On a tous déjà vu des images de bennes de supermarchés remplies de denrées alimentaires. Mais on ne voit jamais de bennes à livres. Pourtant, elles existent. Les livres ont beau avoir un caractère semi-sacré, ils n'échappent pas à l'obsolescence programmée de notre société de consommation. Près d'un livre sur quatre serait ainsi détruit sans jamais avoir été lu. Selon le Syndicat national de l'édition, qui a publié une enquête en avril 2021 portant sur les années 2018 à 2020, 13,2% des livres partiraient directement au recyclage sans avoir été feuilletés.
Il arrive même que 80% des exemplaires d'un livre partent à la poubelle, d'après une étude parue en septembre 2017 du Bureau d'analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic) sur l'impact sociétal et environnemental du secteur de l'édition en France. Cet épouvantable autodafé, qu'on appelle «pilon» (un terme qui tire son origine, par analogie, des pilons des machines à papier), n'a pas bonne presse. Éditeurs et distributeurs n'emploient ce terme qu'entre deux murmures, secret inavouable et bien gardé des maisons d'édition.
Comment est-ce possible? Pour comprendre, on a remonté le fil de la vie d'un livre. Les ouvrages tout beaux tout neufs arrivent bien empaquetés dans les commerces. Les premiers exemplaires ont la chance de sortir des cartons pour voir la lumière des néons de leur librairie d'adoption. Certains restent encore un peu, ou pour toujours, au chaud dans leur carton. Leur espérance de vie ici est à peine plus élevée que celle des aventuriers de «Koh-Lanta»: deux mois, c'est déjà pas mal. Des bouquins partent en quelques heures dans les bras d'un lecteur, mais d'autres se défraîchissent sur le bord de l'étagère.
Après plusieurs semaines, le libraire –pris dans le cercle frénétique des nouvelles sorties littéraires– estime qu'il a assez donné leur chance à ces ouvrages et qu'il faut laisser la place aux nouveaux. «Les livres sont des produits frais avec une date de péremption», ose Gilles Colleu, éditeur indépendant (éditions Vents d'ailleurs et imprimerie Yenooa), dans le rapport du Basic. Alors, le libraire les renvoie à la maison d'édition et à son distributeur pour se faire rembourser. Quand on lui demande où partent ces livres, il préfère expédier la discussion: il ne sait pas, ce n'est pas lui qui gère ça, il n'a pas le recul nécessaire...
Les invendus se retrouvent dans l'entrepôt du distributeur, bien loin de la tête de gondole où ils ont passé leurs derniers jours. Ils défilent sur un tapis roulant pour être scannés un par un. De là découle un message: soit c'est direction le pilon, soit c'est réintégration des stocks. La Sodis, un des plus importants distributeurs (filiale du groupe Madrigall de la famille Gallimard), est intransigeante sur ses critères de «livre neuf». Pour que les livres puissent regagner les stocks, il faut qu'ils soient sous un blister neuf et sans étiquette autocollante.
Heureusement, des maisons d'édition aux tirages plus modestes s'offusquent de ces critères drastiques. Elles prennent alors le temps de re-trier les ouvrages et en sauvent quelques dizaines d'une mort précipitée. Les petits veinards qui évitent le pilon peuvent repartir chez un libraire ayant commandé des exemplaires. Et c'est reparti pour un tour.
Coût du sur-stockage et image de marque à conserver
Les éditeurs misent comme au casino. Ils sondent ce qui peut plaire au public: l'ouvrage qui va finir dans toutes les listes de prix littéraires d'ici à Noël ou l'auteur qui détrônera Guillaume Musso. Lorsqu'ils jettent leur dévolu sur un titre, c'est le branle-bas de combat pour le diffuser le plus largement possible. Les livres doivent être visibles, ce qui suppose de les tirer à un certain nombre d'exemplaires, a priori le plus élevé possible.
Le tirage est donc souvent supérieur aux ventes escomptées pour produire un effet de masse et de présence dans les rayons. Que ce soit un titre imprimé à 5.000 exemplaires ou le dernier roman de Marc Levy, directement tiré à 250.000 ou 400.000 exemplaires, une partie de la production partira au pilon. La réussite d'un auteur produit donc autant de pilonnage que son échec.
«Même si le pilon est du recyclage, ce n'est pas très écologique d'imprimer plus pour recycler ensuite.» Pascale Desmoulins, responsable de l'administration des ventes des éditions Quæ
Une fois que les libraires ont fait leurs retours, les éditeurs se retrouvent pris en étau. Ils ont payé les imprimeurs, doivent rembourser aux libraires les invendus et payent des frais de stockage pour ces bouquins restés à quai. En effet, c'est le distributeur qui tient les rênes: il estime le volume de livres émanant des éditeurs et les cadences de ventes.
Si ces dernières ne sont pas respectées, les maisons d'édition sont facturées pour sur-stockage. «Le taux de sur-stockage est différent en fonction de la date de parution du livre, précise Pascale Desmoulins, responsable de l'administration des ventes des éditions Quæ. Plus le titre est ancien, plus ça coûte cher. C'est pour inciter à pilonner les vieux stocks qui prennent de la place. On est une petite maison d'édition et le stockage représente entre 4.000 et 4.500 euros par an.» A contrario, le pilon est gratuit.
Autre raison du pilonnage frénétique: l'image de marque. Nombre d'éditeurs ne veulent pas retrouver leurs livres bradés chez Noz ou Action. «Hachette Livre ou Gallimard, par exemple, n'ont pas envie de voir leurs livres sur un second marché, alors ils les cèdent à des sociétés qui vont les détruire», indique un responsable (qui souhaite rester anonyme) de Solarz, une entreprise francilienne spécialisée dans le traitement et le recyclage des déchets papiers et cartons.
Direction donc le pilon. Après avoir été stockés dans des bennes, puis entassés dans un camion, le dernier trajet des livres est minutieusement chronométré. Un retard et c'est demi-tour. Il arrive même que des huissiers contrôlent le chargement, pour vérifier que les livres ne soient pas détournés et revendus illégalement. Si un Robin des Bois littéraire s'avise à dérober un ouvrage parmi les milliers de détritus, il est viré.
Arrivés sur le lieu de l'autodafé, en Seine-Saint-Denis pour l'usine Solarz ou dans le Val-de-Marne pour l'entreprise 2P Recyclage (filiale du groupe Paprec), les tonnes de livres sont poussées vers la broyeuse. Cet ogre bruyant, installé au milieu d'un grand hangar poussiéreux, déchiquette le papier grâce à de multiples couteaux rotatifs. Tel est le pilon. «Une fois les livres réduits en confettis, ils sont compactés avec des grosses presses pour en faire des balles», explique le responsable de Solarz.
Cette fois, direction le papetier. Les copeaux sont passés dans une machine qui dissocie les fibres de papier de tous les «contaminants»: la pellicule de plastique et le carton de la couverture, les agrafes de certaines reliures, etc. Enfin, les morceaux de papier vont être désencrés, puis mélangés à de nouvelles fibres de bois pour faire de la pâte à papier.
Bien que les papeteries fonctionnent en circuit fermé et qu'il n'y a aucun rejet dans l'environnement grâce à leur propre petite station d'épuration, elles utilisent beaucoup d'eau, d'électricité et de produits détergents pour blanchir le papier. «Même si le pilon est du recyclage, ce n'est pas très écologique d'imprimer et d'imprimer encore pour recycler ensuite», reconnaît Pascale Desmoulins. Plus inquiétant encore, une étude réalisée par l'ONG internationale WWF (publiée en mars 2018) a révélé une certaine opacité de la part des maisons d'édition françaises autour de leurs politiques environnementales. Il en ressort une «qualité du papier et des encres inconnues» (dans la majeure partie des livres d'après le WWF) [...] ou encore des démarches «quasi inexistantes en matière de sourcing responsable en papier et de lutte contre la déforestation».
À quoi sert donc la pâte à papier produite? Nos sacro-saints bouquins dévorés par le pilon ont une seconde vie pour le moins surprenante... «On ne peut pas vendre du papier 100% recyclé dans l'édition. Ça ne sera jamais un papier d'une qualité comparable au papier de première main», estime Olivier Bessard-Banquy, chercheur spécialiste de l'édition contemporaine. Un nombre ridiculement faible d'ouvrages sont imprimés sur du papier recyclé, simplement parce que les lecteurs n'en veulent pas –le papier est moins blanc ou moins lisse.
Alors, cette pâte à papier de seconde main sert pour le cartonnage industriel, comme celui des boîtes à pizza, des boîtes à chaussures ou des rouleaux de papier toilette. Vous avez bien lu, les livres invendus, objets de savoir et de connaissance, se retrouvent finalement dans nos toilettes. Lente dégradation. La prochaine fois que vous commanderez une pizza, demandez-vous si, dans une vie antérieure, c'était le nouveau livre d'un politique ou un énième roman de Marc Levy.
Lorsque les Latins voulaient désigner un ensemble d’arbres ou d’arbustes de même espèce, ils ajoutaient un suffixe – ETUM au nom de l’arbre. Par exemple, OLIVETUM désignait une plantation d’oliviers (OLIVA) et ROBORETUM un bois de chênes (ROBUR, d’où ROUVRE en français, ROURE en provençal). Il faut remarquer d’ailleurs que la langue française emploie encore, pour jouer le même rôle, des termes de même formation, tels que PINEDE ou OLIVETTE.
Dans la toponymie provençale, ce suffixe, qui a été emprunté au latin se retrouve sous les formes – ET et EDE : le FIGUEIRET caractérise une plantation de figuiers et la ROUREDE est un bois de chênes.
Voici une liste des noms de lieux de cette catégorie, étant précisé qu’elle n’est pas exhaustive mais qu’elle comporte déjà un assez grand nombre de spécimens.
Dans cette liste, à côté du nom actuel, figure une forme ancienne lorsqu’elle existe et la traduction est donnée le plus souvent par le dictionnaire le Trésor du Félibrige (Lou Tresor dóu Felibrige) de Frédéric Mistral (1878).
Aubarède, Albareta : lieu planté de peupliers blancs.
Avelanède : plantation de noisetiers.
Bagarède : taillis de jeunes lauriers, bois de lauriers.
Bletounet, Bletounède, Bletoneda : bois nouvellement planté.
Bouisset, Bexutum : lieu planté de buis.
Cadenet, Cadenède, Cadanetum, Cadaneda : lieu couvert de cades.
Cannet, Cannetum : cannaie, taillis de roseaux.
Castagnarède : châtaigneraie.
Corneidère, Cornarieta : bois de cornouillers.
Fenouillet, Fenouillède : lieu où le fenouil abonde.
Feouvède : fougeraie, lieu couvert de fougères.
Figueiret, Figaredum : plantation de figuiers.
Fraxinetum, Fraxineda : frênaie. Le terme Fraxinetum a plus particulièrement désigné au Moyen Age, le golfe de Saint Tropez, base d’opérations des Sarrasins.
Garoupède : lieu planté de garou ou sainbois (espèce d’arbrisseau).
Genebreda : lieu planté de genévriers.
Ginestet, Ginestedum : lieu où le genêt abonde.
Gourrède : plantation d’osiers.
Nogarède : noiseraie, lieu planté de noyers.
Oliverède : plantation d’oliviers.
Oumède, Olmeta : ormaie, lieu planté d’ormes.
Oinède, Pineta, Pinetum : pinède.
Pourraquède : lieu planté d’asphodèles.
Rourède, Rovoretum : chênaie.
Sanguinède : lieu couvert de cornouillers sanguins.
Suveret, Suveretum : bois de chênes lièges.
Tremoureda : bois de peupliers.
Vernet, Vernède, Vernetum, Verneta : bois d’aulnes.
Vorzeda : lieu planté d’osiers noirs.
Il est à noter qu’à côté de la formation en EUTUM, on trouve une formation en – IER, IERE qui joue le même rôle : BOUISSIERE, CADENIERE, FENOUILLERE, GINESTIERE, etc…
Source : "Lou terraire" (Le terroir) Revue culturelle provençale
Émigration. Un Américain cultive ses racines belliloises
Le 08 octobre 2011 à 00h00
Frank Davidson est un vieil homme, pour qui ses racines sont essentielles. À 87 ans, cet Américain est venu pour la quatrième fois à Belle-Ile cette semaine, sur les traces de ses ancêtres. Issu d'une famille bangorine, le grand-père de Frank, Emile Lucas, a quitté Belle-Ile en 1854 pour s'installer à l'âge de 15 ans en Virginie, sur la côte Est des Etats-Unis.
Marin-pêcheur, cow-boy, soldat...
Marin pêcheur à Belle-Ile, l'homme devient cow-boy (garçon de ferme) en Amérique. Dans les courriers qu'il échange dès 1855, avec son frère, resté à Bangor, il évoque sontravail d'agriculteur: «Nous faisons deux récoltes par an ici, c'est incroyable», écrit Emile. Peu de temps après son arrivée aux Etats-Unis, en 1861, Emile Lucas est envoyé sur le front de la guerre de Sécession pendant quatre ans puis il rencontre sa femme avec qui ils ont sept enfants, dont la mère de Frank, Anna. Eugène Guellec, un membre de la famille installé à Quimper, prend contact avec la branche étasunienne dans les années 50, c'est ainsi que des liens se sont recréés des deux côtés de l'Atlantique. Frank, pilote de bombardiers pendant la Seconde Guerre mondiale, participe à la libération de la France. Il revient sur le sol européen en 1966, à la recherche de sa famille. Lorsqu'il finit par retrouver la maison familiale de ses ancêtres à Kernest, il frappe à la porte. Dans cette maison, sans doute acadienne, devenue résidence secondaire, la famille Couppé l'accueille.
«Les Bellilois sont sympathiques»
Depuis, il y est revenu et entretient des liens d'amitiés très forts avec Christian Couppé. Frank se sent bien à Belle-Ile. Même s'il ne parle pas français, il va vers les insulaires, comme si cette terre était sienne: «Je suis heureux ici, les Bellilois sont vraiment sympathiques et accueillants», confie-t-il.
Qu’ont trouvé les archéologues du Département sur le site de l’ancienne prison Saint-Roch? Des merveilles antiques ou médiévales dorment-elles là où doit bientôt s’élever une grande cité judiciaire, extension de l’actuel tribunal? Pour l’instant, il semble trop tôt pour le dire.
Mathieu Dalaine Publié le 12/06/2023 à 09:50,
"Des tranchées ont été creusées fin avril dans le cadre d’un diagnostic d’archéologie préventive, confesse Corinne Landure, chargée de la gestion patrimoniale et scientifique du Var. Une fois le rapport finalisé, dans les prochaines semaines, il sera décidé si oui ou non il y a un intérêt à mener une fouille complémentaire."
D’après certaines sources, la balance pencherait en faveur d’un oui, "le site présentant du potentiel". Mais des engins de forages arrivés sur place ces derniers jours laissent aussi à penser que le BTP pourrait ne plus tarder à entrer en action.
Une chose est sûre, si un diagnostic a été prescrit à cet endroit, nul hasard là-dessous. Pister dans le secteur d’éventuelles traces d’anciennes occupations humaines a du sens, ainsi qu’il est précisé dans le dossier d’enquête publique de la future cité judiciaire. Lequel évoque "la proximité de sites répertoriés dans la carte archéologique nationale".
Le centre-ville de Toulon se trouve en effet en ZPPA: une Zone de présomption de prescription archéologique où tous les dossiers d’urbanisme sont examinés à la loupe. L’histoire des lieux et les découvertes effectuées dans les parages font ainsi des environs une possible mine d’or pour les chercheurs.
L’historiographie toulonnaise évoque par exemple la présence non loin d’ici du "béal de Bonafé", un aqueduc médiéval de grande dimension qui alimentait Toulon en eau depuis la source Saint-Antoine. Malgré ce, lors des fouilles réalisées à Chalucet en 2016, avant la construction de la médiathèque, les spécialistes n’étaient pas parvenus à retrouver des vestiges de cet édifice à la valeur patrimoniale incontestable.
A noter également qu’à 500m du site de l’ancienne prison Saint-Roch, en 1978, un ensemble de douze tombes datées du Ve et VIe siècles ap. J.-C. avaient été fouillées rue Charles Poncy. Avec des corps inhumés dans de grosses amphores africaines ou des tombes en bâtière (sous de grandes tuiles plates), cette nécropole avait permis d’obtenir de précieuses informations sur les sépultures dans l’antiquité tardive.
Est-ce à dire que le sous-sol de l’ancienne prison, construite en 1927 et détruite en 2010, sera lui aussi riche d’enseignements? Rien, à ce stade, ne permet de l’affirmer. En attendant le verdict des archéologues, le parking aménagé par la métropole TPM en 2020 n’est plus accessible.
La cité judiciaire, elle, projet porté par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ), est toujours attendue pour 2027. Si des fouilles d’ampleur ne viennent pas retarder le chantier d’ici là.
C’est un rendez-vous à ne pas manquer pour les amateurs d’histoire et de vieux objets enfouis dans la terre. Ce week-end, se tiendront les Journées européennes de l’archéologie avec, notamment, un programme d‘activités concoctées par le Centre archéologique du Var (CAV), à Toulon. Un archéologue et un historien se tiendront ainsi à disposition du public pour expliquer le fonctionnement et les coulisses de la structure (samedi et dimanche, de 10h à 12h). Une exposition montée par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) sera en outre présentée tout le week-end (samedi et dimanche, de 10h à 12h et de 14h à 18h).
Un diaporama présentera les résultats des dernières fouilles archéologiques menées en pays toulonnais (La Farlède, La Crau, Sanary). Thomas Navarro, archéologue à l’Inrap, sera présent pour commenter, échanger et répondre à toutes les questions au sujet de ces sites antiques découverts aux abords de Telo Martius (Toulon) ces dix dernières années (samedi de 14h à 18h).
Enfin, des démonstrations de taille de silex seront réalisées. Objectif: découvrir de quelle façon, du paléolithique à l’Âge du bronze, l’homme a fabriqué des outils très variés à partir de fragments de roche (dimanche 18 juin à 10h, 11h, 14h et 15h - inscriptions: contact@centrearcheologiqueduvar.fr).
Centre archéologique du Var, 335 avenue des Dardanelles, à Toulon.
Initiée aux États-Unis en 1956, l’intelligence artificielle (IA) a aujourd’hui totalement investi notre quotidien, des réseaux sociaux à la navigation GPS, de la reconnaissance faciale aux diagnostics médicaux ou à la robotique de l’industrie… Elle fascine, elle fait peur et monopolise l’attention des chercheurs, des citoyens ou des États. Pour comprendre de quoi on parle, il faut retourner aux bases, expliquer ce qu’est l’IA, son histoire, comment elle fonctionne, ce qu’elle peut apporter et quels sont ses dangers. Nicolas Sabouret, professeur en informatique à l’université Paris-Saclay et chercheur au Laboratoire interdisciplinaire des sciences du numérique (LISN-Univ) répond aux questions de RFI.
Nicolas Sabouret : Pour comprendre, il faut revenir à l'origine du terme « intelligence artificielle ».
Dans les années 1950, le chercheur britannique Alan Turing travaille sur les calculs et en particulier la théorie de la calculabilité et de la complexité. Il faut rappeler que les ordinateurs et l'informatique, c'est la science du traitement de l'information et que la transformation de l’information, c’est du calcul. Turing, fer de lance de la discipline, a défini ce qui est calculable et ce qui est complexe à calculer. Visionnaire, il a imaginé que des machines qui font des calculs comme ça seraient un jour capables de jouer aux échecs, de conduire une voiture ou de faire des tâches que nous, les humains, nous faisons avec notre intelligence. Il a dit à l'époque : « Si les machines arrivent à faire ça, on pourra parler de “Machine Intelligence” » (« intelligence machine »). C'est ce qui a donné ensuite « Artificielle Intelligence », c’est-à-dire l'intelligence artificielle.
Au-delà de l'aspect visionnaire de Turing, il y a deux points importants à comprendre. Le premier, ce n’est qu’à aucun moment les chercheurs ne disent que la machine est intelligente. La machine calcule, elle ne pense pas. Elle fait les choses mieux que nous, ou au moins aussi bien que nous dans certains domaines. Mais elle le fait avec du calcul, non pas avec de l'intelligence. Le chercheur néerlandais Edsger Dijkstra a dit cette phrase géniale : « Se demander si un ordinateur peut penser, c'est aussi stupide que se demander si un sous-marin peut nager. » Cette citation résume tout. Quand on comprend le terme « intelligence artificielle » de cette manière-là, on comprend bien qu'on ne parle pas de machines intelligentes. On parle d'imiter, de reproduire les capacités des humains à l'aide du calcul.
À écouter aussi : Faut-il avoir peur de l’intelligence artificielle?
Le second point, c'est la notion de la complexité du calcul : Turing avait compris que certains problèmes étaient compliqués, voire infaisables par une machine. Il s’est alors demandé comment les résoudre par le calcul. Pour expliquer, prenons par exemple le jeu d'échecs. Dans les années 1930, le mathématicien américain John Von Neumann propose un algorithme qui permet de calculer la partie parfaite aux échecs pour gagner à tous les coups. Mais pour le réaliser, il faudrait faire un nombre d'opérations qui est de l’ordre de dix puissance 120, ce qui est impossible. Les chercheurs en IA vont donc chercher des solutions dans un temps de calcul raisonnable, tout en sachant qu’il n’est pas possible d'obtenir la solution exacte. On accepte de faire des solutions rapprochées pour obtenir la plupart du temps un résultat correct. En intelligence artificielle, on parle d’heuristique.
Le terme d’intelligence artificielle est assez trompeur. En fait, c’est du calcul informatique dans lequel on a simplifié le problème pour que ça marche la plupart du temps, même si on sait que ce n’est pas possible de le faire fonctionner parfaitement.
L’intelligence artificielle démarre en 1950 avec la publication de l’article d’Alan Turing intitulé « Computing Machinery and Intelligence » (« Les ordinateurs et l’intelligence »), dans lequel il se demande si « les machines peuvent penser » et pose son fameux test de Turing, le jeu de l’imitation.
C’est en 1956, quand des chercheurs se réunissent à l’université de Dartmouth, aux États-Unis, que le terme « intelligence artificielle » est employé pour la première fois. L’organisateur de la conférence, le mathématicien américain John McCarthy, décide de ne pas garder le terme « Machine intelligence » qui était celui de Turing, et choisit celui de « Artificial Intelligence » (« intelligence artificielle »). Dès la fin des années 1950, il y a une effervescence folle sur les machines « capables de tout faire et qui vont nous changer la vie » à travers des clips à la télévision, à la radio, des articles de journaux, etc.
L'IA reste très populaire jusqu’au début des années 1970. Mais les résultats n’étant pas là, l’enthousiasme retombe et l’IA connaît son premier « hiver » jusqu’au début des années 1980. Puis, il y a eu un rebond avec les systèmes experts basés sur des règles écrites à la main pour essayer d'imiter l’intelligence humaine. Ça a duré cinq ans et le souffle est retombé. C’est le deuxième hiver de l'IA, qui dure de 1985 à 2005.
Il y a bien eu la tentative d'IBM avec Deep Blue en 1990 de redonner un coup de blason à l'IA. Mais ça n’a pas fonctionné, parce que les gens ont vu que Kasparov ne pouvait pas suivre face à une machine capable de calculer tous les coups possibles à l’avance. La machine est-elle vraiment intelligente ? Ça n’a pas vraiment aidé l’IA.
En 2005, il se passe deux choses assez incroyables qui ont fait redécoller l’IA.
La première, c'est le développement des cartes graphiques par l'industrie des jeux vidéo. Les cartes graphiques ont la capacité de faire simultanément et très rapidement un très grand nombre d'additions et de multiplications.
Dans les années 1990, les chercheurs Yann Le Cun et Joshua Bengio avaient proposé des réseaux de neurones qui semblaient bien marcher, mais qui nécessitaient des moyens de calcul qu’on n’avait pas à l’époque. En 2005, ils publient un article intitulé « Deep Learning » (« Apprentissage profond ») dans lequel ils expliquent que les cartes graphiques vont leur permettre de calculer plusieurs couches de neurones simultanément et d’être plus performants que ce qu’ils faisaient avant deux couches. Et ça a fonctionné et la technique des réseaux de neurones a commencé à convaincre les chercheurs.
La seconde est la création par Google d’une unité de recherche pour s'attaquer aux problèmes encore non résolus des jeux. Ils utilisent un algorithme classique utilisé pour le go auquel ils branchent un réseau de neurones pour que l’algorithme gagne en performance. Le jeu de go est intéressant, parce qu’on peut faire jouer la machine contre elle-même, ce qui lui permet de s'entraîner. Elle règle automatiquement les paramètres du réseau de neurones à toute vitesse en faisant des millions de parties contre elle-même, jusqu'à ce qu'elle apprenne à bien jouer contre elle-même. Ce mélange des techniques de calculs classiques et de réseaux neurones aboutit, en 2015, à la victoire d’AlphaGo contre le champion du monde de go en titre. Cet événement relance toute la thématique de l’IA et les gens investissent à nouveau dans ce domaine.
Depuis 2015, l’hiver de l’IA n’est pas retombé et je pense que c’est grâce à la communication prudente des chercheurs sur les limites de l’IA, retransmises par les journalistes au grand public, qui a été de dire : « Attention, l’IA ne marche pas à tous les coups, elle ne peut pas tout faire et on travaille dessus », contrairement aux années 1960 et 1980 où on avait annoncé qu’en dix ans elle aurait tout résolu.
Par la suite, différentes techniques de réseaux de neurones sont développées et notamment celles dont on parle aujourd’hui : les algorithmes de type « Generative Transformer », les transformeurs génératifs qui servent à faire des réseaux génératifs comme ChatGPT et Dall-E.
L'IA est cachée un peu partout. Quand vous envoyez une lettre par la poste, la trieuse utilise un algorithme d'IA pour lire les codes postaux, et ça dès les années 1990. Autre exemple : pourquoi les ascenseurs arrivent à s'arrêter doucement au bon étage ? Grâce à des algorithmes d'IA incorporés dans l'électronique.
Il y a des algorithmes d’IA qu’on utilise tous les jours. Le premier, c’est la recherche d’informations via un moteur de recherche comme Google. Ensuite, il y a les aides à la navigation des GPS. Et les réseaux sociaux : beaucoup de gens n’en ont pas du tout conscience, mais l’algorithme qui leur propose les posts, c’est de l’IA. Si vous avez aimé le post de Rihanna, alors vous aimerez le post de Justin Bieber. Si vous faites une recherche pour des nouvelles chaussures, par exemple, c’est encore un algorithme d’IA qui va vous proposer des publicités de chaussures sur votre compte Instagram.
En médecine, on développe des outils d'aide au diagnostic médical depuis vingt ans et ils fonctionnent plutôt bien. Mais la difficulté de leur mise en pratique est due au temps nécessaire pour rentrer toutes les informations dans la machine. Le médecin généraliste n’a pas trop envie de passer une demi-heure à saisir toutes les informations alors qu’il peut faire le diagnostic du patient en l’auscultant.
En revanche, les algorithmes de reconnaissance automatique d'images permettent un réel usage complémentaire entre l'humain et la machine. La machine va faire une sorte de de pré-diagnostic sur l'image que le médecin, qui a l'ensemble du dossier, va pouvoir conforter ou pas.
Ces choses commencent à se mettre à se mettre en place et je pense que dans quelques années, on va vraiment réussir à faire des choses intelligentes avec l'usage de l'IA dans le contexte médical.
L'IA est aussi utilisée dans les outils décisionnels. Une entreprise de distribution d'eau va utiliser l'IA pour tester des hypothèses sur le réseau de distribution de l’eau avant de les mettre en œuvre dans la réalité. Ou encore EDF va utiliser des algorithmes d'IA pour générer des courbes de charge qui permettent d’étudier la manière dont la consommation des foyers va pouvoir évoluer. Ces algorithmes d'IA vont reproduire des choses que font les humains, c’est là que la partie de simulation de l'humain de l'IA peut être utile.
Une autre grande avancée de l’IA qui n’est pas visible pour le grand public, bien qu’elle soit très utilisée, concerne le traitement du son. Aujourd'hui, il y a des algorithmes d'IA dans tous les systèmes de traitement du son, ce qui permet d’avoir du son de très bonne qualité à la radio, les DVD, etc.
L’IA va aussi révolutionner tout ce qui concerne la conservation du patrimoine immatériel (texte, image, audio) en permettant de stocker, de ranger, de trouver, d'organiser des quantités de données astronomiques.
L’IA est également utilisée par l’aéronautique ou encore l’industrie pour optimiser les chaînes de production.
La première technique d’IA est basée sur l’écriture de règles qui a été très populaire dans les années 1970 et 1980, car c'est vraiment ce qui marchait le mieux à l'époque. Si je vous demande, par exemple, comment vous faites pour aller de Paris à Marseille en voiture, vous allez m’indiquer les étapes que vous allez suivre. On va écrire des règles à la main pour reproduire le raisonnement de l'humain en programment des « si je vois un panneau routier, alors je tourne à droite ; si je croise un ours, alors je freine pour ne pas le percuter », etc.
Une fois ces règles écrites, il y a des techniques de calculs qui les mettent en œuvre et ça permet d'obtenir des résultats qui sont assez incroyables. Quand on envoie des robots sur Mars, ils fonctionnent avec des systèmes à base de règles. C'est assez adaptatif et on contrôle tout ce qui se passe. On sait où on a mis les erreurs, donc on sait les approximations qui ont été faites. Quand le robot se trompe, on sait pourquoi. Il y a des techniques de diagnostic automatique et de planification qui sont proposées pour faire des tâches de ce type-là, ça marche très bien.
La seconde technique d’IA, c'est l'apprentissage automatique, le terme français pour « Machine Learning ». L’idée est de dire à la machine comment faire les choses. On décide quelles sont les variables importantes à étudier et, ensuite, on demande à la machine de calculer automatiquement les liens entre ces variables. On lui fournit une structure de programme dans lequel il y a les valeurs manquantes et on lui demander de trouver les valeurs pour que ça fonctionne.
L'image que j'aime bien donner est celle d’une table de mixage audio. Quel que soit le son qu'on donne en entrée, il faut trouver la bonne position des boutons pour obtenir le même son en sortie. Face au nombre infini de possibilités, on entraîne la machine en lui donnant une multitude d’exemples pour qu'elle parvienne progressivement régler les paramètres qui lui permettent de calculer la meilleure sortie possible. À force de bouger un peu tous les boutons, on finit par trouver les valeurs qui, la plupart du temps, fonctionnent très bien. D’ailleurs, le terme apprentissage automatique est plutôt mal choisi. Les chercheurs du domaine parlent plutôt d'entraînement.
À écouter aussi : Comment relever les défis de l’intelligence artificielle?
La technique d’apprentissage automatique la plus utilisée aujourd'hui celle des réseaux de neurones, qui n’ont rien à voir avec les réseaux de neurones humains. Si Frank Rosenblatt s’en est inspiré quand il a composé sa machine en 1957, il n’a jamais prétendu avoir fabriqué des neurones artificiels.
Un réseau de neurones artificiels, c'est une succession d'additions et de multiplications qui sont enchaînées. Autrefois, on ne savait faire que des réseaux de neurones à une couche, parce qu’on n’avait pas les machines pour le calculer. Aujourd’hui, le réseau profond est composé d’une dizaine de couches et un ordinateur comme le vôtre ou le mien peut faire tourner ce type de réseau de neurones sans problème. À partir de trois couches, on parle de « deep learning » (« apprentissage profond »).
On peut utiliser les réseaux de neurones de nombreuses manières différentes. Avec les transformeurs, on entraîne des réseaux de neurones pour qu’ils transforment n'importe quel concept en nombres, et grâce à un autre réseau de neurones, on va produire un résultat pour générer du texte, du son ou de l’image. Si on demande à une IA génératrice d’images : « Je voudrais un pape une doudoune blanche », elle va combiner le nombre « pape » et le nombre « doudoune blanche » pour fabriquer une image de pape en doudoune blanche.
ChatGPT fonctionne comme ça aussi. On lui a donné tous les textes de la langue française à partir desquels il est capable de générer du texte qui ressemble énormément à ce qu’un humain aurait pu écrire. En revanche, si la question posée est absurde, par exemple, « parle-moi des œufs de lapin », il va parler des œufs de lapin. Il va dire des absurdités, mais il le fera très bien. Il faut savoir qu’il y a un petit secret derrière ChatGPT : on lui a fait générer beaucoup de phrases et des humains – on parle de milliers d'humains pendant des milliers d’heures – ont corrigé chaque phrase à la main pour en faire la réponse la plus crédible possible par rapport à la question posée. C’est grâce à ces tâches assez ingrates de « fine tuning » (« réglage fin ») que ChatGPT est devenu très fort pour donner l’impression de parler comme un humain, qu’il ne tient pas de propos racistes ou qu’il sait dire « je ne sait pas ».
Enfin, la différence entre ces deux techniques est la limite du temps de programmation et donc de coût humain en développement. En pratique, ces algorithmes d'apprentissage donnent très souvent des résultats bien meilleurs que ce qu’un informaticien ferait dans le même temps en le codant à la main. Le travail de réglage de paramètres est rébarbatif et ça, la machine le fait très bien. C'est pour ça que l’apprentissage automatique marche bien.
Les IA qui existent dans notre usage quotidien et dont on parle dans la presse sont toutes des IA faibles, par opposition à cette espèce de rêve de l'IA forte. Il y a d’ailleurs très peu de chercheurs qui s'imaginent que l'IA forte va arriver bientôt.
L'IA forte est une notion qui a été proposée par John Searle, un philosophe spécialiste des questions du langage et de l'intelligence humaine. Il disait que si l'intelligence artificielle est capable de traiter les problèmes complètement différents les uns des autres – conduire une voiture, jouer aux échecs, se fabriquer un sandwich –, une IA qui serait capable de faire plein de choses différentes, on pourrait dire qu'elle est « forte » en ceci qu'elle est proche de l'intelligence humaine.
On est donc plutôt sur des approches qui consistent à améliorer les différentes techniques d'IA faibles pour résoudre des problèmes de plus en plus complexes. Chaque algorithme d’IA résout une famille de problèmes bien spécifiques et il n’est pas forcément réutilisable dans d’autres contextes. Par exemple, l'IA qui joue très bien aux échecs, il faut la réentraîner si on veut la faire jouer au jeu de go. On ne peut pas lui demander de conduire une voiture. Pour ça, il faudra faire appel à une autre IA.
Je suis très sceptique sur les craintes qui sont exprimées vis-à-vis des IA génératives. Évidemment, en tant qu'enseignant, on peut s’inquiéter de voir les élèves tricher plus facilement. On a vu la même chose quand Wikipédia est sorti. Mais les enseignants repéraient assez vite quand la page avait été recopiée, parce que l’élève n’avait rien compris. Le niveau supplémentaire, c’est que ChatGPT il fait la synthèse de la page Wikipédia et il le fait plutôt bien. On peut s’inquiéter de voir les élèves tricher encore plus. Mais je ne le pense pas. Je pense au contraire qu’il faut apprendre aux gens à utiliser ChatGPT. L’idée que la machine va pouvoir nous produire des éléments déjà bien préparés qu'on va pouvoir retravailler ensuite, c’est un peu comme quand on va sur Wikipédia pour rechercher des informations et qu'ensuite on les corrige.
Sur l'aspect de l’image, je suis plus réservé, puisque qu’on ne peut pas – à moins d'être un expert en manipulation d'images – retravailler les images produites par un système génératif. Donc, on va les prendre telles quelles, et le problème est qu’elles ont l’air vraies alors qu’elles sont totalement fausses, elles ne décrivent pas une réalité. Autant le texte, les gens le prennent un peu avec précaution. Mais on a pris l'habitude de considérer que si l’image est vue dans les médias, alors elle est vraie. Il va donc falloir accepter qu’une image peut être le produit d’une machine. C'est là où je rejoins les gens qui expriment des craintes.
Les algorithmes d’IA générative vont aussi permettent aux chercheurs d'attaquer d'autres problèmes de l’IA comme celui de la notion de causalité qui est très compliquée à capturer et qu’on est aujourd’hui obligé d’écrire à la main. De mon point de vue de chercheur, c'est vraiment une avancée qui nous permet de progresser. Du point de vue du grand public, j'entends tout à fait les inquiétudes.
Quand on a remplacé, par exemple, les caissières de supermarché par des caisses automatiques, il y a certes de l’IA pour lire les code-barres ou reconnaître les fruits qu’on a mis sur la balance. Mais la perte des emplois de caissières n’est pas un problème de technologies, c'est un problème de choix de société. Et il faut faire en sorte de protéger ceux qui seraient victimes du déploiement de ces outils. Il faut qu’en tant que société, on apprenne à le faire là, maintenant. Il y a des métiers qui vont être modifiés par les systèmes d’IA génératifs ou autres, car les choses évoluent en permanence. Si on arrive à faire des machines qui accomplissent mieux que nous certaines tâches que nous faisons avec notre intelligence, comment accompagner les gens qui gagnent leur vie en faisant ces tâches ? Je pense que nos sociétés sont capables de prendre ça en charge et d’éviter le chômage ou la reconversion forcée. Et d’apprendre aux gens à se servir de l’IA pour pouvoir travailler sur les compétences qui sont les nôtres.
Le journalisme est un des métiers qui est aujourd'hui le plus en évolution par rapport à ces questions d'IA, puisque les journalistes sont le lien entre les individus et l’information. Des machines qui étaient au départ des machines de traitement de l'information sont devenues les machines de génération de l'information. Il faudrait donc peut-être que les journalistes, qui sont des générateurs d’information, deviennent aussi des régulateurs ou des contrôleurs de l'information pour attester que celle-ci est vraie, ce qu’une machine ne pourra jamais faire. Le journaliste, par son travail, peut certifier que ce qui est dit dans cet article ou ce qui est montré sur des images correspond à une certaine réalité. Mais c'est sûr, le monde de la désinformation a de beaux jours devant lui.
Toute technologie est potentiellement dangereuse. Quand on crée une technologie, on sait qu’elle pourrait être mal utilisée. Ce n’est pas l'IA qui est dangereuse en elle-même, il faut vraiment sortir du mythe qu’on a créé un monstre qu’on ne contrôle pas. On sait ce que font les machines et comment elles le font. On ne sait peut-être pas expliquer les calculs qu'elles ont fait, mais on contrôle les résultats. On sait qu’elles peuvent faire des erreurs et quand ça arrive, on essaye de comprendre pourquoi et de l'améliorer.
Ce n'est pas un problème technologique, c'est un problème sociétal. Que des chercheurs s'inquiètent de l'usage de leurs machines, je le comprends et c'est légitime. Au début des années 1940, la physicienne autrichienne Lise Meitner, qui a codécouvert la fission nucléaire, déclare qu’elle ne participerait pas au projet Manhattan, parce qu’il n’est pas normal d’utiliser cette découverte pour faire des bombes. Qu’un chercheur se déclare inquiet qu’on fasse des systèmes qui fabriquent des « fake news » (« infox ») à partir des IA génératives, c'est tout à fait légitime.
Mais en pratique, il faut revenir dans notre rôle de chercheur et donner notre avis sur le plan scientifique. Sur le plan sociétal, ce n'est pas à nous de décider, ce n’est pas notre métier. C'est à la société, aux hommes politiques, aux journalistes, aux artistes, aux autres personnes qui ont des choses à dire sur le sujet. Nous, scientifiques, sommes là pour créer de la connaissance, pas pour voir comment elle est utilisée.
En revanche, je suis contre le fait de dire qu’il faut arrêter la recherche sur tel domaine, parce que c'est potentiellement dangereux. Je pense que c'est une erreur de croire que la connaissance est dangereuse. C'est l'usage de la connaissance qui peut être dangereux, c’est bien là la différence. La recherche sur l’IA doit continuer, ce sont les usages qu’il faudrait mettre en pause. Mais c'est compliqué, parce que on ne trouvera jamais un accord mondial là-dessus. Ça fait cinq ans maintenant que les Chinois utilisent la reconnaissance faciale pour noter les gens dans la rue. Il faut savoir que l'algorithme ne fait que reconnaître les gens. Ce sont des humains qui mettent les notes. Est-ce qu'il faut pour autant arrêter les recherches en vision artificielle qui sont les mêmes qui permettent de détecter les cancers du sein ? Je ne crois pas.
Les gens qui connaissent l'IA vont alerter sur les usages et c’est normal. Dire : « Attention, avec Dall-E, on peut fabriquer une image de tout et n’importe quoi. » De même, c’est une bonne chose que ChatGPT soit sorti pour montrer qu’on est capable de faire du texte qui a l’air très vrai. Même si ça parle d’œufs de lapins, quelque chose qui n’existe pas, ça en parle très bien. Avec les « deepfake » (« hypertrucage »), on est capable de faire dire à Joe Biden de bombarder la Russie. C'est bien que les gens sachent ce qu’on est capable de faire avec ces technologies d’IA. Il faut qu’ils s’emparent du sujet et qu’ils comprennent de quoi on parle. Je crois que c’est ça l’enjeu.
Nicolas Sabouret est professeur en informatique à l’université Paris-Saclay et chercheur au Laboratoire interdisciplinaire des sciences du numérique (LISN-Univ). Il est l'auteur de Comprendre l’intelligence artificielle, publié chez Ellipses et co-auteur avec le philosophe Laurent Bibard de L’Intelligence artificielle n’est pas une question technologique ; échanges entre le philosophe et l’informaticien aux Éditions de l'Aube.
The First Year of AI College Ends in Ruin.
There’s an arms race on campus, and professors are losing.
One hundred percent AI. That’s what the software concluded about a student’s paper. One of the professors in the academic program I direct had come across this finding and asked me what to do with it. Then another one saw the same result—100 percent AI—for a different paper by that student, and also wondered: What does this mean? I did not know. I still don’t.
The problem breaks down into more problems: whether it’s possible to know for certain that a student used AI, what it even means to “use” AI for writing papers, and when that use amounts to cheating. The software that had flagged our student’s papers was also multilayered: Canvas, our courseware system, was running Turnitin, a popular plagiarism-detection service, which had recently installed a new AI-detection algorithm. The alleged evidence of cheating had emerged from a nesting doll of ed-tech black boxes.
This is college life at the close of ChatGPT’s first academic year: a moil of incrimination and confusion. In the past few weeks, I’ve talked with dozens of educators and students who are now confronting, for the very first time, a spate of AI “cheating.” Their stories left me reeling. Reports from on campus hint that legitimate uses of AI in education may be indistinguishable from unscrupulous ones, and that identifying cheaters—let alone holding them to account—is more or less impossible.
Once upon a time, students shared exams or handed down papers to classmates. Then they started outsourcing their homework, aided by the internet. Online businesses such as EssayShark (which asserts that it sells term papers for “research and reference purposes only”) have professionalized that process. Now it’s possible for students to purchase answers for assignments from a “tutoring” service such as Chegg—a practice that the kids call “chegging.” But when the AI chatbots were unleashed last fall, all these cheating methods of the past seemed obsolete. “We now believe [ChatGPT is] having an impact on our new-customer growth rate,” Chegg’s CEO admitted on an earnings call this month. The company has since lost roughly $1 billion in market value.
Other companies could benefit from the same upheaval. By 2018, Turnitin was already taking more than $100 million in yearly revenue to help professors sniff out impropriety. Its software, embedded in the courseware that students use to turn in work, compares their submissions with a database of existing material (including other student papers that Turnitin has previously consumed), and flags material that might have been copied. The company, which has claimed to serve 15,000 educational institutions across the world, was acquired for $1.75 billion in 2019. Last month, it rolled out an AI-detection add-in (with no way for teachers to opt out). AI-chatbot countermeasures, like the chatbots themselves, are taking over.
Now, as the first chatbot spring comes to a close, Turnitin’s new software is delivering a deluge of positive identifications: This paper was “18% AI”; that one, “100% AI.” But what do any of those numbers really mean? Surprisingly—outrageously—it’s very hard to say for sure. In each of the “100% AI” cases I heard about, students insisted that they had not let ChatGPT or any other AI tool do all of their work.
But according to the company, that designation does indeed suggest that 100 percent of an essay—as in, every one of its sentences—was computer generated, and, further, that this judgment has been made with 98 percent certainty. A Turnitin spokesperson acknowledged via email that “text created by another tool that uses algorithms or other computer-enabled systems,” including grammar checkers and automated translators, could lead to a false positive, and that some “genuine” writing can be similar to AI-generated writing. “Some people simply write very predictably,” she told me. Are all of these caveats accounted for in the company’s claims of having 98 percent certainty in its analyses?
Perhaps it doesn’t matter, because Turnitin disclaims drawing any conclusions about misconduct from its results. “This is only a number intended to help the educator determine if additional review or a discussion with the student is warranted,” the spokesperson said. “Teaching is a human endeavor.” The company has a guide for humans who confront the software’s “small” risk of generating false positives. Naturally, it recommends the use of still more Turnitin resources (an AI-misuse rubric and AI-misuse checklist are available) and doing more work than you ever would have done in the first place.
In other words, the student in my program whose work was flagged for being “100% AI” might have used a little AI, or a lot of AI, or maybe something in between. As for any deeper questions—exactly how he used AI, and whether he was wrong to do so—teachers like me are, as ever, on our own.
Some students probably are using AI at 100 percent: to complete their work absent any effort of their own. But many use ChatGPT and other tools to generate ideas, help them when they’re stuck, rephrase tricky paragraphs, or check their grammar.
Where one behavior turns into another isn’t always clear. Matthew Boedy, an English professor at the University of North Georgia, told me about one student so disengaged, he sometimes attended class in his pajamas. When that student submitted an uncharacteristically adept essay this spring, Boedy figured a chatbot was involved, and OpenAI’s verification tool confirmed as much. The student admitted that he hadn’t known how to begin, so he asked ChatGPT to write an introduction, and then to recommend sources. Absent a firm policy on AI cheating to lean on, Boedy talked through the material with the student in person and graded him based on that conversation.
A computer-science student at Washington University in St. Louis, where I teach, saw some irony in the sudden shift from giving fully open-book assignments earlier in the pandemic to this year’s attitude of “you can use anything except AI.” (I’m withholding the names of students so that they can be frank about their use of AI tools.) This student, who also works as a teaching assistant, knows firsthand that computers can help solve nearly every technical exercise that is assigned in CS courses, and some conceptual ones too. But taking advantage of the technology “feels less morally bankrupt,” he said, “than paying for Chegg or something.” A student who engages with a chatbot is doing some kind of work for themselves—and learning how to live in the future.
Another student I spoke with, who studies politics at Pomona College, uses AI as a way to pressure-test his ideas. Tasked with a research paper on colonialism in the Middle East, the student formulated a thesis and asked ChatGPT what it thought of the idea. “It told me it was bogus,” he said. “I then proceeded to debate it—in doing so, ChatGPT brought up some serious counterarguments to my thesis that I went on to consider in my paper.” The student also uses the bot to recommend sources. “I treat ChatGPT like a combination of a co-worker and an interested audience,” he said.
The Pomona student’s use of AI seems both clever and entirely aboveboard. But if he borrows a bit too much computer-generated language, Turnitin might still flag his work for being inauthentic. A professor can’t really know whether students are using ChatGPT in nuanced ways or whether they’ve engaged in brazen cheating. No problem, you might say: Just develop a relationship of mutual trust with students and discuss the matter with them openly. A good idea at first blush, but AI risks splitting faculty and student interests. “AI is dangerous in that it’s extremely tempting,” Dennis Jerz, a professor at Seton Hill University, in Greensburg, Pennsylvania, told me. For students who are not invested in their classes, the results don’t even have to be good—just good enough, and quick. “AI has made it much easier to churn out mediocre work.”
Faculty already fret over getting students to see the long-term benefit of assignments. Their task is only getting harder. “It has been so completely demoralizing,” an English teacher in Florida told me about AI cheating. “I have gone from loving my job in September of last year to deciding to completely leave it behind by April.” (I am not printing this instructor’s name or employer to protect him from job-related repercussions.) His assignments are typical of composition: thesis writing, bibliographies, outlines, and essays. But the teacher feels that AI has initiated an arms race of irrelevance between teachers and students. “With tools like ChatGPT, students think there’s just no reason for them to care about developing those skills,” he said. After students admitted to using ChatGPT to complete assignments in a previous term—for one student, all of the assignments—the teacher wondered why he was wasting his time grading automated work the students may not have even read. That feeling of pointlessness has infected his teaching process. “It’s just about crushed me. I fell in love with teaching, and I have loved my time in the classroom, but with ChatGPT, everything feels pointless.”
The loss that he describes is deeper and more existential than anything academic integrity can protect: a specific, if perhaps decaying, way of being among students and their teachers. “AI has already changed the classroom into something I no longer recognize,” he told me. In this view, AI isn’t a harbinger of the future but the last straw in a profession that was almost lost already, to funding collapse, gun violence, state overreach, economic decay, credentialism, and all the rest. New technology arrives on that grim shore, making schoolwork feel worthless, carried out to turn the crank of a machine rather than for teaching or learning.
What does this teacher plan to do after leaving education, I wonder, and then ask. But I should have known the answer, because what else is there: He’s going to design software.
A common line about education in the age of AI: It will force teachers to adapt. Athena Aktipis, a psychology professor at Arizona State University, has taken the opportunity to restructure her whole class, preferring discussions and student-defined projects to homework. “The students said that the class really made them feel human in a way that other classes didn’t,” she told me.
But for many students, college isn’t just a place for writing papers, and cutting corners can provide a different way of feeling human. The student in my program whose papers raised Turnitin’s “100% AI” flag told me that he’d run his text through grammar-checking software, and asked ChatGPT to improve certain lines. Efficiency seemed to matter more to him than quality. “Sometimes I want to play basketball. Sometimes I want to work out,” he said when I asked if he wanted to share any impressions about AI for this story. That may sound outrageous: College is for learning, and that means doing your assignments! But a milkshake of stressors, costs, and other externalities has created a mental-health crisis on college campuses. AI, according to this student, is helping reduce that stress when little else has.
Similar pressures can apply to teachers too. Faculty are in some ways just as tempted as their students by the power of the chatbots, for easing work they find irritating or that distract from their professional goals. (As I pointed out last month, the traditional recommendation letter may be just as threatened by AI as the college essay.) Even so, faculty are worried the students are cheating themselves—and irritated that they’ve been caught in the middle. Julian Hanna, who teaches culture studies at Tilburg University, in the Netherlands, thinks the more sophisticated uses of AI will mostly benefit the students who were already set to succeed, putting disadvantaged students even further at risk. “I think the best students either don’t need it or worry about being caught, or both.” The others, he says, risk learning less than before. Another factor to consider: Students who speak English as a second language may be more reliant on grammar-checking software, or more inclined to have ChatGPT tune up their sentence-level phrasing. If that’s the case, then they’ll be singled out, disproportionately, as cheats.
One way or another, the arms race will continue. Students will be tempted to use AI too much, and universities will try to stop them. Professors can choose to accept some forms of AI-enabled work and outlaw others, but their choices will be shaped by the software that they’re given. Technology itself will be more powerful than official policy or deep reflection.
Universities, too, will struggle to adapt. Most theories of academic integrity rely on crediting people for their work, not machines. That means old-fashioned honor codes will receive some modest updates, and the panels that investigate suspected cheaters will have to reckon with the mysteries of novel AI-detection “evidence.” And then everything will change again. By the time each new system has been put in place, both technology and the customs for its use could well have shifted. ChatGPT has existed for only six months, remember.
Rethinking assignments in light of AI might be warranted, just like it was in light of online learning. But doing so will also be exhausting for both faculty and students. Nobody will be able to keep up, and yet everyone will have no choice but to do so. Somewhere in the cracks between all these tectonic shifts and their urgent responses, perhaps teachers will still find a way to teach, and students to learn.
The Nova Kakhovka Dam in Ukraine
Ten guidelines for writing about catastrophe
Timothy Snyder - 7 juin 2023
The Nova Kakhovka Dam in Ukraine, controlled by Russia, has been destroyed. One consequence is a humanitarian disaster that, had it not taken place within a war zone, would already have drawn enormous international assistance. Thousands of houses are flooded and tens of thousands of people are in flight or waiting for rescue. Another consequence is ecological mayhem, among other things the loss of wetland and other habitats. A third is the destruction of Ukrainian farmland and other elements of the Ukrainian economy. So much is happening at once that the story is hard to follow. Here are a few thoughts about writing responsibly about the event.
Avoid the temptation to begin the story of this manmade humanitarian and ecological catastrophe by bothsidesing it. That's not journalism.
Russian spokespersons claiming that Ukraine did something (in this case, blow a dam) is not part of a story of an actual event in the real world. It is part of different story: one about all the outrageous claims Russia has made about Ukraine since the first invasion, in 2014. If Russian claims about Ukrainian actions are to be mentioned, it has to be in that context.
Citing Russian claims next to Ukrainian claims is unfair to the Ukrainians. In this war, what Russian spokespersons have said has almost always been untrue, whereas what Ukrainian spokespersons have said has largely been reliable. The juxtaposition suggests an equality that makes it impossible for the reader to understand that important difference.
If a Russian spokesman (e.g. Dmitri Peskov) must be cited, it must be mentioned that this specific figure has lied about every aspect of this war since it began. This is context. Readers picking up the story in the middle need to know such background.
If Russian propaganda for external consumption is cited, it can help to also cite Russian propaganda for internal consumption. It is interesting that Russian propagandists have been long arguing that Ukrainian dams should be blown, and that a Russian parliamentarian takes for granted that Russia blew the dam and rejoices in the death and destruction that followed.
When a story begins with bothsidesing, readers are being implicitly instructed that an object in the physical world (like a dam) is really just an element of narrative. They are being guided into the wrong genre (literature) right at the moment when analysis is needed. This does their minds a disservice.
Part of the city of Kherson is now under water
Dams are physical objects. Whether or how they can be destroyed is a subject for people who know what they are talking about. Although this valuable NYT story exhibits the above flaws, it has the great merit of treating dams as physical rather than narrative objects. When this exercise is performed, it seems clear that the dam could only have been destroyed by an explosion from the inside.
Russia was in control of the relevant part of the dam when it exploded. This is an elemental part of the context. It comes before what anyone says. When a murder is investigated, detectives think about means. Russia had the means. Ukraine did not.
The story doesn't start at the moment the dam explodes. Readers need to know that for the last fifteen months Russia has been killing Ukrainian civilians and destroying Ukrainian civilian infrastructure, whereas Ukraine has been trying to protect its people and the structures that keep them alive.
The pursuit of objectivity does not mean treating every event as a coin flip, a fifty-fifty chance between two different public statements. Objectivity demands thinking about all the objects -- physical objects, physical placement of people -- that must be in the story, as well as all of the settings -- contemporary and historical -- that a reader would need in order to come away from the story with greater understanding.
Par Jean-Marc Proust — 24 novembre 2010
Mettre la langue sous corset pour faire jaillir l’imaginaire? Sur le principe de la contrainte littéraire, l'Ouvroir de littérature potentielle, l'Oulipo, crée depuis 50 ans des textes à part. Ses membres les plus célèbres –Raymond Queneau, Italo Calvino, Georges Perec– sont morts, mais le groupe continue à écrire sous contrainte: littérature, mathématiques et fantaisie sont les règles. Et le résultat –un jeu avec les mots savant et joyeux– séduit de plus en plus. Comme Umberto Eco, nombreux sont les «Monsieur Jourdain faisant de l'Oulipo sans le savoir». Retour sur une aventure littéraire hors normes.
Le 24 novembre 1960, Raymond Queneau et François Le Lionnais fondent l'Oulipo. L'un est écrivain, rendu célèbre un an auparavant par Zazie dans le métro, l'autre est ingénieur –il a écrit un livre sur Les Nombres remarquables. Et ça tombe bien car l'Ouvroir de Littérature Potentielle se situe au croisement des mathématiques et de la littérature. Avec l'Oulipo, la rigueur devient source de créativité. Il s'agit d'établir des règles, des contraintes formelles, puis de les traduire sous forme de textes. Premier exemple avec Exercices de style, (1947) dans lequel Queneau écrivit la même histoire de 99 manières différentes. En 1961, il publie Cent mille milliards de poèmes, un petit ouvrage de dix sonnets dont chaque strophe est découpée pour pouvoir se combiner aux autres. Hum… la meilleure des explications reste une photo:
Il s'agit de la version polonaise via Wikimedia Commons / awersowy CC License by
Ainsi, explique l'auteur, «le lecteur peut composer 1014 sonnets différents, soit cent mille milliards». Et la lecture de l'ensemble atteint des proportions inconcevables:
«En comptant 45 secondes pour lire un sonnet et 15 pour changer les volets, à 8 heures par jour, 200 jours par an, on a plus d'un million de siècles de lecture, et en lisant toute la journée 365 jours par an, pour 190.258.751 années plus quelques plombes et broquilles (sans tenir compte des années bissextiles et autres détails).»
De la poésie, des mathématiques et du jeu: tout l'Oulipo est déjà là. Avec cet enjeu de la participation active du lecteur: «Comme l'a bien dit Lautréamont, la poésie doit être faite par tous, non par un.» D’emblée, les «poètes scientifiques» que sont les membres de l'Oulipo se fixent pour ambition d’explorer les contraintes du langage. Avec un credo: ces contraintes favorisent la créativité. Que le résultat soit abscons, iconoclaste, qu'il ressemble (souvent) à des blagues de potache ou des écrits scientifiques, il laisse rarement indifférent.
Coopté en 1967, Georges Perec donne bien vite au mouvement quelques-uns de ses plus beaux fleurons. Avec La Disparition (1969), il signe un premier tour de force: quelque 300 pages écrites sans la lettre «e», lettre disparue. Cette contrainte répond au doux nom de lipogramme. Avec Les Revenentes (1972), titre volontairement fautif, il s'impose la règle inverse: «e» sera la seule voyelle. Cette contrainte, indiquent les puristes, est celle du monovocalisme. Dans La Vie mode d'emploi (1978), roman –ou plutôt romans comme le précise le sous-titre–, «il travaille à partir du carré eulérien d'ordre 10, une énigme résolue par des mathématiciens en 1958, explique Olivier Salon. Le roman n'existe que parce que cet objet a été trouvé. C'est un roman extrêmement contraint bien qu’il ne soit nul besoin de connaître le carré eulerien pour le lire!». Le cahier des charges est fascinant. Georges Perec déplace son lecteur dans cet immeuble en utilisant les mouvements du cheval d'un jeu d'échecs. Par un mouvement calculé, le cheval explorera toutes les cases de ce damier qui en compte 100, sans jamais repasser par l'une d'entre elles. Chaque chapitre (appartement, pièce, couloir) devra faire figurer «42 objets obligatoires à insérer de force». Aujourd'hui encore, les fans de Perec n'en finissent pas de découvrir des significations cachées dans ce roman protéiforme. Champion olympique du jeu avec les mots, Georges Perec écrivit également un palindrome (phrase ou mot se lisant indifféremment dans les deux sens) de... 1.247 mots.
Autre auteur fameux, Italo Calvino épousa souvent les contraintes oulipiennes. Si par une nuit d'hiver un voyageur est un roman composé de... débuts de roman, organisé savamment à partir du carré sémiotique de Greimas (on reprend son souffle…). Secrétaire définitivement provisoire et secrétaire provisoirement définitif de l'Oulipo, Marcel Bénabou s'applique «à reverdir le langage cuit» (selon l'expression de Robert Desnos) que sont les dictons, proverbes ou citations, forcément figés, pour… en créer d'autres. Paul Fournel s’attacha à la «contrainte du prisonnier», laquelle consiste à écrire sans les lettres qui «dépassent» en haut ou en bas, pour gagner de la place sur un papier dont ledit prisonnier doit faire l'économie: «Ni P, ni Q, ni F.... incarcérés, nous écrivons sur une rame économisée au maximum...» Hervé Le Tellier détourne le Pater noster du côté du métro: «Notre Auber qui êtes Jussieu…» Chez les Oulipiens, la contrainte est parfois expliquée, parfois non. Parfois imperceptible, parfois visible, comme dans ce poème de Jacques Bens:
A
la
mer
nous
avons
trempé
crûment
quelques
gentilles
allemandes
stupidement
bouleversées.
Hors Oulipo, il faut signaler quelques absences: Boris Vian, Julio Cortázar, Umberto Eco, Jean Tardieu, Michel Leiris... Sans aucun doute, Boris Vian aurait été un oulipien de la première heure. L'Oulipo n'est-il pas issu du Collège de Pataphysique dont il était l'initiateur? Hélas, il mourut en 1959, un an trop tôt. Cortázar, lui, refusa d'entrer à l'Oulipo, qui l'avait pourtant coopté. Pour ce communiste irréductible, un mouvement littéraire non politique ne présentait, semble-t-il, pas assez d'intérêt. Quant à Umberto Eco, se présentant comme un «Monsieur Jourdain faisant de l'Oulipo sans le savoir», il suit les travaux du groupe mais sans entrer dans le cercle, affirmant qu'il «n'y a pas d'art sans contrainte».
Né en 1960, l'Oulipo revendique quelques héritages. Les précurseurs sont aimablement qualifiés de plagiaires par anticipation. A commencer par les Grands Rhétoriqueurs, des poètes du XVe siècle, à qui l'Oulipo emprunte la contrainte et... l'ouvroir, ce lieu clos où les moines se retiraient pour cogiter. Nul hasard donc si l'Oulipo, au moins à ses débuts, ressemble à une société secrète. Parmi les précurseurs, il faut aussi signaler... Jean-Sébastien Bach. Dans l'Art de la fugue ou la Passion selon Saint-Mathieu, il utilise un thème reprenant les lettres de son nom, qui sont aussi en notation allemande des notes de musique (BACH: Si bémol - La - Do - Si bécarre). De nombreux compositeurs lui rendront hommage de la même manière.
D'autres emprunts sont revendiqués. S’appuyant sur les poèmes-calembours de Franc-Nohain écrits en 1894 (Inattentions et sollicitudes), tel celui-ci:
Appétit vigoureux, tempérament de fer,
Member languit, Member se meurt – ami si cher,
Qu'a Member?
L'Oulipo crée une théorie des sollicitudes et compose des vers se terminant par des jeux de mots similaires (Qu'a mis Kaze? Qu'ont tes nerfs? Mais qui lit Mandjaro? Donc qu'a Millot?) où l'on retrouve, évidemment, un brin de mathématiques:
Il donne le tournis, ce diable de л,
Demi-tour du tour au rayon, sans répit,
Oh, qu'a л?
«Mam‘zelle Gibi / m’traite d’abruti/ Qu’a Gibi?» En composant l'Ami Caouette, Serge Gainsbourg s'en souviendra.
Aujourd’hui, la contrainte oulipienne semble s’être démocratisée. Sur les tracts, dans les publicités, les titres de journaux ou de films, le jeu avec le langage est monnaie courante. L’on ne résiste pas à évoquer ce sketch des Monty Pythons où Eric Idle s’exprime en anagrammes.
La plupart de ces emprunts «sont basés sur des jeux de mots, observe Marcel Bénabou. Mais il s'agit plus souvent d'un clin d'œil que d'une véritable contrainte. On a parfois l'impression que les Oulipiens s'amusent à faire des jeux de mots. C'est tout à fait exact mais ce n'est pas que cela. Nous explorons le langage, les virtualités du langage pour écrire». Même constat chez Olivier Salon: «L’Oulipo reste un laboratoire de recherche.» Sans doute est-ce pour cela que, vu de l'extérieur, l'Oulipo ressemble parfois à une secte, avec des règles, particulièrement strictes, ou joyeusement absurdes. On y entre par cooptation, à l'unanimité des membres. Faire acte de candidature est le meilleur moyen de n'être jamais coopté:
Certains, pour l’avoir oublié, ne seront jamais oulipiens. De même, un refus est considéré comme définitif. En outre, l’Oulipo coopte ses membres de manière malthusienne. «Queneau estimait qu'au-delà de 10 personnes, on ne peut pas travailler sérieusement autour d'une table», explique Marcel Bénabou. Le cercle compte aujourd’hui compte 37 membres, dont 12 17 sont… morts. Car, une fois entré, on est oulipien à vie et même au-delà. Aussi, après leur disparition, les membres sont-ils «excusés pour cause de décès» s’ils manquent une réunion. Et il n'existe qu'un seul moyen de quitter l'Oulipo: se donner la mort en présence d'un huissier à qui on indiquera fermement que telle est la raison du suicide. Ces règles étaient voulues par Queneau «en réaction au mode de fonctionnement des Surréalistes qui passaient leur temps à s'exclure», indique Jean-Claude Guidicelli, réalisateur du documentaire L’Oulipo, mode d’emploi. Au début, les réunions sont quasi-clandestines. Aujourd’hui encore, elles restent réservées aux membres. Autour d’une bonne table s’organise un rituel immuable. «L’ordre du jour est découpé en trois temps, explique Olivier Salon: création –l’idée d’une nouvelle contrainte, rumination –on évoque une idée en germe, érudition –lectures, références…» Si la partie créative ne suscitait aucune idée, la réunion serait immédiatement annulée. Mais «ce n’est jamais arrivé…»
La notoriété s’est accrue. Longtemps indifférente, l'Université abonde désormais en travaux consacrés à l'Oulipo. Du lycée au primaire, l'audience de l'Oulipo ne cesse de s'élargir. «Chez beaucoup d'enseignants, il y a un amour réel de l'Oulipo», se réjouit Marcel Bénabou; et l'utilisation des contraintes fait désormais partie du champ pédagogique. Le temps est révolu où, à Rosay-en-Brie, en 1974, un professeur faisait scandale pour avoir dicté à ses élèves un extrait de Zazie dans le métro, suscitant un déluge de plaintes parentales (2)… Depuis les années 1990, l’Oulipo s’ouvre aussi à ses admirateurs avec des lectures publiques, la participation à des colloques ou conférences, ou des représentations théâtrales. Si le cercle des oulipiens est restreint, l'aventure s'est élargie et diversifiée. L'Italie dispose d'un Opificio di Letteratura Potenziale. Mieux, avec le phénomène de l’Ou-X-Po., toute activité peut désormais disposer de son ouvroir pour explorer ses potentialités. Voici un Oubapo (ouvroir de bande-dessinée potentielle, où s’illustre par exemple Lewis Trondheim), un Oulipopo (littérature policière), un Ouarchpo (architecture)... Le web a élargi le cénacle des aficionados. «Il y a sur internet un phénomène assez curieux, constate Marcel Bénabou: des quantités de sites se réclament de l'Oulipo. Il y a aussi une liste Oulipo, constituée d'admirateurs qui échangent entre eux des travaux sous contrainte, en ayant recours aux outils informatiques.»
Après la mort de Perec, champion olympique de la contrainte, la question de la survie de l'Oulipo avait été posée. Puis, de nouveaux membres entrèrent dans le cercle, un groupe aux allures de «famille». Car il s'agit d'un «groupe et non d'un mouvement littéraire. Un mouvement littéraire meurt avec ses fondateurs. C'est le cas du Surréalisme, du Nouveau roman... Or, l'Oulipo vit toujours», observe Jean-Claude Guidicelli. «Ce qu'on a en commun, c'est un rapport au langage, observe Marcel Bénabou. Les membres du groupe ne sont pas tenus à l'obéissance à l'égard d'un maître, (comme ce fut le cas pour le surréalisme), ni au respect d'une doctrine littéraire. Il n'y a pas d'enjeu dogmatique entre nous.» Pas de concurrence non plus, tant les œuvres des oulipiens sont différentes. Le cercle ou la famille continue donc à se réunir, à explorer, à remplir sa «fonction essentielle qui est d’inventer des formes littéraires», conclut Olivier Salon. Raymond Queneau et François Le Lionnais peuvent donc tranquillement continuer à se faire excuser pour décès.
Il existe plusieurs manières d'aborder une langue: l'approche descriptive (on observe et on relate) se distingue de l'approche normative (on fixe des règles et on corrige les écarts). L'Académie française penche invariablement vers le normatif, tandis que les linguistes tendent au descriptif, plus neutre d'un point de vue scientifique.
Mais ces approches complémentaires peuvent devenir des oppositions franches à la vue d'un point médian ou d'un SMS –pardon, d'un texto–, bourré d'emojis et d'abréviations. Est-ce Molière qu'on assassine?
Pas vraiment, rappellent des linguistes dans Le français va très bien, merci, car la langue de Molière –«expression commode»– n'est pas la nôtre. En effet, nous ne la lisons pas «dans la graphie d'origine». «Si on le faisait, on découvrirait des signes étranges pour nous, comme le tilde au-dessus de la voyelle pour indiquer qu'elle est nasale: “nous voyõs”. “Moi” s'écrivait “moy” et “français”,“françois”, prononcé “fransoué”. Eh oui, la prononciation aussi a changé. Il suffit pour s'en convaincre d'écouter les lectures reconstituées par Benjamin Lazar sur YouTube. La fameuse “langue de Molière” y apparaît presque comme une langue étrangère.»
Cette mise en garde est salutaire: essayez donc de lire Rabelais ou Montaigne en VO… Idéaliser une langue prétendument figée est illusoire. Et l'imposer, plus encore. Molière lui-même en riait dans Les Femmes savantes. Et c'est pourtant ainsi qu'une langue s'enseigne.
Qui plus est, le français se parle bien au-delà de nos frontières. Or, en dépit de cette «hétérogénéité», l'enseignement de notre langue repose sur des choix, qui conduisent à «UN français artificiellement épuré» dans lequel on privilégie «“j'appris”, le passé simple, mais pas “j'ai eu appris”, le passé surcomposé; “quatre-vingt-dix”, mais pas “nonante”».
Dans leur tract, les linguistes déplorent ces choix normatifs qui président à l'enseignement des langues en plaidant pour une «éducation plurilingue». L'on s'affranchirait ainsi de «la culture de la norme unique forgée par Paris» pour donner davantage de place à la francophonie et aux langues régionales.
Et voici un premier paradoxe.
Comment ne pas approuver telle proposition, synonyme d'enrichissement de l'apprentissage? Mais comment conjuguer cette difficulté supplémentaire au moment où, déjà, l'enseignement du français pose de nombreux problèmes? Les linguistes atterrées suggèrent une forme de complexité tout en en récusant d'autres: ainsi de l'orthographe, dont il faudrait cesser de faire un «outil de sélection» en autorisant «les correcteurs automatiques aux examens comme les calculatrices en maths ou en physique».
L'orthographe justement. Objet de fascination ou de répulsion. Au moment où «la plus grande dictée du monde a rassemblé 1.397 participants sur les Champs-Élysées» dimanche 4 juin, les linguistes balaient cet engouement d'un expéditif: «Des “fautes” d'aujourd'hui deviendront sans doute la norme en 2050.» Écrit au format «réforme de 1990», à la fois «mise à jour» et «rationalisation» qui ne «mettent pas la langue en danger», le tract ignore les accents circonflexes mais autorise une «gageüre», préfère «weekend» à «week-end».
Citant Paul Valéry, selon qui l'orthographe française va du «cocasse» à l'«absurde», il pointe avec gourmandise l'évolution de la langue, «une succession d'ajustements» et beaucoup d'incongruités:
«“Dompter” vient du latin domitare, qui ne contient pas de p.»
«“Posthume” n'a rien à voir avec humus (sinon que son orthographe fait penser à enterrer), il dérive du latin postumus, superlatif de posterus. Le “h” n'a donc pas de raison d'être.»
«“Aspect”, “respect”, “suspect”ont gardé de leur origine un “c” muet. Mais pas “objet”, “préfet”, “projet”, “sujet”, “rejet”.»
Rien de cohérent, donc. Estimant qu'il «est devenu pratiquement impossible d'écrire sans faire aucune faute», les linguistes préconisent d'autres mesures de simplification (adieu «oignon», bienvenue «ognon»). Assurément populaire depuis que Bernard Pivot l'a mise en scène à la télé, la dictée reste source d'angoisses pour nombre d'élèves.
«Si notre orthographe ne parvient pas à faire peau neuve, c'est parce qu'elle est devenue un marqueur social extrêmement puissant.» Marqueur générationnel et marqueur culturel plutôt que social, car la dysorthographie touche toutes les catégories sociales.
Par-delà les querelles qu'elle génère, la simplification, voire la démocratisation de l'orthographe ou de la grammaire nous fait passer du descriptif au normatif. Il s'agit de décisions tout aussi arbitraires que celles qui ont prévalu aux siècles passés. Favoriser l'apprentissage et éviter les discriminations: la position se défend aisément. Elle est pourtant peu cohérente au regard d'autres propositions contenues dans le tract: donner davantage de place aux variantes francophones, intégrer l'écriture inclusive. Car, là, il n'est plus du tout question de simplifier.
«Si l'on réenseignait l'accord de proximité en français à côté de l'accord au masculin pluriel? Si l'on continuait à tester des techniques pour exprimer le genre, puisque seules les plus plébiscitées resteront en usage?» «Né au début du XXIe siècle, le néopronom iel, comme d'autres innovations récentes (ellui, celleux, toustes) permet de garder l'indétermination; créé au départ pour désigner une personne non-binaire, iel évolue vers un emploi générique (surtout au pluriel).»
De telles propositions ont l'avantage de faire sortir du bois les réacs de toutes obédiences et les «amoureux de la langue» que récuse la linguiste Julie Neveux, s'exprimant au micro de France Inter. Est-ce assez pour les légitimer? Et, surtout, faire fi de la complexité nouvelle qu'elles entraînent? Pourquoi simplifier ici pour complexifier ailleurs? Le descriptif laisse place à un normatif revendiqué, celui d'une langue qui porte un combat politique, avec son cortège de «néographies».
Dans un média –surtout quand il en a préconisé l'usage–, l'écriture inclusive est forcément désirable. Or, le tract, qui y consacre un chapitre, se borne à en faire une technique.
«Pour favoriser le sens générique, les doublets de type “Françaises, Français” ou la parenthèse utilisée sur les documents officiels à la fin du XXe siècle (“né(e)”, “domicilié(e)”) ne semblaient pas gêner grand monde. Le terme “écriture inclusive” désigne parfois toutes ces techniques ou bien, par restriction, un seul procédé d'abréviation, permettant d'éviter les doublets et de gagner de la place: les étudiant.e.s, étudiant-e-s ou étudiant·es abrégeant les étudiants et étudiantes. »
C'est bien là le problème. Si l'écriture inclusive a la beauté d'un formulaire Cerfa, elle ne servira qu'à complexifier la langue, j'allais écrire: l'enlaidir –mais c'est là un jugement subjectif. À cet égard, et c'est bien démontré, l'accord dit de voisinage ou de proximité est nettement plus séduisant –et probablement plus facile à apprendre car «on ne dit pas “certains régions et départements”». L'évidence.
Pour ma part, l'écriture inclusive est séduisante lorsqu'elle devient un exercice de style, une contrainte oulipienne. Mieux encore: qu'elle soit indiscernable à première vue, pour mieux duper le lectorat rétif (comme cet article par exemple). Car la langue est aussi un jeu, un plaisir, une joie et tout cela semble ici oublié.
C'est là l'ultime paradoxe de ce tract, pourtant stimulant. Le plaisir de la langue y est étonnamment absent, alors qu'il a été rédigé par des personnes qui ont choisi de lui consacrer leur vie professionnelle. Comme le sujet est politique, ces textes écartent tout ce qui fait la saveur de la langue: ses difficultés, ses surprises, ses exceptions.
La notion de jeu (et l'apprentissage peut être ludique) est absente. L'exception est stigmatisée, la difficulté repoussée. La littérature? Disparue. Absents, le rire ou l'émerveillement que procurent une blague, un jeu de mots, une tournure maladroite ou subtile. Comme si la langue, ce bien commun utilisé et malmené par n'importe qui, ne devait être «envisagée (que) de façon scientifique». En nous déniant le plaisir de regarder des étoiles filantes sans rien comprendre à la physique.
En revanche, des évolutions sont proposées qui ne vont pas toutes dans le sens d'une facilité accrue. Sous couvert de neutralité scientifique, c'est une vision de la langue qui est proposée et qui mérite d'être discutée. Il suscitera des colères conservatrices et ravira les apôtres d'une écriture débarrassée de sa pesanteur patriarcale. Il nourrira un débat sans cesse recommencé et toujours passionné. Il permettra d'illustrer le slogan (pardon) de Roland Barthes: la langue est «fasciste, car le fascisme, ce n'est pas d'empêcher de dire, c'est d'obliger à dire».
En attendant que ces linguistes atterrées parviennent à s'installer sous la coupole du Quai Conti. Car, oui, évidemment, ce tract n'oublie pas de cocher quelques cases corporatistes: «Et si l'Académie française élisait pour moitié des linguistes, en s'inspirant de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique?» Chiche?
L'image que l'on a des médiévaux est fausse.
Repéré sur National Geographic
Les gens se lavaient-ils? Croyaient-ils que la Terre était plate? Les anglophones nomment cette période «l'Âge sombre», notamment à cause des clichés persistants sur une population arriérée, violente et désespérément superstitieuse.
Pourtant, la réalité de l'Europe médiévale est bien différente. National Geographic déconstruit quatre mythes autour de cette période, afin d'exposer les véritables conditions de vie de nos ancêtres.
Lorsqu'on évoque le Moyen Âge, on a tendance à croire que les médiévaux manquaient cruellement d'hygiène. Bien qu'il ait fallu attendre le XIXe siècle pour que l'on s'intéresse aux maladies et à ce qui les provoque, l'image d'une population sale qui ne se lave pas est erronée. En Europe, les gens adoraient prendre des bains. Ils fabriquaient eux-mêmes leurs savons et se lavaient parfois même en public.
Il avaient également des rituels élaborés pour se laver les mains, en particulier dans la sphère aristocratique. Les paysans aussi se les lavaient, mais les nobles utilisaient de somptueux lavabos pendant que des ménestrels leur chantaient la sérénade. Les historiens modernes suggèrent que la pratique s'est essoufflée, ironiquement, au XVIe siècle (les Lumières), lorsque les fourchettes ont remplacé les doigts pour manger.
Un autre mythe de l'époque persiste: la population «non éclairée» croyait que la Terre était plate et s'inquiétait de voir les navires tomber en arrivant au bout de l'océan. C'est faux. Les gens savaient que la Terre était ronde dès la Grèce antique (du XIIe au IXe siècle avant J.-C.).
Ils possédaient des connaissances astronomiques relativement complexes lorsque Christophe Colomb a découvert l'Amérique en 1492. Alors comment se fait-il que le mythe persiste encore aujourd'hui? C'est la faute de Washington Irving, un écrivain américain du XIXe siècle qui a écrit une biographie de Colomb (apparemment pleine de mythes) si appréciée que l'idée a parcouru les époques.
Les médiévaux ont bon dos. En plus de la théorie de la Terre plate, on les associe à une population en manque de diversité ethnique et exclusivement hétérosexuelle.
Cependant, en 2019, des chercheurs ont analysé l'ADN des os provenant du cimetière de la peste noire à Londres, et ils ont découvert bien plus de diversité que prévu. Sur 41 ossements étudiés, 7 lieux d'origines différentes ont été relevés. Certains avaient des origines africaines et d'autres un double héritage, européen et africain.
Du côté de la sexualité, bien que l'Église catholique ait enseigné l'homosexualité comme étant un péché, les historiens soulignent des preuves de non-conformité de genre et de relations dans les œuvres d'art et la littérature de l'époque. Toutes les femmes n'étaient d'ailleurs pas réduites aux tâches domestiques. Certaines sont devenues des leadeuses de guerre, des scientifiques et des actrices du pouvoir politique.
Enfin, malgré la réputation de l'Âge sombre, la période a permis à l'éducation, à l'art et à la technologie de prospérer. Elle est à l'origine de la création des premières lunettes, du chronométrage mécanique ou encore de la charrue lourde. Ces trois inventions ont mené à la révolution industrielle et au siècle des Lumières. Les cartographes de l'époque ont réussi à créer des cartes d'une précision étonnante et les armes à poudre ont révolutionné la guerre pour toujours.
Par Amandine Roussel
Ce vendredi après-midi, Jean Castex a joué le jeu (et pas que pour la photo) en pilotant aux côtés du capitaine un bateau-bus. Celui qui est désormais président de la RATP est venu concrétiser la délégation de service public (DSP) accordée à son entreprise par la Métropole.
Une image plutôt insolite. Un ancien Premier ministre aux commandes d’une navette maritime du Réseau mistral. Ce vendredi après-midi, Jean Castex a joué le jeu (et pas que pour la photo) en pilotant aux côtés du capitaine un bateau-bus. Celui qui est désormais président de la RATP est venu concrétiser la délégation de service public (DSP) accordée à son entreprise par la Métropole.
Dans le cahier des charges, TPM a fixé la ligne directrice de l’action de la RATP. "Nous voulons atteindre les 40 millions de voyages annuels dès 2026", rappelle le président de la Métropole, Jean-Pierre Giran. Cela passe par une "amélioration de l’offre de service tant quantitativement que qualitativement", a confirmé Jean Castex.
Dix-sept kilomètres de parcours seront ainsi ajoutés et le but est d’augmenter la fréquentation de 54%. "L’autre grand objectif que nous avons, c’est la transition écologique. Nous devons relever ce défi et faire que l’ensemble du parc soit propre. Cela passe par des bus qui fonctionnent à l’électrique, au gaz et à l’hydrogène", ajoute l’ancien Premier ministre.
La prise en main du Réseau mistral par la RATP n’est pas (encore) particulièrement visible pour l’usager. Le nouveau délégataire soigne son installation. Seule modification notable: la refonte du site Internet.
Le calendrier des grands changements
Dès septembre, en revanche, la RATP imposera visiblement sa patte. "Nous allons commencer par renforcer les dessertes de Six-Fours et Hyères, ainsi que la ligne 15 sur Toulon. La ligne maritime 8M sera cadencée, on pourra prendre un bateau toutes les 20 minutes", annonce Claudine Schultz, la directrice du Réseau mistral.
Dès 2024, il sera possible de payer directement en carte bleue son bus. "Pour les lignes structurantes, la 1, la 2 (fusion de la ligne 8 et 19 Ndlr) et la 3, on passera à des fréquences de moins de 10 minutes. Elles seront aussi prolongées jusqu’à 22h30." Le maillage du territoire sera également renforcé.
En 2025-2026, c’est le Bus à haut niveau de service (BHNS), qui devrait enfin être mis en service. "L’offre sur les lignes principales sera prolongée jusqu’à minuit. Tout en conservant les nocturnes le week-end", poursuit la directrice.
Et tout cela "sans changement de tarif", ponctue Jean-Pierre Giran.
En chiffres
6 : c’est le nombre d’années que dure la DSP avec la RATP.
511 : c’est en millions le coût de la DSP. Soit un coût moyen de 63 millions par an pour la Métropole.
54 : c’est le pourcentage l’augmentation prévue du trafic d’ici 2026.
17 : c’est le nombre de kilomètres supplémentaires de lignes programmés.
Évoquez autour de vous les débuts de l’école républicaine et aussitôt un nom surgira, celui de Jules Ferry évidemment. Pourtant, c’est près d’un siècle avant les fameuses lois scolaires de 1881-1882 que l’école républicaine fit ses premiers pas, en pleine Révolution française.
À quoi ressemblait-elle, alors, cette première école de la République ? En quoi les expériences scolaires révolutionnaires contribuèrent-elles à façonner la pédagogie moderne et les fonctions que nous prêtons encore aujourd’hui à l’école ? Tentons un retour en arrière, pour mieux saisir la Révolution depuis une salle de classe.
9 heures approchent. Des enfants du village, filles et garçons, convergent vers l’école, située tout à côté de l’église et du presbytère, au centre du bourg. Le bâtiment est récent, comme c’est le cas dans un nombre croissant de communes rurales. Il a de larges fenêtres et une salle de classe chauffée par un poêle – la lumière qui circule, l’air qui chasse les miasmes sont d’ailleurs des préoccupations en cette moitié du XVIIIe siècle.
Sur son pourtour, de nombreux bancs ont été installés, certains dotés de tables (pour les élèves qui apprennent à écrire), d’autres sans rien (pour ceux qui apprennent à lire). On dissociait alors les deux apprentissages : la lecture d’abord, l’écriture plus tard. Sur les murs, l’enseignant a accroché des affiches. On peut y lire les lettres de l’alphabet ainsi que des textes – je vous dirai bientôt lesquels. Une pile de petits fascicules imprimés (des abécédaires) attend l’arrivée des enfants.
La scène que nous imaginons se situe en 1793, peut-être au premier semestre 1794. Ce village, nous l’avons fabriqué de toutes pièces, en nous appuyant sur des éléments attestés en ces instants de paroxysmes révolutionnaires. Mais on peut l’incarner davantage, si vous le souhaitez, par un retour au réel. Disons donc que l’on est à Beaumont, en Auvergne, car sur cette école-là on sait beaucoup de choses. L’instituteur y a multiplié les écrits sur son activité. En l’an II, il s’était renommé Quintilien Vaureix – au lieu de Pierre Vaureix – et, à cet instant précis de sa vie, il avait 31 ou 32 ans. Les présentations étant faites, ouvrons la porte de sa classe. Les enfants entrent, ils prennent leurs abécédaires. La suite, laissons-là aux explications de l’instituteur.
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Jean-Jacques-François Le Barbier/Musée Carnavalet
Dans la classe de Quintilien régnait un système méritocratique : les places étaient hiérarchisées, et c’est par ses efforts, encouragés par des récompenses civiques, que l’on s’y hissait – point comme autrefois par la fortune des pères. Une fois assis, les élèves de Vaureix commençaient par lire et expliquer la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le texte en était reproduit dans leurs fascicules.
La Révolution, à l’école de Quintilien, c’était aussi celle du langage : l’instituteur avait appris aux enfants à dire le « tu » de l’égalité, le « citoyen » qui remplaçait le « monsieur ». L’usage du français (la langue de la loi) était établi au détriment du patois. Même le temps, ici, avait été révolutionné : l’école était fermée les quintidis et les décadis, ces cinquième et dixième jours de la nouvelle découpe républicaine du temps. Elle était en revanche ouverte les anciens jours de dimanche (il est vrai que Dieu avait été exclu de sa classe par Quintilien).
Les décadis, les enfants de Beaumont devaient assister aux lectures de la loi faites par l’instituteur aux villageois. Ce jour-là, ils devaient aussi – les garçons du moins – participer à de petits exercices militaires pour être prêts, lorsqu’ils seraient adultes, à défendre la République (l’époque était à la guerre et à l’invention du service militaire). Quintilien, enfin, emmenait ses écoliers au club jacobin du village. À vrai dire, il leur avait même organisé un petit club où ils pouvaient débattre entre eux des affaires du temps, voter, élire, pétitionner. Ce que voulait Vaureix, on l’aura compris, c’était que ses élèves agissent en citoyens. Ils étaient 102, filles et garçons, à fréquenter son école, au printemps 1794.
Bien sûr, on n’est pas obligé de croire Quintilien sur parole quand il écrit qu’il faisait ceci, et cela. Pourtant, je vous propose de lui accorder un peu de crédit, car des instituteurs comme Quintilien, il y en avait plus de cent autres. Il y en avait dans chaque ville, chez les institutrices comme chez les instituteurs. Il y en avait aussi dans les campagnes (des instituteurs surtout, car presque pas d’institutrices ici) – du moins y en avait-il dans les communes républicaines du monde rural. Là, l’instituteur s’était trouvé chargé d’accompagner le groupe des habitants dans son choix de la République par des pratiques scolaires nouvelles.
Dans leurs registres, les autorités ont gardé trace de ce républicanisme scolaire. On y lit des Marseillaises chantées à n’en plus finir par des enfants de l’an II, des participations aux fêtes républicaines, des dons pour la défense de la République, des bataillons aux armes de bois pour les garçons, de petits clubs politiques, des textes patriotiques, le refus des châtiments corporels (la sanction des esclaves, non des hommes libres). Et puis l’essentiel : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, celle qui figurait dans les abécédaires des enfants, celle qu’ils récitaient lors des fêtes, celle qui était affichée dans leur classe également.
Enfants jouant la prise de la Bastille. Anonyme/Wikimedia
Bien sûr, des variantes propres à chaque instituteur ont pu exister. Celui-ci aura enlevé les images pieuses qui ornaient sa classe. Celui-là aura organisé de petits procès où les enfants arbitraient eux-mêmes leurs disputes (gare alors à ne pas être privé de récréation). Dans l’ancien prieuré Saint-Martin-des-Champs, à Paris, un internat accueillait près de 300 enfants vivant sous le régime d’une Constitution républicaine. Ils s’y réunissaient en assemblée pour faire les lois de leur petite Cité.
L’ambition était de faire de l’école une République en réduction. Il fallait, pensait-on (c’était un legs des Lumières), mobiliser les sens, donc faire vivre les enfants en républicains, pour leur apprendre les savoirs et les pratiques de la citoyenneté. Que de changements par rapport aux leçons d’avant 1789, largement fondées sur la religion !
Ces modèles pédagogiques (choses politiques) circulèrent largement. On le comprend. Reprenant aux Lumières (encore) l’idée de la toute-puissance du pouvoir pédagogique, mais en la conjuguant à l’exigence d’une démocratisation de la scolarisation qui n’avait jamais vraiment été envisagée par les philosophes du XVIIIe siècle, les révolutionnaires ont fait de l’école une priorité, en même temps qu’un objet brûlant du débat politique. C’est à elle, l’école, qu’ils confièrent la tâche (immense et décisive) de former les citoyens de demain, ceux sans lesquels la République ne pourrait vivre longtemps.
Cela a ouvert la voie à d’innombrables écrits, à maints discours, à quantité d’expériences, dans un formidable élan pédagogique qui fit la marque de la période. Puis la loi s’y est mise. Un siècle avant Ferry, fin décembre 1793, l’école publique fut créée, gratuite et obligatoire. Cela ne dura qu’un an – la mesure figurant parmi les victimes collatérales de la chute de Robespierre. Mais cette année-là compta. Elle compta, parce que cette loi rencontra un authentique succès. Elle compta, car elle était un projet pour l’avenir.
Le maître d’école du village au temps des Lumières et de la Révolution (École nationale des chartes, mars 2023).
Insistons sur le fait que toutes les écoles du pays n’ont pas eu le visage de celle de Quintilien, même en 1793. Certaines étaient moins militantes dans leur républicanisme, d’autres étaient même franchement hostiles à la Révolution et continuaient d’enseigner les savoirs (pieux) de jadis.
En ville, face au grand nombre d’écoles, qui couvrait plus ou moins toutes les nuances politiques, les parents pouvaient choisir celle qui convenait le mieux à leurs opinions. Au village, où il n’y avait qu’un instituteur, les choses étaient différentes. Là, la commune maîtrisait le recrutement de l’enseignant et avait les moyens de lui imposer ses vues. Ni le pédagogue ni l’État n’y étaient véritablement maîtres du contenu politique des leçons.
Reste que l’école de la République a existé (pour la première fois). La Déclaration des droits fut le manuel de toute une génération de fils et de filles de républicains. Ils ne la comprenaient sans doute pas – ou pas complètement. Ils l’apprenaient néanmoins pour demain, un demain de XIXe siècle, un demain où ces gosses de 93, devenus adulte au temps de Hugo, de Michelet, purent donner des sens multiples et sans cesse renouvelés à ces quelques mots appris d’enfance, par cœur et par corps, ces mots qui donnaient pour but à la société le bonheur commun, le respect des droits fondamentaux, les secours publics, le droit à l’insurrection et à l’instruction, la démocratie. Pratiques et espoirs vains ? Plus d’un en garda en tout cas la mémoire vive.
De passage dans le Var ce jeudi, en tant que président de la Fondation agir contre l’exclusion, l’ancien Premier ministre a répondu à quelques questions politiques. Faisant une entorse à sa ligne de conduite depuis un an.
Propos recueillis par Michaël Zoltobroda Publié le 25/05/2023
A-t-il été accueilli par des casseroles à l’aéroport, comme le redoutait son entourage? La question fait rire Jean Castex: "Soyez sérieux, je ne suis plus dans le jeu!". En visite dans le Var ce jeudi, l’ancien Premier ministre enchaîne discours, photos, tapes sur le bras et blagues sur les accents. Tout en esquivant au maximum les sujets politiques. C’est en tant que président de la Fondation agir contre l’exclusion (Face) que le prédécesseur d’Élisabeth Borne, devenu P.-D.G. de la RATP, a fait le déplacement. Entre une rencontre avec des collégiens et une autre avec les dirigeants du Rugby Club de Toulon, il a tout de même accepté d’évoquer ses rapports avec Emmanuel Macron, la récente condamnation d’Hubert Falco ou encore son projet de livre sur ses deux ans à Matignon.
Vous avez pris la présidence de Fondation il y a presque un an. Quel bilan dressez-vous de la situation aujourd’hui, en matière d’exclusion?
On en aura jamais fini avec l’exclusion, toutes les formes d’exclusion. Il y a toujours des gens qui restent au bord du chemin. Voilà pourquoi cette fondation, qui regroupe des entreprises qui ont décidé de mettre des moyens humains, financiers et techniques, est plus que jamais utile. Le point fort de Face, c’est le retour vers l’activité de publics en précarité, synonyme également de retour à la dignité. Et la période actuelle, où les entreprises recrutent, est une vraie opportunité pour nous. Il faut mettre le paquet.
D’après le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), 16% des Français déclaraient ne pas pouvoir manger à leur faim en fin d’année... Inquiétant?
Bien sûr. C’est la raison pour laquelle je me suis impliqué dans ce type de structure. Je voulais être utile à ma manière. Avec Face, le fait de pouvoir réinsérer certaines personnes dans l’activité professionnelle fait que leur pouvoir d’achat s’en trouve amélioré. Même si ce n’est pas mirobolant.
Pourquoi cet engagement (bénévole) contre l’exclusion vous tenait particulièrement à cœur?
C’est aussi un combat politique. Il y a une forme de constante, de cohérence avec moi-même. Dans le Var, j’ai été directeur de la DDASS de 1996 à 1999. J’ai notamment collaboré avec Gilles Robêche (secrétaire général de l’Union Diaconale du Var, à l’époque), à qui je remettrai ce vendredi la légion d’honneur. Ensemble, nous avons créé le Samu social à Toulon et distribué les premiers repas au SDF. Je me souviens du regard de ces gens.
Pensez-vous que le gouvernement actuel en fait assez en matière d’inclusion?
Non, non, non. C’est une question à laquelle je ne réponds pas. Je suis astreint à un devoir de réserve. Et je m’y tiens. Ce n’est pas la peine de me demander des trucs sur ceci ou cela. Vous pouvez tenter mais…
Pour connaître bien le Var, que vous inspire la montée du Rassemblement national dans le département, avec notamment l’élection de sept députés sur huit RN en juin dernier?
Pas de question politique. Je ne sais pas si ma parole est attendue ou légitime, mais je tiens à garder mes engagements. J’ai dit en sortant de Matignon que je quittais le champ politique. Résultat, vous ne m’avez pas entendu m’exprimer sur ces sujets-là depuis un an.
Un mot sur la récente condamnation d’Hubert Falco, à trois ans de prison avec sursis et cinq ans d’inéligibilité avec effet immédiat pour recel de détournement de fonds publics dans l’affaire du frigo (décision dont il a fait appel)?
Je ne ferai pas de commentaire sur une décision de justice. Mais humainement, je connais très bien Monsieur Falco. Je l’ai vu chasser le Front national à la mairie de Toulon. Pardonnez-moi, j’ai vu comment il a transformé la ville. Je lui tire un coup de chapeau. Et je lui conserve toute mon estime.
Quid de votre projet de livre sur vos deux ans à Matignon?
(Il rit) Entre la RATP et Face, je n’ai pas assez de temps pour l’écrire, mais je n’y renonce pas. L’idée, c’est d’apporter une contribution à ce qui a été une période très particulière avec la gestion de crise sanitaire. J’aimerais raconter, de façon pédagogique, ce qu’on a fait ou pas fait pour que les dégâts soient les moins forts possible. C’est pas plus mal de laisser un peu de temps s’écouler. C’était une période marquante. Et puis, avant que ça sorte de ma mémoire…
Avez-vous parfois craqué? En privé, notamment?
On n’a pas le droit. Si le Premier ministre craque... Une des premières qualités pour être à ce poste, c’est la solidité psychologique. La résistance mentale. Mais bon, il y a eu des jours difficiles. Comme le 29 octobre 2020. Ce jour-là, je monte à la tribune de l’Assemblée nationale annoncer le deuxième confinement, pas forcément une bonne nouvelle, et là je vois des mouvements anormaux dans les travées. Je sens qu’il se passe quelque chose. Mais impossible de m’interrompre et d’allumer mon portable. Quand je redescends, un collaborateur m’informe du très grave attentat à Nice (à la basilique Notre-Dame, Ndlr), où trois personnes ont trouvé la mort. Là, vous vous dites: "Bon, il va falloir assurer". Mais c’est comme ça. Il ne faut pas que l’émotion prenne le pas.
Si Emmanuel Macron ne s’était pas rendu à Roubaix auprès des familles des trois gendarmes tués, vous auriez pu vous croiser dans le Var ce jeudi, où il avait prévu de participer à la fête de la nature. Quels sont vos rapports , aujourd’hui?
Épisodiques. Très épisodiques.
La politique, ça vous manque un peu?
Mon souhait, c’est de continuer à être utile à mon pays. On peut, la preuve aujourd’hui, l’être sans faire de politique. J’ai été un Premier ministre dans la tourmente, sous pression, mais un Premier ministre heureux. Maintenant, je suis utile autrement en étant patron de la RATP et président de la Face. Et j’en suis également heureux.
Peut-on être plus utile en étant en dehors de la politique?
Vous ne m’entendrez jamais dénigrer la politique. On a besoin de politiques, de gens qui prennent leurs responsabilités. C’est un rôle très dur. Alors que les critiques, les Y’a qu’à, faut qu’on, c’est à la portée de beaucoup de gens. Après, ne me demandez pas de commenter les empoignades à l’Assemblée nationale, je ne le ferai pas. Je vous vois venir...
Qu’est-ce qui pourrait vous faire revenir en politique? La présidentielle?
(Il éclate de rire) Je l’attendais celle-là... Écoutez, je n’y suis plus. Je n’y suis plus.
ChatPDF est une application en ligne basée sur l'intelligence artificielle qui permet d'interagir avec un document PDF comme s'il s'agissait d'un être humain. Vous pouvez lui poser des questions sur le contenu du fichier PDF à l'aide d'un service de chat facile à utiliser. Lorsque vous posez une question, l'IA utilise les paragraphes pertinents du PDF pour vous donner une réponse.
ChatPDF homepage
ChatPDF peut convenir dans différentes situations : extraire rapidement des informations d'un fichier PDF, résumer des fichiers PDF volumineux tels que des manuels ou des documents de recherche, aider des étudiants dans l'étude d'articles universitaires, etc. Vous pouvez utiliser un PDF provenant de votre ordinateur ou d'une URL.
Avant toute chose, il faut savoir que ChatPDF est limité dans sa version gratuite, puisque vous n'avez droit qu'à lui transmettre 3 PDF par jour avec 50 questions quotidiennes. Par ailleurs, les PDF ne doivent pas faire plus de 10 Mo et contenir 120 pages au maximum. Si vous voulez l'utiliser sans ces limites, il faudra débourser 5 $ par mois (2000 pages par PDF, 32 Mo/PDF, 50 PDF/jour et 1000 questions/jour).
Rien de bien compliqué pour utiliser ChatPDF. Il suffit de glisser-déposer un fichier PDF sur son interface, puis de lui laisser le temps de l'analyser. Il affiche alors un court texte résumant le document suivi de quelques suggestions de questions, dans une interface proche de ChatGPT. Vous pouvez, bien sûr, poser vos propres questions ou choisir de cliquer sur les propositions qu'il va développer à la suite.
ChatPDF resume
Quand vous avez terminé, vous pouvez exporter (en TXT) le contenu de cette conversation en cliquant sur la petite flèche dans le coin supérieur droit de ChatPDF ou bien le partager à l'aide d'un lien proposé par l'application (également en haut à droite).
ChatPDF example
ChatPDF
Tuto :
Présentation en vidéo (en français)
En 2019, je vous avais présenté l'application Android gratuite de messagerie multi-comptes BlueMail. Je l'utilise d'ailleurs toujours sur mon smartphone, mais il faut savoir que BlueMail est également disponible pour Windows, Mac, Linux et iOS. La version pour ordinateur reprend plus ou moins les mêmes caractéristiques que la version pour mobile. BlueMail pour Windows vous permet d'ajouter un nombre illimité de comptes de messagerie tout en prenant en charge les principaux protocoles de messagerie, notamment IMAP, SMTP, Exchange ActiveSync, EWS et POP3.
BlueMail pour Windows
BlueMail utilise les principaux protocoles du secteur pour sécuriser et protéger vos données et se connecte directement à votre fournisseur de serveur de messagerie sans avoir besoin d'un proxy de messagerie. BlueMail peut vous convenir de nombreuses messageries, que vous ayez un compte Gmail, Outlook, Hotmail, Yahoo Mail, AOL, iCloud, Office 365 ou tout autre fournisseur. De plus, il est multilingue, français inclus.
BlueMail pour Windows
Attention, la version pour Windows ne fonctionne que sous Windows 10 et Windows 11.
Principales caractéristiques de BlueMail :
Téléchargement :
Homepage
Tuto :
Aide officielle en ligne (en français)
Tutos en vidéo :
Utiliser BlueMail sous Windows 10
Synchroniser ses comptes mails sur Bluemail (Windows/MacOS)
Propagande politique, manipulations économiques, faux contenus générés par l'intelligence artificielle... La désinformation au sens large est une menace majeure pour la liberté de la presse dans le monde, s'alarme mercredi 3 mai Reporters sans frontières (RSF) dans son 21e classement annuel.
Sans changement, le pays le mieux noté est la Norvège et le dernier la Corée du Nord. La France est 24e et gagne deux places. Globalement, les conditions d'exercice du journalisme sont mauvaises dans 7 pays sur 10. Cette édition 2023 pointe en particulier les effets de la désinformation. Au classement, les baisses les plus importantes s'observent au Pérou (110e, -33 places), au Sénégal (104e, -31 places), en Haïti (99e, -29) ou en Tunisie (121e, -27). A l'inverse, le Brésil (92e) remonte de 18 places après le départ de l'ancien président d'extrême droite Jair Bolsonaro, battu par Lula aux élections fin octobre.
Dans les deux tiers des 180 pays évalués, les spécialistes qui contribuent à l'élaboration du classement "signalent une implication des acteurs politiques" dans des "campagnes de désinformation massive ou de propagande", selon RSF. C'est le cas de la Russie, de l'Inde, de la Chine ou du Mali.
"Industrie du simulacre"
Plus largement, ce classement "met en lumière les effets fulgurants de l'industrie du simulacre dans l'écosystème numérique". "C'est l'industrie qui permet de produire la désinformation, de la distribuer ou de l'amplifier", explique à l'AFP Christophe Deloire, secrétaire général de l'ONG. C'est, selon lui, le cas des "dirigeants de plateformes numériques qui se moquent de distribuer de la propagande ou de fausses informations". Sur France Inter, mercredi, il a mis en cause "le pouvoir du patron de Twitter, Elon Musk, qui peut décider de modifier son algorithme et d'amplifier la désinformation". "L'information fiable est noyée sous un déluge de désinformation", juge Christophe Deloire, selon qui "on perçoit de moins en moins les différences entre le réel et l'artificiel, le vrai et le faux".
Mais ce qui l'inquiète tout particulièrement, c'est la capacité qu'ont certains Etats de "disposer de moyens technologiques pour exercer une propagande". "Que ce soit Moscou ou Pékin, les grandes dictatures ne se contentent pas de contrôler les esprits de leurs citoyens avec un bourrage de crâne", s'est-il désolé sur France Inter, alertant sur la volonté qu'ont la Russie et la Chine "d'exporter leur contenu de propagande et leur modèle de contrôle de l'information" au-delà de leurs frontières.
Le débat sur les retraites illustre sans ambages l'aboutissement du processus engendré par la communication internet qui, au départ, offrait la promesse d'une ouverture démocratique mais qui, à l'arrivée, se révèle être un aller direct et peut-être sans retour vers le populisme. Les fils Twitter, le réseau des journalistes et de tout le monde (il est ouvert), déclinent imperturbablement depuis trois mois une scène primitive: Emmanuel Macron («Le président des riches», narcissique, illibéral ou au contraire ultralibéral, etc.) contre le peuple («pas écouté», «méprisé», «en colère», «trahi»).
Massivement, les gazouillis de l'oiseau bleu véhiculent des variations sur ce refrain. Le plus sidérant c'est que ce prisme organise le débat presque partout ailleurs, dans les grands médias d'information, qu'ils soient publics ou privés. Ce nouveau système médiatique interroge. Comment expliquer une telle asphyxie de la pensée délibérative?
L'Italie a été le premier pays à expérimenter le populisme médiatique, raison sans doute pour laquelle les penseurs italiens rivalisent d'ironie face à la France: «Cette discipline du Macron bashing va rentrer parmi les disciplines olympiques de Paris 2024», s'amusait ainsi le journaliste Paolo Levi, au micro de RTL le 21 avril.
Dans Les Ingénieurs du chaos, l'écrivain Giuliano da Empoli décrit la montée au pouvoir, à partir de sa création en 2009, du Mouvement 5 étoiles (M5S). Une ascension qui doit tout, d'une part, à Beppe Grillo, blogueur, comique, showman de télévision, pourfendeur de la classe politique italienne, et, d'autre part, à ses conseillers experts en numérique. Le baroudeur a réussi à mobiliser des millions d'électeurs grâce à l'algorithme qui permet «de cultiver la colère de chacun sans se préoccuper de la cohérence de l'ensemble, qui dilue les anciennes barrières idéologiques et réarticule le conflit politique sur la base d'une opposition entre le peuple et les élites».
En dirigeant des messages ciblés en direction de ces masses d'individus frustrés, des discours qui discréditent un candidat et flattent l'image de l'autre, ces experts mènent de véritables guérillas virtuelles et, finalement, parviennent à influencer suffisamment de votes pour faire pencher un scrutin dans le sens souhaité. En 2013, le Mouvement 5 étoiles récoltait 23% et 25% des voix dans les deux chambres du Parlement, se hissant au second rang des partis italiens. L'expérience à été réitérée avec succès lors de la campagne présidentielle de Donald Trump aux États-Unis en 2016, ou du Brexit la même année. L'heure des Français serait-elle arrivée?
Les plateformes numériques, on le sait, inclinent, pour des motifs économiques, à aller toujours plus loin vers la diffusion de contenus ludiques, festifs, et transgressifs qui incitent les internautes à «s'engager» (liker, commenter, répondre, partager). Les médias audiovisuels anciens ont connu cette même évolution vers le divertissement dans les années 1980-1990 avec l'explosion des chaînes commerciales, mais avec une différence: en matière d'information, la plupart d'entre elles restaient généralistes et pluralistes et s'attachaient à favoriser la confrontation de points de vue et, par là, à contribuer à la conversation démocratique.
Aujourd'hui, c'est exactement le contraire: tout concourt à polariser les auditeurs et les opinions, à hystériser les esprits, même dans les grandes chaînes ou radios, peu importe qu'elles soient publiques ou privées –les chaînes tout-info poussant ce principe à l'extrême. Pourtant, le cahier des charges des grandes télévisions, soucieux de créer les conditions de la vie démocratique, multiplie les obligations en faveur du pluralisme et de l'honnêteté de l'information –un cadre juridique qui semble ne plus faire l'objet d'aucun contrôle.
Le cyclotron Twitter mouline en instantané l'information chaude. Son architecture algorithmique obéit à l'économie de l'attention, à celle de l'engagement de l'internaute, peu importe le contenu. Chaque internaute vit dans son silo, les «thread conversationnels» sont inexistants ou en tout cas tournent court très vite (4% des échanges sont des réponses sur Twitter France, contre 80% de likes), la communication s'opère par des clins d'œil, des interjections indignées, dénonciatrices ou approbatrices et, bien entendu, par la rediffusion de séquences brèves, extraites de l'actualité télévisée: celles qui, en un flash, résument une opinion radicale.
Les producteurs de contenus «énervés» sont peu nombreux, mais ils inondent le réseau, que consultent beaucoup d'internautes passifs. Ce carnaval fait fuir ceux qui sont habités par une exigence intellectuelle; ils abandonnent la foire d'empoigne Twitter et préfèrent fréquenter des espaces de discussion spécialisés ou les réseaux «pro» comme LinkedIn, et se réfugier vers les podcasts, les nouveaux magazines ou les sites de la presse généraliste. Cette désertion laisse Twitter aux internautes galvanisés par des humeurs et commentaires chargés d'émotions, ceux-là même qui appellent un émoticone d'approbation (le réseau propose des cœurs et pas d'émoticone de rejet).
Les journalistes des grands médias obsédés par le fait de sonder les attentes du public se sourcent sur Twitter, qui les branche sur la fraction la plus exaltée des internautes, et cette vision circule ensuite aussi grâce à d'autres applications, en particulier les messageries Telegram de journalistes et de communicants. Cette tonalité est dès lors transposée dans la grande information politique, le bottom-up jouant alors à plein. Parallèlement, pour affirmer leur fonction de contre-pouvoirs et forcer leur visibilité, les intervieweurs et éditorialistes construisent leurs questionnements sur de la critique, voire de l'agressivité, usant d'une tonalité empruntée à leurs collègues américains.
Enfin, beaucoup d'entre eux, en particulier les jeunes journalistes, semblent endosser les convictions de la gauche radicale, à l'instar d'une bonne partie des élites intellectuelles: on en repère les traces dans le journal Le Monde, dans les médias publics comme France Inter, des univers professionnels situés dans le halo de Sciences-Po (où 55% des étudiants ont voté pour Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2022). Les médias «de référence», de ce fait, ont tourné en médias d'opinion.
Utilisation des ressources numériques, journalisme de combat et radicalisme à gauche font système: la médiasphère présente un profil beaucoup plus engagé que ne l'est la population française moyenne. Dans cette bataille culturelle, le souci du pluralisme, de la vérité, de la pondération et de l'argument rationnel passe d'évidence après d'autres considérations.
Dans The revolt of the public and the Crisis of Authority in the New Millennium, le politiste américain Martin Gurri explore le changement de paradigme né du web: en donnant la parole à tout le monde, chacun exprimant ses intérêts et ses émotions du moment, le Digital Age anéantit l'idée d'une société organisée selon une hiérarchie des savoirs et des positions –dans le gouvernement, les entreprises et les universités.
Le mode de fonctionnement ancien des sociétés devient alors illégitime. Vertical, centralisé, assis sur le socle des élites diplômées, des hauts cadres et des professionnels, pratiquant des délibérations compliquées, une obsession des normes et des procédures, guidé par des stratégies et une planification, filtré par les grands médias et les dispositifs culturels, ce modèle entre de plein fouet en conflit avec un nouvel acteur: l'amateur. L'internaute lambda exige d'être écouté et rejette spontanément les paroles issues d'un lieu d'autorité.
Martin Gurri pointe ainsi la puissance des liens faibles. Les réseaux pratiquent un égalitarisme fanatique sans craindre d'engendrer des dysfonctionnements sociaux majeurs. Ce nouvel acteur (le Public) se positionne radicalement contre le centre de la société, contre les pouvoirs organisés, campe sur un refus de l'ordre établi et s'active selon un élan unilatéral sans accorder la moindre considération aux autres parties prenantes du jeu social.
Sa dynamique et son mode de pensée s'orientent alors aisément vers une démarche nihiliste, la violence pour la violence, aucune réponse politique ne pouvant apaiser cet embrasement –qui n'a alors d'autre voie que de s'éteindre de lui-même. Dégager des leaders, prendre le pouvoir n'est pas le projet du Public, sa stratégie est plutôt de provoquer des nuisances et son principal projet, de s'opposer.
Que faire face à une foule sans tête et animée seulement par une position de refus? À tout moment, le pouvoir des faibles, coordonnés à travers des liens faibles au sein de la galaxie numérique, menace de déstabiliser le monde ancien –construit, lui, sur des liens forts (système de valeurs, cadres institutionnels, hiérarchies organisationnelles et scolaires).
Le philosophe italien Maurizio Ferraris, auteur de Postvérité et autres énigmes, établit la continuité entre le postmodernisme et le populisme avec la banalisation d'un régime de post-vérité. Il décrit le processus de l'histoire des idées qui trace ce chemin: déconstruction de la «rationalité instrumentale» perçue comme un agent de domination, affirmation du principe nietzschéen selon lequel «il n'y a pas de faits, mais seulement des interprétations», émergence de nouvelles pratiques accordant la toute première place à l'émotivité et à la solidarité, montée au pinacle de la subjectivité, avec son aboutissement, la privatisation de la vérité.
Internet galvanise ce processus, en encourageant le pouvoir direct des individus et en faisant disparaître les instances de validation. Dans l'effervescence de la communication décentralisée, créer du faux et le faire circuler, c'est d'ailleurs l'enfance de l'art –tant par la diffusion de «preuves» par des images truquées ou sorties de leur contexte, que par le martèlement d'idées ou de visions du monde mille fois partagées dans les liens numériques. Ce flot de narrations et de vérités alternatives, souvent résumées en tweets ou en statuts Facebook qui par leur abondance s'apportent une garantie réciproque, devient alors acceptable au nom du principe selon lequel chacun a droit à sa part de la vérité.
Au-delà de cet antiscientisme emboîté à la critique des sachants, d'autres éléments expliquent la crédulité d'une partie de la population face aux vrais ou demi-mensonges ainsi que, parfois, sa capacité à succomber aux fantasmes les plus délirants. À une époque où les médias et les responsables des partis de gouvernement sont souvent suspectés de mensonges –parfois à tort ou parfois à juste titre–, que des leaders populistes se jouent de la vérité, ou même inventent une réalité alternative, ce comportement n'entame pas leur crédit auprès de leurs électeurs et électrices.
Donald Trump a pu énoncer n'importe quelle énormité sans que cela ne choque ou ne lui porte préjudice. Bien au contraire, oser affirmer une chose fausse peut être perçu comme un acte d'émancipation, voire de bravoure, et celui qui ose transgresser les normes ou les vérités établies peut apparaître aux yeux de certains comme le vrai champion de leurs intérêts.
Business de la haine, révolte contre les hiérarchies, notamment celles des savoirs, mise en place de la subjectivisation de la vérité: difficile de lutter contre ces forces obscures, dont une partie relève de la puissance technologique; difficile, pour les sociétés démocratiques, d'affronter un tel chaos. Même Marshall McLuhan[1] n'aurait pas imaginé l'émergence d'un tel «moule de l'esprit».
1 — James W.Carey résume ainsi la pensée du professeur de communication: «Les technologies de la communication, loin d'être neutres, loin de se réduire à des outils de transmission, participent au sens du message: elles constituent “des choses avec quoi penser, des moules de l'esprit, des façonneurs de représentations”», Communication as Culture: Essays on Media and Society, New York & Londres, Routledge, édition révisée, 2008.
A trip down the most mysterious road in California, Zzyzx Road
Andrew Chamings, SFGATE, Jan. 24, 2023
(En cours de mise en page : illustrations à ajouter)
The Zzyzx Road sign along Interstate 15 in the Mojave Desert, between Las Vegas and Los Angeles.
The Zzyzx Road sign along Interstate 15 in the Mojave Desert, between Las Vegas and Los Angeles.
Stammberger1973/CC 3.0 via Wikipedia
A crucifix-shaped swimming pool crumbles in the desert sun. Alongside it, five decrepit concrete baths once filled with the promise of cleansing sins. Warm mineral water, tapped from what was said to be a holy underground river, drew desperate salvation searchers to this remote California wasteland. Today, part of the pool sinks into the banks of the ancient lakebed upon which this strange settlement was built.
This place was once the 12,000-acre dream of notorious huckster and “super squatter” Curtis Springer. Springer claimed to be a doctor, a minister, a professor and a miner — but turned out to be none of those things. Eventually, his wrongs caught up with him, forcing him to leave his tiny stolen empire in these desolate reaches of California.
This strange history, the two horror movies shot here and the place’s bizarre name first drew me to the Zzyzx Road turnoff on Interstate 15, around an hour east of Barstow. But notorious fraudster and creepy swimming pool aside, I discovered that the site at the end of the 4-mile track is a natural phenomenon unique unto itself. A true oasis in the desert.
Lake Tuendae in Zzyzx, Calif.
Lake Tuendae in Zzyzx, Calif. Andrew Chamings / SFGATE
Around 3 miles in, the road turns to loose gravel as it bends around a rocky outcrop. Lined with palm trees, the unpaved track finally approaches the fabled cluster of buildings at its terminus.
I made my way down there on a clear winter day. Without a soul in sight, the place felt a world away from the highway that ferries thousands between Los Angeles and Las Vegas every day.
The most striking sight at Zzyzx is Lake Tuendae, a body of water the size of a football field. Beyond, through the palm trees, the vast, ancient, crusty white lakebed reaches to the Devils Playground mountains.
“It’s a special place,” Dr. Terry McGlynn tells me. “There are scorpions at night, foxes, coyotes, rabbits and big-horned sheep wandering around. It’s absolutely stunning.”
McGlynn is the director at the California State University Desert Studies Center, which has occupied the storied settlement of Zzyzx, once named Soda Springs, for nearly 50 years. There, students and research scientists stay for weeks on end at the edge of Soda Dry Lake — a bright-white lakebed that was once Lake Mojave. Evidence shows that Indigenous people began populating the lakeshore around 10,000 years ago.
“It’s the terminal basin for the Mojave River, which runs west to east from the San Bernardino Mountains,” DSC operations manager and herpetologist (lizard expert) Jason Wallace tells me. “Which is kinda backwards for most river systems.”
While dry on the surface, the Mojave River is still active underground, Wallace says. “It’s always a little moist, not too far under the lakebed.”
Dry lake bed in Zzyzx, Calif.
Dry lake bed in Zzyzx, Calif.
trekandshoot/Getty Images/iStockphoto
Visiting students’ work here today includes drilling into the rocks to discover ancient climates, tracking sheep, conducting a reptile census and analyzing the hydrology of the ancient natural springs that have drawn people there for thousands of years.
“Geologists come from all over the world,” McGlynn says. “It offers a really unique window into the history of time.”
Despite the often repeated myth that the site is an abandoned ghost town, Zzyzx is an active field station, affiliated with California State University Fullerton, with around 60 beds for visiting students and research scientists.
“For some students from LA, this is the first place they see the uninterrupted night sky. It’s spectacular,” McGlynn says. “A lot of people haven’t seen the Milky Way before.”
The beautiful centerpiece to Zzyzx, Lake Tuendae, provides a home for mud hens, dragonflies and various migratory birds getting a drink on their long flight over the desert. It’s also one of only three places where the protected and endangered Mohave tui chub fish can be found.
“You never see them. They sit on the bottom of the lake,” McGlynn says. “Once every few years, a group of people monitor them to make sure they're there and OK.”
But something about the rectangular pond, flanked with evenly spaced palm trees, seems uncanny. It’s almost too perfect. That’s because the pristine lake in the desert is, in fact, a human-made pond. And that human is seemingly inescapable in any story about this place.
“There are no photos that show this,” McGlynn says. “But presumably, the lake was dug out by Springer.”
Sign on I-15 at the end of Zzyzx Road, from the Curtis Springer era.
Sign on I-15 at the end of Zzyzx Road, from the Curtis Springer era.
Desert Studies Center
Born in 1896 in Alabama, Curtis Springer first made a name for himself as a lecturer and later as a radio evangelist and fervent promotor of health foods.
As a self-described doctor, Springer took curious students’ cash to attend his lectures and learn his secrets to a healthy, God-fearing life. In 1930, at a YMCA in Scranton, Pennsylvania, Springer taught a course he claimed was associated with the “Extension Department of the National Academy,” a wholly made-up university. Other courses included “How to Banish Disease and Know the Joy of Living” and “Picking a Husband for Keeps.”
One repeated grift of Springer’s — may it be while teaching courses, offering samples of his miracle foods or later inviting visitors to bathe in his desert pool — was to ask for zero cash upfront but bait-and-switch attendees during the proceedings to get their money. Many of his lectures would pause halfway through so Springer could collect “donations” and also offer private sessions later that day for $25 a pop.
A 1935 report titled “Curtis Howe Springer: A Quack and His Nostrums,” published by the Journal of the American Medical Association, alleged that Springer lied his way through numerous East Coast and Midwestern cities in the early 1930s, duping people out of cash payments for courses before leaving town and adorning himself with various fictional titles along the way.
Springer also launched a curiously named magazine, “Symposium Creative Psychologic,” a title the American Medical Association found “as meaningless as some of the titles Springer has annexed.” Archives reveal a second magazine, named “The Elucidator,” was also published in 1935, but a second issue never appeared.
Archival advertisements for the resort and Curtis Springer's radio show.
Archival advertisements for the resort and Curtis Springer's radio show.
Desert Studies Center
At the peak of his radio fame, Springer’s show was syndicated by over 200 stations in the U.S. and another 100 overseas. Springer claimed he had 14 million listeners a week, which may have been not far from the truth. The show was a combination of preaching (Springer claimed to be a Methodist minister but was later revealed to be self-ordained at best), gospel singing, screeds against the sins of alcohol and testimonials from happy users of his miracle medicinal cures.
These dubious products, which would later land Springer in jail, included his famous Antediluvian Tea, a mixture of laxatives named after a biblical flood; a “Hollywood cocktail”; a $25 hemorrhoid kit; and Mo-Hair, a baldness cure that was later revealed to be a mixture of just two ingredients: mud and oil.
In his various ads, lectures and radio shows, Springer followed his name with M.D. and Ph.D. — titles the AMA’s investigation found had no merit whatsoever, as Springer never “graduated from any reputable college, medical or otherwise.” At one point in Pennsylvania, he was charged with practicing medicine without a license but skipped town while on bail, according to the report.
Maybe to escape the AMA or those seeking his tax dollars or refunds for aborted courses, in the early 1940s, Springer moved to Los Angeles.
Old palms stand sentinel against the desert at Zzyzx.
Old palms stand sentinel against the desert at Zzyzx.
R_Litewriter/Getty Images/iStockphoto
While there, he once recalled how he stumbled upon a 25-cent pamphlet in a secondhand Hollywood bookstore about the “mineral springs of the Pacific Coast.” Inside, he saw mention of a place named “Fort Soda Mineral Springs,” in the Mojave Desert. When he was unable to locate the site on a map, Springer headed into the desert, some 200 miles from his Hollywood home, and managed to find the spring that was sourced from the underground Mojave River, on the edge of the ancient Soda Dry Lake. At the time, the site was an uninhabited wilderness with nothing on the land beyond some old baking soda mines and the remnants of Fort Soda, an early Spanish and then U.S. military camp where dozens of Native American people were killed in the 1860s.
Springer and his wife Helen filed a mining claim to an 8-by-5-mile swath of federal land there and proceeded to build the place the preacher would be forever remembered for.
To build his ambitious resort, Springer headed back to Los Angeles and hired homeless men on Skid Row to come to the desert and help him tap the spring and erect the settlement at what was then named Soda Springs. Springer himself admitted to bringing “hundreds” of men from Skid Row to help build the site and paying them in room and board.
He coined the site “Zzyzx” as a gag of sorts — so he would always have “the last word in health.” The name was formally, and controversially, recognized by the San Bernardino County Board of Supervisors in 1965, resulting in the iconic green sign on I-15.
Springer’s hired help built the “hotel” — the same dorms used today by visiting students — on the town’s main esplanade he named “Boulevard of Dreams.”
The first newspaper advertisement for the resort ran in November 1945 in the Los Angeles Times, offering bus trips to Zzyzx from LA hotels and promising mud, sun, mineral baths, homemade ice cream and a “definite Christian atmosphere.” Springer had long been a staunch advocate of prohibition, and the site never served a drop of alcohol.
A view of the old Soda Springs health spa in Zzyzx, Calif.
A view of the old Soda Springs health spa in Zzyzx, Calif.
Andrew Chamings
Zzyzx would prove to be a big success, largely due to the apparent cost. “We accept whatever amount God has made possible for you to pay,” the ad stated.
This also proved to be a falsehood; Springer charged $50 a week to the vast majority of guests, though he would grant a free stay if the visitor provided a letter from their “preacher, priest or rabbi” proving that they were indeed “penniless.”
The site mostly bussed in pensioners from Southern California and could welcome up to 140 guests, all seeking to be cleansed in the desert by Springer’s godly advice, hot mineral water and health cures. And for some of those who visited the site, it seemed to work.
“I had arthritis in my hand so bad I could hardly bend it,” one unnamed 89-year-old guest said in a New York Times story headlined “Zzyzx is a booming health spa.” “Now look,” she added, before “flexing her gnarled hand with ease.”
Through the 1950s, laborers at Zzyzx continued to expand Springer's dream in the desert. At one time, the site boasted a recording studio, a metal-working shop, a printing facility and even Springer’s own private airstrip named Zyport, which ferried the radio star back to Hollywood every week to promote his new attraction.
What remains of the old Soda Springs health spa at Zzyzx, Calif.
What remains of the old Soda Springs health spa at Zzyzx, Calif.
Dylan Liebeck / EyeEm/Getty Images/EyeEm
It was also fitted with a PA system and loudspeaker, from which Springer would bellow a twice-daily sermon while not recording his radio show on-site.
Many of the advertisements for the resort claim the cleansing water that sprung from the underground river into the cross-shaped pool and baths was naturally “warm.”
But as with all of Springer’s claims, all wasn't as it seemed at Zzyzx.
“He used to heat it up and say it was ‘hot springs,’” McGlynn laughs. “He had a diesel generator to heat the water and say ‘ooh it’s hot mineral springs.’”
Springer’s car salesman-like approach to drawing customers to the desert can be heard on an archival recording of his radio show.
“We have this lovely 12,000-acre estate here that belongs to God,” Springer announces. “If you want to come and stay, come and stay for a month. If at the end of that month, you have any results that you think are worthwhile, and you’re able to do so, we’d appreciate anything you have to contribute. If you don’t, you owe us nothing.”
“The idea was that the water came from a 'cleansing spring,'” McGlynn says, and while the water was technically safe, it was largely undrinkable due to the mineral content. “The water would literally cleanse you by giving you diarrhea.”
Things started to go wrong in the late 1960s, when Springer allowed those who made large donations to build houses on the land, which was still technically owned by the Bureau of Land Management. Springer’s 1944 mining claim did not allow occupation or development of the land beyond mining use, and Springer did everything there but mine.
The crucifix-shaped swimming pool seen from above.
The crucifix-shaped swimming pool seen from above.
Google Earth
In 1967, an LA Times writer named Charles Hillinger published several exposes painting Springer as nothing more than a fraud and a huckster, living on stolen land. Springer was described by the paper as a “pudgy, blue-eyed, ruddy-faced, thin-haired promoter.” Hillinger’s reports revealed that the IRS and Bureau of Land Management had been investigating the squatter since the early 1950s for tax evasion and building countless buildings on land he never owned.
In 1968, Springer was arrested at the resort and served 49 days of a 90-day sentence on 65 counts of false advertising and misrepresentation. One of the charges named his $25 hemorrhoid treatment as useless, and another said Springer sold simple foods such as celery and parsnip as pricey “health supplements.” Springer was also charged with falsely claiming his regimen “cured cancer.”
After his sentence, Springer returned to the resort and continued to operate his business there, despite the BLM's serving notices that he owed $34,000 in rent. The news of his charges also shined a spotlight on the Zzyzx and brought more reporters to the remote road.
In 1969, a Chicago Tribune journalist approached Springer at the resort with some tough questions and received a frosty welcome.
“I’ve told you three times I don’t want any snooping around. You newspaper men are just like detectives. ... If you’re looking for trouble, we’ll give it to you,” Springer told the reporter, who described the heated moment somewhat poetically: “During this outburst, his ears reddened to the same color as his bulbous nose, setting off his white hair rather flatteringly in the late afternoon sun.”
Though, as was often the case in the diverging views on the mercurial figure, even that report stated that he “may be a shameless fraud, or he may be a great healer of mankind."
After six years of court proceedings, in 1974, the Bureau of Land Management finally, forcibly evicted Springer from the town he named but never owned.
“Behind the fraudulent acts he has perpetrated stand hundreds, or thousands and possibly tens of thousands of people who have been bilked of their money and possibly their health,” a probation officer wrote, adding that the spa was “portrayed in advertising as an Eden while in comparison is directly the opposite.”
Soda Dry Lake, as seen from a decaying structure at Zzyzx.
Soda Dry Lake, as seen from a decaying structure at Zzyzx.
Kristo/Getty Images
Just two years later, the site was turned into the university research center that still operates today. In a strange TV news moment, on the day of the launch of the site in 1976, as journalists gathered and cameras were rolling, Springer drove up to the site, in violation of his court order.
“The 80-year-old super squatter,” a local news anchor reported, “held court by the lake he built, boasting of the millions of free beds and free meals he had handed out at the site over the years.”
When asked by a reporter where he got the money to fund that charity, Springer curtly replied, “Well, that’s none of your business.”
At that time, the Philadelphia Inquirer estimated that Springer earned between $250,000 and $750,000 a year from donations. Another report said he netted over $1 million a year between 1963 and 1968.
“I believe this property belongs to God,” Springer told the cameras. “I’m going to keep my foot right in the door. I’ll fight until hell freezes over, and the last dog has been hung.”
It would be Springer’s last time at Zzyzx, though the preacher protested the eviction decision until his dying day.
Others also spoke out in defense of Springer and what he achieved in the desert. “He had done a lot of good. He gave retirees a place to vacation,” the owner of a hotel in nearby Baker told reporters. “Now lots of people are left with a vacuum in their hearts.”
“We aided in the rehabilitation of 4,000 destitute men,” Springer said in his twilight years in 1982. “I’d like our children and friends to know, and not forget about the good things we did at Zzyzx.”
Curtis Springer died on Aug. 19, 1985, in Las Vegas, at the age of 88.
Lake Tuendae in Zzyzx, Calif.
Lake Tuendae in Zzyzx, Calif.
Andrew Chamings / SFGATE
“It’s interesting to me that there hasn’t been a biography or movie about his legacy,” McGlynn tells me. “Not many people know about him.”
Two schlocky horror movies — one, a Katherine Heigl vehicle that holds the unenviable title of lowest-grossing movie ever made — have been set on Zzyzx Road. Both were released in 2006, meaning one was forced to misspell the name, “Zzyzyx” Road, to add even more confusion to the name.
Setting a horror movie there makes sense; the cinematic landscape and desolation are ripe for modern Western tales of bloodshed and scares, and in researching this story, I found two forgotten real-life tragic events at the site, both involving Curtis Springer’s then-teenage sons.
The first happened in December 1952, when Springer’s 16-year-old son, Terry Foster Springer, awoke in the middle of the night to a ruckus in a goat pen. Springer said he believed a wild cat was in among the livestock and fired his .22-caliber rifle at the commotion. The shot killed a man named Roberto De La Armendariz. Springer’s son was never held or charged in relation to the incident.
A few months later, in 1953, Springer’s older son, Charles, 19, killed himself in a bizarre accident while out with a party of friends hunting rabbits. According to a short obituary published in the Daily American, Springer jumped out of the truck in which he was riding to kill a wounded rabbit with the butt of his rifle. “The rifle barrel, loosened from the butt, discharged driving the bullet into the lung of the unfortunate young man.” Charles Springer reportedly died shortly after while en route to Barstow Hospital.
Records also show both of Springer’s parents died on-site at Zzyzx in the 1950s.
The remains of the swimming pool and baths at Zzyzx, California.
The remains of the swimming pool and baths at Zzyzx, California.
CC 2.0 via Flickr users el-toro and Don Barrett
Over the 50 years, the crucifix-shaped swimming pool has remained mostly intact. And its presence in the middle of the research center has been what McGlynn calls an “attractive nuisance.”
Wallace, who lives on-site and has worked there since 2007, wants visitors to know that they should stay on the designated path around Tuendae Lake. “You can see everything from the Springer days from there,” he says, adding that the swimming pool has been “wrecked” by gawkers.
Maybe due to its history, or its remoteness, in recent years, the site has sometimes become a draw for those seeking life off the grid.
“We’re a magnet; we’re at the end of a weirdly named road, which piques everyone’s interest. We get vandalized. We get people poking around where they are not supposed to,” Wallace says. “People think it's abandoned. They walk away with stuff and say, ‘Oh, I'm sorry. I didn’t realize anyone was here. I’m just taking this chainsaw.’ It’s crazy.”
Wallace said that during the pandemic, the site became a destination for some. “They didn’t know where to go. ‘I need to get out. I’ll just go to the desert,’ they’d say, and they’d get themselves in trouble.”
“People are out here in the middle of the summer with half a bottle of water, no idea where they’re going or what they’re doing,” Wallace says. “But the desert will always win.”
I ask McGlynn if Zzyzx ever feels a little spooky at night. “I don’t feel that way, but I think some visitors might. It’s incredibly still,” he says. “I find it incredibly peaceful.”
There is an undeniable strangeness to the landscape at the end of Zzyzx Road. As I drive out, lost-looking members of a punk band step out of a Ford Mustang emblazoned with the band’s name. They peer through the palm trees and dusty structures built by Doc Springer, trying to figure out the best spot for a photograph.
“God will provide,” Springer told a reporter a few years before he was evicted from the little city he built. “If you play the game fair, I believe the big boss upstairs will level things out. That’s my religion.”
When visiting the Desert Studies Center, for your own safety, please adhere to the designated public path.
C’est un regard qui compte dans le milieu du photojournalisme. Le Genevois Niels Ackermann, cofondateur de l’agence Lundi13, auteur de plusieurs photoreportages primés, appelle les médias à bien réfléchir à leur utilisation des IA génératives comme Dall-E ou Midjourney pour illustrer leurs articles. Parce qu’elles menacent son gagne-pain? Non, rétorque-t-il. Parce que la presse doit s’ériger en rempart qui protège encore le vrai, dans un monde inondé par des contenus synthétiques.
Heidi.news — Qu’est-ce que vous inspirent ces nouveaux logiciels d’IA génératives?
Niels Ackermann — Lorsque je vois une nouvelle technologie qui émerge, mon premier réflexe est de me remémorer les précédents bouleversements qui ont affecté ma profession et que j’ai moi-même vécus. À chaque fois, il y a ceux qui ont immédiatement adopté ces nouveaux outils, et ceux qui s’y sont opposés. J’avais 13 ans quand j’ai acheté mon premier appareil photo numérique. Autour de moi, certains photographes ont regardé ces nouveaux capteurs avec mépris, estimant que seules des photos prises par des appareils avec film avaient de la valeur. Mais la technologie a modifié les attentes du marché. La possibilité d’avoir des photos numériques qui n’ont pas besoin d’être développées et peuvent être utilisées immédiatement s’est avérée utile, notamment dans les médias. Ceux qui n’ont pas voulu opérer ce virage, ou l’ont fait trop tard, ont été mis de côté.
Le même scénario s’est reproduit il y a quelques années avec Instagram. Certains photographes ont refusé de s’y inscrire. Cela les a exclus en partie du marché, car de nombreux clients s’en servent comme d’un annuaire téléphonique pour sélectionner leur photographe.
Et cela se répète donc avec les IA génératives?
Bien sûr, le processus sera le même, et peut-être même encore plus rapide. En voyant l’essor fulgurant de ces nouveaux logiciels, j’ai décidé de m’y intéresser, parce que je veux comprendre leur fonctionnement et leur utilité. J’ai testé entre autres Dall-E, ChatGPT et Midjourney. J’ai été bluffé par la puissance de ces outils. A tel point que je me suis rendu compte qu’ils pourraient rapidement affecter mes revenus.
«Il existe sans doute un marché pour le réel»
C’est-à-dire?
Aujourd’hui, l’essentiel de mon chiffre d’affaires provient de mandats dans la pub ou pour des entreprises. Mon travail de photojournaliste, bien que je l’affectionne profondément, est marginal en termes de revenus. En testant ces IA génératives, j’ai pris peur. Je me suis d’abord imaginé que n’importe quelle agence de pub pourrait les utiliser pour générer des images d’excellente qualité pour leurs campagnes. Comment moi, en tant que professionnel, pourrais-je encore justifier des devis à cinq chiffres quand de telles technologies sont disponibles, à un prix défiant toute concurrence?
Je me suis toutefois souvenu qu’il était déjà possible de réduire les coûts en ayant recours à des banques d’images. Si la plupart des agences ne l’ont pas fait jusqu’ici, c’est peut-être parce qu’elles cherchent quelque chose de plus: une certaine personne, un certain lieu, mais aussi une certaine forme d’humanité qu’on ne trouve pas forcément dans ces banques d’images. Cela m’a rassuré de me dire qu’il existe sans doute un marché pour le réel, dans un monde où la disponibilité du faux, du synthétique devient illimitée.
Un «marché pour le réel», qu’est-ce que ça veut dire?
Je suis convaincu que la photographie transmet des émotions particulières. C’est ce qui a fait le succès de ce médium et c’est une des choses qui me fait tant aimer mon travail de photojournaliste. Ces images racontent quelque chose, elles capturent une part de «vrai», une scène, un moment de l’histoire, et elles suscitent des émotions, positives ou négatives. Dans un monde où la disponibilité pour le synthétique est illimitée, j’ai la conviction que les médias doivent devenir des «marchands de vrai». Le photojournalisme m’a mené vers la publicité, qui est plus rémunératrice, mais il se peut que ces évolutions technologiques inversent cette pyramide des revenus et me pousse de la publicité vers le journalisme.
Justement, comment réagissez-vous face aux médias qui génèrent de fausses photographies pour illustrer leurs articles? Le Blick l’a fait récemment, avec une image où apparaissent cinq jeunes qui n’existent pas.
Je ne vais pas le cacher, cela m’a porté un coup au moral de voir qu’un média s’amuse à générer des deepfakes, quand bien même il s’agit de visages qui n’existent pas, et que la légende photo le précise. Je ne l’ai pas mal vécu pour des raisons financières, parce que cela m’a privé d’un quelconque revenu. S’ils n’avaient pas généré cette image, ils auraient illustré leur article par une photo tirée d’une banque d’images. Le problème, c’est que cela porte atteinte à la crédibilité des médias. Ces derniers doivent s’interroger sur leur rôle dans cette époque où l’offre de faux est illimitée et omniprésente. Selon moi, cette profession doit se considérer comme le rempart qui protège encore le vrai. Et pour pouvoir occuper ce rôle, il faut être intraitable avec la déontologie.
Ce n’est pas le cas, selon vous?
Je pense que les médias suisses ont toléré ces dernières années des pratiques qui posent question sur le plan déontologique. Qu’il s’agisse (entre autres) de publireportages plus ou moins cachés, de sujets teintés de militantisme ou d’une absence de distance vis-a-vis du langage corporate. J’ai le sentiment que ces pratiques doivent être définitivement arrêtées. En Suisse, aucun média ne m’a par exemple demandé de signer une charte pour m’imposer des limites et s’assurer de mon honnêteté. La première fois que j’ai collaboré avec le New York Times, j’ai reçu des instructions sur ce qui était acceptable ou non. Parmi cette liste figurait l’interdiction d’accepter des cadeaux, le paiement du voyage par des tiers, mais aussi des paramètres techniques à respecter dans la manière d’utiliser mon appareil pour s’assurer que les images reflètent la vérité. Le risque, si je ne respectais pas ces règles, c’est d’être tout simplement ostracisé par les médias américains, parce que le New York Times aurait fait passer le mot.
«Il faut une distinction claire entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas dans les médias»
Mais au fond, ne cherchez-vous pas à conserver votre gagne-pain en limitant la capacité de choisir des médias?
Non. Je peux nourrir ma famille sans la presse aujourd’hui, et je ne fais pas partie de ceux qui vont dire que cette technologie va précariser ma profession. Cela fait déjà 20 ans qu’elle est précarisée. J’ai simplement la conviction qu’un lecteur qui ouvre un journal doit avoir la garantie que la photo qu’il voit raconte bien quelque chose de réel, et qu’il n’a pas besoin de systématiquement vérifier la légende pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un contenu synthétique.
Pour moi, l’enjeu va au-delà de mon propre confort financier. Il s’agit de conserver des lieux où le réel a sa place. Si les médias ne saisissent pas cette occasion pour proposer un contenu rigoureux où le vrai est la seule boussole, alors ils ne serviront plus à rien dans le monde qui nous attend. Il faut qu’il y ait une distinction claire entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas dans les médias. Raison pour laquelle d’ailleurs je pense qu’une illustration qui a un style cartoon et qui serait générée par une IA ne poserait pas de problème pour illustrer un article. Sa dimension fictive sauterait aux yeux. Mais tout ce qui tente de simuler le réel, qui peut tromper, c’est une limite qui ne doit pas être franchie, et je m’inquiète de voir que certains médias l’ont déjà franchie sans attendre.
Que les médias diffusent uniquement de vraies photos ne changera pas le fait que l’on va s’habituer à questionner l’authenticité de chaque contenu, dès lors à quoi bon?
Peut-être, mais les lecteurs ont toujours vu les photos publiées dans la presse comme une forme de rapport au réel. Les montages, qui ne datent pas des IA génératives, ont toujours été vécus comme une tromperie. Il ne doit pas en être différemment avec ces logiciels. Préserver un espace où le réel est la règle sera d’autant plus crucial justement, parce que ce questionnement autour de l’authenticité ne sera pas nécessaire.
Au-delà du rôle des médias, je m’inquiète qu’on me demande quel «prompt» (requête adressée à l’IA, ndlr.) j’ai utilisé pour générer les photos que j’ai réellement prises, par exemple dans mes reportages en Ukraine. Je m’interroge beaucoup sur le rapport qu’auront nos enfants aux photos lorsqu’ils seront grands. J’espère qu’ils seront en mesure de les concevoir comme quelque chose qui raconte le réel, et pas uniquement comme un contenu synthétique que n’importe qui aurait pu générer. J’espère surtout que ces photographies continueront à leur véhiculer des émotions.