NOUVELLES TECHNOLOGIES - ”Ça, c’est l’avenir [...] gros, gros danger.” Face à un assistant vocal, Alain Damasio fait de la prospective, et le tableau n’est pas des plus joyeux. Ceux qui connaissent les oeuvres de l’écrivain savent que l’auteur des Furtifs entretient un rapport complexe avec la technologie. Dans la vidéo en tête de cet article, nous l’avons confronté à différents objets du quotidien, devenus pour certains essentiels dans la vie de tous les jours.
Du smartphone, dont il a jusqu’ici réussi à se passer (“je ne supportais pas l’idée d’être géolocalisé en permanence”), jusqu’au casque de réalité virtuelle qu’il juge “absolument pas abouti”, Alain Damasio n’est pas vraiment émerveillé par le monde des nouvelles technologies. Sans pour autant les rejeter toutes, l’écrivain les évalue à l’aune des valeurs qui traversent ses écrits: celle de “l’empuissantement” individuel en particulier.
Pouvoir contre puissance
Certes, explique-t-il, ces inventions qui ont changé notre manière de nous déplacer, de communiquer ou de nous informer, ont souvent permis d’externaliser des actions, de les confier à la machine, donnant aux humains du “pouvoir supplémentaire”. Mais cette délégation a un coût élevé: “En faisant ça, on perd en puissance. On perd en capacité de faire, nous, directement.” À l’image du GPS qui, en nous permettant de nous déplacer plus facilement, nous donne du pouvoir, mais nous fait perdre, à l’usage, la puissance de nous repérer par nous-mêmes.
“C’est un problème philosophique et psychologique” auquel nous confrontent ces innovations, séduisantes et souvent pratiques, à l’image des assistants personnels, dans lesquels Damasio voit une forme encore inaboutie du futur de la relation homme-machine. “On revient à l’interface ultime pour l’être humain, qui est le langage”, donnant une facilité d’accès à l’intelligence artificielle encore jamais vue. “C’est la convergence de tout sur une seule interface, le rêve des GAFA” prévient-il, construisant un futur où la technologie nous enferme.
À l’arrivée, “une espèce d’alter ego digital, de jumeau digital, sur lequel on va projeter [...] nos fantasmes, nos envies, nos besoins...”. Esclave docile et taillé sur mesure par nos données personnelles, l’assistance sera devenue indispensable, et modifiera notre rapport au monde. “On aura du mal à comprendre que notre copine, que notre père...ne sache pas tout sur nous, et tout sur ce dont on a besoin, comme le sait l’IA”.
Le salut par le bricolage
À ce tableau sombre, Damasio oppose pourtant certains objets qui permettent, eux, “l’empuissantement”, et non seulement le pouvoir. Il a bien sûr l’ordinateur portable, compagnon inestimable d’un écrivain qui rature, reprend, réorganise ses textes en permanence. Mais d’autres outils ont droit à son indulgence, comme le Rapsberry Pi, bien connu des technophiles tendance bricolage.
Il faut dire que le petit ordinateur entièrement programmable correspond tout à fait à la philosophie développée par l’écrivain: “Il faut redonner aux gens la puissance sur l’outil, de le bricoler, de se le réapproprier [...] de redevenir autonome”. Une approche qui oppose machines “ouvertes” et “fermées”, où l’homme ne peut intervenir qu’en surface, sans en changer le fonctionnement. “Si tu m’avais montré une tablette, j’aurais hurlé. Je ne supporte pas les tablettes, notamment les tablettes Apple”. On l’a échappé belle.