Jacques Cartier n'était pas le premier européen à fréquenter le Saint-Laurent mais il savait en dire les beautés, il savait aussi le surnommer: "le fleuve qui marche" , disait-il. On lui doit aussi le mot "Canada" .
Mais l'Amérique française, c'est bien davantage que le Canada de Cartier.
Il y a aussi, en Atlantique Nord, des îles, Terre Neuve, Saint Pierre et Miquelon et l'Acadie. Et au Sud, la Louisiane, à entendre comme un gigantesque espace entre Grands Lacs et golfe du Mexique, Appalaches et Rocheuses. Jacques Cartier n'a peut-être pas découvert le Canada mais les Français ont arpenté le Grand Ouest avant les cow-boys.
La Nouvelle France, s'émerveillait Bougainville, au milieu du XVIIIe, peu avant sa fin, c'était bien plus de territoire qu'il n'y en avait en Europe. ...
Cliquer sur le lien pour écouter l'émission.
Déclarations de généalogie des familles Acadiennes établies à Belle-Ile-enMer en 1767, relevées par l'association Racines et rameaux français d'Acadie aux archives Départementales du Morbihan.
Nous venons tous, plus ou moins, d’une lignée d’océan, de mer et d’eaux vives. Notre collaboratrice Monique Durand nous présente cet été une série d’articles où se mêlent petite et grande histoire dans les vents de l’Atlantique. Trajectoires de femmes et d’hommes qui nous ont précédés, illustres inconnus pour la plupart, creusant jusqu’à nous leur sillon dans la chair du temps.
Ils arrivaient enfin quelque part. Sur ce petit fragment de France détaché de la Bretagne appelé Belle-Île-en-Mer. Après des années d’errance, ils abordaient une nouvelle vie sur la grève de Palais, porte d’entrée de Belle-Île. Ils pouvaient enfin poser leurs enfants et leurs bagages.
Au cours des années qui suivirent le Grand Dérangement de 1755, des milliers d’Acadiens furent dispersés dans les ports anglais et français. Ils furent nombreux aussi à croupir dans les prisons britanniques — Southampton, Bristol, Liverpool — jusqu’à la signature du Traité de Paris, en février 1763. Par ce traité, la France cédait à l’Angleterre, entre autres, toutes ses possessions du Canada, sauf Saint-Pierre-et-Miquelon, et lui rendait Minorque en échange de Belle-Île-en-Mer, que les Anglais occupaient depuis deux ans. L’île bretonne, à 15 kilomètres au large de Quiberon, était convoitée pour son climat tempéré, l’abondance de ses ressources en eau douce et sa position hautement stratégique, au carrefour des routes maritimes qui allaient de la Manche jusqu’à l’Espagne.
Rien ne prédestinait l’Acadie et Belle-Île-en-Mer à voir leurs destins liés. Après le Traité de Paris, Louis XV négocie le rapatriement des Acadiens prisonniers en Angleterre, « ces Français fidèles à leur roi et à leur religion », écrit feu Jean-Marie Fonteneau, spécialiste de Belle-Île. Puis il lance une sorte d’appel d’offres auprès de tous les intendants de France : 3 500 Acadiens se trouvent à la disposition de ceux qui pourraient les accueillir et leur fournir des terres.
Plus de vingt offres d’accueil furent proposées et c’est Belle-Île-en-Mer qui remporta la mise. Pillée et dévastée par les occupants anglais, elle avait besoin de main-d’oeuvre pour la remettre sur pied et cultiver les terres abandonnées. C’est ainsi que 78 familles, des Leblanc, des Granger, des Thomas, des Mélanson, au total 363 Acadiens, dont 211 enfants, s’établirent sur l’île perdue dans l’Atlantique, après que trois de leurs représentants s’y soient rendus pour examiner les lieux.
Formidable citadelle
Il y eut d’abord de longs mois d’attente à Morlaix et à Saint-Malo, le temps de régler les modalités d’installation et l’épineux problème de la distribution des terres. Ils arrivèrent enfin, en quatre groupes, à l’automne 1765. Le dernier groupe toucha terre à Belle-Île le 30 octobre par une retentissante tempête sur la mer. Ballottés dans l’écume, à travers la pluie et le grain, les exilés virent bientôt apparaître la formidable citadelle de Vauban qui, des siècles après sa construction, mange encore tout entier le paysage quand les voyageurs d’aujourd’hui arrivent sur l’île. Peut-être les Acadiens furent-ils un tant soit peu rassurés d’imaginer leur nouvelle vie sous la protection d’une telle forteresse ?
Mais tout n’était pas gagné. Il leur faudrait encore affronter les natifs de Belle-Île, qui allaient leur tenir rigueur de ce que le Roi de France les prenait sous son aile et leur fournissait animaux, instruments aratoires et solde. Un boeuf, un cheval, une charrette et trois faucilles furent distribués à chaque famille. Quelques Bellilois « de souche » seront même déplacés pour céder des terres aux Acadiens. En plus, ces derniers parlaient français, alors que les Bellilois, eux, parlaient breton. L’accueil réservé aux émigrés fut pour le moins mitigé.
Les familles acadiennes avaient demandé d’être regroupées dans un seul village. Elles voulaient enfin pouvoir se serrer les unes contre les autres, dans une proximité qu’elles n’avaient plus connue depuis de longues années. Mais ce fut peine perdue. Leurs terres seront réparties entre une quarantaine de villages « afin que tous les habitants ne fassent qu’un seul esprit et qu’un même peuple », écrit le gouverneur de l’île, le baron de Warren. Ces « honnêtes gens », les qualifia-t-il, acceptèrent de bon gré. Tout était mieux que l’errance et la prison.
Ils travaillèrent comme des forcenés, de l’aurore jusqu’à la nuit, pour construire leurs maisons et cultiver les terres souvent les plus ingrates de l’île. Plusieurs demeures qu’ils ont construites existent toujours à Belle-Île-en-Mer. On peut voir, apposée sur certaines d’entre elles, un petit écriteau marqué « 1766 », ces quatre chiffres, plus évocateurs et plus émouvants que n’importe quelle autre trace de leur installation sur l’île.
Les nouveaux venus s’engageaient à rester à Belle-Île au moins dix ans, jusqu’au 1er janvier 1776. Après cette décennie belliloise, plusieurs remirent le cap sur l’Amérique et tout particulièrement sur la Louisiane. Mais certains firent souche sur une île qui était un peu devenue la leur. Ils avaient été reconnus propriétaires de leur parcelle et avaient acquis un état civil français.
Un territoire profondément acadien
Aujourd’hui encore, Belle-Île-en-Mer respire littéralement l’Acadie. Et quand on aborde ce paradis aux paysages contrastés de landes rases et de falaises, un long et lent parfum d’histoire monte jusqu’à vous. Il y a le « Quai de l’Acadie », où les traversiers venus du continent déversent touristes, villégiateurs et gens du cru. Il y a les maisons, les villages qui portent le sceau des Acadiens. Des monuments, des croix de chemin à leur mémoire. Des échanges, des colloques. Mais là où l’Acadie est la plus présente, c’est au fond des êtres. Le tiers des 5 000 habitants de Belle-Île serait d’origine acadienne. Christine Thomas, serveuse au restaurant L’Odyssée, s’anime quand elle parle de ses racines acadiennes en servant l’agneau et les Saint-Jacques de Belle-Île aux clients attablés. Danielle Blancaneaux, née Mélanson, retraitée de l’enseignement, raconte, encore émue, cette procession du 28 juillet 2005 pour marquer le 250e anniversaire de la Déportation de 1755. À 17 h 55 précises retentirent les cloches de Bangor, le village où s’étaient établis les Granger. Hommes, femmes et enfants entonnèrent l’Ave Maris Stella, au milieu des vallons dorés cheminant vers la mer.
Maryvonne Le Gac est propriétaire d’une mercerie à Palais, À la Providence, sise dans une maison construite entre 1650 et 1700. « Avant l’arrivée des Acadiens », dit-elle. Maryvonne a fait de la perpétuation des racines acadiennes de Belle-Île le centre de sa vie. Elle passe des heures à rassembler des souvenirs, créer des contacts, organiser anniversaires et commémorations. « Ce qu’il y a d’acadien en moi ? » Elle fait une pause. « D’abord la simplicité des rapports avec les autres, des rapports sans filtres, sans couches de vernis. » Comme si ces rapports échappaient aux codes sociaux, si puissants en France. « C’est en nous », souffle-t-elle.
Le poissonnier de Palais, Herlé Lanco, né Granger par sa mère, se souvient d’une vieille amie de la famille qui portait encore des robes acadiennes. Il se souvient aussi qu’il ne faisait pas bon se dire Acadien en ces temps-là.
« Quand j’étais gamin, les gens étaient discrets sur le sujet. Aujourd’hui, on a enfin le droit d’en parler. » Mû par une sorte d’appel, il est allé en voyage de noces à Richibouctou, au Nouveau-Brunswick. « Le principal, résume-t-il, c’est de savoir qu’on vient de là. »
Mais certains jours de vague à l’âme, assis devant la mer, Herlé voudrait prendre le large. « Quand ça ne va pas, c’est à l’Acadie que je pense, c’est là-bas que j’aurais envie d’être. » Puis, comme un cri du coeur, il lâche en plaisantant : « Si y avait pas eu ces putains d’Anglais ! »
Dans la « vraie » vie, elle se nomme Irène Belley. Chaque année, à la belle saison, vêtue d’un fichu et d’une blouse à fleurs vieillotte, elle devient Dorine, une quinquagénaire à la langue bien pendue qui raconte aux visiteurs du « village de la Sagouine », à Bouctouche, la douloureuse saga des Acadiens.
Les Acadiens ? Des Français qui, venus du Poitou et d’Anjou, ont fait souche et prospéré, à partir de 1604, avec l’aide des Indiens micmacs, d’abord sur l’île sainte-Croix puis dans tout l’est de l’actuel Canada, sur le territoire de la province aujourd’hui nommée Nouveau-Brunswick, entre la baie de Fundy et la baie des chaleurs, près de Caraquet. Las, insiste Dorine, en 1713, par le traité d’Utrecht, Louis XIV cède aux Anglais une partie des territoires « français » sur lesquels vivent les Acadiens.
En 1755, les Anglais, qui se préparent à une nouvelle guerre contre la France, imposent aux 13 000 Acadiens un serment d’allégeance à la couronne britannique, avec l’éventualité de devoir prendre les armes contre la France. Devant leur refus massif, ils sont déportés dans les colonies anglaises (les futurs États-Unis). Quelques décennies plus tard, ceux qui ne sont pas morts de maladie ou de faim au cours de ce « grand dérangement » (c’est le terme consacré) seront autorisés à revenir sur leur territoire d’origine désormais exclusivement dominé par l’anglais et les Anglais.
Village de la Sagouine./Paula Boyer
Village de la Sagouine. / Paula Boyer
« Ce qui nous a sauvés, insiste Dorine, c’est la pomme de terre et notre joie de vivre ». Cette joie de vivre, le « village de la Sagouine », avec ses maisons en bois, son phare, son poste de douane, son pont d’accès en zigzag, ses personnages hauts en couleur, la cultive avec moult spectacles et concerts de groupes acadiens comme celui du violoneux Abel Cormier. Dans ce village, on fait un saut dans les années 1940-1950.
C’est aussi un voyage dans le temps que propose, près de Caraquet, le « village historique acadien » avec ses 40 maisons anciennes venant des quatre coins de la province. La plus récente est de 1949, la plus ancienne remonte à 1770, date à laquelle un certain Jean Martin est revenu de déportation. Des « interprètes » en costume d’époque y racontent l’histoire des Acadiens, leurs coutumes ancestrales et leurs métiers traditionnels.
En déambulant de maison en maison, on acquiert néanmoins la conviction que langue et culture acadiennes sont bien vivantes. Il a pourtant fallu deux siècles pour que le bilinguisme s’impose au Nouveau-Brunswick et qu’il y ait des lycées et une université francophones. Dorine reprend : « Nous le devons à Louis J. Robichaud, premier Acadien devenu premier ministre en 1960. Lui avait dû aller au Québec pour étudier le droit. » Elle insiste : « avec ses écoles et ses hôpitaux, l’Église catholique romaine nous a également beaucoup aidés. Et puis il y a eu Antonine Maillet. »
Prix Goncourt 1979, cette écrivaine rendue célèbre par La Sagouine et Pélagie-la-charrette a largement contribué à rendre aux Acadiens leur fierté et à renouer avec le fil de leur histoire. « Nos ancêtres ont été déportés car ils voulaient garder notre langue, notre culture, notre religion catholique. Pour que nos petits-enfants continuent à parler français, il faut nous battre. Quand je vais dans les écoles, je dis aux jeunes : “arrêtez de swicher l’english”, insiste Dorine.
Aujourd’hui, un tiers des habitants du Nouveau-Brunswick sont francophones. Mais, ils ont un parler bien à eux : ils ne mangent pas des toasts mais des « roties », ils « amarrent » les lacets de leurs chaussures, « embarquent dans un char » (une voiture), prennent une « assurance mourant » (assurance vie), boivent des verres de « tchekafaire » (quelque chose) et ainsi de suite.
Bleu blanc rouge avec une étoile jaune, le drapeau de la province s’affiche partout, y compris sur la façade peinte des maisons, des phares ou sur des boîtes aux lettres. Cela renforce le charme d’une escapade sur ces rivages et dans ces bourgs aux maisons colorées en bois sagement alignées, qui respirent tranquillité et prospérité.
C’est un pays attachant de forêts, de marais salés et de dunes, de tourbières (rouge vif à l’automne, leur spectacle est éblouissant), d’estuaires, de lagunes abritées, d’eau douce et salée. La mer n’est jamais très loin et dans la baie de Fundy, les marées peuvent atteindre 14 mètres : elles dévoilent, lorsque l’eau se retire à Hopewell, le pied d’étranges rochers surnommés « pots de fleurs » : creusés par les flots à la base, leur tête est couverte de végétation. La pêche est un sport national qu’il s’agisse de celle au bar rayé pratiquée, à la ligne, par les amateurs sur les plages, ou celle au homard qui mobilise les professionnels à Shédiac notamment.
Comme la « tarte au sucre » et la « poutine » (frites couvertes de fromage et de sauce), ce crustacé, vendu à prix modéré, se trouve sur toutes les tables de cette province qui a fait du « homard bleu », pourtant excessivement rare, son emblème touristique. En autres curiosités aquatiques, le centre marin de Shippagan en possède quelques exemplaires d’un étonnant bleu vif tandis que Shédiac se vante de posséder le plus gros du monde, installé au milieu d’un carrefour : cette sculpture orangée en béton, longue de 11 mètres, large de 5, pèse 90 tonnes ! Les touristes adorent grimper dessus et s’y photographier.
Dans ce port propret, Ron Cormier, un ancien pêcheur reconverti dans le tourisme, propose des « croisières homard ». Pendant la virée dans la baie, il sert avec humour force explications sur ce crustacé, sa pêche (taille minimum à respecter, etc.) et sa cuisson. Pour finir, on déguste à bord un homard cuit juste ce qu’il faut, avec une salade de chou.
Dans ce Nouveau – Brunswick, moins connu que le Québec – et c’est bien dommage –, les amateurs de nature sauvage seront comblés. Ils n’auront que l’embarras du choix : marcher sur les sentiers autour de la baie de Fundy ; observer, à Saint Andrews, des baleines, des phoques, des aigles chauves au cours d’une sortie en zodiac ; guetter du haut d’un tour en bois des ours noir en liberté à Acadieville, chez Richard Gauguin, un conducteur de bus qui, l’été, a tissé au fil des ans une étrange relation avec ces plantigrades dans un coin de forêt qui lui appartient ; découvrir des sternes dans les dunes du parc national de Kouchibouguac ou des balbuzards pêcheurs près de Caraquet ; admirer les étonnantes peintures couleur bonbon vif de l’église Sainte-Cécile de Petite Rivière ; ou encore se passionner pour les étonnantes fleurs carnivores dans les tourbières de l’île de Miscou.
Les plus courageux grimperont au sommet du phare construit au XIXe siècle sur la pointe Birch pour éviter les nombreux naufrages : de là-haut, la vue est éblouissante sur la mer, la côte et les tourbières. Partout, l’accueil des cousins acadiens sera chaleureux. Alors, n’hésitez plus, faites vos valises, pardon, « paquetez vos hardes ! ».
CyberAcadie - Un site Web sur l'histoire des Acadiens et de l'Acadie