Les revendications égalitaires de 1789 ont apporté la promesse de l'émancipation… pour finalement mieux bâillonner les femmes.
«Les hommes ont fait le 14 juillet, les femmes le 6 octobre, écrivait Jules Michelet dans Les Femmes de la Révolution (1854). Les hommes ont pris la Bastille royale, les femmes ont pris la royauté elle-même.» L'historien fait ici référence à la marche des femmes sur Versailles les 5 et 6 octobre 1789. Les Parisiennes en colère étaient venues réclamer du pain; elles repartent avec la famille royale au grand complet.
Si elle se conclut par le retour du roi à Paris, désormais logé aux Tuileries, la marche du 6 octobre est surtout un symbole: celui d'une révolution égalitaire, où les femmes comme les hommes participent aux protestations, scandent les chants révolutionnaires et montent à la tribune. Tout un symbole. Mais à quel point est-ce représentatif de la réalité historique?
Ne crions pas victoire trop vite. Sous l'Ancien Régime, la France maintient les privilèges séculaires et, de fait, les vieilles inégalités héritées de la loi salique. À l'aube de la Révolution, ses institutions vacillantes continuent de se méfier des femmes. Ces dernières sont exclues de l'administration, du gouvernement et de l'appareil judiciaire; à quelques exceptions près, assemblées, tribunes et trônes sont couverts de mâles.
Les Lumières du XVIIIe siècle n'arrangent rien. L'humaniste Jean-Jacques Rousseau rabaisse la femme au rang de «moitié de l'homme». D'autres érudits justifient leur éviction de la vie politique en incriminant leurs soi-disant «tendresse excessive» ou «raison limitée». En ces temps prétendument éclairés, la femme n'est plus pécheresse, à l'image d'Ève, mais faible de corps et d'esprit.
Cette tyrannie masculine justifie l'engouement que provoque l'étincelle de la Révolution chez les femmes: enfin, l'occasion leur est donnée de repousser les frontières étriquées de leur condition! Rien de surprenant, donc, à ce que les sans-culottes au féminin soient d'abord émeutières, notamment lors des crises de subsistance qui secouent 1788 et 1789.
À Grenoble le 7 juin 1788, c'est une femme qui, en giflant le sergent Bernadotte, déclenche l'émeute retenue sous le nom de la «journée des tuiles». À Paris, les «Dames de la Halle» nourrissent le gros des troupes sans-culottes. Elles sont blanchisseuses, épicières, domestiques, marchandes ambulantes, fripières, mais toutes se retrouvent dans la cohorte des barricades. Leur enthousiasme suffit-il à arracher les droits qu'elles réclament?
Malgré ses prétentions égalitaires, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen exclut opportunément les revendications féministes. Même si les femmes participent activement à la vie politique, rejoignant les clubs et les salons révolutionnaires, elles n'ont toujours pas voix au chapitre. D'ailleurs, les tribunes des Cordeliers et des Jacobins leur sont toujours interdites.
C'est cette injustice qui poussera Olympe de Gouges à rédiger, en 1791, sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne… Elle y écrira notamment: «La femme a le droit de monter à l'échafaud; elle doit avoir également celui de monter à la tribune.» Pour s'être hissée à la seconde, critiquant Maximilien de Robespierre et Jean-Paul Marat, elle passera sous le couperet du «rasoir national» en novembre 1793.
Dans une lettre rédigée en 1776, Madame Roland regrettait déjà ce que signifiait sa condition féminine. «En vérité, je suis bien ennuyée d'être une femme: il me fallait une autre âme, ou un autre sexe, ou un autre siècle. Je devais naître femme spartiate ou romaine, ou du moins homme français. [...] Mon esprit et mon cœur trouvent de toute part les entraves de l'opinion, les fers des préjugés, et toute ma force s'épuise à secouer vainement mes chaînes.» Il est des changements que l'on peine à provoquer.
Les rares qui s'aventurent dans les assemblées révolutionnaires se voient affublées, à partir de 1792, du surnom insultant de «Tricoteuses». On les imagine tricoter pendant que défilent les motions, sans doute pour incriminer le manque d'esprit inhérent à leur sexe.
Qu'ont donc gagné les femmes de la Révolution? Si l'émancipation tant attendue est loin de se matérialiser, cette défaite politique est éclaircie par quelques victoires sociales. Les règles de succession sont réformées en avril 1791: dès lors, garçons et filles jouissent des mêmes droits en matière d'héritage. La laïcisation du mariage, actée en septembre 1792, introduit la nécessité du consentement mutuel des deux conjoints, permettant d'entrevoir la fin des unions forcées. En outre, le divorce est légalisé –une arme qui sera en grande majorité mobilisée par les femmes pour se débarrasser d'époux abusifs, violents ou absents.
Ragaillardies, les militantes poursuivent la lutte dans les clubs où leurs idées trouvent un auditoire à leur mesure. Certaines oratrices se distinguent, à l'instar d'Anne-Josèphe Théroigne, dite de Méricourt, qui, le 25 mars 1792, prononce ces mots devant la Société fraternelle des Minimes: «Armons-nous, nous en avons le droit par la nature et même par la loi. Montrons aux hommes que nous ne leur sommes inférieures ni en vertus ni en courage. Il est temps que les femmes sortent de leur honteuse nullité.»
Malgré cet appel, on continue de leur refuser le droit de voter, d'intégrer la garde nationale ou de porter des armes: le sabre et le fusil restent des attributs mâles…
Trois ans après la Révolution, le statut des femmes n'a pas bougé d'un iota. Les préjugés toujours tenaces cristallisent le «sexe faible» en groupe soumis et peu éduqué. Toute femme dotée d'ambitions politiques fait figure d'hystérique, d'extrémiste, de «harpie» capable d'user de tous les moyens pour parvenir à ses fins. Pamphlets et tracts érotiques achèvent de bâillonner les militantes; la misogynie des tribunaux révolutionnaires n'épargne d'ailleurs pas la famille royale, puisque Marie-Antoinette est humiliée lors de son procès, accusée de relations incestueuses avec son propre fils.
Les femmes, toutes conditions confondues, voient leurs libertés s'amaigrir encore davantage au crépuscule de la Révolution. Le 30 octobre 1793, un député de l'Isère, Jean Pierre André Amar, déclare ainsi devant la Convention nationale: «Nous croyons donc qu'une femme ne doit pas sortir de sa famille pour s'immiscer dans les affaires du gouvernement […]. Leur présence dans les sociétés populaires donnerait une place active dans le gouvernement à des personnes plus exposées à l'erreur et à la séduction.»
Le même jour, les clubs féminins sont dissous. Seule une poignée de femmes hante encore les assemblées révolutionnaires et, courant 1794, certaines sont chassées à coups de verge des gradins de la Convention. Passés les ténèbres de la Révolution, le coup de grâce est porté par Napoléon. Promulgué en 1804, le code civil réduit les femmes à l'état de mineures et enterre définitivement toute promesse d'émancipation.