Dans une vidéo virale, un universitaire nationaliste chinois a mis en doute l’existence d’Aristote. Si ses arguments sont jugés fallacieux, leur écho témoigne de la volonté de certains intellectuels de contester l’histoire de l’Occident et les fondements de sa civilisation, explique à Hong Kong le “South China Morning Post”.
“Aristote a-t-il réellement existé ? Cette question provocatrice, sujet d’une vidéo virale de l’universitaire nationaliste chinois Jin Canrong, a lancé une nouvelle bataille dans la guerre des récits entre la Chine et l’Occident”, raconte le South China Morning Post.
“Jin n’est pas un historien”, précise d’emblée le quotidien de Hong Kong, mais un politologue, un conseiller de Pékin et un influenceur sur Douyin, version chinoise de TikTok, où il a publié sa vidéo devenue virale en octobre. Il y affirme “qu’il n’y a aucune trace attestant l’existence d’Aristote avant le XIIIe siècle et que le philosophe antique […] n’aurait pas pu écrire des centaines de livres, contenant des millions de mots, avant l’arrivée du papier en Europe au XIe siècle”.
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Des arguments que les historiens dénoncent comme “superficiels et fallacieux”, précise le journal, qui les déconstruit ensuite méthodiquement.
“Reste que ces affirmations reflètent une tendance de plus en plus forte parmi certains intellectuels nationalistes, pour qui le monde a besoin d’une version nouvelle et moins occidentalo-centrée de l’histoire”, poursuit le titre hongkongais.
La “pseudo-histoire” des civilisations de l’Antiquité
La Grèce antique, “considérée comme le berceau de la démocratie et de la civilisation occidentale moderne”, est une cible privilégiée, alors que les dirigeants chinois mettent en avant l’ancienneté de leur propre civilisation, “la seule au monde à ne pas avoir connu d’interruption”, déclarait en juin dernier Xi Jinping, cité par le South China Morning Post.
“Depuis une décennie au moins, la Grèce, Rome et l’Égypte antiques sont visées par des universitaires nationalistes en Chine”, rappelle le journal. En 2013, “He Xin, ancien chercheur de l’Académie chinoise des sciences sociales, a publié son livre Recherches sur la pseudo-histoire de la Grèce. Il y affirme que plusieurs classiques de la littérature grecque, comme les épopées d’Homère, sont l’œuvre de faussaires de la Renaissance. Comme Jin, il suggère aussi qu’Aristote n’a jamais existé.”
La vidéo de Jin Canrong a suscité “une avalanche de débats publics sur la fiabilité de l’histoire occidentale”, selon le South China Morning Post, qui conclut en citant une réponse révélatrice d’un internaute sur le réseau social Weibo. “Que ces opinions soient justes ou non, c’est secondaire : l’essentiel, c’est que nous osons mettre en doute les origines de la civilisation occidentale.”
Donnons une nouvelle chance à notre plume, réécrivons notre texte. Nous le modifions ou nous l’écrivons à nouveau ? Nous le précisons, l’annotons et le consolidons ou nous recommençons, le remplaçons et en établissons un nouveau ? Nous fondons-nous sur le donné de l’existant ou préférons-nous l’inaltéré du renouveau ? De cette distinction fondamentale procède notre conception de l’ontologie. Et si les phrases étaient les histoires et la page l’Histoire, de quel côté tendre ?
L’actualité d’une réécriture de l’Histoire est le fruit d’un long cheminement moderne. Du passage de l’Histoire à l’historicisme précipité par Hegel. En postulant la cyclicité de l’Histoire, il achève la tradition, déjà mise à mal par la Révolution française. L’Histoire est ce développement continu aux soubresauts répétitifs, ce fil déroulé par la Raison. Inaltérable et supérieur. Elle est ce « processus par lequel l’esprit se découvre lui-même » nous dit-il. Nous ne sommes que ses humbles descendants. Aux côtés d’Héraclite et d’Hegel, nous ne faisons qu’attendre l’éternel retour du même.
Réécrire l’histoire, c’est donc être arrivé à penser l’Histoire comme support d’une réécriture. Réécrire l’Histoire, c’est donc pouvoir réécrire l’Histoire. Ce pouvoir rendu possible par un monde perçu comme res extensa. Ce pouvoir qui ne saurait être délimité par les frontières de l’existant et du donné. Finalement, comme Valéry : « L’homme sait ce qu’il fait, mais ne sait jamais ce que fait ce qu’il fait ». A récuser l’héritage, l’homme n’en est que plus héritier.
THOMAS DUTRIEZ
par KÉVIN COUTURIER
En mai dernier, la mort de Georges Floyd fut l’élément déclencheur d’un important mouvement de contestations, l’épicentre d’un tsunami de revendications dont les remous traversèrent l’Atlantique et atteignirent le Vieux Continent. Aux Etats-Unis, ces mouvements s’autoproclamant volontiers antiracistes manifestèrent et s’attaquèrent aux statues de nombreux personnages. De Christophe Colomb à Robert Lee en passant par les Pères Fondateurs, tout le monde y eut droit. Quelques semaines plus tard, par un mimétisme habituel mais navrant, certains groupuscules en France calquèrent simplement le passé et les revendications américaines sur l’histoire de notre pays, clamant ainsi avec rage que Colbert, Napoléon ou même le général De Gaulle n’étaient que d’affreux racistes esclavagistes. « La République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle ne déboulonnera pas de statues » affirmait alors Emmanuel Macron au point culminant de la polémique, soutenu par la quasi-totalité du monde politique. Cependant, force est de constater que la France ne fut pas épargnée par cette haine du passé : en Martinique, deux statues de Schoelcher, député à l’origine du décret mettant fin à l’esclavage, furent déboulonnées ; une pétition fut lancée pour enlever la statue de Colbert trônant devant l’Assemblée Nationale. A Cergy, il est même possible de lire sur un mur de la ville : « De Gaulle esclavagiste ». Agonisante, l’Histoire n’a pourtant d’autre choix que de s’en remettre à nous, contemporains : quelle effroyable responsabilité. « Et surtout que la laissant tomber de nos mains, de ces mêmes mains, de ces inertes mains, nous pouvons lui administrer la mort », s’alarmait Péguy. Qui donc aurait pu tuer l’Histoire ?
Avant de trouver les coupables, encore faut-il s’assurer qu’il s’agisse bien là d’un crime et que la cohésion nationale en est une victime collatérale. Il est naturel et commun que toutes les générations cherchent à s’inscrire dans le cours du temps et à marquer l’Histoire de leur nom. A la recherche des lendemains qui chantent, les jeunes se sont en effet souvent opposés à leurs anciens et à ce qu’ils trouvaient injuste dans le monde qu’ils leur laissaient. Cependant, cette volonté de changer la société devient dangereuse quand, pour regarder vers le futur, on décide de totalement faire table rase du passé, quand, pour se tourner vers l’avenir, on décide de traiter le récit national comme un vulgaire palimpseste.
Il y a deux dangers principaux à réécrire l’Histoire. Le premier est de la considérer comme une simple succession d’événements, n’ayant elle-même aucune valeur en soi. On pourrait alors sans trop de soucis modifier à son aise et selon les codes de son époque tel ou tel événement. Or, l’Histoire est bien plus que ça. C’est le ciment d’une nation, l’élément œcuménique du pays rassemblant des êtres différents autour d’un socle commun, autour d’une destinée commune. Réécrire l’Histoire, c’est alors défaire les liens qui fondent l’identité de la France, c’est créer des êtres déracinés, sans repères. Ceci ne revient pas à dire que toutes les périodes de la France furent glorieuses ni que tous les personnages qui firent l’histoire de France sont louables. C’est simplement dire que l’histoire de France est ce qu’elle est et que tous les Français, qu’ils en héritent ou qu’ils s’y agrègent, sont les descendants temporels de ces moments passés.
Le second danger est de se priver, en voulant supprimer des pans chronologiques entiers, des enseignements les plus précieux : ceux qui sont délivrés par le temps. « Le coup d’œil sur l’Histoire, le recul vers une période passée ou, comme aurait dit Racine, vers un pays éloigné, vous donne des perspectives sur votre époque et vous permet d’y penser davantage, d’y voir davantage les problèmes qui sont les mêmes ou les problèmes qui diffèrent ou les solutions à y apporter » écrivait justement Marguerite Yourcenar. Le passé est un livre ouvert devant nos yeux qui nous enseigne les remèdes les plus efficaces contre les maux de la société. Qui aurait alors pu commettre un tel crime ? Le premier et principal ennemi de l’histoire, c’est l’anachronisme. Les défenseurs de la réécriture historique, iconoclastes nouveaux, créent un cadre – très exigu, du reste – dont les bords sont formés par l’antiracisme et l’anticolonialisme tels qu’ils l’entendent. Ils appliquent alors ce cadre à l’histoire de France et tous les événements ou personnages qui n’entrent pas strictement dans celui-ci sont jugés infâmes, ignobles et méritent alors d’être effacés. C’est en faisant l’économie d’une recontextualisation pourtant nécessaire que tel ou tel personnage est subitement couvert d’opprobre. Nous isolons souvent un évènement de son temps et le simplifions volontiers pour tisser des liens plus ou moins évidents avec notre époque. Or, chaque moment de l’histoire est le produit d’une période particulière où les individus avaient des intérêts particuliers et où les rapports de force entre les puissances n’étaient nullement ceux que nous connaissons.
C’est l’un des rôles de l’éducation historique que de permettre à tous de faire cet effort de contextualisation et de se défaire des simplifications. Son autre rôle est de fédérer l’ensemble du pays autour d’une histoire commune. Cet enseignement, sous la Troisième République, avait donc la lourde tâche de faire émerger un passé commun de la pluralité des identités régionales. Par exemple, pour que les écoliers savoyards devinssent des citoyens français, il fallait alors que leur histoire fût nationale. Pour se faire, on décida de concentrer l’attention des enfants sur les événements les plus glorieux du pays. Toutefois, cette manière d’enseigner l’histoire n’était pas parfaite, l’objectif qui vise à en saisir la complexité n’étant pas encore atteint. « Est-il vrai qu’il faille enseigner l’histoire aux enfants sans qu’ils la comprennent et de façon à meubler leur mémoire de quelques dates et de quelques événements ? C’est extrêmement douteux. On ne s’y prendrait pas autrement si l’on voulait tuer l’intérêt. » Cette critique de Jacques Bainville dans son Histoire de France reflète ce qu’il restait encore à accomplir dans les années 1920 pour aboutir à un bon enseignement : lier les événements entre eux. Pour y parvenir, tous les moments de l’histoire de France furent enseignés et des sujets tels que la traite des Noirs ou la collaboration par la suite furent alors étudiés à l’Ecole. Cependant, avec le temps, ce qu’on utilisait naguère pour instruire se retrouve aujourd’hui à servir l’obscurantisme. Depuis quelques années en effet, un grand nombre de citoyens ayant pourtant suivi l’enseignement de la République s’attachent uniquement aux événements moins glorieux pour tenter de les effacer de la mémoire collective. Or, « on peut éclaircir l’histoire, on ne la renouvelle pas » disait justement ce même Bainville. Le plus grand défi pour l’Ecole aujourd’hui est de le faire comprendre à ses élèves et de leur rappeler que tous les moments du passé, fussent-ils ou non louables, forment l’histoire de France.
L’Histoire fut donc tuée par l’anachronisme et sa complice, l’Ecole. C’est par un étrange paradoxe que cette institution qui devait rassembler les Français se retrouve à les opposer, ne leur ayant pas tous appris que l’histoire est une et indivisible. Cependant, aujourd’hui plus que jamais, un enseignement historique exhaustif et objectif est nécessaire pour sauver l’unité du pays. L’Histoire est morte, certes, mais vive l’Histoire !
par LOUIS ALEXANDRE
« Les vainqueurs l’écrivent, les vaincus racontent l’histoire. » Par cette maxime, sans doute inspirée d’une phrase de Robert Brasillach, Booba pose le problème central de la question posée : la tyrannie d’être du mauvais côté de l’histoire. J’ajouterais, pire encore, faire partie des oubliés de l’histoire, volontairement ou non, n’a rien de bon. Dans la dernière Confrontation, on pointait l’absence de la grippe de Hong Kong de nos références. Si à titre individuel, ne pas faire partie de l’histoire peut être douloureux, à titre collectif, cela peut avoir des conséquences plus importantes.
L’histoire dépend en effet trop souvent de ceux qui l’ont écrite. Ce pêché originel peut engendrer dans le meilleur des cas de la douleur pour ceux qui se sentent blessés de ne pas y être. Mais c’est davantage du ressentiment que crée cette situation. En effet, l’homme est généralement attaché à sa famille, ses origines. Il peut ne pas supporter un décalage entre les histoires de famille ou les valeurs qu’il projette sur ses ancêtres, et ce que l’histoire en dit. Si ce fardeau historique est pesant, l’individu va en vouloir à ceux qui ont écrit l’histoire potentiellement de manière tendancieuse, pour préserver un groupe social ou une appartenance politique, on peut ici penser aux historiens de la IIIème République ou juste après la Seconde Guerre Mondiale. Certains vont s’écraser sous ce fardeau historique. D’autres n’accepteront jamais de subir l’histoire. Ils vont en parallèle construire un ensemble de représentations tirées de souvenirs ou de fantasmes, donc aussi peu fidèle à la réalité historique. En réaction à une histoire partisane, se développe donc la mémoire, davantage du côté de la passion. L’histoire est quant à elle évidemment du côté de la raison et doit donc pouvoir évoluer raisonnablement. Plus que par une simple reconnaissance de son incomplétude, garder l’histoire du côté de la raison passe par sa réécriture. On pourrait citer en exemple le travail de Michelle Perrot sur la place des femmes et des ouvriers dans l’histoire. Plutôt que d’alimenter un statu quo délétère, réécrire l’histoire permet d’exorciser les blessures du passé, de se libérer d’un enfermement mortifère. Cela ne doit jamais avoir pour but de créer de nouvelles tensions mémorielles. Ce serait dénaturer la finalité de l’histoire. La réécriture doit permettre de prendre le temps et la hauteur nécessaires pour ne jamais tomber dans la rancœur et l’animosité.
Néanmoins, si l’école des Annales avait déjà chahuté les manuels de Lavisse, certains souhaitent pourtant y revenir. Pourquoi ? Par confort peut-être. Si rester enfermé dans une vision de l’histoire, unie, univoque, limpide emprisonne hors de l’histoire ceux qui n’étaient pas du bon côté au moment de sa rédaction, elle permet aussi de protéger ceux qui sont du bon côté. Cela a en effet un côté très rassurant de nous dire que nous sommes tous des Gaulois, que nous avons tous été résistants et tous Charlie. Ne pas réécrire l’histoire permet également de laisser de côté ses cadavres, de ne pas reconnaître ses erreurs. Ne pas réécrire l’histoire c’est souvent préférer porter une charge mémorielle lourde plutôt que d’assumer a posteriori une vérité historique dont nous ne sommes pas responsables. Cette attitude semble assez contre-productive et infondée. Les erreurs et oublis font partie intégrante de l’histoire. Toutefois, ce ne sont pas des fatalités. L’histoire peut être réécrite. Elle l’est même constamment. Cette dynamique lui donne son souffle et sa crédibilité. En effet, l’histoire fossilisée, fixée une bonne fois pour toute n’a rien de bon. Défendre cette conception de l’histoire, immuable, presque sacrée, c’est refuser de croire que la vérité historique peut changer. Les écrits historiques n’ont pas la même ambition que les Écritures même si certains leur vouent une foi quasi transcendante.
A l’heure de l’instantanéité, les grandes figures de l’histoire présente, consacrées ainsi par le FC Twitter ou les chroniqueurs sur les chaînes d’information en continu, peuvent être taillées en pièces le lendemain. Que doit-on retenir d’Éric Drouet, l’homme présenté comme le leader d’une révolte populaire inédite en France, qui faisait trembler l’Elysée et dont presque plus personne ne se soucie aujourd’hui ? L’emballement médiatique cherche sans cesse à produire de nouvelles personnalités historiques, sous couvert de l’avis de prétendus experts pour étayer ces constructions. Des constructions oui : là est le problème, beaucoup n’ont pas la carrure, la profondeur historique qu’on leur prête, mais il faut bien faire de l’audience ! Dans une époque où la figure du journaliste est très (trop) contestée, les héritiers d’Albert Londres franchissent peut-être parfois trop souvent la frontière ténue entre journaliste et conteur d’histoire. The show must go on ! Plus que jamais il faut donc réécrire l’histoire. Pour déconstruire l’histoire artificielle résultant du présentéisme. La réécrire avec du recul, avec une exigence de sincérité et de perfectionnisme. A ce titre il est intéressant de dresser un parallèle entre la technique de la fresque et la manière donc l’histoire doit être réécrite : toutes deux ont une base fraîchement figée sur laquelle de nombreuses personnes vont repasser ensuite pour ajuster le trait. La fresque évolue, se corrige, on y ajoute de nouvelles couches, se patine sans arrêt au fil des années. C’est ainsi qu’il faut réécrire l’histoire.
Conscient que réécrire l’histoire pour la réécrire n’a pas toujours un intérêt, voire peut être dangereux, réécrire l’histoire doit consacrer le travail de l’historien, l’historien indépendant, dévoué à l’Histoire avec un grand H et n’obéissant à aucun intérêt. Certes il est illusoire de concevoir l’histoire comme une science objective et que les historiens travaillent de manière totalement détachée. Mais l’appréhender comme un travail collectif, écrite par des historiens variés, chacun venant avec ses biais et ses thématiques particulières, permet de construire une grande fresque historique où les nuances se contrebalancent pour finalement produire un équilibre objectif. En ce sens, une réécriture unique de l’histoire n’est pas nécessairement féconde, bien au contraire. Mais des réécritures plurielles, qui peuvent se confronter, accoucheront forcément d’une histoire plus fine, plus précise, plus exhaustive.
Quelle place dans l’histoire pour Greta Thunberg, Elon Musk, ou le Coronavirus ? Certains trouvent qu’on en fait trop, d’autres qu’ils ne sont pas reconnus à leur juste mesure ? Finalement nul ne peut le dire. Et plutôt que de se contenter d’un « L’histoire nous le dira », il faut que l’histoire soit sincèrement réécrite pour leur donner leur juste place.