Le 21 avril 1944, les Françaises se trouvaient parmi les dernières en Europe à obtenir le droit de vote. Cet acquis, vieux de 80 ans, est l’aboutissement de plus d’un siècle de lutte et de débats en faveur de l’égalité politique en France.
Des suffragettes françaises manifestent pour réclamer le droit de vote à Nantes le 27 octobre 1934, lors d'un congrès du Parti radical-socialiste. © AFP
En 1848, la France fait figure de pionnière en accordant le droit de vote à tous les hommes, devenant ainsi l’un des premiers pays au monde à instaurer le suffrage universel masculin. Les femmes, quant à elles, devront patienter jusqu’en 1944 pour obtenir le droit de se rendre aux urnes. Cantonnées aux rôles d’épouses et de gardiennes du foyer familial, elles restaient jusqu’alors exclues de la sphère politique, jugées inférieures, influençables et immatures.
À la même date, les Néo-Zélandaises jouissaient de ce droit depuis déjà quarante-sept ans, contre trente-huit pour les Finlandaises, vingt-six pour les femmes britanniques – âgées de plus de trente ans – et vingt et un ans pour les Turques. Face au retard français, le combat en faveur de l’égalité politique aura mis plus d’un siècle à trouver satisfaction.
Pourtant, dès la Révolution française, des voix telles que celles de Condorcet et Olympe de Gouges se lèvent en faveur du suffrage féminin. Leurs appels restent cependant lettre morte, les femmes étant officiellement exclues du droit de vote par l’Assemblée nationale le 22 décembre 1789, puis par la Constitution de 1791. « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit également avoir celui de monter à la tribune », écrit en réponse Olympe de Gouges dans son texte « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » dans lequel elle dénonce le mépris des droits de la femme, oubliés des textes de loi.
L’instauration du suffrage universel masculin en 1848 marque un tournant dans ce combat. « À partir du moment où on accorde le droit de vote à tous les citoyens et à tous les Français se pose réellement la question de toutes les citoyennes et de toutes les Françaises », explique l’historienne Anne-Sarah Bouglé-Moalic, auteure de Vote des Françaises : cent ans de débats, 1848-1944.
Plusieurs pointent du doigt un universalisme à demi-mesure, comme le club La Voix des femmes, qui encourage une candidature de George Sand aux élections législatives. Bien que cette dernière se désolidarise de cette initiative, Jeanne Deroin tente, quant à elle, de s’y présenter. « Elle candidate aux élections de manière sauvage pour demander un suffrage véritablement universel et l’éligibilité des femmes. Par la suite, cette méthode militante sera utilisée quasiment jusqu'au bout », précise Christine Bard, historienne spécialiste des féminismes et auteure de Femmes outsiders en politique.
La citoyenneté ne figure cependant pas en tête des préoccupations pour de nombreuses femmes, qui demeurent encore sous la tutelle maritale et sont privées d'accès à l'éducation, au divorce et à un salaire. « À cette époque, ce n’est pas la seule dimension de l’émancipation des femmes, il y a aussi celle des droits civils, pointe Anne-Sarah Bouglé-Moalic. Il est même difficile pour les femmes de se projeter sur ce droit de vote sachant que, dès 1852, il perd sa substance avec l’instauration du Second Empire. »
Il faut attendre la IIIe République, proclamée en 1870, pour que l’acquisition de ce droit devienne un objectif commun, notamment sous l'impulsion d’Hubertine Auclert, qui demande la révision du Code civil en faveur de l’éducation et de l’indépendance économique des femmes, mais aussi du droit de vote et du divorce. « Elle va réussir à convaincre l'ensemble du mouvement féministe d’y mettre toutes ses forces, avec cette idée que le droit de vote est la clé de voûte de tous les autres droits. Selon elle, une fois que les femmes seront citoyennes, elles seront en mesure d’œuvrer pour leur totale émancipation », résume Christine Bard.
Progressivement, le mouvement féministe français accorde alors la priorité à la conquête de la citoyenneté. En 1909 est créée l’Union française pour le suffrage des femmes puis, le 26 avril 1914, le quotidien Le Journal organise un référendum officieux auprès des femmes. À la question « Mesdames, Mesdemoiselles, désirez-vous voter un jour ? », environ 506 000 d’entre elles répondent « Je désire voter », contre seulement une centaine d’avis défavorables.
Après la Première Guerre mondiale, alors que le suffrage universel s’étend en Europe et que de nombreuses Françaises ont participé à l’effort de guerre, plusieurs propositions de loi en faveur d’un élargissement aux femmes sont adoptées par la Chambre des députés.
Mais l’idée que les femmes pourraient soutenir l’Église catholique dans les urnes ou qu’elles sont inaptes à voter fait de la résistance. « Plus que pour manier le bulletin de vote, les mains de femmes sont faites pour être baisées, baisées dévotement quand ce sont celles des mères, amoureusement quand ce sont celles des femmes et des fiancées. […] Séduire et être mère, c'est pour cela qu'est faite la femme », écrit le sénateur Alexandre Bérard dans un rapport parlementaire en 1919. Au sortir de la guerre, d’autres craignent aussi la supériorité numérique des femmes. « Donner le droit de vote aux femmes, c'est leur donner la majorité dans l’électorat », commente Christine Bard. Entre 1919 et 1936, le Sénat s’opposera à cinq reprises au suffrage féminin.
Bloqué par la frange conservatrice du Parlement, le mouvement en faveur du vote féminin, incarné par les « suffragettes », redouble d’efforts. En 1925, plusieurs candidates se présentent aux élections municipales sur la liste du Parti communiste, profitant du fait que rien dans la Constitution n’impose l’éligibilité des candidats.
« Dans toutes les communes où ils vont avoir des élus, il y aura forcément une femme élue, que ce soit à Douarnenez, à Saint-Pierre-des-Corps ou dans des villes de la banlieue rouge de Paris comme Arcueil », rappelle Anne-Sarah Bouglé-Moalic. Au total, sept femmes sont élues sur les listes communistes et siègent en attendant que leur élection soit invalidée.
Malgré leur incapacité à voter ou à se porter candidates, certaines femmes se voient même être nommées à des postes gouvernementaux dès 1936. Trois d'entre elles sont désignées pour occuper des sous-secrétariats d'État dans le gouvernement formé par Léon Blum à la victoire du Front populaire.
D’autres insistent sur le « droit naturel des femmes à être reconnues comme citoyennes » et sur « l’utilité sociale du droit de vote », comme l’explique Christine Bard. « Beaucoup de féministes mettent en avant l'intérêt pour la société d'avoir des femmes citoyennes pour mieux lutter contre les fléaux sociaux comme la prostitution, la tuberculose et la pauvreté en raison de leur fibre sociale », décrit l’experte.
C’est le 18 mars 1944 que le général de Gaulle, alors président du Comité français de libération nationale, déclare devant l’Assemblée consultative provisoire que « le régime nouveau doit comporter une représentation élue par tous les hommes et toutes les femmes de chez nous ». Trois jours après cette déclaration historique, l’ordonnance portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération dispose que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes » (article 17). Enfin, le 24 mars 1944, cette même assemblée adopte l’amendement du député communiste Fernand Grenier, établissant le droit de vote et d’éligibilité à toutes les femmes françaises.
Ce texte met un terme à plus d’un siècle de lutte pour les droits civiques des femmes. « Pour retrouver une place normale dans l'ensemble des pays démocratiques, la France ne pouvait plus tarder, c'était déjà une anomalie que les femmes ne puissent pas voter avant 1944 au pays dit des droits de l’homme », avance Christine Bard. « On prend soudain en compte le chemin que les femmes ont pu faire dans la société depuis la fin du XIXe siècle. Elles ont accès à l’école et à un monde du travail qui sort du travail domestique. Elles qui ont toujours été indispensables, on les remarque enfin », poursuit Anne-Sarah Bouglé-Moalic.
Les Françaises se rendent aux urnes pour la première fois le 29 avril 1945, aux élections municipales, soit près de cent soixante ans après la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » d’Olympe de Gouges, dans laquelle elle écrivait déjà « La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits ».
Les femmes votent pour la première fois en France lors des élections municipales à Paris, le 29 avril 1945. AFP
Théologie, droit, médecine, sciences mathématiques et physiques, lettres : dans ces cinq domaines qui structurent l’université au début du XIXe siècle, les grades « conférés par les Facultés à la suite d’examens et d’actes publics […] seront au nombre de trois : le baccalauréat, la licence et le doctorat », indique le décret du 17 mars 1808 signé par Napoléon.
Ce texte pose les bases du baccalauréat moderne. Cependant, cet examen n’est pas une création ex nihilo et son intitulé existait déjà sous l’Ancien Régime. Dans quelle mesure la date de 1808 marque-t-elle un tournant dans l’histoire de l’éducation ? Quelles traces la période napoléonienne a-t-elle laissées dans l’enseignement secondaire tel que nous le connaissons ?
Du Moyen Âge jusqu’à la Révolution française, l’organisation universitaire a reposé fondamentalement sur quatre types de facultés : les « Facultés des Arts » dont le cycle d’études formait un tout en soi et un préalable à l’entrée dans les facultés spécialisées de « Théologie », de « Droit » ou de « Médecine ». Le baccalauréat antérieur à celui institué par Napoléon Ier était l’un des grades décernés par les Facultés des Arts.
Le décret du 17 mars 1808 emprunte à l’ancienne organisation des universités le tronçonnement en facultés. Il va exister de fait une différence de nature entre les facultés « professionnelles » (droit, médecine, et aussi théologie) et les deux autres facultés (lettres et sciences) qui n’eurent guère d’autre fonction officielle au XIXe siècle que celle de délivrer les grades. Ces deux facultés proviennent de la partition de l’ancienne Faculté des arts opérée par le décret de 1808.
Ce baccalauréat refondé fut bien, sur le fond et sur la forme, un examen effectif d’entrée à l’Université. L’article 22 du décret du 17 mars 1808 stipule que « pour être admis à subir l’examen du baccalauréat, il faudra être âgé au moins de seize ans et répondre sur tout ce qu’on enseigne dans les hautes classes des lycées ».
À l’origine, le jury d’examen du baccalauréat est donc composé quasi exclusivement d’universitaires. Cela découle logiquement du fait que le baccalauréat est le premier grade universitaire et un passeport d’entrée dans l’Université. Au tout début du baccalauréat, une circulaire du 5 avril 1810 prescrivait que les examens universitaires devaient commencer le 1er août.
Les aspirants au doctorat subissaient les premiers les épreuves. Puis venaient les aspirants au grade de la licence. Les candidats au baccalauréat étaient examinés les derniers. Les professeurs d’université ne pouvaient partir en vacances que lorsque tous les examens étaient terminés.
Cette refondation du baccalauréat par Napoléon Ier en 1808 n’est pas sans lien avec la fondation du « lycée » en 1802 par Napoléon Bonaparte alors premier consul (le premier des trois consuls qui dirigeaient le gouvernement). C’est aussi un triumvirat qui est placé à la tête du lycée nouvellement créé : un proviseur, un censeur, un procureur gérant (cette dernière appellation étant remplacée par celle d’économe en 1809).
Le cursus du lycée est complètement tendu vers le baccalauréat comme le marque le « compte à rebours » des intitulés des classes : de la sixième à la première (appelée aussi « classe de rhétorique ») puis la terminale, sans aucun examen intermédiaire.
Selon le décret du 17 mars 1808, les professeurs de lycée pour les « hautes classes » devaient être docteurs ; les professeurs des deux avant-dernières années, licenciés ; les professeurs des quatre premières années de lycée bacheliers.
Napoléon s’est personnellement prononcé pour que les études classiques prédominent, comme l’expliquait Louis Madelin dans La nation sous l’empereur son histoire du consultat et de l’Empire :
« Il faut que l’enseignement soit avant tout judicieux et classique […]. Avant tout, mettons la jeunesse au régime des saines et fortes lectures. Corneille, Bossuet, voilà les maîtres qu’il leur faut. Cela est grand, sublime, et en même temps régulier, paisible, subordonné […]. Il faut des conseillers d’État, des préfets, des officiers, des professeurs […]. Telles étaient les idées du maître. »
Trois inspecteurs généraux surveillent l’ensemble des lycées. Une grande partie de leurs élèves doivent être choisis à la discrétion du gouvernement « parmi les fils de militaires et de fonctionnaires qui ont bien servi ». Il s’agit avant tout de former les cadres administratifs et militaires.
On se doute que ce dispositif lycée/baccalauréat ne concerne pas du tout les filles. Certaines, rares et isolées, vont cependant passer le baccalauréat, non sans difficulté. La première bachelière est une institutrice vosgienne – Julie Daubié – qui obtient le baccalauréat à 37 ans, en 1861, après plusieurs vaines tentatives pour se présenter. Un deuxième baccalauréat est délivré à une femme en 1863 par la Sorbonne :
« C’était encore, en 1887, un phénomène extraordinaire pour une jeune fille que de se présenter à cet examen. Aux épreuves écrites, sur une centaine de candidats, on remarquait deux robes. Encore la seconde était-elle une soutane. Afin que la candidate ne fût pas mêlée à la foule, on lui avait réservé une place à part au bord de la propre table des examinateurs » (cité par Michèle Tournier, thèse de 3 °Cycle, 1972, L’accès des femmes aux études universitaires en France et en Allemagne).
Et pourtant la loi Camille Sée du 21 décembre 1880 avait créé un enseignement secondaire pour les jeunes filles, avec le soutien résolu de Jules Ferry. Mais les lycées de jeunes filles ne conduisaient nullement au baccalauréat : un « diplôme de fin d’études secondaires » était le seul aboutissement d’un cursus qui n’était nullement marqué par un compte à rebours de l’intitulé des classes. Et on pouvait passer un examen intermédiaire en « troisième année » de ce cursus.
Mais, à partir du début du XXe siècle (signe des temps et en particulier de la pression des demandes de certaines élèves), la « concurrence » s’en mêle et va dans le sens du changement. Le collège Sévigné, célèbre établissement privé laïque, institue en 1905 une préparation au baccalauréat, assortie d’un apprentissage accéléré du latin en deux ans. D’autres établissements suivent.
Finalement, l’administration de l’enseignement public doit admettre en 1908 que les établissements publics peuvent préparer les jeunes filles au baccalauréat.
En 1912, 430 candidates (sur 693) sont reçues à la première partie du baccalauréat ; 289 (sur 410) à la seconde partie. En février 1913, le Conseil supérieur de l’Instruction publique autorise officiellement les cours de latin à partir de la troisième année du cursus de l’enseignement secondaire féminin.
On passe cependant un autre cap quelques années après la Première Guerre mondiale, lorsque le décret du 25 mars 1924 signé par le ministre Léon Bérard prétend certes maintenir l’enseignement secondaire féminin avec sa spécificité instituée dans les années 1880, mais aménage très officiellement une préparation au « baccalauréat » présentée comme une section facultative (et alignée, elle, totalement sur le secondaire masculin).
Les classes de cette section facultative reçoivent les mêmes dénominations que celles du secondaire masculin ; ses programmes et ses horaires deviennent identiques par l’arrêté du 10 juillet 1925. Par contre, en fait, la section de préparation au « diplôme de fin d’études secondaires » est très vite marginalisée. Elle est même quasiment alignée sur l’autre par le décret du 15 mars 1928.
Que reste-t-il de tout cela en notre XXIe siècle ? Pas grand-chose. La dénomination des lycées et de leurs classes existe toujours, et leur quasi-triumvirat de direction aussi (à peu près). Mais les lycées sont devenus mixtes. Ils ont perdu leur premier cycle au profit des collèges. Le baccalauréat de lettres classiques est pratiquement marginalisé dans un enseignement secondaire qui s’est massifié. Et les universitaires ne font plus que présider les jurys de baccalauréat depuis longtemps.
Sur la route, notamment des vacances, les femmes se retrouvent davantage sur le siège passager, même lorsqu'elles sont titulaires du permis. Et ce n'est pas par manque de goût pour la conduite.
Si les femmes ont tendance à avoir peur en voiture, c'est parce que les stéréotypes de genre leur ont ancré cette idée dans la tête. | kaluci via Unsplash
Si les femmes ont tendance à avoir peur en voiture, c'est parce que les stéréotypes de genre leur ont ancré cette idée dans la tête. |
«Quand nous sommes en famille, on ne se pose même pas la question: mon mari se met toujours au volant», expose Morgane, 32 ans, qui a une formation d'enseignante et élève ses trois enfants. Elle a beau avoir son permis depuis 2006, bien aimer conduire, à part sur les routes de montagne, et prendre la voiture «sans problème» pour se déplacer seule, quand son mari et elle partagent l'habitacle, elle occupe le siège passager. Elle est loin d'être la seule dans ce cas. Certaines femmes font même de leur permis une lettre morte pour cette raison précise… alors que l'inverse n'est pas vrai. En 2007, d'après l'enquête nationale Transports et Déplacements, deux tiers des 6,2% des titulaires du permis de conduire qui ne prenaient jamais le volant étaient des femmes et 16% d'entre elles (contre 5% des hommes dans cette situation) renonçaient à la conduite avant tout en raison de la présence d'un autre détenteur ou d'une autre détentrice du permis B dans le ménage.
Pour expliquer cet inemploi intégral de leur permis, les femmes mentionnaient aussi souvent la peur et le fait de ne pas aimer conduire (à 34%, contre 8% des hommes). «Je ne dis pas que je ne suis pas à l'aise mais ce n'est pas un plaisir fou», brosse Agathe, 35 ans, cadre dans l'innovation, tandis que son mari «adore ça». Aude*, journaliste de 31 ans habituée à être «copilote», se décrit comme «flippée au volant» et l'un des premiers arguments qu'elle donne pour justifier la préemption masculine sur le siège conducteur est, en miroir, le plaisir que son copain y prend. «Mon mec conduit tout le temps car il aime ça, car on assure la voiture qu'on loue sur une seule personne, et car moi j'aime prendre des photos aussi pendant ce temps. On a fait un méga road-trip aux États-Unis, il a été le seul à conduire. Moi, je prenais des photos, je lisais le guide et Google Maps.»
Idem du côté d'Audrey, 28 ans, avocate, dix ans de permis au compteur mais qui conduit environ deux fois par an: «Je me dis, à la base, c'est sa voiture, je sais qu'il aime bien ça, donc si je ne sens pas qu'il n'a pas envie, je ne vais pas me proposer. Et j'aime bien me dire que je peux faire autre chose, regarder mon portable, choisir la musique…» Des explications qui donnent l'impression d'une répartition des tâches naturelle puisque, dans les couples hétérosexuels, se retrouve généralement derrière le volant celui qui goûte davantage la conduite et sur le siège passager celle qui est moins à l'aise avec la route.
Sauf qu'il ne s'agit pas que d'inclinations individuelles (et encore moins d'une prédisposition ayant une origine génétique). «Dire “je n'aime pas trop ça”, c'est une façon de positiver et de rationaliser les stéréotypes de genre», souligne Marie-Axelle Granié, directrice de recherches en psychologie sociale du développement au laboratoire Ergonomie et sciences cognitives pour les transports (Lescot) à l'université Gustave-Eiffel. Car le goût de la conduite comme l'aisance au volant sont aussi culturellement acquis. «Si les femmes n'ont pas d'attrait pour cette tâche, c'est parce qu'on les a éduquées à ne pas en avoir.»
L'appréhension, le manque de goût et/ou le fait de laisser le volant à son conjoint, toutes ces raisons qui font que 8,1% des détentrices du permis ne conduisent pas, contre 4,4% côté masculin, ne sont pas la face émergée d'un iceberg nommé «les femmes ne savent pas conduire». Même si, lorsque l'on n'est pas très doué·e pour réaliser une tâche, on peut avoir tendance à moins l'apprécier, craindre de devoir s'y mettre et/ou tout simplement se défiler et faire confiance à une personne plus compétente, c'est un raccourci (et une impasse intellectuelle) de croire que les femmes conduisent moins parce qu'elles conduisent moins bien.
«Dans le sens commun, les hommes sont de meilleurs conducteurs que les femmes parce qu'ils maîtrisent leur véhicule.» Marie-Axelle Granié, directrice de recherches en psychologie sociale
Au contraire. «Si on pose la compétence de conduite comme le fait de ne pas avoir d'accident, en tout cas d'accident grave, et donc si l'on regarde l'accidentalité, c'est clair que les femmes sont de meilleures conductrices que les hommes», insiste la chercheuse spécialiste des stéréotypes de sexe associés à la conduite, avant d'égrainer les chiffres: 75% des morts sur la route dans des accidents de voiture sont des hommes, plus de 90% des conducteurs alcoolisés impliqués dans un accident sont des hommes aussi. Et il ne faudrait pas croire que les femmes ont moins d'accidents pour la seule et unique raison qu'elles se retrouvent moins souvent au volant. «Même si on le rapporte à l'exposition, c'est-à-dire au taux d'accident au nombre de kilomètres parcourus par les femmes et les hommes, il y a toujours une différence entre les deux sexes.»
Il serait donc temps de se sortir le vieil adage, objectivement erroné, «femme au volant, mort au tournant» de la tête. Mais ce n'est pas si facile. Quand je demande à Morgane si elle trouve qu'elle conduit bien, elle me répond d'abord que, les premières années, elle faisait beaucoup de fautes et avait trop confiance en elle. «Maintenant, avec une voiture familiale et les enfants, je roule beaucoup moins vite et anticipe beaucoup plus les réactions des autres usagers.»
En toile de fond, se dessine une définition spécifique à la gent féminine. Car bien conduire ne veut pas dire la même chose suivant le sexe, signale la chercheuse du Lescot. «Pour un homme, c'est maîtriser son véhicule; pour une femme, c'est respecter les règles et donc être prudente.»
Or, la vision qui l'emporte dans notre société est, on s'en serait douté, masculine. Résultat, «dans le sens commun, les hommes sont de meilleurs conducteurs que les femmes parce qu'ils maîtrisent leur véhicule, prennent des décisions rapides, s'adaptent à la situation et n'ont pas peur au volant». Sous ce prisme, la prudence des femmes est considérée comme une preuve de leur incompétence. Elles ne prennent pas de risques parce qu'elles ne sauraient pas les gérer et sont donc de piètres conductrices. CQFD.
Cette vision, on la retrouve dès le plus jeune âge, avant même d'avoir l'autorisation d'actionner les pédales et le levier de vitesse. La preuve par une enquête menée par Marie-Axelle Granié et ses équipes auprès de collégien·nes de 11 ans à 15 ans, à qui il était basiquement demandé, «si je te dis “homme/femme qui conduit”, à quoi tu penses?». «Tous les préjugés sont ressortis, y compris “la femme n'a qu'à rester à la cuisine”, les enseignant·es en étaient outré·es. Sept ans avant d'apprendre à conduire, ils avaient déjà ces idées-là dans la tête, en tout cas ils les avaient entendues. On a beau dire, ça imprègne la société et les individus.»
Pas besoin que le conjoint émette lui-même des commentaires sexistes. Ni même d'avoir été témoin ou victime d'insultes à caractère misogyne. Il suffit de connaître l'existence de ces préjugés. Or personne n'est épargné. «Dans beaucoup de couples, quand la nana conduit, les mecs font des réflexions ou des blagues qui en fait ne sont pas du tout des blagues mais des jugements», formule spontanément Audrey. «Je conduis très peu donc je n'ai jamais eu de comportements de gens qui me klaxonnent parce que je suis une femme. Mais j'imagine qu'on n'aime pas s'exposer à ce genre de situations…» indique Agathe.
Stéréotypes menaçants
Entre alors en course un phénomène bien connu et qui est loin d'être réservé à la conduite –il touche des milieux aussi divers que le football et les mathématiques. On l'appelle la menace du stéréotype. «Le problème des stéréotypes, c'est que, même si les femmes se sentent bonnes conductrices dans le sens où elles sont respectueuses des règles et des autres, elles se sentent toujours jugées du fait de leur sexe» quand elles sont au volant, explicite Marie-Axelle Granié.
C'est ainsi que les a priori sexistes viennent implicitement régenter la circulation. Pas besoin de verbaliser: ils paralysent. «On a tellement peur de renforcer ce stéréotype-là que la peur prend le pas sur la performance dans la tâche», continue la directrice de recherches.
«Le problème des stéréotypes, c'est que même si les femmes se sentent bonnes conductrices, elles se sentent toujours jugées du fait de leur sexe.» Marie-Axelle Granié, directrice de recherches en psychologie sociale
«En gros, cette peur tétanise et empêche de réfléchir correctement. Par exemple, des femmes vont avoir du mal à faire un créneau parce que c'est ce qu'on leur reproche le plus souvent.» Pas étonnant qu'Audrey préfère conduire sur l'autoroute qu'en ville, «où tu dois faire des manœuvres pour te garer».
Voilà qui explique aussi que «les femmes ont beaucoup plus peur de l'accident que les hommes, glisse celle qui travaille sur les compétences de conduite et les comportements à risques des femmes et des hommes. Elles vont considérer que l'accident est bien la preuve qu'elles sont incompétentes et cela va contraindre encore plus leurs comportements». Ainsi d'Aude, qui, c'est un comble, a eu son premier accident en allant chercher son permis à la préfecture. «Depuis, je roule à 60 km/h comme une vieille partout», exagère-t-elle, neuf ans après.
Ce n'est donc pas parce qu'elles sont incapables d'être au volant mais bien parce qu'on les juge comme telles qu'elles ont davantage peur de s'en emparer, une aversion à manœuvrer un véhicule et/ou cèdent souvent la place du conducteur à leur conjoint. «Elles vont considérer, et c'est souvent le cas, qu'elles vont être critiquées par le conjoint qui est passager parce qu'il va trouver qu'elles ne conduisent pas comme il faut. Ça met une pression sur les femmes quand elles conduisent», appuie Marie-Axelle Granié. Une pression qui conduit à davantage s'asseoir côté passager.
Audrey en atteste. Au volant, si son conjoint est à côté, elle angoisse. «C'est un peu dans ma tête. Je me dis juste que peut-être il serait allé plus vite, qu'il aurait trouvé plus rapidement comment se garer alors que moi je suis en train de galérer… Je me fais tout un stress.» Pour Aude, ça a pris la forme d'une engueulade épique sur des routes de montagne: «Il me disait d'aller plus vite, une voiture me collait au cul derrière. Après un virage, je me suis garée sur une bande d'urgence tout en cailloux d'un coup, en mode Vin Diesel-Fast and Furious.» Après quelques échanges houleux de «tu me saouuuules» et «t'es folllle», il a repris le volant. Et elle sa place de copilote attitrée.
S'il est aussi difficile de renverser le stéréotype (au lieu de se sentir sous sa coupe et d'avoir peur de le renforcer par son action et donc de céder le volant), c'est aussi parce que ces comportements routiers comme ce rapport à l'accident sont ancrés bien profondément non pas dans nos gènes mais dans notre environnement.
«Les femmes ont peur de l'accident avant même d'apprendre à conduire, pointe la chercheuse en psychologie sociale. C'est quelque chose que l'on retrouve au niveau de l'accident domestique chez l'enfant petit: dès l'âge pré-scolaire, les filles ont beaucoup plus peur de l'accident et de la blessure que les garçons. Pour un même type de comportement à risque, elles vont trouver la situation beaucoup plus grave et penser se blesser beaucoup plus gravement que les garçons. Ainsi, dès toutes petites, elles vont éviter une situation s'il y a un risque d'être blessées, quel que soit le niveau de blessure, même en cas de blessure légère. Les garçons vont éviter uniquement les situations où la blessure risque d'être grave.»
«J'ai proposé plusieurs fois de prendre le volant, mais il m'a répondu que ça ne le dérangeait pas de conduire toute la route.» Morgane, 32 ans, trois enfants
Tout simplement parce qu'on les éduque ainsi. Un garçon qui prend des risques, c'est normal; quand c'est une fille, c'est qu'elle n'a pas bien évalué le danger. «Même si leur niveau de compétences est le même, ajoute Marie-Axelle Granié, on va aider une fille et pas un garçon. On met dans la tête des enfants que les filles sont vulnérables et que les garçons ne le sont pas.»
C'est pour ces raisons que les hommes ont moins peur de l'accident de la route –alors même qu'ils y sont statistiquement plus confrontés. «S'il est lié à une prise de risque, l'accident va renforcer l'image virile», ramasse la directrice de recherches. Loin d'être perçus comme inconscients ou déraisonnables, les conducteurs sont vus comme forts: rien ne les effraie, rien ne les épuise. «À Noël, nous sommes remontés dans la famille, 1.200 kilomètres de nuit, pour que les enfants dorment. Plusieurs fois, j'ai proposé de prendre le volant, mais il m'a répondu que non, c'était bon, ça ne le dérangeait pas de conduire toute la route. Moi, je suis moins résistante, au bout de deux heures de nuit, je fatigue!» témoigne Morgane. «Quand on part en vacances, c'est lui qui prend le volant, on se relaie très peu, abonde Agathe. Il n'est jamais fatigué et peut conduire des heures.» Des hommes (au volant), des vrais.
C'est aussi que la perception des règles, notamment du code de la route, varie suivant le genre et les traits de personnalité qu'on lui associe. Comme le rappelle Marie-Axelle Granié, de manière générale, côté féminin, on valorise la sympathie, la compassion (le care), tout ce qui revient à exprimer ses émotions et prendre en compte ainsi qu'en charge celles des autres, «on est dans un rapport horizontal à autrui»; côté masculin, le rapport aux autres est plus «vertical», on est dans la compétition, la domination, la recherche de pouvoir, l'individualisme et l'indépendance.
Conséquence routière: les personnes ayant des traits de caractère considérés comme féminins ont «une représentation des règles plus morale, une conscience que les règles routières sont là pour protéger les autres de leur propre comportement». Elles s'obligent à les respecter pour les autres. «Je sais que je ne suis pas dangereuse quand je conduis», note ainsi Audrey.
À l'opposé, les individus aux traits réputés masculins ont, quant à eux, «une représentation des règles beaucoup plus externe», celles-ci viennent contraindre leur comportement et ils les suivent donc en fonction des circonstances (autrement dit, de la présence d'un radar ou des forces de l'ordre) mais «elles ne font pas partie de leur système de valeurs». C'est plutôt le véhicule comme le statut qu'accordent la place du conducteur ainsi que les capacités de conduite (à risque, en se défiant des règles établis) qui sont investis symboliquement.
Cette internalisation féminine des règles, on la retrouve y compris côté passager, où les femmes veillent à ce que personne ne soit blessé. «Quand je ne conduis pas, je ne peux pas dormir: il enchaîne tellement les kilomètres que j'ai peur qu'il s'endorme. Du coup, je me fais un devoir de lui tenir compagnie», raconte Morgane. «Si je sens qu'il est fatigué, qu'il a déjà beaucoup conduit, je suis plus à l'aise de me dire “c'est moi, là, qui prends le volant”, je serai beaucoup moins stressée comme ça qu'en me disant “mince, il enchaîne”», retrace de son côté Audrey.
De la même manière, Sam, c'est souvent celle (et non celui) qui ne boit pas, et pas seulement pour cause de grossesse. «Quand tu viens en voiture à un mariage, tout le monde part du principe que c'est le mec qui conduit, poursuit la jeune avocate. Si c'est toi qui conduis, tout le monde va se dire: “C'est parce que lui veut boire”.» C'est à la femme de se contenir et d'incarner la raison.
«Quand tu viens en voiture à un mariage, tout le monde part du principe que c'est le mec qui conduit.» Audrey, avocate
Les campagnes de la sécurité routière jouent aussi sur ce fossé genré (et viennent, ce faisant, l'amplifier), à l'instar de celle de 2012, dont le slogan parle de lui-même: «Tant qu'il y aura des hommes pour mourir sur la route, il y aura des femmes pour que cela change.»
Comme l'observe la chercheuse à l'université Gustave-Eiffel, «on a tendance à demander aux femmes d'assagir les hommes au volant, de les civiliser, par leur propre comportement, dans une vision très essentialiste des rôles de sexe: l'homme naturellement risqueur et la femme naturellement sage. On ne cherche pas à rendre l'homme plus sage, c'est la tâche de la femme de contrer cela, comme de ne pas exciter les hommes par des tenues provocantes par exemple. La femme, c'est l'assistante de l'homme au volant».
Partage des tâches
Autre élément amplificateur de ce partage conjugal inégal et genré du volant: l'arrivée des enfants. Il y a onze ans, au début de sa relation avec celui qui est depuis devenu son mari et le père de ses trois filles, «c'était la bagarre pour savoir qui allait conduire», se souvient Morgane. La donne a considérablement changé depuis qu'ils sont parents. «En y réfléchissant, j'ai commencé à moins prendre le volant quand on a eu notre première fille. Il est plus pratique d'être passagère pour s'occuper de bébé. Aujourd'hui, avec trois enfants de 7 ans à 20 mois dans la voiture, j'ai l'impression que je m'épuise à écouter leurs histoires et à faire attention à ma conduite.» Elle préfère donc ne pas tenter de (mal) concilier les deux quand elle en a l'occasion et laisser le volant à son époux.
C'est aussi ce que décrit Agathe: «Les rares fois où je conduis et les enfants sont à l'arrière, dès qu'ils me demandent quelque chose, je vais y faire attention, c'est dangereux pour la conduite. Mon mari, lui, arrive à faire abstraction.» En cause, rien de naturel, encore une fois. «Les femmes vont être perturbées plus facilement par les éléments extérieurs, notamment quand ces éléments sont liés au rôle de mère. On ne peut pas conduire et en même temps moucher le bébé derrière! souligne Marie-Axelle Granié. Tout cela est le reflet de l'éducation. On éduque les garçons à certaines tâches, les filles à d'autres, petit à petit elles deviennent compétentes dans les tâches auxquelles elles sont éduquées et eux dans les leurs; à la mise en place du couple, ça se cristallise. Chacun va prendre les tâches avec lesquelles il·elle est plus à l'aise en évitant celles où il·elle l'est moins. Ce schéma traditionnel se met en place et arrange tout le monde.» Aux femmes les enfants, aux hommes le volant.
Perte de la confiance
De quoi faire persévérer, pour les prochaines générations, l'idée que la conduite est un domaine avant tout masculin. «Ma mère m'a beaucoup conduite mais, quand mon père était là, c'était lui qui prenait le volant», se remémore ainsi Agathe, qui reproduit donc sans y avoir pris garde le schéma parental et traditionnel. «Avoir observé, toute son enfance, que lorsque les deux parents sont dans la voiture c'est toujours le même qui conduit affecte les connaissances que l'enfant construit sur la conduite et plus généralement sur les rôles de sexe, d'autant que ce schéma est observable plus largement», complète la chercheuse.
Car une fois que l'on a délaissé le volant, c'est souvent pour longtemps, pour ne pas dire toujours. Aude a par exemple baissé les bras: «C'est une guerre qui ne m'intéresse pas trop, dans le sens où je la mènerais plus par principe que par plaisir de conduire, et comme on dit, faut choisir ses combats.» Audrey a, elle, identifié un passage problématique –et une nécessité de remise à niveau. «Le point négatif, c'est que je perds un peu la confiance en moi au volant et la pratique, donc c'est un peu un cercle vicieux. Moins tu conduis, moins t'es à l'aise. Ce qui me gêne, c'est de me dire que ça me paraît insurmontable de conduire dans Paris, parce que je ne le fais jamais, à moins vraiment d'avoir besoin d'emmener quelqu'un à l'hôpital…»
Même constat pour Morgane: «Depuis que je conduis moins, je suis moins sereine à prendre la voiture sur des trajets que je ne connais pas.» Catherine, 60 ans, professeure de français et d'anglais à la retraite, a ainsi laissé son époux conduire pendant leurs seize ans de mariage. «Ce qui m'a donné confiance et fait que j'ai conduit de plus en plus souvent, c'est notre séparation!» S'il ne s'agit pas de mettre fin au(x) couple(s) pour en finir avec la domination masculine de la conduite, il est peut-être temps d'en freiner la représentation viriliste. Et de réaliser que la véritable bonne conduite est égalitaire et partagée.
Celles qui n'ont pas adopté le nom de leur mari se le voient fréquemment imposé par les impôts, la CAF, la Sécu ou les banques. L'usage continue de prévaloir sur la loi.
Aucune loi n'a jamais contraint les femmes à prendre le nom de leur époux, mais l'administration française fait de la résistance.
En octobre dernier, le gouvernement annonçait mettre fin à une règle jugée «obsolète», qui donnait priorité au nom de l'époux sur l'avis d'imposition –même lorsque l'épouse ne l'avait pas choisi comme nom d'usage.
L'année 2020 sera donc la première à voir (officiellement, puisque certains services le faisaient déjà) les deux noms d'un couple marié figurer sur ces documents.
Or, cette ancienne règle du code général des impôts n'est pas supprimée en vertu de sa nature ouvertement discriminante vis-à-vis des femmes, mais parce qu'elle n'est «plus adaptée à la situation de la loi […] du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe».
En France, aucune loi n'a jamais contraint les femmes à prendre le nom de leur époux. L'usage est seulement coutumier, et personne ne perd son nom en prenant celui de la personne épousée, mais gagne un nom d'usage. Les hommes, eux, ont dû attendre 2011 pour qu'un décret leur permette de «substituer» leur nom à celui de leur épouse (en 2012, après un parcours du combattant, un homme a obtenu gain de cause pour la première fois).
En 2002, Ségolène Royal, alors ministre de la Famille, met fin à la prééminence du nom du mari. La réforme, entrée en vigueur trois ans plus tard, fait remplacer dans la loi le «nom patronymique» par le «nom de famille» et permet enfin aux femmes mariées de donner leur nom à leurs enfants.
En théorie donc, la suprématie «légale» du patronyme masculin n'est plus qu'un mauvais souvenir, mais en pratique? Sans surprise, c'est le patriarcat qui gagne.
Solveig, qui s'est mariée en 2016 en conservant son nom, a fait les frais des pratiques périmées typiques de l'administration française: «À partir du moment où j'ai envoyé le certificat de mariage à la CAF pour mettre à jour mon dossier, ils ont carrément rayé mon nom pour mettre celui de mon mari. Je ne recevais plus de courrier à mon nom, mais au sien. J'avais eu quelqu'un au téléphone qui m'avait répondu: “C'est automatique, c'est comme ça.”»
Trois ans plus tard, c'est la Sécurité sociale qui s'y met: «Je suis dans la salle d'attente de mon médecin traitant, avec qui j'ai pris rendez-vous sur Doctolib, et là, on vient m'appeler, mais par le nom de mon mari.»
Solveig a pourtant pris rendez-vous avec son nom de naissance. «Il s'est avéré qu'en connectant ma carte Vitale, j'étais désormais au nom de mon mari! Il faudrait que je change de carte, mais ça me met tellement en rage de devoir faire ces démarches alors que je n'ai jamais rien demandé… Même si ça faciliterait grandement les choses, puisque nous avons des enfants que nous avons choisi d'appeler avec le nom de leur père.»
Elle ne croit pas si bien dire. Géraldine, qui travaillait à la CPAM en 2016, confirme: «Je pouvais pas donner d'information sur ses enfants à une mère qui ne portait pas le même nom qu'eux, il fallait obligatoirement qu'elle présente le livret de famille.»
Pire: «Je ne compte plus les fois où une femme amenait le RIB d'un compte joint, mais comme le nom de l'homme y figure toujours en premier, on ne pouvait pas accepter le RIB sans attestation sur l'honneur de ce dernier.»
Et les galères continuent même après un divorce: «C'était laborieux, pour les femmes divorcées ayant pris le nom de leur mari, de refaire une carte Vitale à leur nom de naissance, puisqu'elles devaient ramener l'intégralité du jugement du divorce, qui fait je ne sais pas combien de pages. Si elles ne fournissaient qu'une copie simple, elles recevaient une nouvelle carte Vitale… au nom de leur ex.»
Marine a épousé Gwendal en mai 2016 et a préféré conserver son nom de famille. «L'année d'après, nous avons donc déclaré notre mariage aux impôts, raconte Gwendal. Comme ma déclaration était très simple, alors que ma femme doit déclarer du foncier, elle s'est mise en première déclarante et moi en deuxième. Mais ma femme touchant deux fois plus que moi à l'époque, je pense que par sexisme, ils ont considéré que c'était forcément moi le déclarant 1. Donc ils ont interverti les déclarants –mais pas les déclarations, évidemment.»
Une erreur pas tout à fait banale et qui entraîne une réaction en chaîne: «En 2018, ma femme étant enceinte, on s'inscrit à la CAF. On se rend compte qu'elle fait la même inversion, parce qu'elle se base en réalité sur les impôts.»
Et ça se complique: «De plus, finissant ma thèse, on doit déclarer que je suis au chômage. Sauf qu'à cause de l'inversion, la CAF va considérer que je ne touche plus les revenus qui correspondent en réalité à ceux de ma femme. Comme on ne veut pas se faire accuser de fraude, on prévient donc la CAF, qui dit ne pouvoir rien faire.»
C'est donc avec les Finances publiques que Gwendal et Marine ont dû batailler, pendant «pas mal de temps», pour que tout rentre dans l'ordre. Contactée, la DGFIP indique qu'il «suffit de faire la demande auprès de son service de rattachement pour que par exemple les avis/déclarations soient envoyés aux deux noms dans un couple marié ou pacsé» et concède «que sur le traitement global de près de 38 millions de foyers fiscaux, quelques erreurs soient à signaler concernant le traitement de ce type de demandes».
Intéressant de constater que ces erreurs ne fonctionnent que dans un sens, toujours le même
Géraldine, l'ancienne employée de la CPAM, confirme que si la case «nom de jeune fille» continue de figurer sur les formulaires à remplir et les dossiers des bénéficiaires, l'équivalent masculin n'existe tout simplement pas.
Des formulaires obsolètes qui énervent Charlie, mariée en 2019 avec un homme qui a pris son nom: «Régulièrement, on doit inscrire le “nom de jeune fille” de mon mari ou alors on tombe sur des formulaires où on ne peut même pas renseigner son nom de naissance… Donc soit on barre la première mention, soit on rajoute la seconde, mais à chaque fois, on se demande si on va encore devoir faire des démarches supplémentaires pour que les noms ne soient pas inversés, ou que son nom d'usage à lui soit respecté.»
Depuis leur mariage, Charlie et son époux ont dû se montrer pédagogues face à nombre d'employé·es peu habitué·es à ce cas de figure: «Une fois, on nous a inscrit comme un couple d'hommes –en plus j'ai un prénom mixte, donc ça n'aide pas. Et quand on leur fait remarquer l'erreur, la réponse c'est très souvent “on ne savait pas que c'était possible”.»
Exemple chez le notaire, en juillet dernier: «Ils ont cru à une erreur de notre part, donc au lieu de revérifier ou de nous demander, ils ont inversé les noms de famille sur le compromis de vente. Puis ils ont osé nous dire qu'ils ignoraient que c'était légal pour le mari de prendre le nom de famille de son épouse, alors que la loi a bientôt dix ans…»
«Dans notre ancienne banque, quand on a voulu faire le changement de nom d'usage pour mon mari, ils ne connaissaient pas la procédure. Alors que logiquement, ça devrait être la même que celle d'une femme qui prend le nom de son époux…», raconte encore Charlie.
Et en changeant d'établissement, rebelote. «Déjà, à l'inscription, la conseillère ne trouvait pas comment lui mettre mon nom en nom d'usage dans le logiciel. Ensuite, à cause d'un prélèvement refusé à mon mari en raison de son changement de nom, on s'est retrouvés avec mon compte personnel à son nom de naissance, et inversement !»
Après trois tentatives de contact via l'espace client de la Banque populaire restées sans réponse, Charlie finit par obtenir gain de cause. «Il a fallu que des virements sur mon compte personnel soient refusés à cause du RIB qui a été mis au nom de mon mari pour que tout ça soit traité sérieusement. La banque n'a jamais cherché à se justifier ou s'excuser. La seule “raison” qu'on nous a donnée, c'est que “c'est pas courant”.»
Catherine, 76 ans, a commencé sa vie professionnelle en 1960, à la BNCI (ancêtre de la BNP). Mariée à 17 ans, à cette époque, elle n'a pas le droit d'ouvrir un compte en banque ni travailler sans l'autorisation de son mari.
Car si la loi du 18 février 1938 a déjà supprimé l'incapacité juridique de la femme mariée et son devoir d'obéissance inscrits dans le code civil (code Napoléon) depuis 1804, il faut attendre le 13 juillet 1965 pour que la réforme des régimes matrimoniaux consacre l'autonomie financière de ces femmes, qui jusqu'alors ne pouvaient signer un chèque, acheter une maison en leur nom propre ou signer un contrat de travail sans l'accord de leur mari.
Cela fait donc cinquante-cinq ans seulement que toutes les Françaises disposent de leurs propres bien et ne sont plus, dans la loi, traitées en éternelles mineures, passant de l'autorité du père à celle du mari.
En 1992, Catherine perd son époux, dont elle avait pris le nom. «Dans l'agence BNP où nous avions notre compte, une dame charmante lisait les avis de décès et vérifiait dans la clientèle qui était concerné. Je reçus donc, sans avoir rien demandé, un chéquier indiquant “Mme veuve Nomdemonmari”.»
Elle refuse une première fois («hors de question d'avoir perpétuellement cette douleur sous les yeux») mais la banque lui renvoie un second carnet de chèques à «Mme Bernard Nomdumari». «Finalement, après une explication assez vive, j'obtins enfin un chéquier à mon nom!»
Catherine dénonce des «blocages» qu'elle estime dus «à un manque criant de connaissance, soigneusement entretenu par des siècles de patriarcat». Pour les contourner et s'éviter des migraines, certaines femmes omettent donc de mentionner le nom de leur mari lorsqu'elles remplissent des papiers. Une astuce que plusieurs se sont vu souffler par… l'administration elle-même.
C'est moche, c'est mou, ça boudine. Pourtant, le legging pourrait bien être, sans le savoir, un vrai vêtement politique.
Le 25 mars, une mère de famille américaine nommée Maryann White s'est fendue d'une lettre ouverte au journal de l'université de Notre Dame (Indiana) pour dénoncer le port du legging à la messe. En effet, selon la maman de quatre garçons, ce vêtement «complique la tâche, pour les jeunes hommes, d'ignorer le corps des femmes». Elle décrit «un groupe de jeunes filles venues à l'église portant des leggings si moulants qu'on aurait dit qu'ils avaient été peints sur leur corps» et ajoute: «J'ai pensé à tous les hommes autour qui ne pouvaient pas faire autrement que de voir leurs derrières».
Rapidement, l'affaire fait polémique dans les médias aux États-Unis et des centaines d'élèves débarquent à la fac de Notre Dame en portant des leggings, en signe de soutien. Twitter s'enflamme de hashtags militants comme #LeggingsdayND ou #MybodyMychoice.
These leggings might be tight AF, but they still fit my determination to treat every human respectfully and with autonomy in regards to their choices in there #leggingsdayND #leggings #leggingsday pic.twitter.com/K5uYkrIYcy
— Meghan (@franklydarlin) 29 mars 2019
Ladies of Notre Dame - we're with you! Wear them loud, wear them proud. #yourbody #yourchoice #leggingsdayND #leggingsdayND pic.twitter.com/uZPabHetJI
— TLC Sport (@TLCSport) 28 mars 2019
«Athleisure» et «basic bitch»
Chez nos voisin·es d'outre-Atlantique, ce n'est pas la première fois que cet hybride entre pantalon et collant Lycra affole l'opinion. En 2017, déjà, deux préados avaient été refusées à l'embarquement d'un vol interne United Airlines pour cause de port de legging, l'employé de la compagnie ayant jugé leur tenue inappropriée selon le dress code en vigueur chez United (PS: sont aussi interdites les tongs et les jeans déchirés).
Dans les pays anglo-saxons encore plus que chez nous, le legging est devenu un pantalon comme les autres. Confortable, extensible, facile à porter, voire même carrément fashion, il a été adopté par les femmes de 7 à 77 ans. D'abord tenue de sport réservée aux cours de gym ou de yoga, il a étendu son territoire d'influence stylistique avec la fin de la frontière stricte entre casual et formal, soit entre le vêtement de détente et celui que l'on adopte pour les situations formelles. Bref, avec le legging, c'est l'extension du domaine du look casual Friday. On le porte partout, tout le temps et surtout pas pour faire du sport (voir ce sketch hilarant du «Saturdy Night Live» qui parodie une pub Nike).
Ces derniers temps, avec la vague «athleisure» [contraction de athletics et leisure, loisir, ndlr], soit le style «sport fashion», le legging est carrément devenu hyper désirable. Il se porte avec des baskets mais aussi avec des talons façon «basic bitch», comme Kim Kardashian... Au grand dam de Cristina Cordula. La papesse du style sur M6 a fait du legging sa bête noire, répétant à l'envi qu'il est interdit hors des gymnases.
Vêtement doudou pour les millennials avides de confort, le legging est évidemment la star d'Instagram (le mot-clé #leggings totalise près de sept millions d'occurrences, sans parler de #leggingsaddict ou #leggingslove). Au tournant des années 2010, il a même gagné la guerre contre le jean, mettant quasi KO une industrie du denim en mal de cool. À tel point que les géants du secteur ont dû réagir, inventant les pires aberrations stylistiques, tel le jeggings (jean + leggings), ou incorporant illico du stretch dans leurs pantalons.
D'après un rapport publié par la société américaine Global Industry Analysts, Inc., le marché mondial des vêtements athleisure devrait atteindre 231,7 milliards de dollars d'ici 2024. Et bonne nouvelle pour les industriels du collant sport/chic, la Chine est devenue accro! Résultat: tout le monde fait des leggings, que ce soit Etam, Zalando, Monoprix ou même Beyoncé, la première à avoir flairé la tendance avec sa marque Ivy Park, lancée en 2016.
Le secteur est très porteur et des marques se sont carrément imposées chez les urbaines actives et branchées, comme la Canadienne Lululemon, avec ses leggings à 120 euros pièce.
Couvrez ce camel toe que je ne saurais voir!
À l'origine, le legging, mélange de synthétique et de fibres extensibles, est un dérivé du collant, lui-même ancien dessous devenu dessus. Les premières traces de ce qui s'apparente à un collant remontent au XIVe siècle et au départ, ce sont les hommes qui adoptent ce vêtement fort révélateur de leur anatomie. Yvane Jacob, diplômée de l'Institut français de la mode, tient le compte Instagram Sapé comme Jadis. Elle précise: «Au XIVe siècle, le costume masculin commence à se différencier du costume féminin. Avant, les deux sexes portaient un habit assez similaire, une sorte de tunique longue. Lorsque les pourpoints raccourcissent, les chausses, sortes de bas en laine ou lin, apparaissent. Le tout relié par une pièce de tissu appelée “braguette”». Tellement galbant que l'Église ne les voit pas d'un très bon œil.
À la fin du XVIe siècle, Catherine de Médicis, lasse de souffrir l'intimité des cavalières révélée à tous lors des chutes de cheval, impose la culotte vénitienne –aussi appelée «bride à fesses», une sorte de caleçon. Un vêtement à l'origine porté par… les prostituées de la cité des Doges. Le collant arrivera dans le vestiaire féminin via la danse.
Vers 1730, une ordonnance de police oblige les danseuses de l'Opéra de Paris à enfiler un «caleçon de modestie», leurs jambes nues étant jugées indécentes. Pendant la période du Directoire en France, ce sont encore les hommes qui portent une sorte de pantalon archi moulant, fantaisie vestimentaire venue directement de l'Angleterre de Jane Austen.
Et dans les années 1980, avec la vague de l'aérobic, pas de jaloux c'est leggings moulax pour tout le monde!
Pour les femmes, la conquête de ce vêtement participe donc, au même titre que le port de la fameuse culotte précédemment citée, à la lutte pour plus d'égalité vestimentaire. Yvane Jacob raconte: «Le legging, comme la culotte, est un vêtement fermé. Jusqu'au XXe siècle, les femmes n'avaient pas le droit au vêtement fermé, privilège des hommes. La femme doit restée “offerte”, il y a clairement un enjeu d'accès au sexe féminin».
Aujourd'hui, ce bout d'élasthanne est devenu pour certaines un outil d'affirmation de soi, notamment via le fitness. Ainsi trouve-t-on sur Instagram moult corps féminins sportifs et musculeux, moulés dans un legging ad-hoc. Car le legging est l'uniforme de la femme puissante, celle qui combine carrière + vie perso et façonne son body grâce au running ou à la boxe.
Pour Yvane Jacob, le legging, comme d'autres vêtements venus du sport, participe à la libéralisation du corps de la femme: «C'est avec le sport notamment, et des femmes comme la tenniswoman Suzanne Lenglen ou la nageuse Annette Kellermann, inventeuse du maillot de bain une-pièce, que le corps féminin s'est mis à bouger. Auparavant, on empêchait la femme de se mouvoir, elle restait captive de l'homme». Le legging, un vêtement qui, avec ses coupes étudiées, flatte les muscles sculptés à coup de séries de squats. Et dévoile cette partie de l'anatomie féminine qui est l'obsession de notre époque: le booty, le butt –les fesses, quoi.
Car depuis le tournant des années 2000, les fesses sont les nouveaux seins. Après la décennie Wonderbra/Pamela Anderson, notre siècle nouveau est bien celui du popotin –celui de JLo, de Shakira ou de Beyoncé. Après le 90D, le twerk. Les grosses fesses ont la cote et le legging est à leur gloire. Un déplacement érotique assez révélateur pour Yvane Jacob: «Le corps blanc et longiligne n'est plus la référence, voyez Kim Kardashian».
Sur le net et notamment Instagram, il existe évidemment tout un fétichisme autour des fesses «émoji pêche» moulées de leggings, avec camel toe apparent (on vous laisse chercher…).
«Oui ça me boudine, et alors?»
Mais si pour certaines, le legging participe à une forme d'hypersexualisation du corps libéré, pour d'autres, ce vêtement archi moulant devient le vecteur d'un empowerment insoupçonné (en mode «oui ça me boudine, et alors?»).
Très démocratique car peu cher dans ses versions basiques, le legging existe en de nombreuses tailles et pour toutes les morphologies. À ce titre, c'est donc un vêtement étonnamment assez inclusif. Porter un legging, c'est aussi une manière de s'émanciper du regard masculin –pour beaucoup d'hommes, le legging est perçu comme pas chic, peu flatteur, voire carrément moche.
Anne a 38 ans et ne porte quasiment que des leggings, même pour aller au bureau (elle est créative dans une agence): «J'ai commencé à en acheter quand j'ai grossi. Impossible pour moi de passer au jean taille 40, trop déprimant, alors qu'un legging en 38, ça me va. Pour moi, c'est du confort avant tout. C'est pas du tout un statement mode comme les jeunes générations, les filles qui assument leur gros cul et dont je suis très admirative». Qui l'eût cru? Le legging, c'est mou, c'est moche, mais c'est dur avec le patriarcat.
A l’occasion des cinquante ans de la loi autorisant les femmes à ouvrir un compte en banque et à travailler sans l’autorisation de leur mari, petite histoire des interdictions qu’ont eu à combattre les femmes.
Quand les femmes ne pouvaient pas ouvrir de compte en banque
Le XXe siècle a créé la femme d’aujourd’hui. Celle qui travaille, gère ses biens, vote et vit sa vie. La loi de 1965, qui souffle aujourd’hui ses 50 bougies, a ouvert la porte à l’émancipation féminine. Avant elle, une femme ne peut travailler sans l’accord de son mari ni ouvrir de compte en banque à son nom propre. Mais le combat ne s’est pas arrêté là. Il a fallu attendre très longtemps pour qu’elle ait l’autorisation de porter un pantalon ou avoir accès à toutes les écoles hexagonales.
Il y a cinquante ans, les femmes obtenaient le droit de… par libezap
1907 Les femmes mariées disposent de leur salaire. Avant ça, tout revient à son mari. C’est aussi cette même année que le conseil des prud’hommes autorise les femmes à siéger.
1924 Avant cette date, il est impossible pour une femme de passer le baccalauréat. Une femme l’a pourtant fait : Julie-Victoire Daubié, en 1861 qui fut autorisée à le passer. Léon Bérard, ministre de l’Instruction publique sous Raymond Poincaré, institue le même enseignement secondaire que ce soit pour les filles ou les garçons. Tout le monde peut désormais passer le bac.
1938 L’incapacité juridique des femmes est levée. Dès lors, elles peuvent aller à l’université, avoir une carte d’identité ou un passeport sans l’autorisation de leur mari.
1946 Ouverture du statut de juge pour les femmes. L’une des premières sera Simone Rozès, en 1949, qui deviendra première femme président de la Cour de cassation, en 1984.
1967 Les femmes sont désormais autorisées à entrer à la Bourse de Paris et à spéculer. Auparavant, certaines décident de contourner le système. Marthe Hanau, la «Madoff des années folles», initiatrice d’une chaîne de Ponzi qui fit sa fortune, avait pour habitude de se travestir pour entrer dans le palais Brongniart et faire trembler ses rivaux.
1970 Le gouvernement Chaban-Delmas apporte une autre pierre notoire à la reconnaissance du statut de femme indépendante : il supprime le «chef de famille». Le couple régit de concert le ménage dans les dépenses et les choix de vie et d’éducation. L’autorité parentale vient de naître. Pourtants, 45 ans plus tard, la pilule ne passe toujours pas. Dans son ouvrage Le suicide français, Eric Zemmour écrit que la disparition de la notion de chef de famille, c’est un peu la «mort de la famille occidentale». Et d’ajouter que l’homme a «besoin de dominer pour se rassurer sexuellement et les femmes d’admirer pour se donner sans honte».
1972 Polytechnique devient complètement mixte, tout comme HEC. La même année, huit femmes y entrent et l’une sera major de promotion : Anne Chopinet. Les autres grandes écoles se sont déjà ouvertes à la mixité : Chartres (1906), les Ponts et Chaussées (1959), les Mines (1969).
1975 La mariée a désormais droit à un peu d’intimité. Son mari ne peut plus ni lire ses lettres ni décider pour elle de ses relations. La même année, tout enseignement ou spécialité de l’enseignement supérieur est accessible pour les garçons et les filles.
2013 Mieux vaut tard que jamais, l’interdiction du port du pantalon est enfin abrogée. Dès 1909, le pantalon peut être féminin… mais uniquement s’il est utilisé pour faire du vélo, du cheval ou du ski. Pour la petite histoire, le pantalon est interdit par une ordonnance du 16 Brumaire an IX (7 novembre 1800) pour toute personne de sexe féminin parce qu’il est considéré comme «objet de travestissement». L’ordonnance prévoit quand même quelques cas particuliers qu’elle appelle «les autorisations de travestissement». Amantine Dupin ou George Sand en a bénéficié. Au fur et à mesure, l’ordonnance est assouplie mais jamais formellement abrogée. Le pantalon fait scandale dans les années 20 avant de se banaliser dans les années 60 avec le smoking Yves Saint Laurent ou le pantalon Courrèges. Quelle Française aujourd’hui n’a jamais porté de pantalon ? Aucune, mais elles étaient toutes en infraction.