Par René Perez
Chateaubriand n'y est pas allé de main morte. L'écrivain a imaginé carrément des druides celtes faisant des sacrifices humains sur des dolmens ! En pleine celtomanie, née au XVIIIe siècle, le romantisme ambiant et l'imaginaire débridé ont composé des tableaux celtes délirants quand on les confronte aux dernières publications des historiens. Non, les Armoricains n'ont pas attendu les Celtes pour dresser leurs menhirs de plusieurs dizaines de tonnes. Et l'historien et archéologue Yannick Lecerf va même jusqu'à affirmer que dans leurs grandes migrations, les Celtes ont probablement évité la Bretagne ! Ah bon ?
Alors comment s'y retrouver ? D'abord, en allant chercher les Celtes du côté de la Mer Noire où ont commencé leurs transhumances vers l'Ouest, à la poursuite du soleil. Pendant plusieurs siècles avant J.C., ils vont ainsi avancer par petites étapes sans que l'on puisse mesurer la part de conquêtes ou d'assimilations. Une avancée durant laquelle ils ne prirent pas le temps d'élaborer une véritable écriture, au point qu'il faut aller chercher les auteurs gréco-romains ou César lui-même pour trouver des écrits, forcément sujets à caution. Donc, ils avancent. Et se répandent si largement que l'historien Patrick Galliou n'a pas hésité à observer, à propos du Festival interceltique de Lorient : « Les Auvergnats y auraient autant leur place que les Bretons ». Oups ! Tout à fait, embraye Yannick Lecerf, dont le dernier ouvrage pose comme quasi-certitude que les Celtes migrateurs ont contourné la Bretagne où ils n'ont pas laissé de traces tangibles. Une branche est partie vers les îles britanniques et l'autre vers le sud et l'Espagne. Pourquoi ? « Sans doute, dit-il, parce qu'ils sont tombés, en Armorique, sur des populations bien organisées et homogènes, avec de vrais chefs ». Autrement dit, à en croire l'historien, les Celtes qui avaient pour habitude de prendre l'ascendant sur les populations indigènes, auraient préféré ne pas se frotter aux Armoricains, dompteurs de mégalithes. S'ils sont tombés sur les ancêtres de Kersauson, Bernard Hinault, Christian Troadec ou Enora Malagré, on comprend qu'ils aient préféré passer leur chemin et ne pas se coltiner cette bande de furieux.
Près d'un millénaire se passe avant que les descendants des Celtes « brittoniques » ne traversent la Manche en sens inverse, chassés par les Saxons, pour débarquer en Armorique. Ce sont les grandes migrations d'Irlandais et Gallois entre le IVe et le VIe siècles de notre ère, des populations passant de la grande à la petite Bretagne, avec leurs coutumes, leur langue et leur clergé (essentiellement composé d'ermites) qui va marquer durablement la foi en Armorique. En témoigne la Vallée des Saints de Carnoët (22) où d'impressionnantes statues géantes viennent maintenant s'aligner au fil des ans. Il y en a déjà assez pour constituer deux équipes de rugby mais pour un match Pays-de-Galles - Irlande car la quasi-totalité des saints bretons représentés sont référencés comme nés gallois ou irlandais. En cherchant bien, on trouve ainsi un bon millier de saints en Bretagne mais bien peu ont été reconnus comme tels par Rome, même s'ils ont durablement marqué l'Armorique croyante. Pour le reste, Yannick Lecerf relativise : « Ces populations migrant en petite Bretagne descendaient de Celtes arrivés dans les îles britanniques mille ans plus tôt. Que pouvait-il rester du celtisme originel ? ».
La troisième époque charnière, il faut la chercher au XVIIIe siècle quand un mouvement parti d’Écosse avec les fameux (mais contestés) poèmes d'Ossian, remet en cause la civilisation gréco-romaine comme base de la culture millénaire. La tradition orale que l'on va chercher dans les campagnes fait remonter une autre civilisation enfouie dont on ne savait plus rien mais dont la mémoire s'est transmise oralement, de génération en génération, dans des campagnes reculées. L'Europe va se passionner pour ce sujet qui porte l'éveil des nations et Bonaparte lui-même va voir dans la Bretagne et sa géographie particulière un sanctuaire du celtisme originel. Le mouvement était lancé et avec toutes les approximations, voire certaines dérives, on sait à quel point il a fait son nid dans une Bretagne allant chercher, outre-Manche, son hymne, sa croix celtique et même certains instruments de musique, nous ramenant ainsi au bagad de Vannes. Ceux qui ont joué, mardi soir, n'étaient probablement pas nombreux à avoir de lointains aïeux celtes, si l'on en croit les dernières théories. Mais leur succès prouve que pour s'approprier la mythologie celte et donner un formidable élan à la culture celtique, la Bretagne a fait preuve d'un incroyable talent ! Pour en savoir plus sur ce regain d'intérêt pour les Celtes, on renvoie aux deux numéros spéciaux de Bretagne-Magazine sur les Celtes, aux publications d'historiens comme Yannick Le Cerf et Patrick Galliou ainsi qu'à l'Atlas des mondes celtiques qui vient de sortir, chez Coop Breizh.