Après Le Dîner d'Adam Smith, paru en 2012 et traduit en français en 2019, l'essayiste suédoise Katrine Marçal (C'est pas moi) vient de publier Mother of Invention: How Good Ideas Get Ignored in an Economy Built for Men, dans lequel elle explique comment certaines inventions ont tout simplement été mises au rebut parce qu'elles ne collaient pas avec notre monde trop souvent pensé par et pour les hommes.
Le site Jezebel s'attarde sur l'une des histoires racontées par l'autrice: celle de la valise à roulettes, officiellement lancée en 1972... mais qui aurait en fait pu l'être des décennies plus tôt. Marçal raconte en effet que dès les années 1940, les voyageuses régulières avaient pris l'habitude de placer sous leurs valises de petits gadgets permettant de faire rouler le bagage. Un gage de rapidité et d'indépendance.
Valise papillon
Seulement voilà: le monde des hommes avait visiblement décidé que ce gain de liberté n'augurait rien de bon. Katrine Marçal décrit par exemple le contenu d'une lettre envoyée par une femme britannique à son journal local en 1967. Celle-ci y raconte avoir été forcée par un chauffeur de bus à prendre un ticket supplémentaire pour sa valise à roulettes, au motif que tout objet sur roues devait être considéré comme une poussette...
La valise à roulettes rendait les femmes trop libres... et les hommes pas assez virils. Une fois démocratisée la commercialisation de ce genre d'article, Katrine Marçal explique qu'il a fallu une quinzaine d'années avant que les hommes commencent à en acquérir, pour eux-mêmes comme pour leurs épouses. Auparavant, ce genre de bagage était considéré comme insuffisamment masculin... et puisque l'idée qu'une femme puisse voyager seule semblait totalement aberrante, il y avait donc toujours un petit mari pour porter la valise de sa femme. Dans ce cas, pourquoi s'embêter avec des roulettes.
Le nombre de voyageuses indépendantes (auxquelles Lucie Azéma consacré un livre formidable) ayant fini par augmenter, la valise à roulettes s'est finalement démocratisée dans les années 1980, conclut Jezebel. Auparavant, des millions de voyageuses et de voyageurs auront eu le dos réduit en compote au nom des stéréotypes de genre.