Dans la "ligne de mire" des autorités dans la lutte contre l'épidémie de Covid-19, les plus de 60 ans ne veulent pas être "infantilisés" et encore moins "placardisés", beaucoup exprimant leurs craintes d'un clivage intergénérationnel.
"Il y a une façon protectrice d'appeler les personnes qui sont à plus grand risque à se protéger avec plus de vigilance, et une façon clivante: c'est hélas la seconde qui a été choisie. C'est une faute psychologique et humaine dramatique", déplore le psychiatre Serge Tisseron.
Depuis quelques semaines, la tonalité des discours est la même, à la mesure de la progression de l'épidémie. Le 27 août, le Premier ministre Jean Castex suggérait d'éviter "que papi et mamie aillent chercher les enfants à l'école".
Le 10 septembre, le Pr Jean-François Delfraissy, qui préside le Conseil scientifique, indiquait que "deux populations sont sur notre ligne de mire", les personnes de plus de 60 ans qui sont "la cible de ce virus" avec les populations fragiles, et les 20-40 ans.
Jeudi, le ministre de la Santé Olivier Véran a dit "mesurer les sacrifices consentis" par les personnes âgées après "de longs mois de confinement", leur demandant néanmoins de "redoubler tous (leurs) efforts. Y compris celui, le plus difficile, de réduire encore le nombre de personnes que vous voyez chaque jour".
Joël, fringant sexagénaire francilien, pongiste émérite, respecte les précautions sanitaires et les fait respecter dans le club de tennis de table qu'il préside. Mais il est un point sur lequel il ne transigera pas: "continuer de garder mes petits-enfants".
Armelle Le Bigot-Macaux, présidente de l'Ecole des grands-parents européens, dénonce pour sa part "l'amalgame, l'infantilisation, la placardisation et le mépris de ce que l'on représente dans la société".
"Stratégie du bouc émissaire"
"Ce qui me fait bondir c'est l'amalgame "60 ans et plus" alors que cela recoupe deux générations", ajoute-t-elle, ulcérée également par un certain double discours.
"Personne ne s'est occupé de nous cet été où on a rempli notre rôle en gardant nos petits-enfants, en leur remontant le moral. Ça arrangeait tout le monde et personne n'a rien dit parce qu'on était bien utile", fait-elle remarquer.
"On a fait de cette génération des plus âgés une catégorie qu'il fallait protéger à tout prix, qui devait être isolée du reste de la population. On a clivé", analyse la psychologue clinicienne Béatrice Copper-Royer, auteur du livre "Grands-parents, le maillon fort" (Albin Michel, 2018).
Egalement dans le viseur, la jeunesse. Pour le sociologue du CNRS Olivier Galland, davantage encore que les autres classes d'âge, "les jeunes sont plus affectés par les conséquences économiques et sociales de la crise et dans leur mode de vie".
Même si après le déconfinement, "on a eu un certain relâchement", "ce n'est pas pour autant qu'il faut les stigmatiser et en faire les grands coupables. Ce serait absurde".
Le président du Forum français de la jeunesse, Anthony Ikni, regrette le "paternalisme" de certains discours, notamment médiatiques, "toujours très stéréotypés" à l'égard des jeunes.
"Il faut un peu raison garder dans ce débat et avoir en tête qu'on n'a pas énormément d'informations sur les chaînes de transmission" du virus.
"Pointer une catégorie de la population est extrêmement dangereux, surtout à l'heure des réseaux sociaux (qui) ont popularisé une culture de la dénonciation publique et de l'exacerbation des tensions entre groupes", met en garde le Dr Tisseron qui dénonce une "stratégie du bouc émissaire".
Le pire pour Béatrice Copper-Royer serait d'ériger "deux mondes avec une frontière qu'on voudrait de plus en plus étanche. Alors que cela fait un bien fou de se mélanger entre générations, cela maintient la bonne santé psychique aussi bien des jeunes que des plus âgés".
Un confinement prolongé des personnes âgées après le 11 mai, en Ehpad comme à domicile, ne sera "pas tenable", a estimé vendredi 17 avril le président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), réclamant des adaptations, notamment dans les Ehpad.
"Des gens vont mourir d'autres choses que du coronavirus: du confinement, de l'isolement et de la solitude", a déclaré Pascal Champvert au cours d'une conférence de presse téléphonique.
Dans son allocution lundi, le président de la République a assuré que les personnes "les plus vulnérables", notamment les "personnes âgées", seraient invitées à rester chez elle après le 11 mai, date théorique de sortie du confinement.
S'interrogeant sur "l'âge à partir duquel on est concerné", M. Champvert a regretté une mesure "aux relents âgistes" (discrimination par l'âge) et de nature "à faire peur aux personnes âgées".
Saisi sur l'isolement des résidents d'Ehpad à cause du coronavirus, le Comité d'éthique (CCNE) avait estimé début avril qu'un confinement renforcé des aînés devait être temporaire et leur laisser la possibilité, même limitée, de circuler.
"Il faut que l'État tire les conséquences de l'avis du Comité consultatif national d'éthique", a demandé M. Champvert.
"Le seul moyen de réussir le confinement prolongé dans les Ehpad et de le rendre supportable pour les gens, c'est de l'adapter fortement".
Plusieurs mesures pourraient être appliquées rapidement, selon l'AD-PA: une présence renforcée de psychologues dans les services de soin à domicile et en Ehpad, un retour des bénévoles pour des interventions variées, et le recours aux "balcons, terrasses, parcs et jardins, présents dans la plupart des établissements".
"Il faut que les personnes âgées puissent sortir au moins un peu, comme les Français ont le droit de sortir autour de chez eux au moins une heure", a-t-il plaidé.
En outre, l'ouverture des rencontres avec les familles est "essentielle", a souligné M. Champvert, pour qui les "restrictions de visites n'ont pas lieu d'être, notamment pour les personnes avec des troubles du comportement".
"Il faut que les familles puissent rencontrer les résidents. Bien sûr pas dans leur chambre, dans une pièce à part, sur rendez-vous et avec toutes les mesures de sécurité. Mais les familles doivent rencontrer leurs parents", a-t-il insisté.