Un confinement prolongé des personnes âgées après le 11 mai, en Ehpad comme à domicile, ne sera "pas tenable", a estimé vendredi 17 avril le président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), réclamant des adaptations, notamment dans les Ehpad.
"Des gens vont mourir d'autres choses que du coronavirus: du confinement, de l'isolement et de la solitude", a déclaré Pascal Champvert au cours d'une conférence de presse téléphonique.
Dans son allocution lundi, le président de la République a assuré que les personnes "les plus vulnérables", notamment les "personnes âgées", seraient invitées à rester chez elle après le 11 mai, date théorique de sortie du confinement.
S'interrogeant sur "l'âge à partir duquel on est concerné", M. Champvert a regretté une mesure "aux relents âgistes" (discrimination par l'âge) et de nature "à faire peur aux personnes âgées".
Saisi sur l'isolement des résidents d'Ehpad à cause du coronavirus, le Comité d'éthique (CCNE) avait estimé début avril qu'un confinement renforcé des aînés devait être temporaire et leur laisser la possibilité, même limitée, de circuler.
"Il faut que l'État tire les conséquences de l'avis du Comité consultatif national d'éthique", a demandé M. Champvert.
"Le seul moyen de réussir le confinement prolongé dans les Ehpad et de le rendre supportable pour les gens, c'est de l'adapter fortement".
Plusieurs mesures pourraient être appliquées rapidement, selon l'AD-PA: une présence renforcée de psychologues dans les services de soin à domicile et en Ehpad, un retour des bénévoles pour des interventions variées, et le recours aux "balcons, terrasses, parcs et jardins, présents dans la plupart des établissements".
"Il faut que les personnes âgées puissent sortir au moins un peu, comme les Français ont le droit de sortir autour de chez eux au moins une heure", a-t-il plaidé.
En outre, l'ouverture des rencontres avec les familles est "essentielle", a souligné M. Champvert, pour qui les "restrictions de visites n'ont pas lieu d'être, notamment pour les personnes avec des troubles du comportement".
"Il faut que les familles puissent rencontrer les résidents. Bien sûr pas dans leur chambre, dans une pièce à part, sur rendez-vous et avec toutes les mesures de sécurité. Mais les familles doivent rencontrer leurs parents", a-t-il insisté.
Entre personnels en colère et résidents d'Ehpad en souffrance, Mathilde Basset signe "J'ai rendu mon uniforme". L'insurrection d'une jeune infirmière qui ne veut plus travailler en maison de retrait.
Son ouvrage à paraître chez un éditeur monégasque (parution 23 janvier, 253 pages, éditions du Rocher) tombe à point nommé.
D'un côté, l'intersyndicale du secteur de l'aide aux personnes âgées menace de nouvelles grèves face aux flagrants manques de moyens. De l'autre, un rapport des Petits Frères des pauvres fait état des témoignages poignants de résidents d'Ehpad qui regrettent le "peu de dialogue avec les soignants" et révèlent un sentiment de "tristesse et d'abandon"...
Au milieu, Mathilde Basset, jeune infirmière du sud-est qui, après sa lettre "cri d'alarme" - et très médiatisée - à la ministre de la Santé en décembre 2017, signe un livre-témoignage sans fioritures sur son ex-quotidien d'infirmière en maisons de retraite.
"Ex", car elle a décidé de "rendre sa blouse". Écœurée par le décalage entre sa formation et la réalité d'un système qu'elle ne veut plus cautionner. Système dont 63% des infirmiers déclarent souffrir de dépression, épuisement ou mal-être (enquête 2018 de l'Ordre national des infirmiers)... Rencontre.
N'avez-vous pas signé un livre que toutes les familles devraient lire?
"Je crois car cela permettrait aux enfants dont les parents sont - ou vont être - en maison de retraite, de prendre conscience de l'état d'urgence des Ehpad, du manque de moyens et de personnel. Se rendre compte que s'ils constatent des dysfonctionnements, ce n'est pas la faute des aides-soignantes qui accomplissent leur travail dans des conditions loin de ce qu'elles souhaiteraient..."
Quelle alternative leur proposez-vous?
"Le maintien à domicile est envisageable par la mise en place d'aides et la création d'un dossier auprès de la MDPH départementale. Il existe également des structures pour des personnes moins dépendantes qui bénéficient d'aide à domicile pour la toilette, le ménage, les repas, etc. Il y a les appartements thérapeutiques où les personnes vivent à leur rythme avec intervention d'aides-soignantes et infirmières..."
N'est-ce pas aussi une mise en garde adressée aux étudiantes infirmières?
"Oui. A mon sens la formation théorique est très juste et riche, mais au quotidien en Ehpad, on se retrouve à faire le minimum de ce que l'on a appris. On va au plus pressé avec de moins en moins d'humanité et de capacités relationnelles..."
Au point, vous l'écrivez, de "frôler quotidiennement la faute grave et d'exposer au danger", ce qui ne rassure personne...
"Oui, le but est aussi de produire un électrochoc! Au-delà de mes désillusions, ce livre est un cri d'alerte et une insurrection. Il n'est pas plus mal que les familles soient au courant... Elles ont bien raison d'avoir peur car nous-mêmes en tant que soignantes nous avons peur. Il est donc temps de réagir, ouvrir les yeux, au plus haut niveau et de prendre soin des soignants afin qu'eux-mêmes prennent soin au mieux des aînés... Remercier, soigner, accompagner ceux qui ont travaillé toute leur vie pour construire la société dans laquelle nous vivons, sans les abandonner dans des mouroirs, comme des encombrants..."
Vous citez le cas de Marlène, infirmière à qui l'on reproche d'être "trop consciencieuse et avenante"...
"C'est ce que la direction de l'établissement lui a dit... Parce qu'elle prenait trop de temps à échanger avec les familles et les résidents. On nous demande d'être un petit roquet agressif et plein de nerfs pour faire ce métier. Elle, était dans la bienveillance et l'humain... Elle est infirmière libérale depuis."
Quelle a été la réponse de la ministre à votre lettre sur votre travail dans une "usine d'abattage qui broie l'humanité des vies qu'elle abrite"?
"Agnès Buzyn aurait déclaré dans un reportage que cela lui avait inspiré des "pistes de réflexions", mais de mon côté, néant..."
Vous parlez de 1.600 euros par mois pour une responsabilité qui peut aller jusqu'à 99 personnes âgées. Y a-t-il un juste prix pour cela?
"Non je ne crois pas... Si on y laisse notre santé ça n'a pas d'intérêt. Ce n'est pas une histoire de salaire mais de reconnaissance de la part de l'encadrement et de respect de l'humain. On ne fait pas ce métier pour aller à l'abattoir avec sans cesse des dépassements horaires impayés. C'est horrible de devoir se dépêcher ou refuser du temps à des anciens qui n'ont pas nos facultés de déplacements ou de réaction, juste parce que la situation nous impose d'assumer les tâches à la chaîne sans penser…"
Quelle est votre position sur le débat de la fin de vie appliqué à ce milieu?
"Il faut laisser le choix jusqu'au bout. J'ai été confronté à un cas en particulier et ce n'est jamais simple... Je ne suis pas pour l'acharnement thérapeutique mais de notre côté, on ne donne à aucun moment la mort! Priorité est donnée à la famille, après information, de la suite des soins. Simplement avec leur accord, on peut injecter des anxiolytiques sédatifs, etc., dont on sait très bien que cela calme mais peut aussi impliquer pour des personnes âgées en grande faiblesse des conséquences funestes..."
Derrière ce livre, y a-t-il une ambition de devenir porte-parole d'une corporation?
"Non! Quand on m'a proposé d'écrire ce livre avec une carte blanche, je l'ai pris comme une expérience. Lorsqu'il est parti à l'impression, je me suis dit que la boucle était bouclée. J'avais pu faire de cette expérience qui s'était révélée négative une belle pirouette tout en ralliant un secteur d'activité qui me plaît."
Aujourd'hui vous sentez-vous à votre place?
"Oui. Je suis salariée CDI en psychiatrie dans un cadre associatif extra-hospitalier en Ardèche. Un cadre qui me convient parfaitement avec des soins individuels qui sont axés sur le relationnel, des entretiens... La dimension de temporalité n'est pas la même en psychiatrie qu'en soins généraux. Depuis que j'ai quitté la grosse entreprise du "faire vieillir en collectivité", où les résidents et leur famille ne sont plus considérés comme des personnes mais comme un flux dans une logique financière, je suis de nouveau en harmonie avec mes convictions."