Créé dans un idéal d’échange libre et gratuit il y a trente ans, le web est désormais dominé par des géants marchands. Alors, quelle place pour la collaboration sur la Toile ?
On le connaît aujourd’hui sous son petit nom, « trois w ». Il y a trente ans, le 12 mars 1989, Tim Berners-Lee, chercheur britannique au CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) à Genève en Suisse, mettait au point le world wide web pour permettre l’échange d’informations sur Internet dans le monde entier – et non entre réseaux locaux seulement. Aidé de son collègue belge Robert Caillaud, il invente le premier serveur web (info.cern.ch), le protocole http pour localiser les informations et le langage HTML pour créer les pages. En 1993, devant le succès de ces outils, le CERN livre le code source du www et le fait tomber dans le domaine public.
Mais les services marchands ont vite pris le dessus avec l’arrivée d’Amazon en 1995 ou de Google en 1998. La tendance est à une centralisation du réseau, certains acteurs devenant incontournables par leur taille et le nombre de leurs services. « Chaque invention vient avec son ombre, résume Flore Vasseur, journaliste et auteur du livre “ Ce qu’il reste de nos rêves ” (éd. des Équateurs). L’outil web est neutre, mais les nobles intentions perdent face aux lobbies très organisés du profit et de la manipulation. Il n’y a pas de lobby du bien commun. C’est ce que défendait Aaron Swartz [un génie de l’informatique américain, il s’est suicidé sous la menace d’un procès fédéral en 2013, NDLR], auquel je consacre mon livre, qui incarnait la défense du bien, ce qu’internet produit de mieux : l’accès libre au savoir, contre le flicage qu’on voit à l’œuvre désormais. »
L’application prochaine de la législation européenne – article 13 et article 11, qui rend responsables les plateformes internets de contenus qu’elles offrent, au risque de fortes amendes – menace aussi la liberté de création sur YouTube, selon Dead Will (alias Wilfried Kaiser), Tourangeau qui vulgarise des concepts sociétaux grâce à des extraits de films. « Les plateformes ne vont pas rendre de risque et ne feront pas du cas par cas. On risque de ne plus pouvoir utiliser les œuvres, ce qui dans mon cas est impossible. Même si j’ai déjà recours à Wikimedias pour avoir des contenus libres de droits. » Face à cette nouvelle situation menaçant une liberté d’expression, deux attitudes sont possibles : croire à un bluff de YouTube qui ne fera pas vraiment la chasse et ne rien changer, soit espérer que la plateforme passe des accords, avec Allocine par exemple.
Ce sont des entreprises toxiques pour nos vies et ce n’est pas ça que le web voulait au départ.
Pierre-Yves Gosset, délégué général de Framasoft
Mais des villages résistent toujours à l’envahisseur, en créant des logiciels libres. Pierre-Yves Gosset, délégué général de Framasoft, explique que son site associatif s’est créé « sur une idée de partage des savoirs, de transparence et d’entraide. Par exemple Wikipedia qu’on peut modifier, partager ou enrichir librement, à condition de citer l’auteur. » L’association existe depuis dix-huit ans et s’est fixée comme objectif, en 2014 de dégoogliser internet en proposant des services alternatifs. Avec les révélations d’Edouard Snowden, en 2013, sur le programme d’espionnage américain PRISM, « nous avons découvert qu’internet était aussi un outil de surveillance. Nous avons réorienté notre action vers plus de pédagogie, pour expliquer aux gens que les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) sont un aspirateur à données personnelles. Ce sont des entreprises toxiques pour nos vies et ce n’est pas ça que le web voulait au départ. » Framasoft prépare l’avenir en pariant sur un retour aux logiciels libres après un basculement du modèle du web vers une sobriété nouvelle. 30 ans, l’âge de la maturité, devrait voir éclore « une certaine lucidité des citoyens sur l’utilité d’internet » comme l’invoque aussi Flore Vasseur. Alors, Happy birthday, Tim !
Tipeee, la plateforme alternative
Il y a cinq ans, des Youtubeurs français ont créé la plateforme Tipeee, start-up dont les internautes rétribuent les vidéos – « tip » signifie pourboire en anglais. Ce modèle permet de s’affranchir de la publicité, une alternative efficace au monopole de YouTube. « C’est un bon moyen pour ne pas dépendre de la publicité, indique Dead Will, vulgarisateur en concepts sociétaux, Tourangeau lui aussi. On revient aux fondements du web pour la diffusion de la connaissance. » Des journalistes de Thinkerview, des dessinateurs ou récemment des podcasteurs ont choisi ce mode de diffusion direct.
Outre la publication des comptes rendus de session plénière et de délibérations de l’exécutif, la Région Centre-Val de Loire livre aussi des études dynamiques sur des thématiques précises. Par exemple, elle est la première en France à fournir, en accès libre, les données de ponctualité des trains régionaux, disponibles son portail en open data. « Nous avons fait le choix de ce portail, ouvert en octobre, pour rendre la donnée intelligible, détaille Laurent Ollivier, directeur du numérique à la Region. Ce n’est pas tout de satisfaire les obligations réglementaires en libérant de la donnée, encore faut-il qu’elle soit utile. C’est vertueux pour le public mais aussi en interne, pour réfléchir à la place des données qu’on gère. »
À la tête d’une petite équipe transversale, il pilote les thèmes qui pourraient être abordés, puis le bureau exécutif les valide. « Nous travaillons autour du tourisme, mais aussi du patrimoine, continue Laurent Ollivier. Nous avons des données de qualité qui représentent un potentiel colossal pour le tourisme par exemple. Les acteur privés pourraient s’en servir pour faire du business. »