/Chaque semaine, Benjamin Daubeuf, enseignant en histoire-géographie au lycée Val-de-Seine du Grand-Quevilly, commente un article de Courrier international en rapport avec les programmes d’histoire-géographie de terminale et de première spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques (HGGSP). Cette semaine : la controverse suscitée par les célébrations du bicentenaire de la mort de Napoléon./
Cette année, la France s’apprête à célébrer le bicentenaire de la mort de Napoléon. L’Empereur – qui régna dix ans, entre 1804 et 1814 – est mort en exil sur l’île de Sainte-Hélène le 5 mai 1821, à l’âge de 51 ans. Personnage historique majeur de l’histoire et de l’identité française, Napoléon Bonaparte suscite des réactions contradictoires en France, mais aussi à l’étranger.
Dans cette controverse publiée par Courrier international, deux points de vue s’opposent, qu’il peut être intéressant d’étudier avec les élèves de terminale dans le cadre du thème 3 en HGGSP “Histoire et mémoires”.
D’un côté, dans le New York Times, Marlene L. Daut met en avant la face sombre de Napoléon, notamment son rôle dans le rétablissement de l’esclavage. De l’autre, dans le Times, Jawad Iqbal préfère insister sur l’héritage qu’il a laissé à la France, qui persiste jusqu’à nos jours, et alerte sur les dangers de la cancel culture.
Un despote raciste
Marlene L. Daut est une enseignante américaine d’origine haïtienne spécialiste du colonialisme français. À ses yeux, les hommages et les expositions qui se préparent cette année en l’honneur de Napoléon sont choquants et s’inscrivent à contre-courant de la tendance historique actuelle.
En effet, dans le sillage du mouvement Black Lives Matter, beaucoup de statues de colonisateurs – et surtout d’esclavagistes – ont été déboulonnées en Amérique et en Europe. Ces actions sont associées au phénomène de la cancel culture, ou culture de l’annulation. Il s’agit, pour une partie de l’opinion publique, de se débarrasser de symboles ou de mémoires considérés comme honteux pour l’histoire du pays.
Ainsi, en juin 2020, en France, la statue de Colbert a été recouverte de peinture rouge. Les militants à l’origine de cette action cherchaient à rappeler que ce ministre de Louis XIV est à l’origine du Code noir qui régissait le statut des esclaves dans les colonies françaises.
Marlene L. Daut ne comprend pas comment, dans ce contexte, la France peut choisir d’honorer Napoléon, qu’elle considère comme “le plus grand despote du pays, véritable symbole de la suprématie blanche”. C’est en effet à l’initiative de l’Empereur que la France a rétabli l’esclavage après l’avoir aboli en 1794. Un cas unique dans l’histoire mondiale.
L’architecte de la société française
En 1804, Napoléon se proclame empereur et met ainsi fin à la Révolution française. Mais, comme le rappelle l’article de Jawad Iqbal, il mène de nombreuses réformes qui vont pérenniser certains acquis de la Révolution :
Sans le règne de Napoléon, la France moderne n’existerait pas. Il est l’architecte des institutions qui ont façonné l’identité du pays et qui sont devenues les piliers de la société.”
Le journaliste précise : “Parmi ses réformes, citons le Code civil, qui a aboli le système féodal et établi le concept d’égalité devant la loi. Il a également introduit le principe de la liberté de culte et a donné à la France son système éducatif.” Cependant, n’oublie pas Jawad Iqbal, dans le même temps, Napoléon “a rabaissé les femmes à un statut d’infériorité” et “a réinstauré l’esclavage dans les colonies françaises”.
Marlene L. Daut rappelle quant à elle la violence de la répression menée à Saint-Domingue contre les anciens esclaves qui s’étaient battus pour leur émancipation. Elle affirme que l’on peut considérer Napoléon comme “l’un des inventeurs du génocide moderne”.
Une responsabilité historique niée
Elle explique que l’ordre avait été donné d’“exécuter toute personne de couleur qui a un jour ‘porté l’épaulette’ dans la colonie. Les soldats français gazent et noient les révolutionnaires, ou les donnent en pâture aux chiens. Les colons français claironneront ensuite qu’il suffira, après l’‘extermination’, de repeupler l’île avec d’autres Africains importés du continent.”
Pour elle, la République française n’accepte toujours pas de regarder en face sa responsabilité dans le colonialisme et l’esclavage.
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Les débats à ce sujet sont en effet nombreux, et certains responsables politiques, comme Nicolas Sarkozy, ont tenté de mettre en avant les “bienfaits” de la colonisation française dans les programmes scolaires, déclenchant une levée de boucliers de la part d’une grande partie des historiens français.
“Le système éducatif français, dont j’ai été partie prenante de 2002 à 2003, veut nous faire croire que la France est un pays sans préjugés raciaux, fort d’une ‘histoire émancipatoire’”, affirme Marlene L. Daut. “La République française est, encore à ce jour, incapable de regarder en face sa part de responsabilité dans l’histoire de l’esclavage et du colonialisme”, conclut l’enseignante américaine.
Un conflit entre histoire et mémoires
On ne peut comprendre l’enjeu de ces débats si l’on ne distingue pas clairement la différence fondamentale qu’il existe entre histoire et mémoires. On peut définir l’histoire comme une science qui vise à comprendre le passé de façon neutre et objective. Les mémoires sont, en revanche, les souvenirs des événements du passé qui contiennent une charge affective, donc subjective.
Les deux notions sont cependant très liées car les mémoires sont l’une des sources avec lesquelles travaillent les historiens, qui s’efforcent de les objectiver en les confrontant à d’autres traces du passé. De même, le travail de l’historien peut faire évoluer les mémoires, en contribuant, par exemple, à élaborer des lois mémorielles mises en place par l’État.
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C’est ce conflit entre histoire et mémoires que l’on retrouve dans cette controverse au sujet de Napoléon. En effet, les célébrations en l’honneur de sa mort dénotent clairement une inflation mémorielle, c’est-à-dire un besoin croissant de mémoire pour nos sociétés.
L’article de Jawad Iqbal montre comment, justement, mémoires et histoire sont liées : “Il est déprimant de constater à quel point il est devenu courant, pour ceux qui, de nos jours, usent de l’injustice comme d’une arme de revendication politique, d’accoler à des personnages historiques des étiquettes simplistes telles que le racisme ou le sexisme, dans une tentative contestable d’imposer des critères moraux contemporains à des événements du passé.”
Or, concernant le cas de Napoléon, le journaliste souligne : “Si nous en savons davantage à ce sujet, c’est grâce aux efforts d’universitaires et d’auteurs qui se sont penchés sur sa vie. Même ceux qui le détestent doivent quand même admettre, espérons-le, qu’il n’y a que dans le cadre d’un débat ouvert, dans le respect de la liberté de penser, que l’on peut faire la lumière sur des torts historiques.”
Documentaires, magazines et autres soirées spéciales: plusieurs chaînes vont mobiliser leurs antennes pour le bicentenaire de la mort de Napoléon, en explorant des facettes parfois méconnues ou ambiguës du personnage.
FRANCE 2: SOIRÉE ÉVÉNEMENT
FRANCE 3: L'EMPEREUR DÉCHU
Stéphane Bern consacrera le 19 avril "Secrets d'histoire" aux dernières années de l'Empereur déchu et exilé. Un crépuscule tragique pour celui qui avait cru pouvoir dominer l'Europe. Et sur France.tv, on pourra revoir un numéro dédié à "Joséphine, l'atout irrésistible de Napoléon".
LA 1ÈRE: BONAPARTE ET LA TRAITE DES NOIRS
ARTE: PSYCHOLOGIE ET EUROPE
La chaîne franco-allemande proposera deux documentaires en première partie de soirée, les 1er et 8 mai, portés par de grandes voix. "Napoléon, la destinée et la mort", raconté par Denis Podalydès, offre un éclairage particulier en s'intéressant à la psychologie d'un homme qui frôla la mort à six reprises.
HISTOIRE: JOURNÉE SPÉCIALE
FRANCE 5: LA CULTURE DANS TOUT ÇA
La chaîne publique se penche sur les relations entre Napoléon et les arts. Dans "Stupéfiant" Léa Salamé évoque son sens de la propagande, qui a favorisé l'éclosion de nombreux artistes et marqué la peinture, la sculpture et les arts décoratifs. Et revient sur la fascination des écrivains et cinéastes pour ce personnage hors du commun.
Faut-il commémorer Napoléon ? En France on aime vraiment beaucoup les polémiques. Après la guerre du steak à Lyon, on se lance dans une autre polémique et celle là, est de taille : Napoléon. Car il ne manquait plus que cela, nous n'avons pas assez des querelles sur le confinement ou le couvre-feu.
Valérie Trierweiler 24 février 2021
Le 5 mai prochain, ce sera les 200 ans de la mort de Napoléon à Saint Hélène, et aujourd’hui il y a autant de voix favorables à cette commémoration que de voix contre. Il y a d’ores et déjà un certain nombre d’évènements prévus, comme une grande exposition à la Villette et un biopic en même temps, il n’y avait que 1.000 films. On ne parle même pas des ouvrages qui vont inonder les librairies. Une centaine sont prévus.
Mais le problème c'est que la difficulté se situe au niveau de l’Etat et du Président de la République en particulier. Napoléon est le personnage historique préféré des français, c’est un symbole français mais il est aujourd’hui celui qui divise le plus.
C’était un chef de guerre, Général, consul, empereur qui a gagné près de quarante batailles aux noms célèbres. Mais les historiens craignent que ces noms ne viennent qu’illustrer le plan de Paris sans que les nouvelles générations ne sachent ce qu’ils signifient : Austerlitz, Iéna, Wagram et Waterloo et bien d’autres.
Cela coince, car c’est surtout sa misogynie qui fait débat. Dans son Code civil, il faisait de la femme une éternelle mineure, alors imaginez les mouvements féministes si Emmanuel Macron décidait de le célébrer en grande pompe. Il y a aussi le rétablissement de l’esclavage 8 ans après son abolition notamment en Guadeloupe et à Saint Domingue en 1802. Il va aussi laisser mourir Toussaint Louverture emprisonné dans le Jura.
Faut-il pour passer sous silence les 200 ans de la mort de Napoléon ? C’est la question. Entre les deux tours, Emmanuel Macron avait annoncé qu’il célébrerait le bi-centenaire de sa mort notamment en présence de Poutine devant le tombeau de Napoléon aux Invalides. Aujourd’hui c’est un peu moins d’actualité.
Mais revenons à ce qui pose vraiment problème : le rétablissement de l’esclavage. En France, les mouvements indigènistes et anticolonialistes sont totalement opposés à cette célébration et on craint des débordements.
Pour les élus d’Outre-mer, c’est une commémoration impossible, ce serait faire l’apologie d’un crime. Chirac lui avait renoncé pour cela au bicentenaire d’Austerlitz en 2005.
Mais toujours est-il qu’on ne peut pas balayer l’héritage Napoléonien, il a fait entrer la France dans la modernité. Et puis il y a le souvenir de la gloire, de ses victoires. Il appartient au roman national, c’est un héros universel et du côté du ministère de la Culture, on explique que ce serait un comble qu’il soit célébré à l’étranger et pas en France.
Tout dépendra de la situation liée au Covid. Mais Macron, qui s’était comparé lui-même à Napoléon réfléchit à réunir deux causes, à faire du "en même temps" la commémoration de la mort de Napoléon le 5 mai et celle de l’abolition de l’esclavage le 10 mai. Il veut unifier la nation. Et puis comme on dit "commémorer n’est pas célébrer".
Note : Courrier International a repris cet article en le titrant "La regrettable américanisation de la France" et en ajoutant cette introduction :
En France, la critique grandit contre l’importation excessive de certaines théories de sciences sociales américaines dans l’Hexagone. Le néopuritanisme répandu dans les universités outre-Atlantique est effectivement en train d’imposer des limites au droit de critiquer, qui est pourtant fondamental, déplore ce chroniqueur québécois.
En France, 2021 sera l’année du bicentenaire de la mort de Napoléon. C’est en effet le 5 mai 1821 que ce génie politique et militaire qui transforma la face du monde rendit son dernier souffle à Sainte-Hélène. La série de commémorations prévues, dont la publication d’une centaine de livres, a pourtant mal commencé. La conférence prévue cet automne à Nantes avec l’historien Thierry Lentz a été annulée. Dans un texte sibyllin, l’école de commerce de Nantes se contente de dire qu’elle ne voulait pas « promouvoir l’héritage napoléonien en cette période »...
Le lecteur averti devinera que celui qui a rétabli l’esclavage dans les colonies en 1802, alors qu’il était Premier consul, n’est pas en odeur de sainteté dans la ville qui abrite un mémorial consacré à son abolition. Comme si ce personnage plus grand que nature pouvait être ainsi réduit à cette seule décision. Une décision qui mériterait justement d’être étudiée sous l’angle historique plutôt que sous le seul éclairage de la morale.
La révolution néopuritaine qui fait rage dans les universités américaines serait-elle en train de gagner la France ? On peut le craindre. Déjà, les annulations et les tentatives d’annulation de conférences sont légion. On pense à la spécialiste de l’esthétique Carole Talon-Hugon, chahutée à Nice et qui est l’auteure d’un ouvrage fort à propos intitulé L’art sous contrôle (PUF). L’an dernier, l’enseignante de la Sorbonne Yana Grinshpun s’est fait refuser la publication d’un texte sous prétexte qu’il ne respectait pas les règles de l’« écriture inclusive », ce code impraticable devenu le nouveau drapeau rouge des militantes féministes les plus radicales.
Ce que Grinshpun nomme la « radicalisation progressive de l’espace universitaire » a déjà atteint aux États-Unis des sommets stratosphériques. En 2018, les chercheurs américains Helen Pluckrose, James Lindsay et Peter Boghossian en avaient fait la démonstration par l’absurde. Ils rédigèrent une vingtaine d’articles truffés d’enquêtes bidon et de statistiques bidouillées flattant tous dans le sens du poil les nouvelles idéologies radicales à la mode. L’un d’eux affirmait démontrer qu’une « rampante culture du viol » sévissait chez les chiens, dont certaines races souffraient d’une « oppression systémique ». Un autre dénonçait l’astrologie comme une pratique masculiniste et sexiste afin de lui opposer « une astrologie féministe, queer et indigéniste ». Au moment où le canular fut révélé, sept de ces articles avaient été acceptés, sept autres étaient à l’étape du comité de lecture et six seulement avaient été refusés.
Un dernier, mais non le moindre, reproduisait un extrait de Mein Kampf où l’on avait simplement remplacé les Juifs par les Blancs. Il fut refusé, mais reçut les éloges de plusieurs universitaires chevronnés. Les auteurs de ce coup fumant entendaient ainsi démontrer à quel point ce qu’ils nomment les « grievance studies » — que l’on pourrait traduire par « facultés de la récrimination » ou des « doléances » — a substitué l’idéologie à l’étude des faits.
Pluckrose et Lindsay viennent d’ailleurs de publier le best-seller Cynical Theories qui s’est vu décerner le titre de « Meilleur livre politique de l’année » par le Times. Son sous-titre est déjà tout un programme : « Comment les militants universitaires ont fait n’importe quoi sur la race, le sexe et l’identité — et pourquoi cela nuit à tout le monde ».
Les « gender », « ethnic » ou « post-colonial studies » fonctionnent en effet souvent comme si les femmes, les homosexuels ou les Noirs étaient seuls habilités à parler de ces sujets. Comme si leur parole était par essence sacrée et incontestable. Comme si elle échappait aux règles normales de la critique.
Or, la critique n’est-elle pas fondatrice de l’université au moins depuis Montaigne ? Elle est inhérente et constitutive de tout travail universitaire, peu importe le sexe, la race ou l’orientation sexuelle de celui qui parle. Quant aux discours militants, qui sont respectables tant qu’ils ne se cachent pas sous de mauvais prétextes, ils ne sont pas plus solubles dans la recherche universitaire que dans le journalisme.
Comme l’écrit Thierry Lentz : « Les groupes militants ont toujours existé. Ils ont toujours été agissants. […] Cela étant, les choses changent désormais rapidement en raison de la mollesse générale de la société et des administrations. Dire qu’un étudiant est là pour étudier est presque un scandale, empêcher les interventions extérieures d’historiens ou de philosophes entre presque dans les mœurs. Sur ce point, l’avenir est sombre, n’en doutons pas. »
Alors que les digues sautent les unes après les autres, en France comme au Québec, certains réclament une loi afin de protéger la liberté de parole dans une institution qui devrait pourtant en être le sanctuaire. Nul doute que pour défendre cette liberté, il faudra des recteurs autrement plus hardis que celui de l’Université d’Ottawa qui a refusé de soutenir la professeure Lieutenant-Duval à qui l’on avait reproché l’automne dernier d’avoir osé prononcer le mot « nègre ».
« On ne peut pas faire semblant d’être courageux », disait un personnage qui en connaissait un bout sur le sujet. Un certain… Napoléon Bonaparte.
e pourrait bien être l'une des plus grandes révélations historiques de ces dernières années. La révélation au mieux d'un mensonge, au pire d'une imposture. C'est à lire ce vendredi dans Le Figaro qui consacre une double page à ces chercheurs en histoire qui viennent de retrouver par hasard à Londres un manuscrit que l'on cherchait depuis deux siècles. Le manuscrit du Mémorial de Sainte-Hélène, les mémoires de Napoléon, qu'il avait dicté à son secrétaire.
Que révèle ce manuscrit ? La plupart des grandes citations attribuées à Napoléon ne sont sans doute jamais sorties de sa bouche. Il y a en effet d'énormes différences entre ce manuscrit et la version imprimée du Mémorial de Sainte-Hélène. La plus célèbre : "Quel roman pourtant que ma vie" ne figure pas dans le manuscrit. "Je suis le messie de la révolution" ne figure pas non plus dans le manuscrit. Pas plus que "j'ai voulu être le régénérateur de l'Europe". Autant de citations qui ont contribué à bâtir la légende napoléonienne.
Son secrétaire a-t-il pris des libertés avec la vérité pour redorer le blason de Napoléon ? Les propos qui lui sont attribués sont-ils totalement inventés ? C’est la nouvelle énigme face à laquelle se trouvent aujourd'hui les historiens.