Je suis tombé par hasard, dans La Nouvelle République, sur l'interview en 2014 d'un archéologue réduisant l'apport celtique en Bretagne à un mythe. Voici quelques extraits commentés :
Question du journaliste : « La Bretagne celtique, c'est un mythe ?
Réponse de l'archéologue : Complètement ! Dans la préhistoire du Massif armoricain, les Celtes ne sont qu'une anecdote qu'on a cherché à monter en épingle à partir du XVIII esiècle, en partie, pour des raisons politiques, Bonaparte voulant recréer une Nation sur des bases identitaires très fortes, lançant la fameuse académie celtique qui a attribué aux Celtes le mégalithisme. »
Comment, au vu des recherches génétiques récentes, et historiques (notamment sur la transmission orale depuis le moyen-âge), peut-on faire remonter la présence celte en Bretagne à une invention politique sous Bonaparte ? Je m'interroge. Mais continuons :
«En tout cas, c'est un mythe persistant…
-Il est particulièrement entretenu, au point que l'on voit aujourd'hui se mettre en place des pratiques néodruidiques complètement construites puisque les communautés du Massif armoricain, de tradition orale, n'ont laissé aucun écrit ! Les Celtes ne sont jamais venus en Bretagne. Les recherches archéologiques démontrent que les Celtes sont venus d'Europe centrale et se sont partagés en deux groupes, l'un remontant vers l'Angleterre, l'Écosse et l'Irlande par la Belgique et la Normandie ; l'autre descendant vers la péninsule, ibérique par le centre de la France en évitant la Bretagne. »
Ce point de vue n'est-il pas en contradiction totale avec à peu près toutes les recherches sur les tribus/peuples celtiques (Vénètes, Osismes, Coriosolites, Redonnes...) qui ont occupé l'Armorique ? Et cela ne ruine-t-il pas les travaux sur l'interpénétration entre les langues celtiques insulaires et continentales en Armorique ? Je pense que l'archéologie travaille parfois en silo en faisant fi des travaux des autres disciplines (linguistique, recherche historique et aujourd'hui génétique...), peut-être au prétexte que les archéologues sont précurseurs, dans le sens antérieur sur un plan chronologique aux autres disciplines.
Enfin :
« Pourquoi ont-ils snobé la Bretagne ?
Il y a une contradiction qui pointe en fin d'interview. Au bout de combien d'années d'interpénétrations considère-t-on qu'un peuple "n'a pas réussi à s'intégrer" ? Les Celtes ont-ils fait qu'effleurer de leur présence l'Armorique pour finalement se dire : "Bon, ce n'est pas pour nous..." Tout en y laissant une trace encore palpable ? On a envie d'en savoir plus. De comprendre ce qui a alors suscité ce non événement, cette non interpénétration supposée. Et qu'est-ce que cela signifie sur l'intégration ? Peut-on nier la présence d'un peuple au motif qu'il n'a pas réussi à s'intégrer ? Les tentatives certes infructueuses ne font-elles pas en elles-mêmes parties de l'histoire de l'humanité ?
Comment explique-t-on alors cette forte présence, parmi les Bretons actuels, des marqueurs génétiques des celtes continentaux gallo-romains (R1b U152 par exemple) ou celtes insulaires (R1b L21) ?
La notion de mythe évoquée dans l'interview n'est-elle pas une réponse un peu facile qui escamote les questions non élucidées ? Le terme est fort et catégorique. Je préfère encore celui de mystère, qui aurait été plus mesuré, et plus juste.
Yannick Lecerf, archéologue et chercheur au CNRS, affirme que les Celtes ne se sont jamais installés en terre bretonne. Pour lui, la littérature romantique a largement fondé le mythe.
Mercredi, dans la salle d'honneur de la mairie, la conférence de Yannick Lecerf, archéologue, chercheur au CNRS, a surpris son public. Après avoir expliqué la chronologie du peuplement de la Bretagne depuis 750 000 ans avant J.-C. jusqu'aux Gaulois, ce chercheur a affirmé que jamais les Celtes n'étaient venus s'installer en Bretagne. Une thèse confirmée aujourd'hui par bon nombre de scientifiques.
« De nombreuses traces de la civilisation celte ont été retrouvées dans une grande partie de l'Europe, en Espagne et en France. Mais pas l'once d'un Celte en Bretagne. Les Parisiens, les Strasbourgeois ou les Rouennais sont plus celtes que les Bretons. » Les dernières cartes migratoires établies grâce aux fouilles des archéologues dans les régions concernées l'attestent.
Mais comme l'a rappelé Yannick Lecerf, cette légende de la celtitude bretonne « a commencé au XVIIIe siècle, avec la grande période de la littérature romantique chère à François-René de Chateaubriand ». Facétieux, le conférencier ajoute : « Le Festival interceltique de Lorient est une grande et belle manifestation, mais qui se déroule sur un territoire qui n'a jamais vu un celte. »
Un spectateur ajoute tout bas : « Ce n'est pas grave, la course du Paris-Dakar se déroule bien en Amérique du Sud. » Cette conférence était donnée dans le cadre de la Fête de la Bretagne, et cela ne s'invente pas, dimanche dans le cadre de cette même fête, la ville accueille le groupe Panick celtic. On ne saurait mieux dire.
Renseignements : La Bretagne préhistorique, de Yannick Lecerf, aux éditions Skol Vreizh.
Par René Perez
Chateaubriand n'y est pas allé de main morte. L'écrivain a imaginé carrément des druides celtes faisant des sacrifices humains sur des dolmens ! En pleine celtomanie, née au XVIIIe siècle, le romantisme ambiant et l'imaginaire débridé ont composé des tableaux celtes délirants quand on les confronte aux dernières publications des historiens. Non, les Armoricains n'ont pas attendu les Celtes pour dresser leurs menhirs de plusieurs dizaines de tonnes. Et l'historien et archéologue Yannick Lecerf va même jusqu'à affirmer que dans leurs grandes migrations, les Celtes ont probablement évité la Bretagne ! Ah bon ?
Alors comment s'y retrouver ? D'abord, en allant chercher les Celtes du côté de la Mer Noire où ont commencé leurs transhumances vers l'Ouest, à la poursuite du soleil. Pendant plusieurs siècles avant J.C., ils vont ainsi avancer par petites étapes sans que l'on puisse mesurer la part de conquêtes ou d'assimilations. Une avancée durant laquelle ils ne prirent pas le temps d'élaborer une véritable écriture, au point qu'il faut aller chercher les auteurs gréco-romains ou César lui-même pour trouver des écrits, forcément sujets à caution. Donc, ils avancent. Et se répandent si largement que l'historien Patrick Galliou n'a pas hésité à observer, à propos du Festival interceltique de Lorient : « Les Auvergnats y auraient autant leur place que les Bretons ». Oups ! Tout à fait, embraye Yannick Lecerf, dont le dernier ouvrage pose comme quasi-certitude que les Celtes migrateurs ont contourné la Bretagne où ils n'ont pas laissé de traces tangibles. Une branche est partie vers les îles britanniques et l'autre vers le sud et l'Espagne. Pourquoi ? « Sans doute, dit-il, parce qu'ils sont tombés, en Armorique, sur des populations bien organisées et homogènes, avec de vrais chefs ». Autrement dit, à en croire l'historien, les Celtes qui avaient pour habitude de prendre l'ascendant sur les populations indigènes, auraient préféré ne pas se frotter aux Armoricains, dompteurs de mégalithes. S'ils sont tombés sur les ancêtres de Kersauson, Bernard Hinault, Christian Troadec ou Enora Malagré, on comprend qu'ils aient préféré passer leur chemin et ne pas se coltiner cette bande de furieux.
Près d'un millénaire se passe avant que les descendants des Celtes « brittoniques » ne traversent la Manche en sens inverse, chassés par les Saxons, pour débarquer en Armorique. Ce sont les grandes migrations d'Irlandais et Gallois entre le IVe et le VIe siècles de notre ère, des populations passant de la grande à la petite Bretagne, avec leurs coutumes, leur langue et leur clergé (essentiellement composé d'ermites) qui va marquer durablement la foi en Armorique. En témoigne la Vallée des Saints de Carnoët (22) où d'impressionnantes statues géantes viennent maintenant s'aligner au fil des ans. Il y en a déjà assez pour constituer deux équipes de rugby mais pour un match Pays-de-Galles - Irlande car la quasi-totalité des saints bretons représentés sont référencés comme nés gallois ou irlandais. En cherchant bien, on trouve ainsi un bon millier de saints en Bretagne mais bien peu ont été reconnus comme tels par Rome, même s'ils ont durablement marqué l'Armorique croyante. Pour le reste, Yannick Lecerf relativise : « Ces populations migrant en petite Bretagne descendaient de Celtes arrivés dans les îles britanniques mille ans plus tôt. Que pouvait-il rester du celtisme originel ? ».
La troisième époque charnière, il faut la chercher au XVIIIe siècle quand un mouvement parti d’Écosse avec les fameux (mais contestés) poèmes d'Ossian, remet en cause la civilisation gréco-romaine comme base de la culture millénaire. La tradition orale que l'on va chercher dans les campagnes fait remonter une autre civilisation enfouie dont on ne savait plus rien mais dont la mémoire s'est transmise oralement, de génération en génération, dans des campagnes reculées. L'Europe va se passionner pour ce sujet qui porte l'éveil des nations et Bonaparte lui-même va voir dans la Bretagne et sa géographie particulière un sanctuaire du celtisme originel. Le mouvement était lancé et avec toutes les approximations, voire certaines dérives, on sait à quel point il a fait son nid dans une Bretagne allant chercher, outre-Manche, son hymne, sa croix celtique et même certains instruments de musique, nous ramenant ainsi au bagad de Vannes. Ceux qui ont joué, mardi soir, n'étaient probablement pas nombreux à avoir de lointains aïeux celtes, si l'on en croit les dernières théories. Mais leur succès prouve que pour s'approprier la mythologie celte et donner un formidable élan à la culture celtique, la Bretagne a fait preuve d'un incroyable talent ! Pour en savoir plus sur ce regain d'intérêt pour les Celtes, on renvoie aux deux numéros spéciaux de Bretagne-Magazine sur les Celtes, aux publications d'historiens comme Yannick Le Cerf et Patrick Galliou ainsi qu'à l'Atlas des mondes celtiques qui vient de sortir, chez Coop Breizh.
Archéologue spécialiste de la préhistoire du Massif armoricain, Yannick Lecerf tord scientifiquement le cou à quelques idées bretonnantes reçues. Interview.
Yannick Lecerf, archéologue, vient de sortir un livre passionnant et très pédagogique sur la Bretagne préhistorique. S'appuyant sur de récentes découvertes scientifiques et sur ses quelque quatre décennies de recherches, il bouscule les mythes et les légendes du Massif armoricain.
A quelle époque remonte le peuplement de la Bretagne ?
Yannick Lecerf : « On vient de faire un bon considérable dans le temps. Pendant longtemps, on a considéré que les traces les plus anciennes remontaient aux alentours du paléolithique récent (50.000 avant J.-C.). Dans les années quatre-vingt-dix, grâce aux fouilles du CNRS, on a trouvé dans le Finistère Sud le foyer le plus ancien, datant de 450.000 ans avant J.-C. Et puis récemment, à la suite d'érosions accélérées par les tempêtes, on a identifié un foyer dans la vallée de moyenne Vilaine qui nous emmène aux alentours de 750.000 avant J.-C. C'est donc dès cette époque que des hominidés ont fréquenté la Bretagne. »
Les monuments mégalithiques avaient-ils notamment un rapport avec les astres ?
« Non. Lorsqu'au néolithique (5.000 ans avant J.-C. dans le Massif armoricain) les communautés se sédentarisent et organisent leurs territoires, dans les vallées, près des points d'eau, ils créent des zones funéraires, avec de grands cairns mégalithiques, comme celui de Barnénez. Ce sont de grands monuments pouvant atteindre 70 mètres de long, 25 mètres de large et 9 à 10 mètres de hauteur pour accueillir onze chambres funéraires. On va commencer dans le même temps à dresser les premiers grands menhirs de plus de 20 mètres de haut et puis on va aussi créer des lieux de mémoire avec des champs de menhirs. Ils sont dressés afin de marquer un événement pour ces communautés qui sont de tradition orale. C'est à partir de ce moment-là que le territoire est structuré par le mégalithisme, avec une partialisation en lieux de vie, lieux de mort et lieux de mémoire. C'est là que naît l'identité des communautés du Massif armoricain. »
La Bretagne celtique, c'est un mythe ?
« Complètement ! Dans la préhistoire du Massif armoricain, les Celtes ne sont qu'une anecdote qu'on a cherché à monter en épingle à partir du XVIII esiècle, en partie, pour des raisons politiques, Bonaparte voulant recréer une Nation sur des bases identitaires très fortes, lançant la fameuse académie celtique qui a attribué aux Celtes le mégalithisme. »
En tout cas, c'est un mythe persistant…
« Il est particulièrement entretenu, au point que l'on voit aujourd'hui se mettre en place des pratiques néodruidiques complètement construites puisque les communautés du Massif armoricain, de tradition orale, n'ont laissé aucun écrit ! Les Celtes ne sont jamais venus en Bretagne. Les recherches archéologiques démontrent que les Celtes sont venus d'Europe centrale et se sont partagés en deux groupes, l'un remontant vers l'Angleterre, l'Écosse et l'Irlande par la Belgique et la Normandie ; l'autre descendant vers la péninsule, ibérique par le centre de la France en évitant la Bretagne. »
Pourquoi ont-ils snobé la Bretagne ?
« D'abord parce que les Celtes, peuple migrant, n'étaient pas intéressés par les péninsules. Mais je pense que la raison principale tient au fait que les Celtes, qui cherchaient à se fondre dans les populations, n'ont pas réussi à s'intégrer aux communautés bretonnes du fait de leur forte identité développée au néolithique. »
Donc, les Bretons doivent être fiers de ne pas être celtes !
« Absolument ! Ils n'ont pas attendu les Celtes pour avoir une culture forte. »