand-père étant morts, la transmission familiale avait cessé. J'ai dû reconstituer l'histoire grâce aux archives puis à diverses lectures (difficile d'imaginer aujourd'hui ce que c'était , avant l'explosion d'internet, que de faire ce genre de recherches, qui s'opèrent aujourd'hui en deux clics).
Ne serait-ce que pouvoir situer géographiquement l'Acadie était une gageure. D'autant que l'Acadie en tant que telle n'existe plus depuis 3 siècles... Elle n'a d'ailleurs jamais constitué un pays. Il s'agissait d'une colonie de la Nouvelle France, au même titre que le Canada, la Louisiane... C'était une sorte de puzzle, de pointillé d'établissements le long des côtes de ce qui allait devenir définitivement la Nouvelle Écosse lors du traité d'Utrecht de 1713, et du futur Nouveau Brunswick.
Carte de l'Acadie - 1702 - Source gallica.bnf.fr
D'ailleurs, à l'époque où ils vivaient en Acadie, ses habitants ne se définissaient pas comme "Acadiens", mais comme "Français", ou "sujets du roi de France", puis , à partir de 1713, après la perte définitive de l'Acadie originelle par la France au profit de la Grande Bretagne, comme "Français neutres"... C'est paradoxalement au moment même où il durent quitter l'Acadie géographique, à partir de 1755, qu'ils furent définis officiellement comme "Acadiens" (souvent écrit "Accadiens"), constituant un groupe devenu différent des Français par ses particularités.
Le berceau historique de l'Acadie (celui qui concerne mes ancêtres) se situe sur la côte est du Canada, car non, ce n'est pas le Québec qui borde l'Atlantique mais les "Provinces Maritimes" - Nouveau Brunswick, Nouvelle Ecosse et Ile du Prince Edouard .
Après de probables incursions normandes dès le XI° siècle, puis la venue de l'explorateur vénitien Jean CABOT en 1497, la région de l'actuelle Nouvelle Ecosse (Nova Scotia en anglais) fut explorée en 1604/1605 par Pierre DUGUA de MONS, accompagné de Jean de POUTRINCOURT et de Samuel de CHAMPLAIN (géographe et cartographe de l'expédition). Ainsi furent nommés La Hève, le cap Nègre, la baie Sainte-Marie, le cap Sable, la baie Française, Port-Royal, le fleuve Saint-Jean, la rivière Sainte-Croix, etc, et commença le peuplement de l'Acadie par les Européens.
Port de La Heve - Illustrations des Voyages de Champlain. 1613. Source gallica.bnf.fr
Peuplement d'abord sporadique : les Français installèrent quelques postes à divers endroits de la côte, avec des succès limités, dus notamment aux difficultés d'adaptation au climat, aux luttes intestines franco-françaises, et aux fréquentes attaques anglaises.
La colonisation commença à s'organiser en 1632, quand le gouverneur Isaac de Razilly amèna les premières familles françaises en Acadie. Toutefois, tandis que les Britanniques organisaient une colonisation à grande échelle du sous continent, la France n'envoya finalement que peu de colons (815 en tout selon certains comptages) au cours du XVII° siècle (essentiellement de 1632 à 1670), puis plus du tout à partir de 1713.
Ceci explique qu'en peu de générations, les Acadiens de Nouvelle Ecosse furent tous liés par des liens de parenté et manifestèrent une forte solidarité lors des épreuves qui allaient les frapper. Mais également que la disproportion démographique entre les deux peuplements et l'abandon de fait par la France de sa colonie ne pouvaient qu'aboutir à un désastre pour l'Acadie.
Le ver était dans le fruit dès l'origine : de 1604 à 1713, le berceau de l'Acadie changea 9 fois d'allégeance. Car l'Acadie voyait ses frontières constamment contestées, et, immédiatement devenue un enjeu du séculaire conflit franco-britannique, se trouvait ballotée d'un camp à l'autre au gré des traités de (pseudo) paix. J'ignorais, quand au lycée j'entendais parler avec un certain ennui des traités de Saint-Germain-en-Laye (1632), de Breda (1667), de Ryswick (1697) ou d'Utrecht (1713), que mes propres ancêtres en avaient vu chaque fois leur quotidien bouleversé...