Par Laurent Sagalovitsch
Si l'idée d'imposer un nouveau pronom censé représenter le genre neutre n'est pas mauvaise en soi, son application pose trop de problèmes pour emporter l'adhésion.
J'avoue. Avant que Le Petit Robert ne décide d'officialiser dans son dictionnaire en ligne l'emploi du pronom «iel», j'ignorais jusqu'à son existence. Non seulement je ne l'avais jamais entendu autour de moi mais tout au long de mes lectures qui sont tout de mêmes multiples et variées, à aucun moment il ne m'était arrivé de tomber dessus –je dois avoir un esprit et des fréquentations plus étriqués que je ne pensais.
Il est vrai aussi que je ne suis guère sensible aux questions de genre ou de race. Je crois même que je les abomine, du moins dans la manière dont elles sont utilisées de nos jours. À force de revendiquer tout et n'importe quoi, de défragmenter la société en autant de communautés bien distinctes, on en vient à dresser les individus les uns contre les autres, dans une sorte de surenchère victimaire où la souffrance des uns vient concurrencer l'apparente normalité des autres. Or je ne crois pas au concept de normalité; mieux, je l'exècre. Chaque personne compose avec ses tragédies personnelles, ses blessures intimes, ses drames, la litanie de ses malheurs qui définissent la condition humaine dans tout ce qu'elle a de grandiose et de pathétique.
Et les identités de genre en font partie.
Pour autant, de toute évidence –ce serait médisance que de prétendre le contraire– il existe dans nos sociétés, notamment au sein de la jeunesse, un nombre significatif de personnes qui refusent de se voir assimilées à un genre bien défini, qu'il fut masculin ou féminin. C'est évidemment leur droit le plus strict –qui suis-je pour dire qui est une femme, qui est un homme, qui est ni l'un ni l'autre ou tous les deux confondus? En soi, cette affirmation identitaire ne me pose aucun problème tant qu'elle demeure l'expression d'une sensibilité qui puise son authenticité dans la profondeur de l'être, qu'elle est en adéquation avec les tremblements de l'âme.
Sitôt qu'elle devient un objet de fantasme, une sorte d'appétence à s'approprier un mal-être qu'on pare des vertus de l'indifférenciation sexuelle, quand elle est utilisée comme une arme de propagande, de singularisation outrancière, lorsqu'elle quitte le domaine de la psyché pour investir celui de la simple imitation, de l'effet de mode, elle perd de son authenticité originelle avec comme risque patent, par simple effet d'entraînement, d'influencer des esprits qui n'étaient disposés en rien à endosser ce particularisme, si ce n'est un trouble plus ou moins prononcé propre à l'adolescence de chacun.
Ceci établi, la langue, notre grammaire, a-t-elle vocation à épouser la cause de ces revendications genrées au point de procéder à une refonte de son fonctionnement interne? À la marge, il me semblerait que oui. Dans l'absolu, je ne vois pas bien au nom de quoi on refuserait à certains l'emploi d'un pronom qui leur permettrait de se sentir mieux intégrés au monde qui les entoure. La langue est assez riche, assez forte dans ses considérations fondamentales pour s'autoriser des écarts qui auraient juste valeur de reconnaissance.
Le seul problème, du moins en ce qui concerne l'emploi du pronom «iel», c'est que de facto, sa généralisation entraînerait un bouleversement en profondeur de notre grammaire puisque son adoption ne résoudrait en rien le problème afférent à la question du genre. Si je me mets à utiliser ce pronom, afin que cette pratique fasse sens, il faudrait aussi que l'adjectif qui lui est lié subisse à son tour un changement approprié sans quoi l'effet même de son emploi deviendrait caduc.
S'il est beau, si elle est belle, que dire quand on utilise le fameux «iel»? Dans ce cas de figure, «iel» est comment exactement? De toute évidence, il ne peut être ni beau ni belle puisque la déclinaison de ces adjectifs porte en eux la marque de leur genre. Il va devenir quoi notre «iel»? Babybel? Bébel? Beaubel? On écrira «iel est beau·bel·le»?!!! Nécessité serait alors d'inventer un nouvel adjectif propre à l'utilisation du pronom «iel», ce qui ne va pas sans poser tout une multitude de problèmes.
À mes yeux, cet écueil porte en lui les germes de sa défaite. On ne va pas commencer à triturer la langue dans tous les sens, inventer mille nouvelles expressions, revisiter de fond en comble l'ordonnancement de notre grammaire (par ailleurs déjà infiniment compliquée) dans le seul but de satisfaire les demandes de ce qui reste malgré tout une minorité de personnes. Une minorité a le droit d'être respectée dans sa pratique, voire même d'être encouragée dans sa singularité, tant qu'elle n'impose pas à la majorité des changements qui viendraient dénaturer des règles dûment ancrées dans ses habitudes séculaires.
Au Canada, on nomme cela des accommodements raisonnables, c'est-à-dire qu'on entend que la société peut, voire même doit accéder à des demandes particulières tant que ces dernières n'engendrent pas des conséquences qui iraient au-delà de ce qu'elle peut supporter comme contrainte. Il en va de même ici avec le pronom «iel». Son emploi en soi ne pose pas, à mes yeux, de réels problèmes. Ce sont les conséquences de son emploi –un éparpillement de la langue, une trop grande complexité de son utilisation, une hypertrophie linguistique– qui le disqualifient.
Il en va de même avec l'écriture inclusive. Tant qu'elle rectifie à la marge des singularités linguistiques qui sans raison objective ordonnent le masculin au détriment du féminin, comme avec la règle de l'accord de proximité, elle fait sens et œuvre pour le bien commun. Sitôt qu'elle entend imposer tout un corset de règles qui rend la grammaire encore un peu plus absconse qu'elle ne l'est déjà, elle devient un combat idéologique qui perd de sa légitimité originelle et dénature la cause qu'elle prétend défendre. La langue française à besoin d'être retouchée, pas refondée.
Le ministre de l'Éducation nationale s'est dit contre l'utilisation de l'écriture inclusive à l'école, qu'il considère comme étant "un barrage" pour l'apprentissage des enfants. Il entend "mettre les points sur les i" et faire interdire officiellement ce type d'écriture dans "les usages pédagogiques", a-t-il indiqué dans un entretien accordé au Journal du Dimanche.
Jean-Michel Blanquer a reconnu que "la féminisation des métiers et fonctions" était "un progrès". Toutefois, "mettre des points au milieu des mots est un barrage à la transmission de notre langue pour tous, a-t-il jugé, notamment pour les élèves dyslexiques". Il considère "notre langue" comme "le premier trésor français". Un trésor "qui nous relie tous et fait notre puissance mondiale". "Elle ne doit donc pas être triturée ou abîmée", a poursuivi le ministre.
Le numéro 1 du ministère de l'Éducation nationale a par ailleurs précisé qu'une circulaire interdit déjà l'écriture inclusive dans les usages administratifs. "Nous allons bien clarifier le fait que c'est vrai aussi dans nos usages pédagogiques", a-t-il assuré.
La semaine prochaine, le Sénat doit tenir un débat sur l'écriture inclusive, un sujet qui divise la classe politique. Définie comme "un ensemble de pratiques", cet usage vise à effacer les stéréotypes sexistes dans le langage français.
"Outre ses défauts fonctionnels, l’écriture inclusive pose des problèmes à ceux qui ont des difficultés d’apprentissage et, en réalité, à tous les francophones soudain privés de règles et livrés à un arbitraire moral." Bien que favorables à la féminisation de la langue, plusieurs linguistes estiment l'écriture inclusive profondément problématique.
Présentée par ses promoteurs comme un progrès social, l’écriture inclusive n’a paradoxalement guère été abordée sur le plan scientifique, la linguistique se tenant en retrait des débats médiatiques. Derrière le souci d'une représentation équitable des femmes et des hommes dans le discours, l’inclusivisme désire cependant imposer des pratiques relevant d’un militantisme ostentatoire sans autre effet social que de produire des clivages inédits. Rappelons une évidence : la langue est à tout le monde.
Les inclusivistes partent du postulat suivant : la langue aurait été "masculinisée" par des grammairiens durant des siècles et il faudrait donc remédier à l’"invisibilisation" de la femme dans la langue. C’est une conception inédite de l’histoire des langues supposant une langue originelle "pure" que la gent masculine aurait pervertie, comme si les langues étaient sciemment élaborées par les locuteurs. Quant à l"invisibilisation", c’est au mieux une métaphore mais certainement pas un fait objectif ni un concept scientifique.
Si la féminisation est bien une évolution légitime et naturelle de la langue, elle n’est pas un principe directeur des langues
Nous relèverons simplement ici quelques défauts constitutifs de l’écriture inclusive et de ses principes.
La langue n’a pu être ni masculinisée, ni féminisée sur décision d’un groupe de grammairiens, car la langue n’est pas une création de grammairiens — ni de grammairiennes. Ce ne sont pas les recommandations institutionnelles qui créent la langue, mais l’usage des locuteurs. L’exemple, unique et tant cité, de la règle d’accord "le masculin l’emporte sur le féminin" ne prétend posséder aucune pertinence sociale. C’est du reste une formulation fort rare, si ce n’est mythique, puisqu’on ne la trouve dans aucun manuel contemporain, ni même chez Bescherelle en 1835. Les mots féminin et masculin n’ont évidemment pas le même sens appliqués au sexe ou à la grammaire : trouver un quelconque privilège social dans l’accord des adjectifs est une simple vue de l’esprit.
Si la féminisation est bien une évolution légitime et naturelle de la langue, elle n’est pas un principe directeur des langues. En effet, la langue française permet toujours de désigner le sexe des personnes et ce n’est pas uniquement une affaire de lexique, mais aussi de déterminants et de pronoms ("Elle est médecin"). Par ailleurs, un nom de genre grammatical masculin peut désigner un être de sexe biologique féminin ("Ma fille est un vrai génie des maths") et inversement ("C’est Jules, la vraie victime de l’accident"). On peut même dire "un aigle femelle" ou "une grenouille mâle"...
La langue n’est pas une liste de mots dénués de contexte et d’intentions, renvoyant à des essences. Il n’y a aucune langue qui soit fondée sur une correspondance sexuelle stricte. Autrement, le sens des mots serait déterminé par la nature de ce qu’ils désignent, ce qui est faux. Si c’était le cas, toutes les langues du monde auraient le même système lexical pour désigner les humains. Or, la langue n’a pas pour principe de fonctionnement de désigner le sexe des êtres : dire à une enfant "Tu es un vrai tyran" ne réfère pas à son sexe, mais à son comportement, indépendant du genre du mot.
Les formes masculines du français prolongent à la fois le masculin (librum) et le neutre (templum) du latin et font donc fonction de genre "neutre", c’est-à-dire par défaut, ce qui explique qu’il intervienne dans l’accord par résolution (la fille et le garçon sont partis), comme indéfini (ils ont encore augmenté les impôts), impersonnel (il pleut), ou neutre (c’est beau). Il n’y a là aucune domination symbolique ou socialement interprétable. Quand on commande un lapin aux pruneaux, on ne dit pas un.e lapin.e aux pruneaux...
La langue a ses fonctionnements propres qui ne dépendent pas de revendications identitaires individuelles. La langue ne détermine pas la pensée — sinon tous les francophones auraient les mêmes pensées, croyances et représentations. Si la langue exerçait un pouvoir "sexiste", on se demande comment Simone de Beauvoir a pu être féministe en écrivant en français "patriarcal". L’évidence montre que l’on peut exprimer toutes les pensées et les idéologies les plus antithétiques dans la même langue.
Ces formes fabriquées ne relèvent d’aucune logique étymologique et posent des problèmes considérables de découpages et d’accords
En français, l’orthographe est d’une grande complexité, avec ses digraphes (eu, ain, an), ses homophones (eau, au, o), ses lettres muettes, etc. Mais des normes permettent l’apprentissage en combinant phonétique et morphologie. Or, les pratiques inclusives ne tiennent pas compte de la construction des mots : tou.t.e.s travailleu.r.se.s créent des racines qui n’existent pas (tou-, travailleu-).Ces formes fabriquées ne relèvent d’aucune logique étymologique et posent des problèmes considérables de découpages et d’accords.
En effet, les réformes orthographiques ont normalement des objectifs d’harmonisation et de simplification. L’écriture inclusive va à l’encontre de cette logique pratique et communicationnelle en opacifiant l’écriture. En réservant la maîtrise de cette écriture à une caste de spécialistes, la complexification de l’orthographe a des effets d’exclusion sociale.Tous ceux qui apprennent différemment, l’écriture inclusive les exclut : qu’ils souffrent de cécité, dysphasie, dyslexie, dyspraxie, dysgraphie, ou d’autres troubles, ils seront d’autant plus fragilisés par une graphie aux normes aléatoires.
Tous les systèmes d’écriture connus ont pour vocation d’être oralisés. Or, il est impossible de lire l’écriture inclusive : cher.e.s ne se prononce pas. Le décalage graphie / phonie ne repose plus sur des conventions d’écriture, mais sur des règles morales que les programmes de synthèse vocale ne peuvent traiter et qui rendent les textes inaccessibles aux malvoyants.
L’écriture inclusive pose des problèmes à tous ceux qui ont des difficultés d’apprentissage
On constate chez ceux qui la pratiquent des emplois chaotiques qui ne permettent pas de produire une norme cohérente. Outre la prolifération de formes anarchiques ("Chere.s collègu.e.s", "Cher.e.s collègue.s", etc.), l’écriture inclusive est rarement systématique : après de premières lignes "inclusives", la suite est souvent en français commun... Si des universitaires militants ne sont pas capables d’appliquer leurs propres préceptes, qui peut le faire ?
L’écriture inclusive, à rebours de la logique grammaticale, remet aussi radicalement en question l’usage du pluriel, qui est véritablement inclusif puisqu’il regroupe. Si au lieu de "Les candidats sont convoqués à 9h00" on écrit "Les candidats et les candidates sont convoqué.e.s à 9h00", cela signifie qu’il existe potentiellement une différence de traitement selon le sexe. En introduisant la spécification du sexe, on consacre une dissociation, ce qui est le contraire de l’inclusion. En prétendant annuler l’opposition de genre, on ne fait que la systématiser : l’écriture nouvelle aurait nécessairement un effet renforcé d’opposition des filles et des garçons, créant une exclusion réciproque et aggravant les difficultés d’apprentissage dans les petites classes.
Outre ses défauts fonctionnels, l’écriture inclusive pose des problèmes à tous ceux qui ont des difficultés d’apprentissage et, en réalité, à tous les francophones soudain privés de règles et livrés à un arbitraire moral. La circulaire ministérielle de novembre 2017 était pourtant claire et, tout en valorisant fort justement la féminisation quand elle était justifiée, demandait "ne pas faire usage de l'écriture dite inclusive" : des administrations universitaires et municipales la bafouent dans un coup de force administratif permanent. L’usage est certes roi, mais que signifie un usage militant qui déconstruit les savoirs, complexifie les pratiques, s’affranchit des faits scientifiques, s’impose par la propagande et exclut les locuteurs en difficulté au nom de l’idéologie ?
Faut-il encourager l'écriture inclusive, c'est-à-dire le fait de féminiser tous les mots ? "Je ne suis pas une militante de l'écriture inclusive", a répondu Roselyne Bachelot. La ministre de la Culture a expliqué lors du Grand Jury RTL, Le Figaro, LCI que cette écriture était "horriblement compliquée".
"On a déjà des publics scolaires qui ont des difficultés avec l'orthographe, la lecture et l'écriture", a-t-elle ajouté en indiquant que cela revient à mettre en place "un mécanisme avec une complexité incroyable".
Selon la ministre de la Culture, "l'écriture inclusive est une démarche élitiste. Ce que je veux, c'est un apprentissage de la lecture et de l'écriture démocratique. Je ne suis pas pour l'écriture inclusive". Présent dans le public, le ministre de l'Éducation Jean-Michel Blanquer a indiqué qu'il partageait aussi le point de vue de Roselyne Bachelot.
DÉCLARATION de l’ACADÉMIE FRANÇAISE
sur l'ÉCRITURE dite « INCLUSIVE »
adoptée à l’unanimité de ses membres
dans la séance du jeudi 26 octobre 2017
Prenant acte de la diffusion d’une « écriture inclusive » qui prétend s’imposer comme norme, l’Académie française élève à l’unanimité une solennelle mise en garde. La multiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. On voit mal quel est l’objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d’écriture, de lecture – visuelle ou à voix haute – et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs.
Plus que toute autre institution, l’Académie française est sensible aux évolutions et aux innovations de la langue, puisqu’elle a pour mission de les codifier. En cette occasion, c’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle lance un cri d’alarme : devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures.
Il est déjà difficile d’acquérir une langue, qu’en sera-t-il si l’usage y ajoute des formes secondes et altérées ? Comment les générations à venir pourront-elles grandir en intimité avec notre patrimoine écrit ? Quant aux promesses de la francophonie, elles seront anéanties si la langue française s’empêche elle-même par ce redoublement de complexité, au bénéfice d’autres langues qui en tireront profit pour prévaloir sur la planète.
Jusqu'au 5 janvier 2020, les bénévoles de Wikipédia pouvaient exprimer leur opinion sur l'usage de l'écriture inclusive. Les résultats ne vont pas dans le sens de l'inclusivité.
La version française de Wikipédia devrait-elle laisser plus de place à l’écriture inclusive ? Et si oui, quelle forme faudrait-il lui donner, puisqu’il existe plusieurs manières de faire ? Ce sont sur ces questions que les bénévoles de l’encyclopédie en ligne étaient invités à se positionner au cours d’une consultation qui s’est ouverte le 1er décembre et achevée le 5 janvier.
Il ressort de cette enquête que les internautes contribuant régulièrement aux articles du site (seules les personnes ayant un compte comptabilisant au moins 50 éditions avant le 29 octobre 2019 étaient autorisées à participer, pour éviter des coups de force extérieurs dans un sens comme dans l’autre) sont globalement conservateurs sur les règles d’écriture.
La communauté active de Wikipédia France n’approuve majoritairement pas l’écriture inclusive. // Source : Pixabay
Six propositions d’écriture inclusive, ou épicène, étaient proposées :
Dans le détail toutefois, les propositions ont reçu un accueil très différent selon leur énoncé. Si les propositions les plus avancées (usage de la typographie dans les termes eux-mêmes ou utilisation de mots inventés non-binaires) ont reçu l’opposition la plus marquée, avec à chaque fois plus de 75 % de votes négatifs, d’autres qui ne bousculent pas les règles du français sont mieux acceptées.
Ainsi, il n’y a pas eu de majorité absolue contre la proposition des termes englobants. Seuls un peu moins de 44 % des votants l’ont refusée. Les autres se partagent entre les avis positifs (un peu plus de 34 %), les appels à la tolérance (17 % environ) et les votes neutres (un peu moins de 5 %). Ce sont à peu près ces ordres de grandeur que l’on retrouve pour la troisième proposition, à savoir la féminisation des noms et titres.
Il convient toutefois de signaler que même si une ou plusieurs propositions avaient été approuvées pendant cette consultation, cela n’aurait pas forcément changé grand-chose en pratique pour la version française de Wikipédia. Il s’agissait surtout de prendre la température de la communauté sur un sujet qui existe aussi bien dans l’encyclopédie que dans la société, y compris dans l’administration ou dans les rédactions.
Comme l’explique la page décrivant les sondages organisés sur Wikipédia, ceux-ci « ne sont pas des prises de décisions et sont juste là à titre indicatif ». Cela étant, s’il existe une forte tendance dans un sens ou dans un autre, la communauté peut estimer qu’il y a consensus et envisager alors de revoir ses règles de participation à l’encyclopédie en ligne. Cela veut dire aussi que l’écriture inclusive n’est pas interdite strico sensu.
Il est tout à fait possible de rédiger des articles en écriture inclusive, du moins si ce sont les formes les plus courantes qui sont utilisées, c’est-à-dire celles qui sont le mieux acceptées, comme les termes englobants, la double flexion et l’accord en genre des noms et titres de fonction. En revanche, les autres formes d’écriture, moins fréquentes et pouvant être vues comme plus radicales, risquent d’aboutir à des guerres d’édition si elles sont employées.
Quoiqu’instructif, le sondage conduit par Wikipédia souffre évidemment d’un biais : il est établi depuis longtemps que les hommes sont les premiers contributeurs, et de loin, sur Wikipédia. Les femmes représentent une minorité. En 2013, selon les chiffres fournis au Wall Street Journal par Jimmy Wales, le fondateur de l’encyclopédie libre et gratuite, on comptait 87 % d’hommes parmi les bénévoles.
Six ans plus tard, la situation n’a, selon les quelques recherches qui existent sur le sujet, pas franchement évolué. Fin 2019, Katherine Maher, la directrice de la fondation Wikimédia depuis 2016, structure qui encadre Wikipédia, indiquait au Guardian que selon les estimations de son équipe, les femmes représentent toujours à peine entre 15 et 20 % de la totalité des bénévoles du projet.
De façon mécanique, ce faible contingent féminin est moins susceptible de pouvoir faire valoir des projets qui le touche — ce qui est typiquement le cas de l’écriture inclusive, qui permet de rendre visibles les femmes au fil du texte –, et cela même si toutes les femmes ne sont pas forcément pour cette manière de rédiger, et les hommes forcément contre. Ce n’est en tout cas pas représentatif de la distribution démographique et les résultats tendent à montrer que les hommes ont voté contre.
En 2013, Sue Gardner, l’ancienne directrice de la fondation, avait émis une liste de pistes expliquant la rareté des femmes sur Wikipédia : atmosphère générale trop misogyne, fonctionnement trop conflictuel, comportements sexistes de certains internautes, froideur des rapports sociaux sur le site, manque de confiance en soi, crainte de voir ses éditions être rejetées, manque de temps, complexité de l’interface et difficulté à être interpellé en tant qu’homme, si le sexe n’est pas connu.
Si le lien de causalité n’est pas nécessairement établi, force est de remarquer que la faible présence des contributrices (ou la surreprésentation des hommes) a peut-être un rôle dans un certain nombre de constats qui ont été faits au fil des années, comme le fait que les biographies de personnalités féminines sont moins nombreuses (mais un projet tente de renverser la vapeur) et qu’elles sont plus souvent débattues.
Bérengère Viennot — 5 décembre 2019 à 8h06
[TRIBUNE] Cessez de faire la guerre à la langue, elle ne vous a rien fait.
Attachez vos ceintures, sortez les flingues, affûtez les couteaux: je vais vous parler d'écriture inclusive. Si vous êtes déjà sur le qui-vive rien qu'à l'idée, c'est que vous êtes membre (comme moi) du Landerneau intellectuel qui se déchire sur le point médian et autres accords de proximité et féminisation de noms de métiers.
À Slate, les consignes sont claires: après un essai de double flexion (les traducteurs et les traductrices...) et un consensus toujours d'actualité sur l'accord de proximité (...sont de plus en plus mécontentes...), le point médian a fait une entrée fracassante et non négociable (...de la décision du rédacteur en chef, prise après consultation des éditrices et au grand dam d'un certain nombre de pigistes agacé·es).
À mon sens, la féminisation des noms de métiers ne fait pas partie de l'écriture inclusive. En effet, dans «écriture», il y a (roulement de tambour) «écrit», or la féminisation des noms de métiers dans la langue française est un phénomène avant tout oral. C'est d'ailleurs bien pour cela qu'elle gagne du terrain, et à raison.
Cette évolution de la langue est le reflet d'une évolution sociétale; de plus en plus de métiers autrefois (presque) exclusivement masculins se sont ouverts aux femmes, et on assiste à une normalisation de l'égalité des fonctions dans le monde professionnel. C'est une nouveauté dont la langue se fait l'interprète: d'abord un phénomène se produit, puis naît un vocabulaire qui le désigne.
Il existe de plus en plus de femmes cheffes d'orchestre, magistrates ou, euh, entraîneuses... Quoi de plus logique que la langue suive le mouvement? Et on n'a pas eu besoin d'attendre l'autorisation de l'Académie française dont, il faut bien l'admettre, la plupart des gens se tamponnent le coquillard dans leurs communications verbales quotidiennes. Cette transformation, n'en déplaise aux immortels, est d'abord passée par l'oral, comme tout ce qui touche l'évolution de la langue.
Rappelons qu'avant l'invention de l'imprimerie (et même un bon moment après), la langue écrite (et ses éventuelles règles) était réservée à une minorité (principalement religieuse) et qu'elle concernait à peine la grande majorité de ceux qui la parlaient.
Les règles de grammaire et de syntaxe françaises sont un phénomène extrêmement récent, ce qui rend d'autant plus amusants les individus qui s'y accrochent comme des moules à leur bouchot pour justifier d'un éventuel retour à d'anciennes lois sages et forcément meilleures (c'était mieux avant).
L'être humain a environ quatre millions d'années. Les premières grammaires imprimées remontent au XVIe siècle de notre ère, soit un tantinet plus tardivement. Entre les deux, un bon paquet d'Homo sapiens (ou erectus, ou neanderthalensis, ou autres) ont dû joyeusement écorner les participes passés sans que ça les empêche de dormir ou de chasser le mammouth.
L'accord de proximité fait l'objet de moult débats entre linguistes de toutes chapelles quant à son usage en ancien français et français moderne et quant à sa potentielle légitimité dans le français d'aujourd'hui en fonction de son histoire réelle ou supposée –débats qui concernent les linguistes historiens et que je ne suis pas qualifiée pour trancher.
L'accord de proximité est à mi-chemin entre la féminisation des noms de métiers, avant tout orale, et le point médian, exclusivement écrit: il est réalisable dans le discours (mon père et ma mère sont mortes et enterrées; vous me mettrez un maquereau et une limande, bien grosses!), mais force est de constater que son usage n'est pas encore bien courant dans la vie de tous les jours.
Qu'il soit enraciné ou non dans l'histoire, l'accord de proximité présente le grand avantage d'être assez facilement escamotable quand on ne veut pas le pratiquer, puisqu'il suffit d'inverser les termes pour clore le débat sans trop dénaturer le propos.
Mais le point médian. Aaaah, le point médian.
Signe typographique uniquement réservé à l'écrit (mais si, regardez: lisez à voix haute «les rapports dont les infirmierères sont les auteurices ont été déclamés par des acteurices» devant d'autres francophones et filmez leurs réactions), le point médian est censé rétablir l'égalité entre les hommes et les femmes dans un monde lexical intoxiqué par la domination masculine.
Ce raisonnement, qui confond genre grammatical et sexe, implique que comme les êtres humains, les mots ont un sexe et que celui-ci est un reflet de la domination sociale exercée par les hommes sur les femmes dans notre société: il s'agit d'une anthropomorphisation de la syntaxe.
«Les mots tuent, c'est vrai, au même titre que les armes: s'il n'y a pas un être humain pour appuyer sur la détente, ils ne servent à rien et n'ont aucun effet.»
Les mots ont un sens, une force, un pouvoir: celui de détruire ou de déshumaniser, de créer, de rendre heureux ou malheureux, mais jamais hors de tout contexte. Les mots qui détruisent, que ce soit les insultes d'un mari maltraitant, d'un parent indigne ou d'un gardien de prison sadique, les mots qui construisent, que ce soit les mots d'amour d'une mère, d'un amant, d'une sœur ou les encouragements d'un professeur qui marqueront à vie, les mots qui jugent, dans un tribunal ou pendant le dîner familial à Noël, tous ces mots n'ont que la valeur qu'on leur donne.
Les mots tuent, c'est vrai, au même titre que les armes: s'il n'y a pas un être humain pour appuyer sur la détente, ils ne servent à rien et n'ont aucun effet.
Quant à l'écriture, comme l'explique Yuval Noah Harari dans Sapiens, il s'agit d'«une méthode de stockage de l'information à travers des signes matériels», c'est-à-dire que ce n'est que le moyen de représenter une réalité, un instrument au service du réel.
On m'opposera que certains mots sont sexistes («pute»), racistes («nègre»), homophobes («pédale»). Mais quand c'est un groupe féministe qui l'utilise (Ni putes, ni soumises), un Noir qui le revendique (Nègre je suis, nègre je resterai), un homosexuel qui se l'approprie (Pédale!), alors il en va tout autrement. De mots proscrits, ils deviennent des revendications acceptables, des appropriations positives qui visent à corriger un déséquilibre social en défaveur d'une minorité opprimée.
Parce qu'en réalité, ce ne sont pas les mots qui sont sexistes (ou racistes, ou homophobes), ce sont ceux qui les disent et les contextualisent. Les mots sont des outils et rien d'autre: avec des mots comme avec un marteau, on peut enfoncer un clou et construire quelque chose ou bien détruire quelqu'un en lui défonçant le crâne. Qui, dans ce dernier cas, aurait l'idée saugrenue d'accabler le marteau?
À l'image de l'artisan qui bichonne ses outils de travail, je suis une amoureuse fanatique des mots. J'ai mes préférés, parce qu'ils sont pratiques, qu'ils sonnent bien ou qu'ils m'aident à façonner des textes que je trouve beaux ou bien tournés. Il y en a que je n'aime pas du tout, souvent de façon très subjective, parce que je les trouve laids, mal fichus ou pas pratiques du tout, ou bien parce qu'ils déboulent dans une phrase comme un cheveu sur la soupe.
Mais je ne les accuse de rien: chaque fois que je les utilise, c'est moi qui parle, pas eux. Je m'en sers, je les manipule, je les tords parfois dans tous les sens; ce sont mes jouets, ma glaise, ma chose.
Si je décide d'écrire une phrase raciste ou diffamatoire ou révisionniste ou que sais-je encore, c'est moi qui devrai en assumer les conséquences, pas les auteurs du Grand Robert. Si j'écris une phrase très moche ou mal construite, il m'en sera fait le reproche à moi, pas aux outils dont je me serai servie. Je m'attache à ne jamais confondre le message avec le messager…
Les mots ne sont pas sexistes, ils sont vides tant qu'on ne les remplit pas de sens, et le recours au point médian ne va pas modifier la réalité de ceux qui le prônent et l'utilisent.
Le but du point médian est d'englober une certaine réalité dans un mot, mais si cette réalité existe déjà, il n'est pas besoin de tordre le mot et de défigurer un texte pour la rendre. Comme disait je ne sais qui (Guitry? Le pape?), «quand je dis les hommes, j'embrasse toutes les femmes». Blague à part, dans une société (on l'espère) de moins en moins sexiste, les mots et les structures qui existent déjà désignent la réalité telle qu'elle est.
Pour un Français en 1960, le mot «couple», c'était un homme et une femme, point final. En 2019, le mot couple désigne «deux personnes; un homme et une femme ou deux hommes ou deux femmes qui s'aiment» et personne n'a besoin de le préciser, parce que la part d'implicite est évidente pour tout le monde. La signification a évolué avec la société sans qu'on ait eu besoin de changer le vocabulaire.
De même, si autrefois «les dirigeants du monde occidental» ne faisait référence qu'à des hommes, la même proposition désigne aujourd'hui un groupe composé d'hommes et de femmes, et ce n'est pas nier cette réalité que de ne pas l'expliciter grammaticalement.
L'usage et le débat autour du point médian, phénomène élitiste s'il en est, concernent principalement ceux qui entretiennent un rapport quotidien à l'écrit en tant qu'outil professionnel: profs, journalistes, traducteurs, sociologues et autres intellectuels. Les infirmières, les réparateurs de bicyclette, les charcutières, les masseurs ayurvédiques et les plumassières (je vous avais dit que j'affectionnais certains mots plus que d'autres) peuvent s'y intéresser sans pour autant se sentir concernés dans leur vie quotidienne et sans en faire un cheval de bataille.
Vouloir l'imposer sous prétexte de changer la réalité est un geste politique réservé à un cercle assez fermé qui, s'il me fait parfois sourire malgré mon agacement, car il crée des textes tellement illisibles qu'il en décrédibilise souvent ses auteurs, déclenche souvent un léger frisson d'angoisse.
«Mettre la langue sur le banc des accusés et non les personnes qui agissent de façon discriminatoire, c'est se tromper de combat.»
Comme on l'a vu, c'est la réalité qui influence la langue, pas l'inverse. La normalisation du français par des instances supérieures, qu'elles soient formelles (l'Académie française) ou autoproclamées (les partisans du point médian), ça ne fonctionne pas. Ces instances ne peuvent qu'entériner les changements, pas les imposer, et c'est heureux.
Les seules occurrences où les règles sont mises au point de manière théorique pour être ensuite imposées dans l'usage, au forceps et de manière non organique, c'est dans le cadre (excusez-moi du peu) de régimes autoritaires ou qui ont des velléités de le devenir.
La novlangue de 1984 en est la parfaite illustration et elle a l'avantage d'être notoire, mais ce n'est pas qu'une fiction. Transformer les mots pour transformer la réalité est une démarche dangereuse, une entreprise qui à ma connaissance n'a jamais été sans arrière-pensée politique radicale. Réformer la langue pour transformer la réalité, c'est créer une réalité sémantique alternative virtuelle en souhaitant qu'elle se concrétise. Aïe.
Mais si c'est pour la bonne cause?, m'oppose-t-on. Certes, vouloir plus d'égalité entre les sexes est une bonne cause pour tout un tas de gens, mais d'une part, on n'est jamais sûr de rester du côté du manche quand on impose sa volonté sur une base doctrinaire, le retour de bâton peut être particulièrement violent, et d'autre part, il ne faut pas oublier que tout débat autour de la forme a tendance à éclipser le fond.
Lutter contre les discriminations est une bonne cause; mettre la langue sur le banc des accusés comme si c'était elle la coupable et non les personnes qui agissent de façon discriminatoire, c'est se tromper de combat.
Enfin, le dernier argument que j'opposerai à ce point médian qui m'agace tant (et, comble d'ironie, que l'on me reproche si souvent d'utiliser dans mes articles pour Slate alors qu'il est ajouté après coup à mon corps défendant), c'est celui qui m'est le plus cher, et le plus douloureux, celui que j'oppose à ma rédaction (je crie dans le désert mais il me reste du souffle): c'est une mutilation.
Tous les textes que j'écris et que je traduis –articles, livres, mails, SMS et sommations de vider le lave-vaisselle– sont composés avec un amour des mots que je ne trahis jamais.
Mon style n'est évidemment pas du goût de tout le monde, normal, mais je jure que jamais je n'écris au petit bonheur la chance. Tout est calibré, en fonction du moment, du lecteur, de l'âge de la capitaine, de l'équilibre des phrases, de la vitesse du vent, de la rythmique générale, de la musicalité de l'ensemble. Tantôt j'y mets des mots obscurs, tantôt j'y mets des mots abscons.
Et c'est toujours une œuvre d'art à mon humble niveau d'amatrice, toujours un hommage que je rends à ma langue que j'aime avec passion et qui me procure depuis l'enfance un plaisir infini. «Une bonne phrase de prose doit être comme un bon vers, inchangeable, aussi rythmée, aussi sonore», disait Flaubert.
Un point médian, un seul, et c'est toute la phrase qui se casse la figure. Des doublons en veux-tu en voilà, et c'est tout un paragraphe qui morfle. Le tout mélangé, et le texte perd son âme. C'est une forme de censure de l'esprit, d'atteinte à l'intégrité de l'esthétique de la pensée. En gros: c'est moche. Et ça, c'est tellement dur à avaler.
Le Conseil d'État a rejeté des recours demandant l'annulation d'une circulaire d'Édouard Philippe, publiée en novembre 2017. Il demandait à proscrire l'écriture inclusive dans les communications ministérielles.
Selon une circulaire dont l'AFP a eu une copie ce mardi 21 novembre, Édouard Philippe a décidé de bannir l'écriture inclusive des textes officiels. "Je vous invite, en particulier pour les textes destinés à être publiés au Journal officiel de la République française, à ne pas faire usage de l'écriture dite inclusive", demande le chef du gouvernement à ses ministres. Et d'ajouter : "Outre le respect du formalisme propre aux actes de nature juridique, les administrations relevant de l'État doivent se conformer aux règles grammaticales et syntaxiques, notamment pour des raisons d'intelligibilité et de clarté de la norme".
L'ancien maire du Havre veut donc que tout le monde veille à "la bonne application de ces principes" par "l'ensemble des services placés sous (leur) autorité".
Objectif, "clore la polémique"
Ce petit recadrage a eu lieu alors que la règle controversée d'élargissement du féminin dans la langue française continue à susciter un vif débat. Dans ces conditions, la circulaire vise à apporter une "clarification après des initiatives dans certaines administrations" et à "clore la polémique", a précisé Matignon à l'AFP.
Par exemple, la semaine dernière, le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner a publié une profession de foi en écriture inclusive. Et ce, sans le feu vert de l'Académie française et contre l’avis de Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Education, qui a déjà exprimé ses réserves concernant cette nouvelle méthode d'écriture. Il l'a fait une fois, il ne le refera donc plus.
Engagé dans le renforcement de l'égalité entre les femmes et les hommes
Toutefois, la note d'Edouard Philippe ne signifie pas que le gouvernement ne sera pas engagé dans le renforcement de l'égalité entre les femmes et les hommes, au contraire. Comme l'indique le Premier ministre, même si dans les textes réglementaires, "le masculin est une forme neutre qu'il convient d'utiliser pour les termes susceptibles de s'appliquer aux femmes", quand l'auteur d'un texte officiel ou la personne nommée est une femme, il convient bien d'écrire "la ministre", "la secrétaire générale" et de féminiser la fonction en se référant à un guide ( "Femme, j'écris ton nom...") élaboré par le CNRS et l'Institut national de la langue française. La seule exception : dans les actes de recrutement et avis de vacances publiés au JO, il faudra utiliser des formules comme "le candidat ou la candidate" afin, cette fois, de "ne pas marquer de préférence de genre".
Depuis plusieurs semaines, on en parle de plus en plus. Il faut croire que le sujet devient une controverse qui ébranle tout le monde. On pourrait trouver fou que chacun considère un fait de langue si capital, si digne de révolte, si révélateur de la pensée, dans un camp comme dans l’autre. Car les camps s’affrontent, et là, en revanche, c’est moins drôle. Je ne retranscrirai pas de propos précis ici mais j’ai été stupéfaite de lire de véritables insultes, parfois vulgaires, prononcées à l’encontre de F féministes qui prônent ces bêtises, ou de ces F (aussi) vieux réacs qui ne veulent pas changer la langue alors qu’elle est tellement macho, notre bonne vieille langue. Vous ne le saviez pas ? Une macho finie. C’est vrai, on apprend aux petites filles que « le masculin l’emporte sur le féminin », les temps ont changé, non ? Et si on propose de remettre un peu le féminin aux commandes, les vieux s’insurgent, quelle honte, ne touchez pas à mon orthographe. Bref. J’arrête-là, mais je caricature à peine, à mon grand regret. (Il suffit d’écouter un débat radiophonique ou d’ouvrir twitter pour être soufflé de toute cette violence, terrassé par ces arguments, toujours les mêmes, et parfois faux, des deux côtés.)
Avant de commencer, il faut aussi préciser quelque chose. Cet article n’est pas un article de fond, une référence, un manifeste. Il s’agit simplement de nos deux avis. Mon avis, celui d’une femme (et ça compte), agrégée de lettres, et professeure de lycée. Et l’avis de mon mari, ce chercheur en linguistique antique spécialiste du genre. (Oui.) Tous les deux, nous sommes sensibles à ce sujet passionnant qu’est l’évolution des genres dans les langues occidentales. Nous avons même prénommé notre fils… Camille, ce si joli nom épicène, il faut croire que nous avons toujours eu quelque chose avec cette question du masculin et du féminin.
Voici donc notre petit avis, je vais tenter de le rendre le plus bref et le plus clair possible, mais aussi le plus complet, et le plus lisible. C’est un avis de passionnés de la langue, dans son ensemble, et de toutes les réflexions qui gravitent autour d’elle. Je compte donc sur votre compréhension et votre bienveillance. Si cela permet de clarifier les choses pour beaucoup, nous en serons ravis, mais chacun pense ce qu’il veut et nous n’avons pas envie de convertir (ni de froisser) qui que ce soit. Il s’agit surtout de nuancer plusieurs idées que l’on entend beaucoup, et d’inviter chacun à être mesuré sur la question.
D’abord, je vais essayer de rappeler très brièvement les faits, si (vous vivez sous un caillou et que) vous n’avez pas trop entendu parler de tout ça.
On entend en cette fin d’année l’expression « écriture inclusive » partout. Elle est présentée comme une idée portée par les mouvements féministes et comme un concept en train de s’imposer, d’autant plus qu’un manuel scolaire l’a adoptée récemment. Il s’agirait donc de « réformer l’orthographe et la syntaxe », et l’on « attend que l’académie fasse une loi ». (C’est ainsi qu’on peut le lire dans les journaux.)
Mais qu’est-ce que c’est d’abord, cette écriture ?
En fait, c’est compliqué, mais ce qu’on entend beaucoup, ce que les médias (et les gens) retiennent, c’est : une mise en valeur du féminin dans la langue, passant par une féminisation des noms de métiers, la précision du genre féminin s’il y a lieu (celles et ceux qui…), ou grâce notamment au point en haut (les éditeurs・trices) (ou iels, ou celleux) , l’abolition du « masculin qui l’emporte », en « rétablissant l’accord de proximité », on pourrait dire « les hommes et les femmes sont belles », ce qu’on faisait avant que des grammairiens statuent là-dessus au XVIIIème, et hop, exemple de Racine (toujours le même exemple d’ailleurs), tenez tenez, «Armez-vous d’un courage et d’une foi nouvelle» (Athalie), vous voyez ?
Bon.
Autrement dit, sans rentrer dans le contenu des propositions, il y a déjà des précisions à apporter. Je mettrai en vert les arguments que l’on entend beaucoup et qui posent problème, en expliquant ensuite pourquoi.
« Il faut réformer l’écriture, la grammaire est sexiste. » // « Qu’est-ce que c’est que cette réforme, conservons l’orthographe telle qu’elle est. »
Le premier problème, c’est de penser que la langue est une loi. (J’en avais longuement parlé dans mon article sur la réforme sur l’orthographe, si vous voulez en savoir plus.) Dans la langue il n’y a pas de loi. Donc pas de réforme. On entend beaucoup dire que les enseignants qui veulent enseigner l’écriture inclusive « ne respectent pas la règle et sont hors la loi, condamnables ». Mais… il n’y a ni loi, ni loi à changer ! Il y a un usage. La langue n’existe que par ce que nous faisons d’elle, ce que nous prenons l’habitude de dire.
Et c’est là un point qui nous semble crucial : d’un côté comme de l’autre, on ne pourra pas dire « allez hop maintenant on va faire comme ça ». La plupart du temps, la règle officielle ne suffit pas. On ne vote pas ça comme on vote une loi. La langue ne repose que sur des usages.
Si vous êtes écrivain, ou écrivaine, vous pouvez tout à fait choisir d’écrire en écriture inclusive. Ou pas. C’est un choix, selon vous-même, selon votre éditeur, selon vos futurs lecteurs, dans un cas comme dans l’autre. Rien n’est interdit. Il y a certes des normes, mais surtout un usage, mais l’usage a toujours primé et primera toujours.
Bien sûr, il est vrai aussi que parfois les normes vont contre l’usage, comme si elles étaient un peu périmées, et il faut qu’elles soient adaptables. Mais elles ne sont périmées qu’à cause de ce que la majorité adopte comme usage, on ne peut pas forcer une majorité à adopter une manière de parler.
« L’académie française, c’est une bande de vieux qui décide de tout, et qui décide n’importe quoi. Je vais leur écrire. «
L’académie en a parfaitement conscience, : ce n’est pas elle qui fait la langue. C’est lui donner mille fois plus d’importance qu’elle n’en a vraiment ! Les académiciens font leur propre dictionnaire, il font des recommandations, mais c’est tout. Ce n’est pas un parlement de la langue. Leurs recommandations ne sont d’ailleurs pas toujours raccord avec le Robert, ou le Littré ou le Larousse. On peut trouver des informations différentes d’un dictionnaire à l’autre, ce qui surprend souvent les gens qui prennent un dictionnaire pour un code pénal. Mais non ! Une langue est mouvante. Il y a des normes qui aident à se comprendre les uns les autres mais l’usage domine ces normes.
« C’est faux d’écrire iels, c’est juste d’écrire il et elles » (ou l’inverse.)
On a un problème avec l’orthographe en France parce que c’est si compliqué que des générations ont été traumatisées par ça et on entretient l’idée selon laquelle il y a « le bon » et le « pas bon ». Le faux et le juste. Mais l’affaire est bien moins binaire, et tout dépend des époques, et des contextes. Voilà qui est regrettable : aucun des deux camps n’est mesuré là-dedans.
« Il faut l’enseigner à l’école. »
Alors, ne me fustigez pas, nous décidons simplement de vous donner notre avis. L’école est souvent très en retard sur plein de choses dans l’évolution de la société, parce qu’il reste sans doute préférable qu’elle s’adapte à l’usage, et non l’inverse. Son but reste de former des élèves à s’intégrer dans la vie du travail, et même, la vie en général. Si cette écriture inclusive (dans son aspect acteur•trice•s et celleux) est promue par un tout petit nombre de personnes (parce que ça reste le cas, qu’on le veuille ou non), je crois qu’il faut préférer enseigner l’usage majoritaire. Pour l’instant l’usage dominant c’est l’autre. L’école ne peut pas prendre les devants. Elle n’a pas à le faire. Si les auteurs décident d’écrire davantage ainsi, si les entreprises, les employés, à tous les niveaux, l’adoptent, imaginons, dans 50 ans, ou plus, si on la trouve partout, cette écriture iels ou candidat•e, là on l’enseignera. Mais aujourd’hui, l’école ne peut pas suivre une mode tant qu’on ne sait pas si c’est une mode ou si c’est durable.
L’écriture inclusive repose sur plusieurs grands principes. Ce sont ces principes qui sont au coeur des débats que l’on entend en ce moment, alors, prenons le temps de les examiner.
♦ »Accorder en genre les noms des fonctions, grades, métiers et titres. » (Exemples, que je cite depuis écriture-inclusive.fr : « présidente, intervenante, directrice, chroniqueuse, professeure. » )
Alors là… il est évident que cela relève du bon sens. Et même… c’est déjà très largement le cas ! (Mon correcteur orthographique n’a pas tiqué lorsque j’ai tapé ces mots d’ailleurs.) C’est tout à fait entendu à l’oral, d’ailleurs l’usage se l’est approprié. Le besoin est né, l’usage a su évoluer. Alors, évidemment, certains préfèrent encore dire « madame le professeur », ou « madame le ministre ». Mais il faut être honnêtes : l’usage populaire a déjà imposé le féminin. Allez dans n’importe quel café du commerce, je vous mets au défi d’entendre quelqu’un dire autre chose que « la ministre ». C’est là un point véritablement important : cela s’impose dans l’usage, et donc dans la langue, et donc, il n’y a même pas de débat à avoir là-dessus. On ne peut pas « décider que désormais tout le monde dira ou écrira » A ou B. Les mots sont vivants, ils naissent lorsque nous en avons besoin.
Et, parlons-en d’ailleurs : ce n’est pas (selon moi, mais vous avez le droit de ne pas être d’accord) le langage qui a créé des femmes ministres. Ce n’est pas la mise au féminin du nom qui a encouragé la féminisation de la fonction. C’est la société, c’est la réalité, et le langage a suivi. Je ne crois donc pas que l’on puisse dire que si l’on impose une adaptation de la langue qui irait dans le sens d’une mise en valeur des femmes, on ferait changer la société. Cela se produit toujours dans la langue : quand on a besoin d’un mot, on le crée. Le féminin se met à exister pour être plus clair, plus logique à l’oreille. (Et « Madame la ministre », c’est plus logique à l’oreille.) (Après, militer pour qu’il y ait plus de femmes ministres, ou présidentes, là, je suis bien d’accord avec vous, mais c’est un autre sujet ! ) En bref : cet accord se fait de lui-même, avec le temps, dans l’usage, puis à l’écrit.
♦User du féminin et du masculin, par la double flexion, l’épicène ou le point milieu. Exemples (je cite toujours ce site) « »elles et ils font », « les membres », « les candidat·e·s à la Présidence de la République », etc. »
Il y a plusieurs soucis là-dedans, mais qui ne sont pas vraiment des soucis, et je vais essayer de les expliquer clairement, sans trop rentrer dans des détails techniques.
(Accrochez-vous et enfilez votre costume de linguiste, ou de philosophe, vous allez voir c’est amusant.)
Le principe de l’écrit est au départ d’exister pour figer quelque chose de dit. Le principe d’une langue est d’être la version sur le papier d’une langue orale. Tout écrit doit pouvoir se dire. Il existe un cas ou l’on s’éloigne un peu de ce principe : le cas des abréviations. Toutefois, cela correspond quand même à quelque chose qu’on peut développer à l’oral. (Si j’écris qqch, je peux le prononcer « quelque chose ».) Sur des milliers d’années d’écriture, la seule petite différence qui ait existé entre l’écrit et l’oral se situe ici, sinon, tout écrit est prononçable. Même la ponctuation est une retranscription écrite de quelque chose d’oral.
Le problème de l’écriture avec le point en haut se situe donc ici : en plus d’être délicate à lire, elle est proprement imprononçable. Ce serait donc rompre un lien ancestral, et cela pose un problème de fond. Tout texte écrit doit pouvoir être lu. Comment faire, alors, si on écrit «iels sont fier.e.s », comment dire ? « Iels sont fiereuess? » Ou alors doit-on lire «ils et elles sont fier et fières », et alors, on considère « l’écriture inclusive » comme une abréviation ? Dans ce cas pourquoi ne pas l’écrire en entier ? Le voilà, le premier souci de cette histoire de point en haut. On ne peut pas considérer l’écrit en faisant abstraction de l’oral.
Evidemment, plus ça va, plus il y a un fossé dans notre langue entre l’écrit et l’oral, plus on idéalise l’écrit, on utilise à l’écrit des élégances dont on se passe à l’oral, évidemment. Mais normalement, et, quoi qu’il arrive, fondamentalement, c’est indissociable, on ne peut penser l’un sans l’autre.
Eh, dites, si on se mettait à conseiller de préciser à chaque fois le masculin ET le féminin (c’est ce qui s’appelle la « double flexion » : « celles et ceux », « tous et toutes»…) ? Comme ça, on peut le prononcer !
Alors. C’est un fait : il existe dans la langue française (comme dans toutes les langues occidentales) un masculin pluriel qui englobe masculin et féminin. Je reviendrai sur l’origine, mais techniquement,et sans être linguiste, tout le monde sait qu’on dit « vous êtes arrivés » si le pronom « vous » désigne à la fois des femmes et des hommes. On dira de même pour des objets : « chez nous, les fourchettes et les couteaux sont verts ». (L’autre jour en faisant mes courses, j’entendais un enfant dire à sa soeur « ils sont où, papa et maman ? ». Ce dernier avait donc intégré sans y réfléchir que pour désigner un masculin + un féminin, on utilise le masculin pluriel, sans que ce « masculin » exclue le féminin, me suis-je dit, avant d’aller au rayon pâtes.) Encore une fois, j’y reviendrai, mais je voulais préciser cela pour mieux situer les choses.
Or, ce masculin pluriel globalisant commence parfois à nous gêner, (« nous » au sens de « nous tous utilisateurs de la langue française »), et nous sentons de plus en plus le besoin de préciser le genre féminin lorsque nous parlons de référents animés, pour bien indiquer que nous ne l’oublions pas. (L’enfant des courses n’en a pas besoin, par exemple, il ne dira jamais « il et elle sont où, papa et maman ». En revanche, on peut imaginer qu’on commence une annonce par « les danseuses et les danseurs », ou « les musiciennes et les musiciens », parce qu’on a peur que l’utilisation de « les danseurs » n’indique pas assez qu’il peut y avoir des danseuses dedans, et la même chose pour « les musiciens ».)
Là encore : c’est un fait, on le dit de plus en plus. « Chers adhérentes, chers adhérents ». Je ne sais pas si c’est bien ou pas. D’un côté, je trouve que c’est bien, c’est la femme en moi qui parle. D’un autre, je trouve que ça rend la phrase assez lourde, et puis, l’inconvénient et que, si par malheur on oublie de préciser le féminin quelque part, on peut nous accuser d’oublier les femmes. (Je n’invente rien, et je lis beaucoup d’avis dans ce sens.) Toujours est-il que l’usage l’adopte de plus en plus, et il suffit d’écouter n’importe quel discours de notre président de la république pour l’entendre. Il s’agit donc là non d’une écriture inclusive mais d’une évolution naturelle de l’usage et de la langue qui fait son chemin : à chacun de voir ce qu’il utilise, s’il ressent le besoin de préciser la version féminine ou pas de ceux dont il parle. (Et si vous voulez mon avis, je trouve ça très fastidieux à écouter, à dire, à écrire, et à lire.)
D’accord, et alors, si on contournait le problème ? On pourrait systématiser l’usage d’une tournure épicène, c’est-à-dire, on pourrait essayer de se débrouiller pour trouver à chaque fois un équivalent globalisant, « les membres » au lieu de « les employés », « les plumes » au lieu de « les écrivains » ?
Alors, oui, c’est une autre solution : contourner le souci en trouvant une formulation qui évite d’avoir à choisir. Et là, eh bien… évidemment, qu’on peut ! Mais ça ne résout pas vraiment le problème ! Est-ce que cela voudrait dire qu’il faudrait se débrouiller pour trouver dans TOUTES les situations où le masculin pluriel se manifeste une tournure qui évite de se poser des questions ? Qu’à chaque fois qu’on aurait besoin d’un pluriel dans une phrase, on chercherait un mot qui nous évite de choisir entre masculin et féminin ? C’est certain, nous ne pouvons pas deviner l’évolution de la langue dans le futur. Toutefois, je doute que le masculin pluriel conçu comme un neutre, comme une tournure globalisante, disparaisse, parce que notre langue en a besoin. Et qu’on ne peut rendre « obligatoire » ni le fait de préciser le féminin à chaque fois, ni celui de trouver un détour, car l’ensemble serait très fastidieux, d’un point de vue linguistique.
Le point crucial demeure cette idée de « il faut dire ou écrire ainsi » : on ne peut pas statuer sur une «obligation» de précision grammaticale, on ne peut pas imposer d’écrire « les abonnés et les abonnées », ou seulement « les abonnés », parce que techniquement, « les abonnés » englobent encore le masculin et le féminin. Je recevais encore aujourd’hui un mail s’ouvrant par un « bonjour à tous » (signé par une femme) alors qu’il y a des femmes dans le « tous », et je ne m’en offusquais pas, et j’imagine qu’elle non plus. J’entendais une étudiante dire à son copain « Viens, on va s’installer là tous les deux », avec un beau « tous » qui englobe masculin et féminin, et qui est bien la preuve que notre langue a besoin de ce pluriel globalisant, portant la marque du masculin sans désigner seulement des hommes. (Sinon c’est assez compliqué, avouez, « Viens, on va s’installer là tout•e•s, euh, toute les deux, tous, enfin, à deux, enfin, toi et moi quoi. »)
Si seulement c’était comme en anglais, sans féminin et masculin, ce serait plus simple (bordel).
C’est un fait : la langue française est une langue qui contient un genre grammatical, pour les référents animés (les personnes), comme pour les référents inanimés. On ne la fera pas passer là maintenant tout de suite du côté d’une langue sans genre. Allez savoir, peut-être un jour, mais pas tout de suite. (Et je ne sais pas vous, mais moi, je le trouve jolie, notre bonne vieille langue, avec son féminin et son masculin.) Cet aspect travaille énormément les grammairiens depuis des siècles, et c’est passionnant à lire. (Par exemple, les grammairiens latins ont établi que tous les noms d’arbres étaient au féminin, parce qu’ils portent des fruits. Ça a changé en français : c’est bien dommage.) Depuis des centaines d’années, on se pose des questions là-dessus, on se demande pourquoi on dit « une corde », et « un livre », et pas l’inverse. Or, beaucoup de chercheurs passés et présents s’interrogent sur le lien entre genre grammatical et sexe, autrement dit, sur la vision de la société qu’une telle distinction linguistique imposerait (ou n’imposerait pas) dans nos esprits. Pour résumer, certains linguistes établissent que le féminin de « vaisselle » est lié à de la fragilité, par exemple. On se pose beaucoup de questions sur cette histoire de masculin et féminin, et on se demande si on attribue aux objets des caractéristiques sexistes. (Une fourchette, et un couteau, est-ce suspect ? Je vous laisse réfléchir là-dessus.)
Mais le langage influence tellement la pensée. Donc si on apprend que le masculin l’emporte, même pour les objets, ce n’est pas juste ! On va finir par croire que les choses au masculin, comme les hommes, sont supérieur(e)s aux choses au féminin, comme les femmes.
Forcément, nous sommes façonnés par le langage, et forcément, nous ne mesurons pas consciemment tout. Mais (vous avez le droit de penser le contraire) : je crois que la notion de genre grammatical ne peut pas aller jusqu’à influer sur notre vision des hommes et des femmes. Si c’était le cas…on penserait tous la même chose, puisqu’on utilise tous la même langue ! En des centaines d’années, l’égalité en France entre hommes et femmes n’a cessé de changer, et pourtant on a toujours dit « une table » et « un tabouret ». L’enfant que j’évoquais qui disait « ils sont où, papa et maman », ne devait pas pour autant penser que papa était plus fort que maman, et j’avoue que moi-même, en tant que maman, je ne me sentirai ni oubliée ni inférieure quand mon petit garçon dira « papa et maman sont parfaits ». (Parce qu’il le dira.)
Oui mais regardez à côté, les autres langues ! Les sociétés les plus égalitaristes sont celles avec un genre neutre !
Mais ce n’est pas toujours aussi simple. En finois, oui d’accord, mais il existe des contre-exemples. (Le Turc, notamment, ou le mandarin oral.) Cet impact de la grammaire sur les comportements sociétaux, en terme d’égalité homme-femme, est réellement encore très controversé, c’est un point d’interrogation. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il y a un masculin et un féminin en français que nous sommes très en retard en matière de place de la femme.
Mais et l’accord de proximité ? Racine écrivait bien en accordant avec le plus proche si c’était un féminin, comme en latin, non ? (On peut lire ça un peu partout, comme ici ou ici. ) Pourquoi « le masculin l’emporte » ? Les hommes et les femmes sont beaux, c’est injuste, on pourrait dire « les hommes et les femmes sont belles », parce qu’il paraît que c’était le cas, avant ?
Alors.
Je vais essayer d’être compréhensible.
Ce qui est très embêtant là-dedans, c’est justement que le genre grammatical ait un lien avec le sexe. Prenons de la hauteur. De tout temps, les langues ont fait une distinction naturelle (d’usage) entre des référents animés et des référents inanimés. C’était d’ailleurs la distinction première en indo-européen, la langue-mère. Dans les deux langues descendant de l’indo-européen que l’on connait le plus, le latin et grec, on a eu une division en 3. (L’animé-masculin, l’animé-féminin, et le neutre pour l’inanimé.) Sauf qu’au fil du temps, le neutre a disparu, et tous les inanimés sont venus s’inscrire dans des cases de féminin et de masculin. On arrive donc au fameux système de notre langue, dans laquelle une chose a un genre, et où l’on dit une table et un tabouret, avec cette fameuse complexité qui laisse si perplexe nos voisins anglo-saxons. Ils nous demandent pourquoi un tabouret est masculin… Nous sommes souvent si démunis pour leur répondre ! C’est bien qu’il ne s’agit pas de problème homme/femme là-dedans. Les mots sont rentrés dans ces genres masculins ou féminins pour des questions de terminaisons, de flexion, et d’usage.
Donc, si vous me suivez, nous avons une langue avec deux grandes colonnes : les animés et les inanimés. Ces deux colonnes sont elles-mêmes partagées en deux, le féminin et le masculin, à chaque fois. Or, pour simplifier les choses, on apprend aux élèves qu’en cas de pluriel, « le masculin l’emporte « . (« Papa et maman sont ravis », « le croissant et la tasse de thé que j’ai apportés ».) Dans notre débat, on entend trop souvent : « Avant les méchants grammairiens du XVIIIème, on accordait couramment au féminin, exemple : Racine, et surtout : les citations des grammairiens qui disent que le masculin est plus noble. (Cf par exemple cette tribune de Marie Darrieussecq dans l’Obs.)
Mais ce n’est pas si simple.
Racine aurait hurlé si on lui avait dit « les hommes et les femmes sont belles ». Ça ne s’est JAMAIS FAIT, JAMAIS JAMAIS.
Qu’est ce qui s’est fait alors?
En latin, en grec, dans toutes langues romanes depuis 3000 ans, quand nous sommes dans la colonne des animés, si on veut utiliser le pluriel, on accorde au masculin. Et surtout quand l’adjectif est attribut. En grec, en latin, on accordait au masculin, systématiquement. « Les hommes et les femmes sont beaux ». On pouvait aussi éventuellement accorder l’attribut et le verbe avec le dernier nommé, ou le plus important des deux. Si on essayait de faire un équivalent français, ça donnerait : « La fille et le garçon a été arrêté ». Pourquoi? En fait, suite de la phrase avec le premier sujet sous-entendu. (« La fille a été arrêtée et le garçon a été arrêté. ») Dans tous les cas, il faut bien avoir à l’esprit que les syntaxes latines et grecques n’ont rien à voir avec notre syntaxe, et qu’il est donc très délicat de comparer strictement avec notre langue. (Et pour finir, le statut de la femme dans la civilisation latine, parlons-en, hein.)
Passons dans la colonne des inanimés. Là, et si l’adjectif est attribut, on trouve plusieurs possibilités. Soit on accorde au neutre pluriel. (Et ça, on ne peut plus le faire, on n’a plus de neutre.) Soit on accordait le verbe et l’attribut avec le dernier nommé, là encore. (Cela faisait quelque chose comme : « nous avons eu affaire à des conflits et des haines sérieuses ».)
Au moyen-âge, on a continué à appliquer cette règle de proximité, qui n’était donc pas si simple et pas applicable dans tous les cas, et, effectivement, nos grands auteurs l’ont employée, pour les référents inanimés. Jamais pour les animés. (Rappelons-nous l’exemple entendu partout de Racine (« Armez-vous d’un courage et d’une foi nouvelle ») : « le courage », et « la foi » ne sont pas des référents animés, des êtres vivants. De plus, il s’agit d’un exemple, il n’appliquait pas cette règle à chaque fois, et puis on l’oublie, mais eh, c’est bien utile pour sa rime, donc, bon. )
Quand les premiers grammairiens ont essayé de tout normaliser au XVIIIème siècle, parce que c’était un gigantesque capharnaüm, ils se sont demandé quelle règle fixer. Ils ont proposé une idée qui ne sortait pas de nulle part : le masculin l’emporterait, dans tous les cas, inanimé ou animé. On les voit misogynes avec nos yeux d’aujourd’hui. Et pourtant, cela devait très probablement être déjà l’usage courant, sinon, leur règle ne se serait jamais installée. Leur formulation est certes maladroite, mais ils voulaient suivre l’usage, ils n’ont pas sorti ça de nulle part.
Il est donc bien trop simple de dire « de méchants grammairiens ont tout imposé et l’école a appris ça aux malheureux écoliers qui l’ont fait contre nature ».
Je ne dis pas que ça veut dire qu’il ne faut rien changer.
Je veux simplement dire : attention à ne pas déformer l’histoire de la langue pour la mettre au service d’une idéologie.
Certes, on peut rêver, et se dire qu’un jour on modifiera l’usage, et qu’il sera courant d’entendre « les hommes et les femmes sont belles ». Mais pour l’instant on ne le dit pas. Et on ne l’a jamais dit. Intuitivement, on ne l’a jamais fait dans l’histoire de la langue. Est ce que ça pourra s’imposer ? Qui sait. Mais dans tous les cas, arrêtons de mentir en le présentant comme un retour à un ordre ancien, une sorte d’âge d’or avant le sexisme. (Et laissons Racine tranquille.)
Pour conclure…
Cet article un peu long ne veut pas blâmer qui que ce soit. Il a simplement pour but de rappeler des faits de langues trop méconnus qui sont détournés au service d’une idéologie, sans être creusés, ce qui est regrettable.
Je crois qu’il faut garder en tête que pour les référents animés, les êtres vivants, si depuis 3000 ans, on fait un accord au masculin lorsqu’on les met au pluriel, il y a très peu de chances que l’usage prenne pour faire autre chose. Je ne dis pas qu’il faut tout enterrer, mais simplement qu’il faut avoir un recul historique sage sur tout cela. Et qu’il faut garder en tête que ce pluriel masculin n’est pas un masque à la féminité, pas du tout : il s’agit d’une forme qui englobe, qui rassemble, et ça, c’est joli, non ? Vous n’avez pas envie d’être rassemblés ?
Il reste les noms de métiers : et là, évidemment, la version féminine s’impose si on en a besoin. Il n’y a rien à revendiquer, selon moi : l’usage suit l’évolution de la société.
Terminons par ce qui paraît essentiel dans toute cette polémique : cette culpabilisation ambiante des français par eux-mêmes, cette idée selon laquelle la langue française va mal, la société va mal, avant c’était mieux, ailleurs c’est mieux. C’est là un mal bien français et tellement triste. Dans aucune langue romane on ne dit aujourd’hui « les hommes et les femmes sont belles », et on ne l’a jamais dit dans un âge d’or passé.
Moralité : laissons l’usage nous guider, laissons notre impression et notre rapport à la langue nous guider. Et l’usage rassemble des millions de personnes. On ne peut pas résoudre un dogmatisme par un autre dogmatisme. Sur ce sujet, et avec un recul de linguiste, ce n’est pas aussi simple que de dire « il n’y a qu’à écrire ça », et boum, tout le monde l’écrirait. La langue est vivante, et libre, tellement libre, c’est ce qui la rend merveilleuse. Elle est incontrôlable, elle touche à l’intimité des gens et à leur pensée. La mue vers un nouvel usage, quel qu’il soit, est très longue et progressive.
Allez, pour finir, un autre petit exemple de Racine. C’est dans une de ses pièces que je préfère.
Andromaque (V, 2) « Son salut et sa gloire semblent être avec vous sortis de sa mémoire ».
« Sortis ». Au masculin pluriel. Sans l’accord de proximité avec « gloire ». Comme quoi…
Pour Abnousse Shalmani, auteur de «Khomeyni, Sade, et moi», la libération de la femme ne passera pas par l'écriture inclusive.
Le souci avec le féminisme, depuis qu’il est devenu «mainstream», c’est le pot pourri des revendications qui étouffent la légitimité du combat et brisent la colonne vertébrale de la raison –oui, je sais aussi: c’est devenu un gros mot, vu que, dorénavant, ce qui prime et séduit, c’est l’émotion, le ressenti, le témoignage; nous vivons la fin de l’esprit critique. Parmi ses nouvelles marottes: l’écriture inclusive. Qu’est-ce que c’est? Une orthographe qui inclut le masculin et le féminin. Par exemple: les militant.e.s. sont tou.te.s des con.ne.s. Le tout dans l’espoir de rencontrer le prince charmant, pardon, d’effacer les inégalités qui persistent entre les hommes et les femmes.
Les défenseurs de l’écriture inclusive en sont convaincus: le langage conditionne l’inégalité, et structure la domination (ou le contraire). Le masculin l’emportant sur le féminin, les femmes sont naturellement infériorisées, il faut donc changer cette odieuse règle qui sévit seulement depuis le XVIIe siècle et condamne les femmes à être exclues de la grammaire, de la parole, de la société, de la galaxie.
Seulement voilà: en persan ou en turc –pour ne parler que des langues que je connais un peu–, il n’y a pas de masculin et de féminin. Ce qui ne fait pas pour autant de l’Iran et de la Turquie, des havres de paix et d’égalité où l’infériorité des femmes n’est pas terriblement intériorisée comme dans notre République si abjecte envers les femmes jusque dans la grammaire.
Soyons sérieux: lorsque j’apprenais le français à l’école de la République, personne ne m’a asséné: «Le masculin gagne sur le féminin» mais «Le masculin est neutre». Nuance. Je passe rapidement sur la laideur esthétique de l’écriture inclusive, pour imaginer un monde façonné par les adeptes de la novlangue où il faudra traduire Madame Bovary ou Anna Karénine en inclusif parce que, merde, les femmes méritent leur forme écriture à elles toutes seules. Quoique… si nous en arrivons là, dans la logique où s’inscrit l’écriture inclusive, les deux romans précédemment cités seront interdits et brulés, car comment! des hommes, des hétérosexuels blancs, fruits du patriarcat dominant qui écrivent sur les femmes, qui s’autorisent à faire parler les femmes? Vous n’y pensez pas! Usurpation sexuelle! Trahison de sexe! Au bûcher! Flaubert repasserait devant le tribunal de l’inquisition féministe: «Non, Monsieur Flaubert, vous n’êtes pas Madame Bovary.»
Et Madame la procureure s’empresserait de déterrer des limbes du temps, la belle formule de l’écrivain, à propos de sa grande amie et collègue, George Sand (ci-contre): «Il fallait la connaître comme je l’ai connue, pour savoir tout ce qu’il y avait de féminin dans ce grand homme.» Sursaut dans la salle d’audience, un frisson de haine parcourait la foule: Flaubert ce phallocrate immonde. Ce serait une preuve à charge: parce que George Sand osait être écrivaine, osait se travestir pour être plus libre de ses mouvements, Flaubert, ce sexiste qui s’ignorait, éprouvait le besoin patriarcal de préciser, dans son «hommage», que c’était quand même toujours une femme! Ne riez pas: nous n’en sommes pas si loin.
L’écriture inclusive nous raconte quelque chose du féminisme qui sévit et qui n’a plus grand chose à voir avec le féminisme historique (ou universaliste): créer les conditions de l’égalité en offrant les mêmes chances de réussite et d’émancipation, militer pour la liberté sexuelle, soutenir l’entrée des femmes dans toutes les carrières et lutter contre les discriminations. Personne n’avait imaginé qu’on en viendrait à dresser des listes de noms féminins négatifs (la soumission, la corvée, la vaisselle etc. et je pourrais rajouter la clairvoyance, la violence, la puissance etc. pour équilibrer) et qu’il serait sexiste de dire «Madame le Président» ou de vouloir demeurer «Mademoiselle» (ne pas se marier et le revendiquer est aussi un choix féministe).
La sacralisation des femmes sous-entend sa fragilité et par conséquent sa protection indispensable. Protéger les femmes, c’est les discriminer
Les conséquences de ce parasitage continu du féminisme historique sont doubles: la sacralisation de la femme et son corolaire, la sainte victimisation. La sacralisation des femmes sous-entend sa fragilité et par conséquent sa protection indispensable. Protéger les femmes, c’est les discriminer.
Ainsi, en 1928, lors des Jeux olympique d’Amsterdam, les femmes participent pour la première fois à l’épreuve du 800 mètres. Mais à l’arrivée, devant le spectacle d’athlètes effondrées par l’effort ou reprenant simplement leur souffle, les organisateurs décidèrent que les femmes étaient inaptes à tenir plus de 200 mètres, le tout dans le but de les préserver… L’épreuve olympique du 800 mètres fut alors interdite aux femmes jusqu’en… 1960.
Les femmes n’ont pas besoin d’être protégées, elles ont besoin de liberté pour exister et faire la preuve de leur endurance. Car derrière la fragilité se dévoile la victime éternelle qu’est la femme et qui arrange les sexistes depuis des millénaires pour justifier sa mise à l’écart et sa discrimination au nom de sa différence. Victimes, les femmes! Victimes tout le temps, partout, victimes nues et habillées, victimes dans le verbe, victime dans l’art, victime dans le travail, victime dans l’espace public!
À 8 ans, je ne parlais pas un mot de français. Mais je voulais déjà être «écrivain français», ce qui faisait gentiment rire mon entourage. Zola fut l’un des premiers auteurs que j’ai adoré. De l’âge de 10 ans à 15 ans, je croyais que Zola était une femme. Emile et Emilie sont proches, mon français était encore immature et j’avais joliment choisi que mon écrivain préféré était une femme. Une femme écrivain. Cela m’a conforté dans mon ambition. En 2014, la question m’était encore posée: écrivain ou écrivaine? Ce temps-là est achevé. Femme tu es, écrivaine tu seras.
Eh bien, je ne veux pas. Je ne veux pas vivre dans un monde parallèle à celui des hommes, réservé aux femmes décidément si fragiles. J’ai toujours voulu être écrivain et déjà enfant, je trouvais injuste que dans les manuels scolaires français, l’histoire des femmes se résume à un chapitre couvrant plusieurs siècles en fin de livre. Pourquoi ne pas mentionner Olympe de Gouges lors de la Révolution Française mais lui réserver une place à part? Comme si les femmes ne faisaient pas parti du même monde que les hommes, comme si leur histoire se déroulait en marge de celle des hommes.
Ainsi, l’injonction à être écrivaine, réveille en moi ce même sentiment enfantin de rejet. L’écrivain n’a pas de sexe et son œuvre s’inscrit dans l’histoire universelle de la littérature. Je suis une femme, j’écris. Je suis un écrivain.
Et pourtant. Adolescente, je découvre les figures féministes d’avant mai 1968 et des luttes collectives. Je découvre Madeleine Pelletier, la première femme psychiatre en 1905. Elle s’est farouchement battu pour poursuivre ses études: il fallait alors posséder ses droits civiques pour s’inscrire en psychiatrie et les femmes n’en avaient pas. Madeleine Pelletier encore moins: boursière, orpheline de père, mère catholique intégriste. Alors quand elle installe son cabinet dans le XVIIIe arrondissement de Paris, en 1907, il est légitime qu’elle féminise sa profession pour faire naître la révolutionnaire Doctoresse Pelletier (elle pratiquait aussi illégalement l’avortement).
Ici, est la différence: le contexte, l’époque, l’inédit. Aujourd’hui, nous sommes égales aux hommes dans le droit –faite des pieds et des mains, hurlez à la mort, en tapant du pied, que c’est pas vrai, ça l’est, Doctoresse Pelletier s’est battue pour ça– bien que les mentalités évoluent plus lentement que la loi, bien que nos droits fondamentaux soient régulièrement mis en cause, nous disposons d’un arsenal juridique pour exister à l’égal des hommes.
À nous d’exercer nos droits et de se battre pour nous imposer, à nous de renvoyer une baffe bien sentie après une main au cul, à nous d’avoir une attitude conquérante et une certitude inébranlable, à nous de ne pas glousser comme des gourdes face à des attaques sexistes, à nous de nous mettre en avant, à nous de prendre la parole et de la garder, à nous de conquérir des espaces masculins, à nous de refuser d’être des victimes, à nous d’être fières, à nous, chacune, individuellement, de prendre le pouvoir, comme ont su le faire des femmes extraordinaires à une époque pas si lointaine où elles n’étaient pas protégées par aucune loi.
Féminiser les métiers ne rendra pas le rapport de force moins inégalitaire comme écrire «tou.te.s» ne rendra pas les femmes plus autonomes et indépendantes. Au contraire, choisir sa vie, en dehors de toutes les injonctions parentales, sociétales, religieuses et culturelles, demeurera toujours une démarche féministe. Et gagnante.
Longtemps cantonné à des violents échanges sur Twitter, le débat sur l’écriture inclusive a quitté les réseaux sociaux et réveillé l’Académie Française, où l'on dénonce avec un brin d’emphase ce «péril mortel, dont notre nation est dès aujourd'hui comptable devant les générations futures».
Les médias, qui semblent pour la plupart avoir découvert son existence avec la publication fin septembre par les éditions Hatier du premier manuel scolaire entièrement rédigé en écriture inclusive, se sont eux aussi penchés sur l’épineuse question. Au Figaro, on hyperventile face à ce qu’on qualifie de «délire» féministe pendant qu’au Monde et chez Libé, on s’interroge sans toutefois s’engager. Chez Slate, certains sont farouchement pour, d’autres sont résolument contre.
Si pro et anti écriture pour tous et toutes n’en finissent pas de s’affronter, c’est principalement à cause du point médian, ce · qui permet d’inclure le féminin dans certains mots ( «Les manifestant·e·s») et enflamme les discussions. Dommage. Si on comprend les réticences face à un tel changement des habitudes grammaticales, l’écriture inclusive, c’est bien plus que ce point médian de crispation.
L’écriture inclusive, c’est aussi la féminisation des noms des fonctions et professions. Deux ans après la publication du Guide pour une communication publique sans stéréotype de sexe par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, dire et écrire Madame la Ministre, l’auteure, la cheffe semble passé dans les mœurs d’une grande partie de la population.
L’écriture inclusive, c’est surtout arrêter d’enseigner aux plus jeunes d’entre nous que «le masculin l’emporte sur le féminin», comme le racontait récemment Titiou Lecoq ici-même. En français, le masculin vaut neutre? Descendez dans la rue, arrêtez dix personnes. Demandez-leur d’énoncer la règle d’accord en genre. Personne ne vous parlera du masculin considéré comme neutre. En revanche, vous risquez d’entendre plus d’une fois que «le masculin l’emporte sur le féminin», quel que soit le genre de celles et ceux qui vous répondent.
Voilà pourquoi nous avons décidé de publier le manifeste de ces 314 professeurs et professeures bien décidées à braver les indications de leur ministre en cessant d’enseigner à leurs élèves cette formule du masculin tout puissant. Pas de point médian dans leurs leçons, mais une règle, celle de l’accord de proximité, «venu du latin, qui consiste à accorder le ou les mots se rapportant à plusieurs substantifs avec celui qui leur est le plus proche». «Les pays et les villes étrangères» plutôt que «les pays et les villes étrangers».
Cette règle de proximité, nous nous engageons à l’appliquer par défaut dans les papiers de Slate.fr. Tout comme nous préférerons désormais l’emploi de mots épicènes, c’est-à-dire «les mots dont la forme ne varie pas entre le masculin et le féminin» ( un ou une élève, membre, fonctionnaire), de mots désignant indifféremment une femme ou un homme ou des mots «englobants» (le corps professoral, le peuple, le public), suivant les recommandations du Haut Comité à l’égalité entre les femmes et les hommes. Pas de point médian, donc, mais une langue plus inclusive, sans impact pour les plus conservateurs de nos internautes et bien plus équitable.
L’Académie française a adopté à l’unanimité de ses membres jeudi 26 octobre une déclaration très critique sur l’écriture inclusive. Cette « solennelle mise en garde » dénonce la « démultiplication des marques orthographiques et syntaxiques » engendrée par cette graphie, qui « aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité », selon l’institution. Ce verdict des « Immortels » met-il pour autant un terme au débat ? Place-t-il de fait tout recours à l’écriture inclusive en dehors des bons usages de la langue ? Pas forcément.
L’Académie française a été fondée en 1635 par Richelieu et a depuis traversé les âges. Selon la loi de programme pour la recherche de 2006, elle est une personne morale de droit public à statut particulier, placée sous la protection du président de la République. C’est également le cas de l’Institut de France, l’Académie des sciences, l’Académie des beaux-arts et l’Académie des sciences morales et politiques. La mission de toutes ces instances est, selon ce texte, de « contribuer à titre non lucratif au perfectionnement et au rayonnement des lettres, des sciences et des arts ».
Les 40 membres de l’Académie française se réunissent les jeudis après-midi et débattent des sujets prévus à l’ordre du jour, établi par le secrétaire perpétuel. Parmi les 34 membres de l’institution qui siègent actuellement (six fauteuils sont vacants pour cause de décès), on trouve des profils divers comme l’écrivain et chroniqueur Jean d’Ormesson, l’historienne Hélène Carrère d’Encausse (qui est également secrétaire perpétuelle de l’Académie), l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing ou le philosophe Michel Serres. En 2017, on ne compte que cinq membres de sexe féminin. En quatre siècles, il n’y a eu que huit femmes sur 729 académiciens. Certaines critiques estiment d’ailleurs que cet état de fait biaise quelque peu le regard de l’institution au sujet des questions de genre.
Selon ses statuts (article XXIV), la « principale fonction » de l’Académie française est de « travailler (…) à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ». A ce titre, elle rédige son propre dictionnaire, qui respecte le « bon usage de la langue » et indique des niveaux de langages ainsi que les emplois déconseillés et les constructions fautives. Si l’institution française tire une certaine légitimité de son histoire et du prestige de ses membres, elle ne fait pas figure d’autorité suprême et indiscutable de la langue française pour autant. Elle possède certes un droit de regard sur la publication au Journal officiel des termes et expressions nouveaux, comme le prévoit le décret de 1996 relatif à l’enrichissement de la langue française. Mais pour le reste, rien n’oblige à partager toutes ses positions, tout comme l’Académie des beaux-arts ne définit pas à elle seule ce qui serait « beau » ou non.
Plusieurs exemples récents rappellent cet état de fait. Ainsi, l’Académie française s’oppose à la féminisation des fonctions et des titres lorsque ce serait contraire « aux règles ordinaires de dérivation ». Position qui s’est retrouvée au centre d’un débat houleux à l’Assemblée nationale en 2014. Le député UMP Julien Aubert, se fondant sur le verdict des académiciens, refusait d’appeler la socialiste Sandrine Mazetier « madame la présidente », préférant dire (contre la volonté de l’intéressée), « madame le président ». Se prévaloir de l’Académie française n’a pas empêché le député de se voir infliger une sanction financière.
La polémique autour de la prétendue « mort de l’accent circonflexe » en 2016 illustre également les contradictions de l’Académie en elle-même. A l’origine, on trouve des rectifications orthographiques proposées par le Conseil supérieur de la langue française et approuvées par l’Académie française en 1990. Parmi les possibilités, toutes facultatives, prévues dans ces dispositions, il y a le fait que l’accent circonflexe peut ne plus être employé sur les « i » et les « u » dans la plupart des cas. Le ministère de l’éducation nationale a rappelé en 2008 dans son bulletin officiel puis dans la réforme des programmes de 2015 l’existence de ces révisions facultatives, avant qu’elles ne soient appliquées par les éditeurs de manuels scolaires à la rentrée de 2016, suscitant alors une polémique… Jusqu’à la colère même de l’Académie française, qui n’y était pourtant pas hostile vingt-six ans plus tôt.
Au-delà de ces deux exemples, d’autres références de la langue française se sont fréquemment opposées à certaines positions des académiciens, depuis des décennies. Ce que souligne la quatorzième édition du Bon usage de Grevisse et Goosse : « Le Dictionnaire de l’Académie française (…) donne une certaine image de la langue soignée, et la caution de ce juge sévère suffit à rendre légitimes des tours que l’on avait critiqués. En revanche, ses mises en garde sont plus d’une fois discutables, parfois même oubliées par les académiciens aussitôt quitté le quai de Conti. »
"La langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd'hui comptable devant les générations futures."
FÉMINISME - Les immortels de l'Académie Française entrent en guerre contre l'écriture inclusive. Dans une déclaration relayée ce jeudi 26 octobre par Le Figaro, ils jugent "cette aberration" comme "un péril mortel". Rien que ça.
L'écriture inclusive est un mode d'écriture qui vise à féminiser la grammaire en plaçant à la fin des mots, quand c'est nécessaire, la terminaison du féminin entre des points. Ainsi, "les Immortels de l'Académie française" deviendrait "les Immortel.le.s de l'Académie française".
Elle est notamment recommandée par le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes, qui écrivait en 2015 que "les représentations auxquelles les citoyen.ne.s sont constamment exposé.e.s renforcent les stéréotypes de sexe et les inégalités entre les femmes et les hommes".
Bravo aux @EditionsHatier qui donnent l'exemple pour une écriture inclusive et une éducation égalitaire #EgaCom : https://t.co/W5i6NV5wNS
— HCE (@HCEfh) 25 septembre 2017
Pour l'Académie française, ce mode d'écriture, dont les Immortels ne voient pas "l'objectif poursuivi", crée "une confusion qui confine à l'illisibilité". Les difficultés de lecture engendrées pénaliseraient donc à la fois l'apprentissage et la lecture, mais aussi "les promesses de la francophonie".
L'écriture inclusive avait été mise sur le devant de la scène par la médiatisation, en septembre 2017, du premier manuel scolaire à l'avoir adoptée. Intitulé "Questionner le Monde", le livre avait été salué par Hatier, son éditeur, ainsi que par le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes, mais critiqué par d'autres, comme le chroniqueur Raphaël Enthoven qui craignait un "négationnisme vertueux".
Un mois plus tard, les Immortels, chargés selon leurs statuts de "donner des règles certaines à notre langue", se rangent à leur tour parmi les critiques:
"La démultiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu'elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l'illisibilité. On voit mal quel est l'objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d'écriture, de lecture - visuelle ou à voix haute - et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs.
Plus que toute autre institution, l'Académie française est sensible aux évolutions et aux innovations de la langue, puisqu'elle a pour mission de les codifier. En cette occasion, c'est moins en gardienne de la norme qu'en garante de l'avenir qu'elle lance un cri d'alarme: devant cette aberration «inclusive», la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd'hui comptable devant les générations futures.
Il est déjà difficile d'acquérir une langue, qu'en sera-t-il si l'usage y ajoute des formes secondes et altérées? Comment les générations à venir pourront-elles grandir en intimité avec notre patrimoine écrit? Quant aux promesses de la francophonie, elles seront anéanties si la langue française s'empêche elle-même par ce redoublement de complexité, au bénéfice d'autres langues qui en tireront profit pour prévaloir sur la planète."
Les Immortels, à l'unanimité, estiment que cette nouvelle pratique est un danger pour la langue française.
Les immortels de l'Académie française se sont fendus ce jeudi 26 octobre d'une déclaration au ton alarmiste condamnant vertement l'écriture inclusive. Ils vont même jusqu'à prédire un«péril mortel» pour l'avenir de la langue française. Pour rappel, cette graphie consiste à inclure le féminin, entrecoupé de points, dans les noms, comme dans «mes ami·e·s», pour le rendre «visible». Le «point milieu», ce signe situé à mi-hauteur des lettres, peut être utilisé alternativement en composant un mot comme «lycéen·ne» comme suit: racine du mot + suffixe masculin + le point milieu + suffixe féminin.
Cette pratique défendue par certaines militantes féministes au prétexte que la langue française «invisibiliserait les femmes» a beaucoup fait parler d'elle ces dernières semaines alors qu'un manuel scolaire, destiné à des élèves de CE2, a été publié pour la première fois en écriture inclusive en mars 2017. On peut y lire que «grâce aux agriculteur.rice.s, aux artisan.e.s et aux commerçant.e.s, la Gaule était un pays riche». L'éditeur a expliqué avoir choisi d'appliquer les recommandations du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes datant de 2015.
Prenant acte de la diffusion de cette «écriture inclusive» qui «prétend s'imposer comme norme», l'Académie française élève à l'unanimité une solennelle mise en garde: «La démultiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu'elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l'illisibilité. On voit mal quel est l'objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d'écriture, de lecture - visuelle ou à voix haute - et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs.
Plus que toute autre institution, l'Académie française est sensible aux évolutions et aux innovations de la langue, puisqu'elle a pour mission de les codifier. En cette occasion, c'est moins en gardienne de la norme qu'en garante de l'avenir qu'elle lance un cri d'alarme: devant cette aberration “inclusive”, la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd'hui comptable devant les générations futures.
Il est déjà difficile d'acquérir une langue, qu'en sera-t-il si l'usage y ajoute des formes secondes et altérées? Comment les générations à venir pourront-elles grandir en intimité avec notre patrimoine écrit? Quant aux promesses de la francophonie, elles seront anéanties si la langue française s'empêche elle-même par ce redoublement de complexité, au bénéfice d'autres langues qui en tireront profit pour prévaloir sur la planète.»
«Bégaiement cérébral»
Membre de l'Académie française, Michael Edwards, poète, philosophe et traducteur franco-britannique, avait confié début octobre au Figaro à quel point l'écriture inclusive abîmait, selon lui, la langue française. «C'est la chair même du français qui est ainsi rongée, et son esprit qui se trouve frappé d'une sorte de bégaiement cérébral», indiquait-il. Les académiciens avec qui il avait discuté du sujet étaient «scandalisés» mais ont décidé de prendre un peu de temps pour réagir officiellement.
La virulence du communiqué de l'Académie a été peu goûtée, jeudi, par les féministes, comme la militante et «cheffe d'entreprise» Caroline De Haas: «On va tous mourir!», écrit-elle sur Twitter. «Et après, c'est nous qu'on traite d'hystériques...»
Cette condamnation sans appel des académiciens sera-t-elle entendue? Pas si sûr. Depuis 2015 et les recommandations du Haut Conseil à l'égalité entre les hommes et les femmes, l'écriture inclusive, longtemps cantonnée aux associations féministes et aux partis d'extrême gauche, entre peu à peu dans les mœurs.
Plusieurs ministères, institutions, collectivités et universités se sont depuis mises à appliquer peu ou prou ces recommandations. Sur le site du ministère de l'Éducation nationale, il est ainsi désormais question de professeur·es. Le ministère de la Santé, quant à lui, évoque les chirurgien·ne·s-dentistes. Depuis 2016, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) s'est engagé très officiellement à écrire de façon inclusive: «Assemblée la plus paritaire de la République française, le CESE est convaincu que les stéréotypes, terreau du sexisme, sont profondément ancrés dans notre société et s'expriment dans le langage et la grammaire.» Le Cnam se définit désormais comme une école d'ingénieure·es «parce que nos formations sont ouvertes à toutes et tous».
Dans certains médias comme TV5Monde, dans des communications du CNRS, cette graphie a fait son apparition. Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Éducation, lui, n'approuve pas: «On doit revenir aux fondamentaux sur le vocabulaire et la grammaire, je trouve que ça ajoute une complexité qui n'est pas nécessaire.»