"On avait raison, c'est un grand pas": les malades du Lévothyrox saluent un rapport d'expertise embarrassant pour le laboratoire Merck
Publié le 26 mai 2021 à 17h01 Par Christophe CIRONE
C'est une étape importante dans un long combat judiciaire. A Marseille, la juge d'instruction qui mène l'enquête pénale autour du Lévothyrox vient d'adresser aux plaignants un rapport d'expertise de 130 pages. Les détracteurs du laboratoire Merck y voient la confirmation de ce qu'ils dénoncent depuis quatre ans. Le géant pharmaceutique réfute ces critiques.
Mise en danger d'autrui, blessures involontaires, et même homicide involontaire. Tels sont les faits visés par l'instruction ouverte en 2017. Grosse fatigue, insomnies, perte de poids, de cheveux... Plusieurs milliers de malades de la thyroïde dénonçaient d'importants effets secondaires, imputés au changement de formule du Lévothyrox. Dans le collimateur : le géant allemand Merck, mais aussi l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
"Nous avions sollicité cette expertise", explique Me Jean-Denis Flori. Cet avocat au barreau de Nice représente l'association APLF, près de 200 plaignants et plusieurs collectifs, dont bon nombre sont azuréens. Pour Me Flori, l'expertise "démontre clairement que l'ancienne et la nouvelle formule du Lévothyrox ne sont pas le même médicament. Et que les deux ne sont pas interchangeables."
Parmi les points critiques : le remplacement du lactose par du Mannitol et de l'acide citrique.
"L'expertise contredit les conclusions de Merck, constate Me Flori. Ce n'est pas plus efficace, ni plus stable. Pire : ça n'agit pas de la même manière dans le corps humain !"
L'expertise conteste en outre le choix de la "bioéquivalence moyenne" pour comparer les deux formules. Pour Me Flori, "le protocole n'était pas adapté". Il demande à la juge l'audition des parties concernées. Audition qui pourrait déboucher sur une mise en examen.
Dans le scandale du Levothyrox, les associations de plaignants bataillent en ordre dispersé.
Me Anne-Catherine Colin-Chauley, avocate au barreau d'Ajaccio, et présidente de l'association Alerte Thyroïde à Mougins (qui dit représenter 1.500 plaignantes), critique aussi le protocole Merck. "Les analyses ont été menées sur trois jours, sur 200 personnes qui n'avaient pas de problème de thyroïde. Or il y a bien des problèmes physico-chimiques chez différentes personnes. On n'est pas tous constitués pareil..." L'ANSM, quant à elle, se serait "montrée un peu trop laxiste" à ses yeux.
Contacté, le laboratoire incriminé réfute toutes ces critiques. "Merck réitère toute sa confiance dans la nouvelle formule du Lévothyrox, aujourd’hui prise quotidiennement par près de deux millions et demi de patients en France et grâce à laquelle ils maintiennent leur équilibre thyroïdien", indique son service communication.
Merck regrette la diffusion de "quelques extraits du rapport" aux médias, dont Nice-Matin. Ce rapport, le laboratoire n'y a pas accès en l'état. Merck "déplore que l’instruction soit une fois de plus instrumentalisée par certains pour proférer, sur la base de données parcellaires, de nouvelles accusations qui sont autant d’accumulations de contre-vérités assénées au fil des années."
Quoi qu'il en soit, les détracteurs du laboratoire jubilent. "On avait raison. C'est un grand pas, un espoir pour les malades. Enfin, on va les entendre !", salue la Niçoise Paqueta Bonillo, victime et secrétaire générale de l'APLF. "Il n'y a pas d'effet placebo, comme on a voulu le prétendre. Ce n'était pas "dans notre tête". Le moindre changement perturbe tout le système stéroïdien du corps. Et non, le Lévothyrox ancienne formule n'est pas interchangeable."