Après l’explosion de la poudrière de Lagoubran en mars 1899, un mausolée avait été érigé à Toulon en mémoire des 65 victimes. Celui-ci est désormais introuvable.
Mathieu Dalaine Publié le 07/03/2024
Le mausolée en mémoire des victimes de l’explosion de Lagoubran a disparu du cimetière central de Toulon, où il avait été implanté en 1911. Passionné d’histoire, Michel Augier cherche sa trace. Photo Ma. D
Le fracas, l’effroi et un immense panache de fumée noire qui s’élève, à l’ouest de Toulon. Le 5 mars 1899, à 2h20 du matin, l’explosion d’une poudrière à canon de la pyrotechnie tue 65 civils et militaires. Le hameau de Lagoubran, à proximité immédiate de la base navale, est rayé de la carte. À l’origine de cette épouvantable catastrophe: l’instabilité de la poudre B.
Le traumatisme est gigantesque sur les bords de rade. Le ministre de la Marine évoque "un deuil national". Des souscriptions sont ouvertes dans toute la France pour venir en aide aux familles. Un crédit considérable est débloqué au niveau de l’État. Le conseil municipal, lui, décide d’ériger un mausolée. D’un coût de 3.760 francs, il est inauguré le 5 mars 1911 par le maire Joseph Gasquet. Devant la stèle et la longue liste des victimes, l’élu l’assure: "Nous garderons fidèlement votre souvenir…"
La photo du monument diffusée dans le Petit Var en 1911.
Voilà pour l’histoire. Une coupure de presse de l’époque précise que le monument funéraire est destiné à "perpétuer parmi les générations futures l’effrayant tribut que paya à la mort la population toulonnaise". La photo jaunie du Petit Var représente l’œuvre du sculpteur François Rossi: un mausolée en marbre blanc de Carrare enrichi d’ornements, dont le caveau renferme les ossements des malheureux, implanté au cœur du cimetière central de Toulon.
Sauf qu’on a beau arpenter aujourd’hui l’allée Célestin Senes, dit La Sinse, au milieu de magnifiques sépultures: rien. Aucune trace de la fameuse stèle de quatre mètres de haut. "Le monument n’existe plus à l’endroit où les descriptions le situaient", pose Michel Augier, un Toulonnais qui se passionne depuis des années pour l’objet. "Il a tout bonnement disparu."
À chaque énigme, ses hypothèses. La plus crédible d’entre elles nous ramène quatre-vingts ans en arrière, lors du bombardement allié du 4 février 1944. Les forteresses volantes américaines B-17 déversent ce jour-là un demi-millier de bombes de 250kg sur Toulon. Si l’arsenal est la cible, le cimetière des Lices est lui aussi touché (1).
"On voit encore les sépultures abîmées par des éclats ici. Ou recouvertes là d’une plaque de béton coulée à la hâte en guise de réparation, montre Michel Augier. On peut imaginer que le mémorial a été détruit à ce moment-là, même s’il n’y a pas de preuve."
Côté mairie, la question reste en suspens. La théorie d’une destruction venue du ciel est toutefois connue et validée par le service des cimetières – "de nombreuses concessions sur l’allée La Sinse et à proximité portent encore les stigmates des bombardements".
Les archives municipales situent même précisément l’endroit où se trouvait le mausolée: "Un caveau privé (concession Giraud) a été édifié en 1957 à sa place".
Existe-t-il encore, quelque part, des morceaux de la stèle endommagée? Mystère. Et un regret toujours vivace pour Michel Augier. "La plupart des victimes de la tragédie étaient des familles modestes. Elles habitaient à Lagoubran car le mari était employé à la pyrotechnie pour fabriquer des munitions, explique notre historien local. Ces classes laborieuses n’ont pas eu droit aux honneurs militaires. Et il n’y a plus rien pour faire vivre leur souvenir ou commémorer un drame qui a marqué Toulon."
Seule une toute petite plaque en bronze, à proximité immédiate de l’épicentre de l’explosion, sert de lieu de mémoire. À l’intérieur du port militaire, interdit aux recueillements et aux regards de la population...
1. Explosions à Toulon, par Albert Meuvret, aux éditions Les Presses du midi (2007).