Aux États-Unis, les quartiers résidentiels les plus aisés ne sont pas toujours les mieux pourvus en caméras de vidéosurveillance publiques. C’est pourtant dans ces quartiers que se développe une nouvelle forme de surveillance, popularisée notamment par le succès de Ring, la sonnette vidéo d’Amazon, explique le journaliste Alfred NG (@alfredwkng) sur Cnet (@cnet).
A l’origine Ring est une startup ukrainienne rachetée en janvier 2018 par Amazon pour un milliard de dollars. Elle fait partie des nombreux investissements que l’entreprise américaine a réalisés pour structurer et diversifier son offre de produits connectés domestiques. Moins connus que l’emblématique assistant vocal Alexa, des dizaines de milliers d’Américains ont pourtant équipé leur porte d’entrée de cette sonnette vidéo qui ne se déclenche pas seulement quand on sonne, mais aussi quand elle détecte un mouvement. La caméra ne surveille pas que ceux qui cherchent à venir chez vous… mais également les mouvements de la rue ou de la cour devant votre domicile. Pour tout bon défenseur de la liberté individuelle, cette épidémie de caméras privatives ne devrait pas prêter à discussion… sauf qu’elles ne sont pas si privatives qu’annoncées et que la somme de ces actes individuels n’est pas sans conséquence sur la société.
D’une manière surprenante, nombre de services de police américains ont largement promu ces nouveaux objets auprès des habitants, en proposant même des réductions voire un équipement gratuit… Cette promotion un peu particulière n’était pas sans contrepartie : la police a promu l’équipement en échange d’un accès aux vidéos enregistrés par les caméras (un accès qui n’est pas automatique, mais qui se fait sur demande de la police). Ring s’est pourtant défendue de promouvoir ces offres. Les clients de Ring ont le contrôle de leurs vidéos, a déclaré récemment l’enseigne. Ils décident seuls de partager ou non leurs enregistrements et s’ils veulent acheter ou pas un service de stockage des enregistrements (à partir de 3$ par mois). Si Ring a offert des appareils à des services de police ou à des associations, Ring ne soutient pas de programmes qui obligent les utilisateurs à partager leurs vidéos avec d’autres, s’est défendue la marque. Mais dans les faits, rapporte Alfred NG, ce n’est pas exactement ce qu’on constate…
Aux États-Unis, plus de 50 services de police locaux se sont associés à Ring pour promouvoir le service, souvent en échange d’un accès aux images dans des zones où la police est souvent dépourvue de moyens de surveillance. Autant de caméras qui permettent à la police de bénéficier de nouvelles sources d’enregistrement vidéo, tout en proposant un service visant à tranquilliser les usagers. Ceux-ci bénéficient également d’une application sociale de partage des vidéos des caméras baptisée Neighbors (Voisins). Cette application (qui aurait déjà plus d’un million d’utilisateurs) permet de partager, regarder et commenter des vidéos et des informations sur la sécurité des quartiers. On y croise bien sûr des vidéos de vols et de crimes, des vidéos de comportements suspects ou délictueux, des vidéos d’incidents urbains…
Pour Mohammad Tajsar avocat de l’American civil liberties union (@aclu), nous avons là « un mariage parfait entre forces de l’ordre, particuliers et grandes entreprises pour créer les conditions d’une société dont peu de gens voudraient faire partie ». Sur Ring, la police a accès à un tableau de bord où elle peut demander des séquences filmées à des moments précis sur requête auprès des utilisateurs ou directement auprès de Ring.
Carte montrant la densité des caméra vidéos Ring à BloomfieldÀ Bloomfield, New Jersey, le quartier est presque entièrement couvert de caméras. En 2017, le responsable de la police de Bloomfield avait tenté de lancer un programme de vidéosurveillance volontaire. À l’époque, 442 lieux équipés de caméras s’étaient inscrits, surtout des entreprises. Aujourd’hui, il estime que le réseau Ring sur Bloomfield représente un accès à plus de 4000 caméras ! Pire, rapporte Cnet : installer un plan de vidéosurveillance en ville est souvent compliqué ! Il faut décider où les implanter, faire voter la proposition au Conseil municipal… pour une technologie où chaque caméra coûte encore très cher et dont le rapport efficacité/coût peut-être très discuté (voir Vidéosurveillance : où avons-nous failli ?). Or, Ring permet à la fois d’économiser l’argent public et surtout de contourner le processus démocratique qui décide de son installation… Le réseau de vidéosurveillance n’a plus besoin d’une décision collective ou publique pour devenir effectif !
À Mountain Brook, Alabama, le responsable de la police explique d’ailleurs qu’il n’a désormais plus besoin d’un réseau de vidéosurveillance public ! À Hammond, Indiana, la ville a subventionné l’achat de caméra avec l’aide de Ring : les 500 caméras sont parties en une semaine ! 600 autres ont été installées grâce à un programme de réduction proposé par la ville. Pour l’avocat de l’ACLU, « le public subventionne les atteintes à la liberté en agissant ainsi ». À Houston, la police a lancé un concours pour gagner des caméras à condition que les lauréats acceptent d’ouvrir un accès à la police lorsqu’elle en ferait la demande… Et dans plusieurs villes, quand 20 personnes s’inscrivent, Ring offre une caméra ! Pour le juriste Eric Piza, la police agit désormais dans l’intérêt d’entreprises commerciales (qui se rémunèrent surtout sur l’abonnement mensuel pour stocker les images). À Bloomfield pourtant, les gens n’ont pas inondé d’images la police. Les demandes de la police restent souvent sans réponses, sauf lorsque les agents se déplacent pour les demander en personne… dans ce cas, il est souvent plus difficile de refuser !
En décembre dernier, Ring a envisagé introduire une technologie de reconnaissance faciale pour ses sonnettes, permettant de reconnaître des personnes suspectes et d’en alerter directement la police. Mais la proposition n’a pas été très bien reçue… Amazon qui développe son propre logiciel de reconnaissance faciale, Rekognition (que l’entreprise vend aux forces de l’ordre) a rencontré également une forte contestation, notamment du fait des erreurs et des biais de genres, de classes et de race de ces outils. Mais malgré les contestations externes comme internes, le récent conseil d’administration d’Amazon a rejeté l’abandon du logiciel. Cela n’empêche pas dès à présent la police, elle, d’utiliser les technologies qu’elle souhaite sur les vidéos récupérées depuis Ring, comme celles lui permettant de lire et reconnaître les plaques minéralogiques des voitures suspectes…
Brian X Chen (@bxchen), responsable de la rubrique Tech Fix pour le New York Times revient sur le développement des réseaux de surveillance de quartiers aux États-Unis, comme Nextdoor, Streety ou Citizen (des réseaux sociaux locaux de surveillance de quartiers), trois des applications parmi les plus téléchargées aux États-Unis. Si ces applications ne reposent pas sur la vidéosurveillance, elles dispensent souvent des alertes préoccupantes dès que quelque chose d’inquiétant se déroule dans le quartier où vous habitez. Le problème, estime le journaliste du New York Times, c’est que ces applications sont particulièrement anxiogènes, alors même que la criminalité n’a cessé de chuter ces dernières années… Comment ne pas succomber à la paranoïa en les utilisant ? Et ce d’autant que Citizen ou Neighbors de Ring notifient par défaut sur leurs applications les incidents signalés dans le quartier sur les 30 derniers jours, comme pour rendre chaque quartier plus criminogène qu’il n’est. Pour s’en prémunir, le journaliste recommande de changer ce paramètre par défaut pour ne faire s’afficher que les incidents du dernier jour. De désactiver les notifications et de ne les utiliser qu’en cas de besoin. Les promoteurs de ces applications soulignent néanmoins que sur Ring comme sur Nextdoor, l’essentiel des signalements ne concerne pas la criminalité ou la sécurité, mais plutôt des animaux perdus ou des rues en travaux…
Pourtant, les solutions proposées par Brian Chen sont peu satisfaisantes : elles remettent toujours la responsabilité sur l’utilisateur final, sans interroger les choix par défauts que proposent ces systèmes. Ces entreprises proposent des outils par nature anxiogènes qui, par leurs choix de conception mêmes, renforcent l’angoisse de ceux qui les utilisent. Sous prétexte de liberté individuelle, ils ont un impact direct sur nos libertés collectives… Le choix des individus s’impose à tous les autres, sans offrir aux autres le moindre recours pour s’y opposer…
Le panopticon sécuritaire d’Amazon annonce déjà ses prochaines extensions. Un brevet, repéré par Quartz, projette de proposer prochainement une surveillance par drone des habitations. Et de nouveaux produits Ring sont annoncés : notamment des caméras embarquées pour les voitures… En janvier 2019, The Intercept avait révélé que des employés de Ring était capables de regarder des images en direct à partir des caméras de leurs clients (une information démentie par l’entreprise, mais maintenue par le journal d’investigation), soi-disant pour permettre aux employés d’aider les algorithmes à mieux catégoriser les objets – et ce alors que Ring assure ne pas utiliser d’outils de reconnaissance d’image…
La mise en réseau de fonctions de surveillance privatives en transforme assurément la nature et la puissance. Les capacités d’affiliation proposées par Amazon à la police ou aux utilisateurs de Ring sont de puissants leviers pour conquérir et élargir le public qui a recours à ces outils, normalisant insidieusement la vidéosurveillance ainsi que la surveillance de voisinage. La promotion et la subvention publique également. Pour le professeur Chris Gilliard (@hypervisible), de telles plateformes sécuritaires favorisent le racisme et l’intolérance, explique-t-il sur Vice. Vice, qui a fait une rapide recension de vidéos postées sur l’application sociale de Ring note qu’une majorité d’entre elles sont clairement racistes alors qu’elles concernent des délits souvent mineurs… beaucoup par exemple se plaignent de livreurs qui ne sont pas suffisamment précautionneux dans leur travail.
Chris Gilliard parle de Digital Redlining pour désigner ces pratiques. Le Redlining fait référence à une pratique discriminatoire consistant pour les banques, les assurances et les services de santé de refuser d’investir dans certains quartiers (bien évidemment les plus pauvres et les plus noirs des États-Unis) délimités d’une ligne rouge par les investisseurs… Si la pratique a été interdite dès la fin des années 60, le numérique lui donne une nouvelle réalité, souligne Gilliard. En 2016, une enquête de Bloomberg avait révélé qu’Amazon avait tendance à refuser l’accès à la livraison dans la journée à la plupart des quartiers de minorités. À Boston, le quartier noir de Roxbury, était le seul où la livraison le jour même n’était pas disponible, alors que tous les quartiers qui entouraient Roxbury, eux, étaient livrés dans la journée ! Pour Gilliard, plus de caméras ne signifient pas plus de sécurité, en tout cas pas pour les communautés les plus marginalisées. Plus de caméras, c’est d’abord moins de sécurité pour ceux qui sont contrôlés par celles-ci. Et le professeur de rappeler qu’il y a une différence très significative entre une alarme qui se déclenche lors d’une intrusion à son domicile et un système qui surveille et enregistre en permanence tous types de signaux dont l’interprétation est libre…
Un récent rapport de l’ACLU qui faisait le point sur le développement de la vidéosurveillance aux États-Unis recommande que les acteurs du secteur de l’analyse vidéo ne puissent être autorisés à déployer des fonctions d’analyse sans approbation législative, sans contrôle extérieur et sans analyse d’impact de leurs effets sur les droits civils notamment. Depuis 2016, l’ACLU a d’ailleurs lancé CCOPS, une initiative de projets de règlements locaux pour permettre aux communautés d’exercer un contrôle sur les méthodes de surveillance de la police et obtenir plus d’information sur les modalités de surveillance utilisées par les forces de police.
Un exemple qui montre bien qu’il n’y a pas que la question de la reconnaissance faciale qui est problématique avec la vidéosurveillance. Le contrôle démocratique du déploiement même du réseau à l’heure de son ubérisation par Ring l’est tout autant !
Hubert Guillaud
Les services de police des États-Unis se sont associés à Ring, une filiale d’Amazon, pour offrir des programmes de sonnettes de porte intelligentes Ring gratuitement ou à des prix subventionnés à des résidents des villes américaines. Mais ce qui inquiète les défenseurs de la vie privée est que certains services de police ont ajouté leurs propres conditions aux programmes qui leur permettent d'obtenir, sur demande, des images enregistrées par les appareils Ring installés sur les portes des résidents. Ce qui donnerait à la police des capacités de surveillance sans précédent et pourrait poser de graves problèmes en matière de protection de la vie privée, selon un rapport.
Ses sonnettes intelligentes sont devenues populaires tout comme les autres gadgets intelligents qui améliorent la qualité de vie des utilisateurs en rendant leurs maisons plus intelligentes. Mais des portes plus intelligentes vont de pair avec plus de caméras et par conséquent plus d’images disponibles pour des usages divers.
Ring fabrique une sonnette intelligente qui, installée sur la porte d’entrée d’une maison, améliore la sécurité de l’habitation et procure la tranquillité d'esprit aux propriétaires. Ces sonnettes servent à surveiller les entrées des domiciles à l'aide de caméras à détection de mouvement, et elles enregistrent et sauvegardent les images de toute personne qui appuie sur la sonnette, tant que vous disposez d'un abonnement mensuel au programme Ring. Amazon a acquis Ring en 2018 pour un milliard de dollars.
En mai 2018, Ring a lancé l'application Neighbors, en initialisant ainsi ce qu’il appelle « un grand pas vers une sécurité accessible et abordable pour tous ». L’application est une solution de sécurité que chaque membre de la communauté, qu'il possède ou non un périphérique Ring, peut utiliser. Elle permet aux membres de la communauté et, dans certains cas, aux forces de l'ordre, de travailler ensemble afin de réduire la criminalité, d’après Ring. Les utilisateurs reçoivent une notification sur leurs appareils mobiles lorsque quelqu'un sonne à la porte, et ils peuvent regarder des images en direct de la caméra intelligente de la sonnette de porte de n'importe où dans le monde.
La facilité d’utilisation, le confort et la tranquillité d’esprit que ces sonnettes intelligentes apportent, ont fait que les quartiers résidentiels dans de nombreuses villes américaines, comme Bloomfield dans le New Jersey, autrefois avec moins de caméras de surveillance, sont aujourd’hui équipées de réseaux de surveillance privés alimentés par Amazon et promus par les services de police, selon un rapport.
Selon le rapport, les services de police, des grandes villes plus peuplées aux petites villes de moins de 30 000 habitants, ont offert ces sonneries d’Amazon gratuitement ou à prix réduit aux citoyens, utilisant parfois l'argent des contribuables pour payer les produits Amazon. Cette promotion est un programme commun des services de police et d’Amazon qui participe à la subvention des périphériques Ring.
Mais, alors que Ring a déclaré, dans un article de blog publié en février, que les utilisateurs ont un contrôle total sur leurs séquences enregistrées sur Ring et peuvent choisir avec qui partager ces séquences, donnant ainsi le choix aux propriétaires de Ring de fournir ou pas des enregistrements à la police, dans certains cas, la police exige de ces derniers qu'ils lui remettent les séquences sur demande, selon le rapport. Ces contraintes supplémentaires ajoutées par les forces de police contredisent la vision de Ring, qui consiste à éviter les cambriolages à domicile. « Nos clients nous font part de leurs histoires sur la façon dont Ring les a aidés à identifier un voleur ou comment Ring les a aidés à prévenir un cambriolage chaque jour », peut-on lire dans l’article de blog de Ring.
Ring a déclaré à site Web qu'il n’était pas impliqué dans des programmes des services de police qui obligent les utilisateurs à partager leurs séquences vidéo ou les programmes qui les obligent à s'abonner à un plan d'abonnement pour l'enregistrement d'images. L'entreprise a même indiqué qu'elle serait en train de travailler avec ses partenaires pour s'assurer que sa vision pour ses sonnettes intelligentes se reflète dans ses programmes de partenariat et qu’elle commencerait à sévir ensuite. Dans un communiqué, Ring a déclaré :
« Les clients de Ring ont le contrôle de leurs vidéos, quand ils décident de les partager et s'ils veulent ou non acheter un plan d'enregistrement. Ring a fait don d'appareils aux partenaires des forces de l'ordre des pays voisins pour qu'ils les fournissent aux membres de leurs communautés ». « Ring ne prend pas en charge les programmes qui exigent des destinataires qu'ils s'abonnent à un plan d'enregistrement ou que les images des appareils Ring soient partagées comme condition pour recevoir un appareil donné. Nous travaillons activement avec nos partenaires pour nous assurer que cela se reflète dans leurs programmes », a ajouté l’entreprise.
Selon un rapport, plus de 50 services de police locaux à travers les États-Unis se seraient associés à Ring, au cours des deux dernières années, dans des programmes de promotion des sonnettes intelligentes d’Amazon, se félicitant de la façon dont le produit d’Amazon leur permet d'accéder à des séquences de sécurité dans des zones qui n'ont généralement pas de caméras, comme dans les banlieues. Le service de police de Bloomfield se réjouit également de l’abondance de ces caméras dans tous les quartiers de Bloomfield.
« Notre ville est maintenant entièrement couverte par des caméras », a déclaré le capitaine Vincent Kerney, commandant du bureau de détectives de la police de Bloomfield. « Dans tous les quartiers de la ville, il y a des caméras Ring », a-t-il ajouté.
M. Kerney avait déjà commencé un programme de surveillance volontaire en 2017 et il y avait environ 442 endroits qui se s’étaient inscrits, surtout des entreprises. Ce qui représentait, selon M. Kerney, une goutte d'eau dans l'océan par rapport au réseau de sonnettes intelligentes de Ring actuel. M. Kerney a expliqué :
« Il y a probablement 10 fois plus de caméras Ring que ce que nous n'avons autre chose ». « En général, la plupart des gens n'ont pas de système de surveillance à grande échelle dans leur maison », explique-t-il. « Mais quelque chose de simple comme Ring, où vous avez juste à le brancher ? Les gens accepteront ».
Des services de police s’associent à Ring pour offrir, gratuitement ou à faibles coûts, la vidéo surveillance aux résidents dans la plupart des villes aux Etats-Unis, mais malgré ces avantages, la relation entre les services de police et Amazon soulève des préoccupations au sujet de la surveillance. Les défenseurs de la vie privée soutiennent que ce partenariat permet aux organismes d'application de la loi d'exercer une surveillance sans précédent, les services de police s'appuyant sur ce réseau de Ring pour développer leurs réseaux de surveillance.
Un avocat de l’ACLU de la Californie a déclaré à ce sujet : « Ce que nous avons ici, c'est un mariage parfait entre les forces de l'ordre et l'une des plus grandes entreprises du monde, créant les conditions d'une société dont peu de gens voudraient faire partie ». Mais dans une déclaration, Ring a dit : « Nos clients et les utilisateurs des applications Neighbors nous font confiance pour protéger leurs maisons et leurs communautés, et nous prenons cette responsabilité très au sérieux ».
Nous savons déjà que le géant du commerce en ligne, propriétaire de Ring, vend déjà sa technologie de reconnaissance faciale au gouvernement américain. Selon les experts, Rekognition est à l’origine de plusieurs discriminations basées, entre autres, sur la couleur de peau. Les organisations de protection de la vie privée ont insisté pour qu’Amazon arrête de fournir cette technologie aux forces de police, mais ce n’est pas encore le cas et Amazon devrait continuer à commercialiser sa technologie de reconnaissance faciale aux forces de l’ordre si l’on s’en tient aux résultats du vote des actionnaires lors de sa dernière assemblée annuelle.
Business Insider a également publié un article en avril dernier selon lequel les employés d'Amazon qui travaillent à améliorer son assistant vocal Alexa écouteraient les enregistrements vocaux de ce qui se dit dans les maisons et les bureaux des propriétaires d’Echo, lorsque ce dernier est activé. Selon l’article, ces employés peuvent écouter jusqu'à 1000 enregistrements par jour.
Aussi en janvier dernier, The Intercept a rapporté que les utilisateurs des caméras de sécurité Ring d'Amazon seraient espionnés à leur insu, mais un porte-parole de la société avait tout nié en bloc. Espérons que les utilisateurs n’auront rien à craindre des sonnettes intelligentes, un autre produit d’Amazon, et des programmes additionnels des services de police, qui pourraient leur faire obligation de partage de séquences vidéo Ring.
Source : Département de Police Bloomfield, Ring
Si le RGPD est entré en application récemment, en plaçant l’Europe à l’avant-garde de la protection des données à caractère personnel, il ne doit pas nous dissuader de nous interroger en profondeur sur la question des identités, dont les contours se sont redéfinis à l’ère numérique. Il s’agit bel et bien de porter une réflexion critique sur des enjeux éthiques et philosophiques majeurs, au-delà de la seule question de la protection des informations personnelles et de la privacy.
Les politiques actuelles sur la protection des données mettent l’accent sur les droits de la personne. Mais elles ne prennent pas la mesure de la manière dont l’exercice de notre libre arbitre se voit de plus en plus empêché au sein d’environnements technologiques complexes, et encore moins des effets de la métamorphose numérique sur les processus de subjectivation, le devenir-soi de l’individu. On considère le plus souvent, dans ces textes, un sujet déjà constitué, capable d’exercer ses droits, sa propre volonté et ses principes. Or, le propre des technologies numériques – telle est la thèse ici défendue – est de participer à la formation des subjectivités selon un mode nouveau : en redistribuant sans cesse le jeu des contraintes et des incitations, elles créent les conditions d’une plus grande malléabilité des individus. Nous détaillons ces processus dans notre ouvrage Les identités numériques en tension.
Si les moyens mis en place par le RGPD sont clairement nécessaires pour soutenir l’initiative et l’autonomie de l’individu dans la gestion de sa vie numérique, il faut cependant souligner que les notions mêmes de consentement et de contrôle par l’utilisateur vis-à-vis de ses données, et sur lesquels le mouvement actuel repose, restent problématiques. Et cela parce que deux logiques, distinctes mais concordantes, sont aujourd’hui à l’œuvre.
Si une certaine sensibilité des utilisateurs aux traces laissées volontairement ou involontairement au cours de leurs activités en ligne, et dont il peut avoir connaissance (comme, par exemple, des métadonnées de connexion), semble s’accroître, et peut servir de support à l’approche basée sur le consentement, cette dynamique rencontre assez vite ses limites.
Tout d’abord, la multiplication des informations récoltées rend irréaliste l’exercice systématique du consentement et le contrôle par l’utilisateur, ne serait-ce qu’en raison de la surcharge cognitive que cet exercice effectif exigerait de sa part. Ensuite, le changement de nature des moyens techniques de collecte, exemplifiée par l’avènement des objets connectés, conduit à la démultiplication des capteurs qui collectent les données sans même que l’utilisateur puisse s’en rendre compte, comme le montre l’exemple, de moins en moins hypothétique, de la vidéo-surveillance couplée à la reconnaissance faciale et, plus amplement, le cas de toutes les connaissances que les opérateurs acquièrent sur la base de ces données. Il s’agit ici d’une couche de l’identité numérique dont le contenu et de nombreuses exploitations possibles sont absolument inconnus de la personne qui en est la source.
Qui plus est, une forte tendance des acteurs, étatiques et privés, consiste à vouloir décrire l’individu de manière exhaustive et totale, en créant le risque de le réduire à un ensemble de plus en plus complet d’attributs. Dans ce nouveau régime de pouvoir, le visible se réduit à ce qui peut être saisi en données, à ce qui relève de la mise à disposition immédiate des êtres, comme s’il s’agissait en fin de compte de simples objets.
La deuxième logique à l’œuvre dans nos sociétés hypermodernes touche à l’inscription de ce paradigme basé sur la protection et le consentement dans les mécanismes de la société néolibérale. La société contemporaine conjugue en effet deux aspects en matière de privacy : il s’agit de considérer l’individu comme étant visible de manière permanente, et comme étant responsable individuellement pour ce qui est vu de lui. Un tel ensemble de normes sociales se consolide à chaque fois que l’utilisateur exerce le consentement – ou l’opposition – à l’utilisation de ses données. En effet, à chaque itération, l’utilisateur renforce sa compréhension de soi-même comme l’auteur et le responsable de la circulation des données. Il endosse aussi l’injonction à la maîtrise des données alors même que cette dernière est le plus souvent illusoire. Surtout, il endosse l’injonction à calculer les bénéfices que le partage des informations peut lui apporter. En ce sens, l’application stricte et croissante du paradigme de consentement peut être considérée comme étant corrélative d’une conception de l’individu qui devient non seulement l’objet d’une visibilité quasi-totale, mais aussi – et surtout – un agent économique rationnel, à même d’analyser son agir en termes de coûts et de bénéfices.
Cette difficulté fondamentale fait que les enjeux futurs des identités numériques ne se réduisent pas à donner plus de contrôle explicite, ou plus de consentement éclairé. Il convient bel et bien de trouver d’autres voies complémentaires, qui se situent sans doute du côté des pratiques (et non simplement des « usages ») des utilisateurs, à condition que de telles pratiques mettent en place des stratégies de résistance pour contourner l’impératif de visibilité absolue et de définition de l’individu comme agent économique rationnel.
De telles pratiques digitales doivent en outre nous inciter à dépasser la compréhension de l’échange social – numérique ou non – sous le régime du calcul des bénéfices que l’on en retire ou des externalités. Ainsi, les enjeux soulevés par les identités numériques dépassent largement les enjeux de protection de l’individu ou les enjeux des « modèles d’affaires », et touchent à la manière même dont la société dans son ensemble conçoit la signification de l’échange social. Dans un tel horizon, il est primordial d’affronter les ambivalences et les jeux de tension qui sont intrinsèques aux technologies numériques, en examinant les nouveaux modes de subjectivation qui sont induits dans ces opérations. C’est à partir d’un tel exercice de discernement que pourra advenir un mode de gouvernance des données plus responsable.
La CNIL a mis en demeure l'école 42, fondée par Xavier Niel, pour son système de vidéosurveillance, jugé excessif. L'établissement à deux mois pour se mettre en conformité, sous peine de sanctions.
La Commission nationale informatique et libertés (CNIL) a annoncé mardi avoir mis en demeure le 8 octobre l'école informatique 42, créée par le fondateur de Free Xavier Niel, pour « vidéosurveillance excessive » au sein de l'établissement.
L'association 42, qui a créé l'école éponyme en 2013, est mise en demeure de « mettre en conformité avec la loi Informatique et Libertés son système de vidéosurveillance » dans un délai de deux mois sous peine de sanction, a précisé l'autorité française de protection des données personnelles dans un communiqué.
Deux mois pour se mettre en conformité
Au cours d'un contrôle effectué en février 2018, la CNIL a constaté « que des caméras filmaient en permanence les espaces de travail des étudiants, les bureaux dédiés au personnel administratif ainsi que des lieux de vie », sans que les personnes filmées n'en soient « correctement informées ».
Dans son communiqué, la CNIL rappelle que les images issues du dispositif doivent être réservées aux personnes habilitées, or le contrôle a révélé que les étudiants avaient accès aux images sur leur espace personnel au sein du réseau intranet de l'école.
L'an dernier, des étudiantes de l'école avaient dénoncé les comportements déplacés qu'elles subissaient.
La lecture du livre du sociologue Laurent Mucchielli (@lmucchielli), Vous êtes filmés ! Enquête sur le bluff de la vidéosurveillance, m’a profondément déprimé. Elle m’a profondément déprimé parce qu’elle montre que ceux qui n’ont cessé de dénoncer l’inutilité de la vidéosurveillance n’ont absolument pas été entendus. Ils ont été laminés par le bulldozer d’une désinformation sans précédent… alors même que les constats initiaux sur l’inefficacité de la vidéosurveillance (voir notamment les articles de Jean-Marc Manach de 2009 et 2010 ou encore le dossier que consacrait déjà en 2010 Laurent Mucchielli sur son blog) n’ont cessé d’être confortés par les rares évaluations qui ont eu lieu. Après des années de développement, la vidéosurveillance, rapportée à son coût, ne sert toujours à rien et pourtant, elle s’est imposée partout. Elle est devenue si banale désormais, qu’on s’étonne plutôt quand une collectivité locale n’en est pas équipée. Pourtant, ces années d’équipements, ces ces centaines de millions d’euros dépensés, n’ont pas changé le constat initial, celui pointé depuis très longtemps par les chercheurs : à savoir que la vidéosurveillance sur la voie publique ne produit rien. Le retour sur investissement de cette technologie est scandaleux. Le taux « d’utilité » aux enquêtes comme le taux de « participation » à l’élucidation de voies de fait est quasiment inexistant. Elle ne parvient même pas à combattre le sentiment d’insécurité que les caméras promettaient de résoudre comme par magie.