Une majeure partie de l'Amérique du Nord aurait pu être divisée en départements français, le pétrole couler à flots après l'acquisition du Texas, le français être la langue la plus parlée au monde... Mais rien de tout cela ne s'est produit. On n'a, à vrai dire, pas laissé l'occasion à cette histoire de s'écrire. Car en 1803, la France a décidé de vendre à la jeune nation des États-Unis la Louisiane. Une vente historique qui a changé le cours de l'histoire.
Si vous tapez «Louisiane» sur Google, vous vous direz sûrement que ce petit État du sud-est des États-Unis ne représente finalement que peu de chose. Détrompez-vous! En réalité, cette terre française de l'époque ne ressemblait en rien à la Louisiane d'aujourd'hui: elle s'étendait du Canada au golfe du Mexique, avec une superficie équivalente à un tiers des États-Unis actuels (et comprenant dix-huit États!). Pourquoi alors a-t-on cédé pareil immense territoire?
Revenons quelque temps en arrière. Au milieu du XVIIe siècle, de grandes expéditions sont menées pour découvrir le monde, dont celle de René-Robert Cavelier de La Salle, un Français parti du Canada à la recherche d'un passage vers le Pacifique, en navigant sur le Mississippi. Évidemment, il fait fausse route. Mais au bout d'un long voyage de plus de 3.000 kilomètres, René-Robert Cavelier de La Salle tombe malgré tout sur la mer (dans l'actuel golfe du Mexique). Il encloue alors les armes de Louis XIV sur un chêne et s'exclame «Je te nomme Louisiane!». Les vastes terres passent sous l'étendard français.
Tout heureux de sa conquête, qui fait alors trois fois la taille de la France, le Français s'empresse évidemment d'en informer Versailles. Mais, contre tout attente, le roi n'en a vraiment rien à faire. Une nouvelle expédition sera quand même lancée dans le coin, sans grande conviction. De toute façon, elle se terminera dans un bain de sang et René-Robert Cavelier de La Salle se fera même assassiner par ses propres hommes.
Les colons qui daignent s'installer sur ces terres marécageuses découvrent les joies des moustiques et de la fièvre jaune.
Quoi qu'il en soit, la Louisiane est désormais française. Mais là encore, tout le monde s'en fout royalement. Les terres sont laissées à l'abandon. Des Anglais aiment s'y balader. En 1699, la donne change quelque peu: Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville, à la tête d'une nouvelle expédition française, remonte le Mississippi et fonde La Nouvelle-Orléans –en hommage au duc d'Orléans. Une colonie qui doit permettre de rapporter gros, car on espère y trouver rapidement des richesses minières.
C'est un fiasco. À la place, les colons qui daignent s'installer sur ces terres marécageuses découvrent les joies des moustiques et de la fièvre jaune. Louis XV en a ras la perruque de cette terre qui lui coûte plus qu'elle ne rapporte: il décide d'en céder le monopole d'exploitation à un financier écossais, John Law. Mais même à coup de renforts publicitaires, la région a toutes les peines du monde à attirer les foules et ses plantations de coton ne comblent toujours pas les coûts.
C'en est assez de cette terre inutile, véritable gouffre financier! Le 3 novembre 1762, Louis «le Bien-Aimé» la refourgue à son cousin d'Espagne. Bon débarras! Du moins, pour un temps. À peine arrivé sur son nouveau territoire, le gouverneur espagnol décide de remplacer l'importation des vins de Bordeaux par celle du vin d'Espagne. Une hérésie pour les Louisianais, fortement attachés à leur culture française et, plus particulièrement, à son pinard légendaire.
Comme ils savent si bien le faire, les Louisianais français fomentent une révolution. En deux temps trois mouvements, les Espagnols se retrouvent sur le carreau. Là encore, ça ne durera pas. Alors que le roi de France refuse d'intégrer à nouveau cette maudite colonie dans son giron, une république indépendante est créée, avant d'être détruite dans le sang par des Espagnols revanchards. La Louisiane tombe –elle en a l'habitude désormais– dans l'oubli. Jusqu'à ce que débarque sur le devant de la scène un drôle de petit bonhomme: Napoléon Bonaparte.
Pour quelques dollars de plus
Guerre d'indépendance, fondation des États-Unis d'Amérique, Révolution française... La période est aux bouleversements historiques. Et une fois arrivé au pouvoir, Napoléon Bonaparte va en remettre une couche.
Ce dernier ne comprend pas pourquoi la France a offert la Louisiane, ce territoire immense et au potentiel encore inexploité, aux Espagnols. C'est décidé, il veut la récupérer! En 1800, il conclut un accord secret avec le pays ibérique, le traité de San Ildefonso. L'Espagne rend la Louisiane (une rétrocession qui n'interviendra officiellement qu'en 1803), en échange de territoires en Italie.
Rapidement pourtant, Napoléon déchante, comme tous ses prédécesseurs, face à la complexité de la gestion de ces terres. Alors qu'il se prépare à lancer ses guerres, il se rend compte qu'il ne pourra tenir plusieurs fronts, en Amérique et en Europe. D'autant que les Anglais et les Américains ont eu vent du traité secret. Ce sont ces derniers qui se montrent les plus actifs pour récupérer la région et le président Thomas Jefferson s'empresse de lancer les négociations avec Bonaparte pour la racheter.
L'enjeu est multiple. Pour la jeune nation américaine, intégrer la Louisiane permettrait de doubler son territoire, tout en évitant que les Français ne s'emparent des bouches du Mississippi et donc n'en contrôlent le commerce. Pour la France, l'idée de vendre ce territoire condamné d'avance pour Napoléon n'est pas dénuée de sens stratégique. En plus d'éviter que cette terre ne tombe dans les mains des Anglais, cette vente pourrait renforcer les Américains, que Napoléon érige en futurs rivaux de l'Empire britannique. Un deal devient sérieusement envisageable.
Reste à définir les termes du traité. Autrement dit, à parler gros sous. L'affaire ne prend que très peu de temps pour être conclue: Napoléon accepte sans broncher ce que lui proposent James Monroe, émissaire dépêché à Paris, et Robert Livingstone, ambassadeur des États-Unis. Le montant? Un total de 15 millions de dollars, soit l'équivalent de 393 millions d'euros aujourd'hui. Le 30 novembre 1803, l'Espagne rétrocède officiellement la Louisiane à la France. Le 20 décembre, la France vend la Louisiane aux États-Unis.
Avec le recul, on peut facilement se dire que c'est le plus grand hold-up, le plus grand coup foncier de l'histoire. Imaginez: au total, l'achat de la Louisiane n'aura coûté aux États-Unis que 9,5 cents par hectare de terrain! Mais il est facile de dire, des siècles plus tard, ce qu'il aurait été bon de faire. D'autant que l'argent de la vente aura grandement servi Napoléon dans ses conquêtes éclairs en Europe, qui participeront à la grandeur du pays. Pas si inutiles que ça, ces terres perdues d'Amérique.
Prétendue révolution, le RGPD n’est en réalité que l’expression plus aboutie d’une vision philosophique ancienne, tendant à rapprocher donnée, vie privée et personne humaine.
Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) est entré en application en mai dernier, et avec lui son lot de provisions supposées renforcer la protection des données à caractère personnel. Prétendue révolution, ce texte n’est en réalité que l’expression plus aboutie d’une vision philosophique ancienne, tendant à rapprocher donnée, vie privée et personne humaine et s’opposant à une vision plus mercantile de la donnée, adoptée outre-Atlantique.
En développant massivement les services numériques, nos sociétés ont profondément transformé la notion de vie privée: consciemment ou non, chaque individu partage des informations plus nombreuses et plus diverses le concernant, faisant d’éléments ordinairement privés, des données connues par d’autres individus, des entreprises ou des administrations.
Parmi ces données comptent, de manière très immédiate et par exemple, les données de localisation collectées notamment par les smartphones et les diverses applications qui y sont installées, les données biométriques collectées à la demande d’édition d’un passeport ou encore les préférences alimentaires via les cartes de fidélité utilisées par les grands acteurs de la distribution.
En outre, la modification de la notion de vie privée est d’autant plus grande lorsque l’entité collectant initialement des informations sur un utilisateur, les recoupe, déduisant ainsi de nouvelles données, notamment par l’utilisation d’algorithmes.
Dans les deux cas, en face des possibilités offertes par la technologie, existent des risques pour les personnes concernées en cas de fuite de données comme le prouvent les nombreux scandales passés (Target, Ashley Madison, etc.) ou lors de la prise de décisions basées sur des données erronées. Dès lors, il appartient à chaque société, notamment par le droit, de contrôler les opérations portant sur des données à caractère personnel.
De l’anthropocentrisme aristotélicien à l’idée kantienne de respect de la personne, les philosophes européens ont longtemps considéré que toute chose de nature ontologique méritait une protection des plus absolues. Cette approche fondamentaliste, embrassant les droits humains, se retrouve par exemple en droit français dans le concept d’indisponibilité du corps humain, lui-même à l’origine de l’interdiction de vente d’organes, ou de la pratique des mères porteuses.
Le philosophe italien Luciano Floridi (Information: a very short introduction, 2010) crée à ce titre un parallèle éloquent entre la donnée et le corps humain en expliquant que la «quatrième révolution» (celle de l’informatique, en référence à Alan Turing) et la circulation accrue de données qui y est associée ont transformé la vie humaine à tel point que la donnée devrait être vue comme une extension de la personne humaine.
Ainsi, la marque de possession de la donnée à caractère personnel («mes données») se rapprocherait davantage du lien entre l’individu et son corps («mon bras») que de la marque de possession d’un objet («ma voiture»).
Droit à l’autodétermination informationnelle
En considérant la donnée comme une véritable émanation de la personne, celle-ci devient digne d’une protection très élevée. La volonté de protéger les données à caractère personnel est ainsi bien antérieure au RGPD en Europe, les premières législations relatives aux données à caractère personnel datant de 1970 (Land de Hesse, Allemagne), 1976 (Suède) et 1978 (France).
En Allemagne, la protection des données à caractère personnel revêt, en outre, un caractère constitutionnel depuis qu’en 1983 la Cour constitutionnelle a déduit de la Constitution fédérale un principe de droit à l’autodétermination informationnelle.
Ce principe dépasse la conception minimaliste de la vie privée («le droit d’être laissé tranquille») pour correspondre davantage à une protection large de la sphère privée et à la capacité de l’individu à participer de manière indépendante à la vie politique et sociale, comme l’expliquent Gerrit Hornung et Christoph Schnabel («Computer law and security report», 2009).
"Un renforcement progressif au sein de l’UE
L’Union européenne est également intervenue sur le sujet de la protection des données à caractère personnel avant le RGPD par l’adoption de la Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, créant un cadre général relatif à la protection des données à caractère personnel ainsi que par l’inclusion, dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, d’un article 8 relatif à la protection des données à caractère personnel.
Sans constituer une révolution, le RGPD vient toutefois renforcer sensiblement la protection des données à caractère personnel, en ligne avec l’idéologie fondamentaliste présente en Europe.
À titre d’exemple, le Règlement a une portée plus large territorialement puisqu’il s’applique à des contrôleurs de données situés en dehors de l’Union européenne. Substantiellement également, il accorde davantage de droits aux personnes concernées et prévoit notamment des sanctions plus fortes en cas de non-respect.
Aux États-Unis: laissez-faire, laissez-passer
À l’opposé de la vision sacrée de la vie privée et de la considération quasi corporelle de la donnée, existe une vision plus matérielle de cette dernière, dérivée d’une vision plus mercantile de la vie privée.
Dans An economic theory of privacy (1978), Richard Posner dépeint la notion de privacy comme nocive pour le marché en ce qu’elle prive d’informations les agents dans leurs prises de décisions. Dès lors, il n’apparaîtrait pas justifié d’accorder une protection particulièrement élevée aux données mais plutôt d’en autoriser la libre aliénabilité, notamment en créant un droit de propriété de l’individu sur ses données comme le défendait récemment le think tank Génération libre.
La structure américaine s’inspire de cette logique mercantile et est ainsi moins contraignante pour les entreprises désireuses de collecter et traiter des données à caractère personnel. Elle s’oppose au choix européen d’un régime protecteur de l’individu, destiné à sécuriser sa confiance en l’économie numérique.
Au contraire d’une intervention publique forte comme l’est le RGPD, les premières initiatives de régulation aux États-Unis sont l’œuvre des acteurs privés ayant produit des codes de bonne conduite (voir notamment les guidelines de la Direct Marketing Association).
La liberté laissée aux grands acteurs du secteur symbolise parfaitement l’approche libérale choisie par le législateur américain, suivant la doctrine libérale du «laissez-faire, laissez passer» élaborée par Vincent de Gournay au XVIIIe siècle. Cette expression, symbole de la confiance en la capacité autorégulatrice du marché, explique alors la structure parcellaire du droit américain de la protection des données à caractère personnel.
Ce seul exemple de la structure du droit suffit à mettre en lumière les différences juridiques résultant des différences philosophiques dont font l’objet États-Unis et Union européenne. En effet, aucun texte général relatif à la protection des données à caractère personnel n’existe aux États-Unis et le législateur n’est intervenu que sporadiquement sur des points particulièrement sensibles (la protection des jeunes enfants avec le Children Online Privacy Protection Act, 1998) ou pour certains secteurs comme les télécommunications (1996) et la finance (1970, 1999).
Jacques Cartier n'était pas le premier européen à fréquenter le Saint-Laurent mais il savait en dire les beautés, il savait aussi le surnommer: "le fleuve qui marche" , disait-il. On lui doit aussi le mot "Canada" .
Mais l'Amérique française, c'est bien davantage que le Canada de Cartier.
Il y a aussi, en Atlantique Nord, des îles, Terre Neuve, Saint Pierre et Miquelon et l'Acadie. Et au Sud, la Louisiane, à entendre comme un gigantesque espace entre Grands Lacs et golfe du Mexique, Appalaches et Rocheuses. Jacques Cartier n'a peut-être pas découvert le Canada mais les Français ont arpenté le Grand Ouest avant les cow-boys.
La Nouvelle France, s'émerveillait Bougainville, au milieu du XVIIIe, peu avant sa fin, c'était bien plus de territoire qu'il n'y en avait en Europe. ...
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