“Autant en emporte le vent” est probablement le plus grand film de l’histoire du cinéma. Il appartient à la grande tradition des films humanistes dont les héros sont des individus naufragés dans un monde en voie de destruction et qui font survivre une certaine idée de la nature humaine.
La résistance aux coups du destin, le refus d’allégeance au malheur et la fantastique énergie vitale capable de se déployer du fond du désespoir pour nous faire renaître de nos cendres.
C’est un film d’amour avec le couple le plus glamour de l’histoire d’Hollywood qui a fait rêver des millions de personnes en leur donnant de la force et de l’espérance. C’est un film d’adulte, précision importante, pour un cinéma aujourd’hui dédié aux adolescents.
L’annulation de la projection de “Autant en emporte le vent” au Grand Rex sur demande de la Warner Bros est une nouvelle illustration du courant de décérébration qui s’est emparé de notre société.
La barque qui circule sur ce fleuve qui accélère son cours depuis une décade s’appelle la nouvelle morale.
Nous nous retrouvons tous, qu’on le veuille ou non, entassés sur ce nouveau véhicule. Le rythme s’accélère et nous n’avons que très peu de moyens de freiner l’évolution exponentielle du phénomène.
“Autant en emporte le vent” est raciste comme “La chevauchée fantastique” l’est. Comme tous les westerns le sont dès qu’ils mettent en scène un sauvage indien massacré par un cow-boy civilisé. Excluons donc les westerns de nos collections cinéma.
Excluons tous les films qui donnent de l’histoire une vision biaisée, intolérante, manichéenne.
Excluons en réalité tous les auteurs qui ont un regard.
Nous sommes dans le monde de la “doxa”, de l’opinion collective qui installe ses œillères mentales, par petites touches quotidiennes dont nous n’avons pas toujours conscience.
Il y a aujourd’hui un axe du bien imposé dans notre culture que vous avez plutôt intérêt à respecter si vous voulez survivre. L’art est aujourd’hui, comme le reste de notre société sous haute surveillance.
Ne prenez pas de liberté avec les grands sujets sacrés et fédérateurs: l’écologie, la famille, le handicap, le multiculturalisme. Vous risquez de graves déconvenues.
Les films sans gluten sont la règle aujourd’hui, dénués de toute molécule allergisante.
La critique s’est médicalisée. On ne critique plus, on aseptise. La plupart des films d’aujourd’hui sont sous antibiotiques pour éviter la virulence. Attention aux résistances…
Excluons! puisque nous sommes aujourd’hui des modèles de perfection morale et que nous avons fait amende honorable de toutes nos erreurs passées. Excluons et voyons ce qui restera de la culture.
“On ne critique plus, on aseptise”
On parle d’un film américain mais il ne faut pas s’arrêter là. Un coup d’œil sur notre patrimoine et nous verrons que les œuvres les plus innocentes sont farcies de sectarisme.
Pourquoi ne pas considérer que la trilogie de Marcel Pagnol, Marius Fanny César, constitue une grave atteinte aux droits des marseillais. Car quel marseillais aujourd’hui peut se reconnaître dans l’image qui lui est donnée de lui-même, de joueur de belote alcoolisé au pastis, tricheur, menteur et totalement centré sur son petit monde, indifférent au sort du moindre quidam né à plus de quarante mètres du vieux port.
Je lis dans Le Parisien (article abonnés, NDLR) du samedi 13 juin 2020 que des soi-disants historiens mettent sur un plan comparable “Autant en emporte le vent” et “Mein Kampf” et jugent nécessaires d’imposer un avertissement préalable au visionnage ou à la lecture.
Comme quoi la connerie est souvent diplômée.
J’y vois deux points à souligner:
Le mépris complet pour l’intelligence moyenne du public qui accéderait à une révélation inespérée grâce à l’avertissement d’une phrase de prévention ouvrant les œuvres sulfureuses.
Faudra-t-il passer toutes les œuvres au tribunal de la nouvelle inquisition ?Pensons aux films qui nous resterons, ceux qui auront le label “bonne moralité”. Les films lèche-culs, bien pensants, bien propres qui s’engraissent des millions d’entrée de spectateurs frileux mais contents d’être rassurés dans les salles sur une société qui leur est montrée comme elle est dans la vie, bien gentille, aimable, ouverte, hospitalière.
Tout cela rappelle quand même une époque particulièrement sombre pour le cinéma et pourrait bien initier un nouveau maccarthysme à la sauce européenne.
Naissance de la nouvelle censure à costume de tolérance et de bonne moralité. Censure propre.
Tiens, pour les historiens révisionnistes d’Hollywood, je rappelle que c’est grâce à “Autant emporte le vent” que le premier oscar pour un acteur noir a été attribué (Hattie mc Daniel) et que Hollywood a commencé à entrouvrir ses portes à la diversité.
Les redresseurs de tort ont donc bien raison d’interdire le visionnage de cette œuvre qui a participé à l’évolution de la société mixte.
Le thème du film était la fin d’une époque.
Il faudra consacrer quelques mètres de pellicule à la fin du cinéma, la fin d’un temps d’expression libre, où l’humanisme de surface ne suffisait pas.
Du conformisme, des leçons de conduite, de la médiocrité, voilà ce qui restera. Autant en emportent les cons.