L’idée que beaucoup d’hommes élèveraient à leur insu des enfants qui ne sont pas génétiquement les leurs a tout d’une légende urbaine, et ce, depuis un bon paquet de temps.
C’est un motif récurrent des séries et des talk-shows: le brave père de famille qui, après un test génétique, apprend que le ou les enfants qu’il élève depuis des années ne sont en réalité pas les siens. En général, la nouvelle relève de la colossale catastrophe et d’un ressort tragique tout aussi gigantesque.
De fait, le phénomène est très présent dans l’imaginaire collectif, et pour cause: d’un point de vue masculin, biologiquement parlant, c’est passablement affreux d’investir du temps, de l’énergie et des ressources pour s’assurer la survie de gènes qui ne sont pas les vôtres. Et le pire, c’est que ce risque semble tout à fait avéré. Chez des espèces monogames autres que la nôtre –des oiseaux, par exemple–, un enfant sur dix a été engendré lors d’une «copulation extérieure au couple». Une stratégie reproductive qui, théoriquement parlant, serait particulièrement bénéfique aux femelles. Quand on y ajoute la prévalence de l’adultère féminin au sein de notre espèce –entre 5 et 27% des individus âgés de moins de 30 ans– l’angoisse d’avoir été fait cocu au point d’élever les rejetons du facteur n’a visiblement rien d’exagérée.
Sauf que sans doute que si, selon une synthèse de trois spécialistes de la question parue le 11 avril dans la revue Trends in Ecology & Evolution. En effet, s’il est courant d’estimer la proportion des paternités mal attribuées entre 10 et 30% des familles –un chiffre que les associations masculinistes ne manquent pas, évidemment, de véhiculer–, Maarten H.D. Larmuseau, Koen Matthijs et Tom Wenseleers, de l’Université catholique néerlandophone de Louvain, arguent que la fourchette se situerait bien plus probablement autour des 1 à 2%. On passerait donc, en gros, d’un père «floué» sur dix à un sur cinquante. Une paille.
Généalogie du chromosome Y
Qui plus est, la proportion resterait relativement stable même en remontant le cours de notre histoire, soit avant la massification de l’usage de la contraception scientifiquement élaborée. Une affirmation rendue possible par les progrès de la génétique des populations, qui passe notamment au crible la généalogie du chromosome Y.
Responsable de l’androgénisation du fœtus, ce bout d’information génétique ne se transmet que du père au fils et demeure quasiment identique lors de la formation des gamètes des deux sexes. Au travers des générations, il est donc (scientifiquement parlant) facile de remonter sa trace et d’étudier les éventuelles «incartades» dont il a pu être victime. C’est, par exemple, de cette manière qu’après la découverte du squelette de Richard III les scientifiques avaient été capables de dévoiler une infidélité royale survenue quelque part sur la grande route génétique reliant le tyran boiteux et bossu à l’actuelle reine d’Angleterre.
Mais, à l’échelle de l’humanité, et ce, depuis au moins un demi-millénaire, l’infidélité féminine (féconde) serait un phénomène pour le moins exceptionnel:
«La faiblesse des taux de cocuage observés dans les populations humaines passées et contemporaines contestent clairement l’idée, bien connue, voulant que les femmes aient l’habitude de “faire leur marché” de bons gènes, résume Larmuseau, et s’engagent dans des copulations extérieures au couple afin d’obtenir des bénéfices génétiques pour leurs enfants.»
En d’autres termes, pour les femmes, les avantages potentiels de l’infidélité seraient surpassés par ses coûts –violence conjugale, divorce, moindre investissement de la part du conjoint «social» et/ou de son cercle familial. Ce qui expliquerait pourquoi, sur des centaines de générations et des millions d’individus, le phénomène demeure, en réalité, bien plus rare qu’on pourrait le penser.